MISE AU POINT Arrêt cardiaque extra-hospitalier Outside hospital cardiac arrest C. Le Feuvre* L a mort subite d’origine cardiaque est définie par une mort naturelle consécutive à une cause cardiaque se manifestant par une brusque perte de connaissance dans l’heure qui suit l’apparition des symptômes chez une personne cliniquement stable. Hippocrate, 400 ans avant J.C., a été le premier à décrire dans Les Aphorismes la mort subite : “Ceux qui souffrent de syncopes sévères et répétitives sans cause démontrée meurent subitement.” À la même époque, Pheidippides, coureur grec envoyé à Sparte chercher des renforts après le débarquement perse à Marathon (200 km de course en 2 jours), puis envoyé à Athènes pour annoncer la victoire, proclama : “Réjouissez-vous, nous avons vaincu !”, avant de s’écrouler d’une mort subite. La première défibrillation interne a été pratiquée aux États-Unis par C. Beck en 1947. Les travaux de P. Zoll et B. Lown ont contribué à la mise au point du défibrillateur externe portable entre 1955 et 1960. Les chiffres en France * Institut de cardiologie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris. Chaque année, en France, 50 000 personnes sont victimes d’une mort subite, soit 130 par jour (10 fois plus que les victimes d’accident de la route). La mort subite survient plus souvent au domicile (75 à 80 %) que sur la voie publique (10 %), sur le lieu de travail (1 à 2 %) ou sur un terrain de sport (1 à 2 %). En France, l’arrêt cardiaque concernerait 400 sportifs par an, parmi lesquels des sujets jeunes, parfois professionnels (mort du footballeur camerounais Marc-Vivien Foë à l’âge de 28 ans le 26 juin 2003, mort du footballeur espagnol Antonio Puerta à l’âge de 22 ans le 2 septembre 2007). Les autres lieux sont les maisons de retraite, les cabinets médicaux et centres de soins, les grands magasins, les gares, les aéroports, les avions, etc. L’âge moyen de survenue de l’arrêt cardiaque est de 67 ans, avec une prédominance masculine (deux tiers des cas) [1]. Dans 75 % des cas, l’arrêt cardiaque survient devant un témoin. Le témoin met 4 à 6 minutes pour reconnaître l’arrêt cardiaque et appeler les premiers secours. Moins de 20 % des témoins entreprennent des manœuvres de réanimation. Le délai d’intervention des secours est de 10 à 30 minutes. Le taux de décès après arrêt cardiaque 18 | La Lettre du Cardiologue • n° 430 - décembre 2009 augmente de 10 % avec chaque minute qui passe, ce qui explique qu’en France, le taux de survie ne soit que de 2 à 3 % (1). Les séries autopsiques et coronarographiques identifient une cause cardiaque dans 80 % des cas. Dans 20 % des cas, la mort subite est non cardiaque (accident vasculaire cérébral, embolie pulmonaire, hémorragie, asthme, intoxication), avec un taux de survie plus bas. La cause la plus fréquente de mort subite d’origine cardiaque est la maladie coronaire (80 %), suivie des cardiopathies dilatées ou hypertrophiques (14 %), puis des cardiopathies restrictives (5 %). Les autres causes (syndromes de Brugada ou de Wolf-Parkinson-White, etc.) représentent moins de 1 % (2). Bayes de Luna a analysé les tracés ECG Holter de 157 patients décédés subitement pendant l’enregistrement (3). Ces tracés retrouvent le plus souvent une extrasystole ventriculaire (ESV) qui déclenche une tachycardie ventriculaire (TV), évoluant vers une fibrillation ventriculaire (FV) dégénérant en asystolie. La FV est primaire dans 11 % des cas, et précédée d’une TV chez la moitié des patients. Une brady-asystolie est retrouvée dans 21 % des cas, et une torsade de pointe dans 18 % des cas. Après plusieurs minutes de collapsus, la proportion d’asystolies est plus élevée, atteignant 60 à 80 % dans les enregistrements du service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR). Exemples à l’étranger Aux États-Unis, les défibrillateurs automatiques sont en vente libre depuis 2004. Dans certaines villes pilotes comme Seattle, le déploiement de défibrillateurs et la formation d’une grande partie de la population permet d’atteindre 30 % de survie après un arrêt cardiaque extrahospitalier. Dans les casinos de Las Vegas, équipés de défibrillateurs et de surveillance vidéo, le temps moyen entre le collapsus et le début des manœuvres de réanimation est de 2,9 minutes, et le taux de survie est de 38 % (74 % chez les patients en FV défibrillés avant la troisième minute de collapsus). Points forts »» En France, chaque année, 50 000 personnes sont victimes d’une mort subite. »» Depuis mai 2007, tout individu a la possibilité d’utiliser un défibrillateur automatisé externe. »» Le taux de survie de ces arrêts cardiaques passe de 2 % en cas d’intervention tardive à 30 % en cas d’intervention précoce avec utilisation d’un défibrillateur. »» L’amélioration du pronostic nécessite une formation de la population aux 3 gestes qui sauvent : appel des services de secours, massage cardiaque, défibrillation. C’est l’objectif de la campagne grand public de la Fédération française de cardiologie, menée en France sur ce thème depuis janvier 2008. Arrêt cardiaque Défibrillateur automatisé Massage cardiaque externe Pronostic Highlights Les terminaux des aéroports américains et les avions de la compagnie American Airlines sont équipés de défibrillateurs et le personnel est formé à leur utilisation. Le taux de survie chez les patients en TV/FV est de 40 %. En Grande-Bretagne, 681 défibrillateurs automatiques ont été installés dans des lieux à haut risque (gares, aéroports, supermarchés) et le personnel est formé aux gestes qui sauvent. Le taux de survie dans cette étude était de 22 %, alors que le taux moyen de survie n’est que de 2 % dans ce pays (2). »» In France, sudden cardiac death occurred in 50,000 persons. »» Everybody can use an automated external defibrillator (DAE) since May 2007. »» The survival rate after cardiac arrest increases from 2% in case of late intervention to 30% in case of rapid intervention and use of a DAE. »» Prognosis improvement requires population training at the 3 saving motions: call emergency medical services, perform cardiac resuscitation, and use a DAE. It is the objective of the campaign of the Fédération française de cardiologie, ongoing in France since January 2008. Campagne de la FFC : 1 vie = 3 gestes S’appuyant sur les recommandations de l’Académie nationale de médecine de janvier 2007 (1), le décret du 4 mai 2007 autorise le grand public à utiliser un défibrillateur (4). Dans le cadre de son combat pour réduire la mortalité cardiovasculaire, la Fédération française de cardiologie (FFC), association de cardiologues bénévoles, a choisi de faire campagne sur le thème de l’arrêt cardiaque. Sa mission dans le cadre de cette campagne dont elle est l’initiatrice comporte deux volets : – éduquer le public sur les 3 messages “appeler - masser - défibriller” et l’encourager à se former aux gestes qui sauvent ; – fédérer les partenaires du monde cardiologique (Société française de cardiologie [SFC], Collège national des cardiologues [CNCF], Collège national des cardiologues des hôpitaux généraux [CNCHG]), les urgentistes (Samu de France, Conseil français de réanimation cardio-pulmonaire [CFRC]) et les secouristes (Croix-Rouge française). La campagne média a débuté lors des Journées européennes de la SFC en janvier 2008. L’objectif de cette campagne est de sauver 5 000 vies à l’horizon 2010, en passant de 3 % à 10 % de personnes sauvées chaque année. Cet objectif passe par l’augmentation de l’équipement de notre territoire en défibrillateurs et l’accroissement du nombre de Français connaissant les gestes qui sauvent. Depuis 18 mois, la FFC a produit et diffusé plusieurs centaines de milliers de brochures d’information (figures 1 et 2). Un site Internet a été créé (www.1vie3gestes.com), ainsi qu’un film pédagogique. Des conférences grand public et des démarches personnalisées auprès des décideurs contribuent à encourager collectivités locales et entreprises à former leur personnel Mots-clés Figure 1. Affiche de la campagne de la Fédération française de cardiologie. Keywords Cardiac arrest Automated external defibrillator Cardiac resuscitation Prognosis Figure 2. Brochure de la campagne de la Fédération française de cardiologie. La Lettre du Cardiologue • n° 430 - décembre 2009 | 19 MISE AU POINT Arrêt cardiaque extra-hospitalier et à équiper leurs locaux. Le soutien des pouvoirs publics a été sollicité (ministère de la Santé, conseiller technique santé à l’Élysée, Parlement) afin de développer la formation aux gestes qui sauvent chez un plus grand nombre de personnes. La formation aux gestes qui sauvent Il existe 2 types de formation : l’initiation aux premiers secours (IPS), qui correspond à une sensibilisation de courte durée (2 heures environ), le plus souvent proposée gratuitement par les opérateurs de formation, et la prévention et secours civiques (PSC1), un module plus complet (une douzaine d’heures), habituellement payant, et qui donne lieu à la délivrance d’une attestation (tableau I). La réunion interministérielle du 29 janvier 2009, présidée par le directeur de cabinet du ministère de la Santé, suivant les recommandations des représentants des associations d’urgentistes, des secouristes et de la FFC, s’est prononcée en faveur d’une formation courte limitée au massage cardiaque (sans bouche-à-bouche), avec intégration de cette formation aux Journées civiques et diffusion, avec l’aide de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES), de spots télévisés incitant à cette formation. Implantation de défibrillateurs en ville Le rôle des collectivités locales est de rendre accessibles les défibrillateurs automatisés externes dans les lieux de vie à forte fréquentation : lieux de travail, centres commerciaux, centres sportifs, aéroports et gares, Tableau I. Organismes proposant une formation aux gestes qui sauvent. Association nationale des premiers secours Croix-rouge française Fédération des secouristes français Ordre de Malte France Protection civile www.anps.fr www.croix-rouge.fr www.croixblanche.org www.ordredemaltefrance.org www.protection-civile.org Tableau II. Principaux fabricants de défibrillateurs. Cardiac Science France Defibtech Laerdal Medical Medtronic Physio Control Schiller Medical Welch Allyn France Zoll Medical France www.cardiacscience.com www.defibtech.fr www.laerdal.fr www.medtronic.com www.schiller-medical.com www.welchallyn.com www.zoll.fr DEA et DSA DEA DEA et DSA DEA et DSA DEA et DSA DSA DEA et DSA DSA : défibrillateur semi-automatisé externe; DAE : défibrillateur entièrement automatisé externe. 20 | La Lettre du Cardiologue • n° 430 - décembre 2009 transports en commun, etc. De nombreuses villes et régions pionnières (Cabourg, Caen, Issy-les-Moulineaux, Montbard, Paris, Communauté urbaine du Grand Nancy, départements du Nord, du Haut-Rhin et de l’Aube, etc.) sont déjà équipées en défibrillateurs et ont initié des campagnes de formation aux gestes de premiers secours. Plusieurs milliers de défibrillateurs automatisés externes sont aujourd’hui à la disposition du public. Il existe 2 types de défibrillateurs : le défibrillateur semiautomatisé externe (DSA) et le défibrillateur entièrement automatisé externe (DAE) [tableau II]. Les DAE sont principalement installés sur la voie publique ou dans des lieux très fréquentés par le public comme les gares, les places de marché, les centres commerciaux, etc. Les DSA sont plutôt implantés dans des lieux très fréquentés, mais non accessibles en permanence tels que les stades, les piscines, les postes de secours, les mairies, etc. Ce type de matériel est plutôt utilisé par des personnels formés. Chaque commune est libre dans la démarche à mettre en œuvre pour s’équiper en défibrillateurs. Les 6 étapes conseillées par la FFC, que l’on retrouve sur le site www.1vie3gestes.com, sont : – créer un groupe de travail avec des professionnels des premiers secours ; – déterminer les lieux d’implantation (selon le taux de fréquentation, la proximité de lieux à risque, la distance entre deux centres de secours ou deux défibrillateurs, le temps d’accès au défibrillateur ou au centre de secours le plus proche, etc.) ; – choisir le matériel (en tenant compte de la maintenance et de la surveillance) ; – financer le projet (municipalité ou soutiens financiers extérieurs) ; – informer et former le personnel municipal, puis le grand public ; – communiquer pour asseoir le projet (médias, presse locale et régionale). Exemple de la Communauté urbaine du Grand Nancy Lancé début 2006 et en cours de réalisation, ce projet de grande envergure concerne une vingtaine de communes, soit une population de 266 000 habitants. Les 400 défibrillateurs automatisés externes seront installés progressivement sur le territoire du Grand Nancy. Des sessions de formation de secouristes volontaires sont également programmées, pour être au plus près de la population. Partant du constat qu’il y avait au moins 10 minutes incompressibles pour que les secours arrivent sur le lieu d’une urgence (où qu’il se situe sur le territoire), MISE AU POINT le Pr Aliot, du service de cardiologie du CHU de Nancy et président de l’Association régionale de la FFC, ainsi que les médecins du Samu et du pôle des urgences du CHU, ont pris contact avec la déléguée à la Santé de la Communauté urbaine du Grand Nancy. La Communauté urbaine était favorable à cette demande, mais ne pouvait mettre en place seule un projet d’implantation de DAE et de formation du public. Elle a donc profité de l’opportunité d’une réunion d’élus sociaux pour présenter ce projet et diffuser différents rapports pour les alerter. Les élus ayant accueilli favorablement le projet, un groupe de travail a été constitué pour traiter de l’installation et de l’assurance du matériel, et pour inciter la population à se former. Le Samu a développé une campagne de recrutement et de formation de citoyens bénévoles (“sauveteurs volontaires de proximité”), à l’aide de l’association Grand Nancy defib’, créée pour l’occasion par les intervenants concernés (Pr Aliot, Communauté de communes, organismes locaux de formation). Ce réseau de citoyens bénévoles doit constituer un maillon supplémentaire dans la chaîne de survie entre les secours et les victimes d’arrêt cardiaque. Afin de simplifier les démarches, il a été décidé que le CHU centraliserait les achats et superviserait l’installation des 400 DAE pour la Communauté urbaine du Grand Nancy. Chaque commune reste responsable du nombre d’appareils qu’elle souhaite acheter et de leur implantation. Elle finance l’achat des DAE et les commande via le CHU ; elle assure le relais de la maintenance et la mise en place des assurances une fois les matériels livrés. Les lieux municipaux fréquentés par le public (mairies, parcs, gymnases) sont les sites d’implantation généralement privilégiés. Tous les personnels administratifs des communes ont été sensibilisés ou suivront un module de formation sur l’utilisation des DAE et sur les gestes qui sauvent par l’intermédiaire du CNFPT (Centre national de la fonction publique territoriale). Des formations aux premiers secours seront également proposées aux habitants. Parallèlement à ces actions, l’association Grand Nancy défib’ a commencé, en février 2008, son action de recrutement et de formation des sauveteurs volontaires de proximité. Le grand public a été sensibilisé par plusieurs campagnes par voie d’affichage, diffusion de brochures et parution dans les médias régionaux. DAE à domicile : pas de bénéfice en termes de survie La plupart des arrêts cardiaques extra-hospitaliers survenant à domicile, l’étude HAT (Home Auto- Tableau III. Résultats de l’étude HAT : absence de bénéfice d’un défibrillateur automatique à domicile (5). Suivi moyen 37 mois Groupe contrôle (n = 3 506) Groupe défibrillateur (n = 3 495) Décès toutes causes confondues 228 (6,5 %) 222 (6,4 %) Mort subite, n (%) Décès au domicile, n Décès à l’hôpital, n 78 (2,2 %) 60 8 82 (2,3 %) 57 10 19 24 % des TV-FV 19 24 % des TV-FV Arrêt cardiaque réanimé et vivant à 48 heures, n mated External) a analysé l’intérêt du défibrillateur automatique à domicile. Cette étude a randomisé 7 001 patients avec infarctus antérieur sans indication de défibrillateur implantable en un groupe contrôle (appel aux urgences, massage cardiaque) et un groupe défibrillateur (appel aux urgences, massage cardiaque et utilisation du défibrillateur) [5]. Le défibrillateur a été utilisé à domicile par un témoin chez 32 patients ; 14 patients ont reçu un choc approprié et seuls 4 d’entre eux ont survécu. Au final, aucune différence de survie n’est observée entre les 2 groupes après 37 mois de suivi moyen (tableau III). Chez les patients avec antécédent d’infarctus antérieur sans indication de défibrillateur implantable, la présence d’un défibrillateur automatique à domicile n’améliore donc pas le pronostic par rapport à une prise en charge conventionnelle. Conclusion Le thème de la mort subite nécessite une approche pluridisciplinaire réunissant surveillance épidémiologique, prévention primaire et secondaire des maladies à l’origine des arrêts cardiaques – notamment la cardiopathie ischémique –, amélioration constante des services de secours et création de nouvelles stratégies favorisant la participation des non-médicaux à la réanimation et à l’utilisation des DAE. La campagne grand public de la FFC (1 vie = 3 gestes), débutée en janvier 2008 et réalisée en partenariat avec les principaux acteurs de santé, contribue à inciter les Français à se former aux gestes qui sauvent, et les élus à équiper les lieux publics de DAE. Un bilan est prévu au terme de cette campagne, qui permettra de chiffrer l’amélioration du pronostic de l’arrêt cardiaque extra-hospitalier, dont le taux de survie en France n’est actuellement que de 2 à 3%. Il reste beaucoup à faire pour atteindre les 30 % de survie obtenus à Seattle. ■ Références bibliographiques 1. Vacheron A, Bounhoure JP. Groupe de travail de la Commission IV (maladies cardiovasculaires).Recommandations de l’Académie nationale de médecine. Bull Acad Natl Med 2007;191:1763-77. 2. Katz E, Metzger C, Sierro C et al. La mort subite : de l’épidémiologie à la prévention. Rev Med Suisse 2007;96:1-9. 3. Bayes de Luna A, Coumel P, Leclercq JF. Ambulatory sudden cardiac death: mechanisms of production of fatal arrythmia on the basis of data from 157 cases. Am Heart J 1989;117:151-9. 4. Décret n° 2007-705 du 4 mai 2007 relatif à l’utilisation des défibrillateurs automatisés externes par des personnes non-médecins et modifiant le Code de santé publique. JO du 5 mai 2007. 5. Bardy GH, Lee KL, Mark DB et al. Home use of automated external defibrillators for sudden cardiac arrest. N Engl J Med 2008;358:1793-804. La Lettre du Cardiologue • n° 430 - décembre 2009 | 21