la publicite autrement jean marie dru

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La publicité autrement
Jean Marie Dru
Éditions Gallimard – Le débat
Jean Marie Dru est président de TBWA. Jean Marie Dru a donc
écrit un livre pour TBWA : La publicité autrement aux Éditions
Gallimard. N’est-il pas le premier à proclamer que la
communication externe est le premier élément de motivation
et de fédération des forces internes d’une entreprise ? Rien de
plus logique alors que de reprendre à son compte les bonnes
pratiques qu’il répand à travers le monde.
La culture d’entreprise est au cœur du succès d’une
compagnie. Il s’agit selon Monsieur Dru d’un levier de
croissance déterminant, il ira même jusqu’à le qualifié de
« crucial » en ce qui concerne les industries de services. Pour
justifier son propos, il reprend les termes de David Maister,
ancien professeur d’Harvard ayant réalisé une étude sur le
sujet : « dans toute entreprise, ce sont les bureaux où la
culture d’entreprise est la plus forte qui connaissent la
satisfaction des employées la plus élevée, et ce sont ceux où
la satisfaction des employés est la plus élevée qui sont les plus rentables. » Un livre
donc, comme hymne à la culture d’entreprise de TBWA ? Pourquoi pas ! Pris dans ce
sens, le résultat est plutôt convaincant.
Un seul mot d’ordre règne chez TBWA, la disruption. Cela n’a pas toujours été le
cas, puisqu’à l’origine, la disruption était le fer de lance de BDDP. BDDP, acronyme de
Boulet, Dupuy, Dru et Petit. Respectivement Jean-Claude, Marie-Catherine, Jean-Marie et
Jean-Pierre. Sans doute ces quatre là étaient-ils destinés à travailler ensemble, il est bien
rare en effet de voir s’associer quatre personnes à prénoms composées ! Toujours est-il
que BDDP n’a pas marché sur le long terme. Pour des raisons de liquidité, « l’agence des
prénoms composées » a été contrainte de s’associer à Chiat Day et TBWA. Il s’agissait
pour eux de l’unique opportunité de véritablement peser dans la balance internationale.
Ce fut non sans crainte pour l’agence française. En effet, s’ils étaient confrontés à ce
terrible échec d’insolvabilité, ils avaient réussi à construire quelque chose qui leur était
cher et qu’ils ne voulaient pas perdre: une culture d’entreprise forte. Leur ambition était
très claire depuis le début, ils ne voulaient pas se contenter d’être une bonne agence de
publicité, ils voulaient être la meilleure ! Pour cela, ils ont mis au point une véritable
méthode de management d’agence de publicité, qu’ils ont eu la chance de conserver et
même de développer, une fois intégrés à TBWA.
Cette méthode est appelée méthode de disruption. Afin d’être pleinement efficace,
elle doit respecter un certain nombre de principes préalables reposant sur le brassage.
Il s’agit tout d’abord de réunir, à chacun des stades de développement d’un
projet, des collaborateurs issus de tous les métiers : commercial, création, finance,
planning, média, production. Chez TBWA, cela s’appelle la transversalité. Pour garantir le
résultat d’un tel procédé, il va sans dire qu’aucun des métiers cités ne prends le dessus
sur aucun des autres. Tout le monde a la possibilité de donner son avis, en toutes
circonstances.
Ce premier point implique assez naturellement le partage des savoir-faire. TBWA
est aujourd'hui active dans plus de 100 pays. Il serait dommage de ne pas faire profiter
de l’expérience de chacune des filiales du groupe à toutes les autres. Une banque de
données, la Disruption Bank a donc été créée afin que toutes les équipes puissent aller
visionner l’un des nombreux cas filmés disponibles. Par ailleurs des Rings sont organisés
tous les ans : des séminaires de formation inter discipline. Ainsi, chacun s’enrichit des
connaissances de tous les autres collaborateurs.
Aussi, pour répondre à la demande croissante des annonceurs en conseils media
neutral, le marché a répondu avec le connection planning. Cette discipline vise à
répertorier tous les points de contacts entre la marque et le consommateur pour ensuite
élire et orchestrer les plus pertinents en fonction des besoins de la marque et non en
fonction des filiales du groupe auquel appartient l’agence de publicité. À cette
problématique, TBWA a répondu en imposant une collaboration étroite et systématique
des planeurs stratégiques et des stratèges des médias.
Finalement, le brassage des collaborateurs suggère de faire travailler ensemble, et
non à côté, des collaborateurs de pays différents. Cette méthode peut en effet s’avérer
extrêmement créative pour résoudre certains problèmes épineux.
Quatre principes clairs, résumés par une phrase simple, « le talent, c’est le talent
de l’autre. » Néanmoins, une fois cette charte énoncée, une question demeure. Qu’est-ce
que réellement la disruption ?
Il s’agit donc d’une méthode de travail. « Face à un problème donné, elle consiste
à faire la chasse aux idées reçues, afin de mieux les mettre en pièce au travers d’une
idée radicalement nouvelle. » Cela permet en trois temps, d’aboutir à des « stratégies de
ruptures ».
Ainsi, à l’aube d’une nouvelle collaboration, TBWA travaille étroitement avec son
client. L’agence s’efforce tout d’abord d’analyser avec minutie les conventions qui
régissent son marché. Le marché de la
téléphonie mobile, par exemple, a pour
convention de systématiquement communiquer
Analyse des conventions
sur « les minutes en plus » qu’un opérateur
peut offrir à ses clients. TBWA a donc pour
Définition de la vision
mission de traquer toutes les conventions d’un
marché et y confronte son client lors des
Disruption Days. À cette occasion, les « bonnes
Disruption
pratiques » du marché sont souvent perçues
comme cliché et il est vite décidé, d’un commun
accord, de ne pas tomber dedans.
La deuxième étape consiste à soumettre
au client un certain nombre d’exercices qui
La méthode disruptive
permettront de définir une nouvelle vision. Il ne
s’agit pas systématiquement d’une vision
d’entreprise. Il peut s’agir plus simplement d’une « idée de nouveau produit, [d’]une
façon innovante d’imaginer la gamme, [d’]un mode de distribution inattendu, etc. »
La disruption arrive donc en troisième temps et se définit « comme l’idée qui
permettra d’accélérer le chemin entre la convention brisée et la vision renouvelée. » À ce
stade, Jean Marie Dru distingue alors plusieurs échelons de disruption : la disruption au
niveau du modèle économique, au niveau des produits et services, du marketing ou de la
publicité.
L’idée trouvée, comme la touche finale que l’on apporterait à un tableau vient
clôturer les sessions de disruption. Il va sans dire que sa quête est ardue et que peu de
gens en trouvent de réellement brillantes. Philippe Michel à qui Jean Marie Dru rend
hommage dans son livre, faisait certainement partie des plus créatifs. « L’idée est
quelque chose dont on a le désir de se souvenir » déclarait-il. Selon lui, « la publicité
[n’était] pas là pour donner une image, [elle était] là pour donner une idée. » Par
ailleurs, et c’est probablement ce que tous les professionnels de la publicité devrait
retenir, Philippe Michel respectait sincèrement son auditoire. Pour lui, une publicité pleine
de tact, de gentillesse, de simplicité, d’humour ou, pour résumer, de créativité, était le
minimum. Il savait que les gens, lorsqu’ils «apprécient la manière dont vous leur parlez,
viennent vers vous. »
Tout comme Philippe Michel, beaucoup d’autres publicitaires ont ce talent et
accouchent chaque jour d’idées exceptionnelles. Apple, Adidas ou Nissan en sont la
preuve. Invitées à réfléchir sur le thème de la rupture, ces trois marques ont fait du
changement leur leitmotiv. Chacune à leur manière, elles ont poussé le thème de la
disruption à l’extrême pour en faire de véritables visions d’entreprise, aujourd’hui
reconnues par tous.
Apple a toujours été connu pour ses produits marginaux. Néanmoins, il fut un
temps où les innovations se faisaient attendre. Les investisseurs commençaient à
s’inquiéter. Pire, les consommateurs doutaient et se demandaient si Apple allait réussir à
tenir son pari. Il était temps d’agir. Un produit révolutionnaire était en gestation, il était
nécessaire de faire patienter le public. TBWA a alors suggéré la campagne Think
Different. Elle était tout naturellement le reflet de l’entreprise : un regroupement de
personnes qui avancaient à contre-courant, qui cherchaient à changer le monde qui les
entourait. Le film publicitaire, en noir et blanc, rendait donc hommage en une minute aux
« fous, aux marginaux, aux rebelles, aux agitateurs », sur des images d’Albert Einstein,
Bob Dylan, Martin Luther King, Mohammed Ali, le Mahatma Gandhi, etc. Ce film aura
permis a Apple de « retrouver sa place dans la culture populaire, avant même qu’un
produit n’est été lancé. » Véritable cri de ralliement en interne, la campagne fit fureur et
redonna du courage aux troupes. A la sortie du Macintosh, les esprits avaient été
préparés. Tout le monde fut pourtant sidéré par l’originalité du spot 1984 qui
accompagnait la sortie du Macintosh. Apple était prêt à défier le système et à changer le
monde. Ce qui fut à nouveau le cas avec l’arrivée du iPod et de iTunes qui réinventèrent
à la fois le modèle économique du marché de la musique et le modèle de parrainage
classique de la publicité. Le succès de la marque était tel que les artistes espéraient
passer dans les publicités iPod pour lancer leur carrière. Apple n’avait inversement plus
besoin de stars pour vendre ses produits.
Adidas faisait quant à elle face à une autre problématique. Toujours plus
challengée par Nike, la marque devait agir avec force. Elle avait besoin de ranimer son
esprit de conquête. Car derrière Impossible is Nothing se cache une véritable histoire,
celle de l’équipe d’Allemagne des années 50, en finale de la coupe du monde contre la
Hongrie. Largement favorite, la Hongrie faisait peur aux Allemands. À cette époque, le
fondateur d’Adidas, Adi Dassler avait inventé la chaussure à crampons dévissables qui
permettaient de ne pas glisser sur un terrain mouillé. Il en avait équipé l’équipe
allemande. Sur un terrain détrempé par la pluie, l’Allemagne est sortie grande vainqueur
de la coupe ce qui redonna espoir à une nation désillusionnée depuis la fin de la
deuxième guerre mondiale. Impossible is Nothing traduisait ainsi une vision qui animait
la marque depuis toujours, elle concrétisait le désir de chacun d’atteindre des résultats
inimaginables en toutes circonstances. Adidas était persuadée que cela devait animer
tous les athlètes et c’est ce qui l’incitait à soutenir à la fois les sportifs les plus connus et
les moins célèbres. Cette démarche s’opposait à celle de Nike qui préférait donner dans
le coûteux spectacle sportif de haut niveau. Dans le film publicitaire qui marque la début
de la campagne, Laila défie son père sur un ring, Mohamed Ali. Rien n’est impossible…
Finalement, le Shift de Nissan traduisait le même genre d’idée. Il était question
d’introduire la notion de changement, de combat au quotidien dans une marque en
berne. Il était nécessaire de faire évoluer à la fois les produits, les services, la
technologie, les comportements et les performances de l’entreprise. Ce fut un travail de
longue halène qui se compta en années. Une fois les modèles de voiture changés, les
clients pouvaient êtres satisfaits de posséder tel ou tel voiture mais ils n’étaient pas fiers
de posséder une Nissan. C’est à ce moment qu’est intervenu la communication. À ce
stade, le message n’était plus difficile à faire passer, Shift était entré dans l’âme de
l’entreprise, il s’agissait à la fois d’un mode de fonctionnement et d’une identité.
Chacune de ces trois visions ayant été portées via une multitude de canaux
(télévision mais aussi produit en eux-mêmes, événementiel, etc.), ils sont certainement
la preuve que la publicité télévisée à bien évoluée depuis son apparition dans les années
50.
Rappelons qu’à l’époque, les publicitaires misaient tout sur la démonstration. Il
s’agissait de montrer tous les bénéfices d’un produit pour convaincre le téléspectateur de
sa pertinence. Tout le monde connaît la désormais célèbre démonstration Band-Aid où
une main collait une bande adhésive sur un œuf, le plongeait dans de l’eau en ébullition
et le ressortait intact : la bande adhésive avait résisté à l’eau bouillante ! Néanmoins,
rapidement à court d’idées (il existe finalement assez peu de démonstrations fulgurantes
digne d’être diffusées), les publicitaires sont alors passés aux idées de vente qui ont
introduit la notion de saut créatif. Montrer en image les bénéfices d’un produit n’était
plus suffisant, il fallait les sous-entendre. C’est à cette période que sont apparues des
publicités comme celles d’Orangina (« Il faut secouer Orangina pour mélanger la pulpe »)
ou M&Ms (« fonds dans la bouche, pas dans la main »). Le saut créatif permettait
d’illustrer la stratégie de marque. Chaque nouveau film d’une saga venait renforcer le
saut créatif et alimentait ainsi la stratégie élaborée en amont. C’est seulement dans les
années 60 que Bill Bernach a réellement introduit la publicité que l’on connaît
aujourd’hui. C’est à lui que l’on doit des campagnes comme celles d’Avis (« Nous
sommes numéro deux; nous en faisons plus – We try harder) ou encore celle de la
fameuse coccinelle (« Pensez petit » ou « Elle est moche, mais elle vous y conduira »).
C’était en effet la première fois que l’on osait s’attaquer aux faiblesses d’une marque de
façon aussi frontale. Il tournait des points négatifs en points positifs. À cette période, le
public comprit que la publicité pouvait enfin faire preuve de finesse.
Aujourd’hui, la finesse est incontournable. Plus aucun annonceur ne rêve d’une
démonstration ou d’une simple idée de vente. L’innovation média a été telle au cours des
dernières années qu’elle a profondément changée la façon de penser et de concevoir la
publicité. L’interactivité et l’apparition d’outils de contrôle comme Tivo ont radicalement
modifié le mode de diffusion des messages : les gens ne voient les publicités qu’au
moment où ils le désirent. Grâce à internet, ils vont eux même à la rencontre du
contenu. Si celui-ci en vaut la peine ! Cela implique que les publicitaires redoublent
d’inventivité pour capter l’attention d’un public en perpétuel mouvement.
L’advertainment est l’une des méthode qui répond à ces critères : la publicité se fond au
programme pour devenir le contenu même. Lorsqu’Absolut fait de sa célèbre bouteille de
Vodka la vedette d’un épisode de la série Sex and the City, les ventes de la marque
décollent dans les bars les plus branchés de New York et de nouveaux cocktails sont
inventés (Absolut Hunk).
La répétition d’un message a perdu de sa signification, seul l’intérêt du contenu
compte. À cet effet, la force d’un message repose désormais sur sa capacité à rebondir
d’un univers à un autre. Il s’agit d’orchestrer une idée de communication au sein d’une
multitude de moyens, d’intégrer toutes les prises de parole de la marque de façon
cohérente et avec inspiration. C’est ce qui permettra à la marque de construire de la
célébrité.
Finalement, pour exister, les marques doivent non seulement se faire remarquer
en créant de l’impact, en surprenant leur auditoire mais elles doivent aussi donner du
poids à leur communication par l’intermédiaire de programmes d’actions notamment. (La
Fondation Danone par exemple.) Les marques deviennent ainsi des médias à ellesmêmes et contribuent au resserrement du tissu social.
Dans un contexte où la vocation d’une marque se complexifie, le rôle des agences
conseils en communication s’intensifie. TBWA est passé maître en la matière et propulse,
grâce à ses collaborateurs, les marques pour lesquels elle travaille au rang de star
internationale. Jean Marie Dru voulait rendre hommages à ses équipes, il leur a écrit un
livre.
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