L’Encéphale (2010) 36, 33—38 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP ÉPIDÉMIOLOGIE État des lieux de la consommation de substances psychoactives par les femmes enceintes Psychoactive substance use during pregnancy: A review S. Lamy a,b, F. Thibaut a,b,c,∗ a CHU de Rouen, 76031 Rouen, France Inserm CIC 0204, Inserm U 614, UFR de médecine, Rouen, France c Unité de psychiatrie, CHU Charles-Nicolle, 1, rue de Germont, 76031 Rouen, France b Reçu le 24 avril 2007 ; accepté le 1er décembre 2008 Disponible sur Internet le 23 avril 2009 MOTS CLÉS Cocaïne ; Cannabis ; Alcool ; Tabac ; Grossesse ; Épidémiologie KEYWORDS Cocaine; Tobacco; Alcohol; Cannabis; Epidemiology; Pregnancy ∗ Résumé La consommation de substances psychoactives est en augmentation croissante en France et dans le monde. Les évaluations de la consommation de substances sont souvent basées sur des autoquestionnaires et leur interprétation doit demeurer prudente. Les chiffres de prévalence de la consommation de cannabis et/ou de cocaïne chez la femme enceinte sont inconnus en France et sont extrapolés à partir des données recueillies chez la femme en âge de procréer et à partir des données de la littérature internationale. On estime, en France, que 20 à 30 % des femmes consomment du tabac, 15 % au moins de l’alcool, 3 à 10 % du cannabis et 0,5 à 3 % de la cocaïne durant la grossesse. Les conséquences de la consommation de substances psychoactives sont importantes, aussi bien chez la femme enceinte que chez l’enfant. Une meilleure identification du profil des femmes susceptibles de consommer des substances psychoactives pendant leur grossesse permettrait une meilleure prise en charge médicopsychosociale de la mère et de l’enfant et permettrait de mieux cibler les campagnes de prévention et d’information. © L’Encéphale, Paris, 2009. Summary All around the world, the potential consequences of the increasing use of psychoactive substances during pregnancy are a major public health concern. It is estimated that 20 to 30% of pregnant women use tobacco, 15% use alcohol, 3 to 10% use cannabis and 0.5 to 3% use cocaine. The estimation of tobacco consumption during pregnancy is better known as compared with alcohol and substance use prevalence during pregnancy, which remains under estimated or unknown. For example, in France, the prevalence of cannabis and cocaine use during pregnancy is unknown. In general, the prevalence of drug or alcohol use during pregnancy is estimated by extrapolating data from epidemiological studies conducted in the general population (in France or in other countries). However, drug or alcohol use in the general population may dramatically Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (F. Thibaut). 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2009. doi:10.1016/j.encep.2008.12.009 34 S. Lamy, F. Thibaut vary from one country to another. Even if some studies have reported the prevalence of alcohol or substance use in different countries around the world, most of them were based on the mother’s interview. In most cases, the mother did not report exactly the amount of drugs or alcohol used. Further studies measuring alcohol or substance use in the mother’s blood, hair or in the newborn’s meconium are needed. In addition, different methodologies have been used in the literature (different types of interview, with or without biological measurements; different subjects included (in- or out-pregnant women, psychiatric comorbidities or not, different economic status, etc). Despite these methodological biases, the prevalence of drug or alcohol use increases in pregnant women, and in most cases, several drugs are associated. Most of the studies have used structured or semi-structured interviews such as the addiction severity index (ASI) or the alcohol use disorders identification test (AUDIT) to assess alcohol or drug consumption. In addition, the identification of risk factors for substance or alcohol use during pregnancy would allow the early detection of these high-risk pregnancies. Environmental factors such as low economic status or marital status may play an important role. Personality disorders may also contribute to substance or alcohol use during pregnancy. In fact, in most studies the quality of the obstetrical survey is lower in pregnant women using drugs or alcohol but it remains difficult to describe a specific at-risk profile in these pregnant women. Consumption of alcohol or of one or more psychoactive substances during pregnancy may have serious consequences on the pregnancy and on the child’s development. Fetal alcoholism syndrome is the main etiology of mental retardation in France. We need to improve our knowledge of alcohol and substance use during pregnancy in order to target information for prevention campaigns and to implement specific mother and child medical care in high-risk populations. © L’Encéphale, Paris, 2009. Introduction La consommation de substances psychoactives chez les jeunes est en constante augmentation en France d’après les enquêtes menées par la Mission interministerielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) dont les rapports sont réalisés et publiés par l’Observatoire Français des drogues et des toxicomanies (OFDT). Le dispositif tendances recentes et les nouvelles drogues (TREND) évalue les TREND en France en s’appuyant sur 11 sites d’observation en France métropolitaine et outre-mer. Les données de l’enquête sur la santé et les consommations lors de l’appel de préparation à la défense (ESCAPAD) menée auprès des adolescents passant leur journée d’appel de préparation à la défense (JAPD), complètent celles du baromètre santé (enquête menée chez les adultes) et de l’enquête menée en population scolaire avec l’inserm (ESPAD). Ces études ont été réalisées uniquement à l’aide d’autoquestionnaires et, de ce fait, les données doivent être interprétées avec précaution. Les chiffres de prévalence de la consommation de substances psychoactives durant la grossesse sont mal connus en France et sont : • évalués par extrapolation des données des études épidémiologiques réalisées sur l’ensemble de la population française et sur la base des études internationales (en gardant à l’esprit que les consommations de substances psychoactives diffèrent parfois beaucoup d’un pays à l’autre et que l’extrapolation de ces données à la France doit donc être prudente) ; • ou évalués à l’aide de questionnaires ou d’autoquestionnaires, ce qui peut entraîner une sous estimation des consommations. La grossesse chez une femme consommant une ou plusieurs substances psychoactives (quelle que soit la substance en cause) constitue une grossesse à risque même si les complications fœtomaternelles semblent diminuer du fait, par exemple, de la prescription d’un médicament de substitution durant la grossesse dans le cas où la mère consommait des opiacés. Un des principaux facteurs de risque de survenue de complications obstétricales est le manque, voire parfois l’absence, de suivi médical au cours de ces grossesses à risque. Prévalence de la consommation de tabac, d’alcool, de cannabis et de cocaïne chez la femme enceinte en France Consommation de tabac Les questionnaires et méthodes utilisées pour établir une estimation de la prévalence de la consommation de substances psychoactives ou d’alcool seront abordés dans le chapitre IV (Méthodologie et biais épidémiologiques). En 2004, a eu lieu la première conférence de consensus « Grossesse et tabac ». Les experts ont indiqué que même si le tabagisme féminin est en décroissance (32 % des femmes fumaient en 1984—1986 contre 25 % en 2002—2003, tous âges confondus), la prévalence du tabagisme chez les jeunes femmes âgées de 18 à 24 ans était de 46 % en 2002—2003. En revanche, la proportion de femmes enceintes qui fument a doublé passant de 12 % il y a 20 ans à 25 % aujourd’hui, environ 35 % des femmes consomment du tabac en début de grossesse et 18 % des femmes fument jusqu’à l’accouchement [12]. Grangé et al. [11] ont réalisé une étude chez 979 femmes venant d’accoucher dans quatre régions françaises. Une femme sur 50 réalise son sevrage tabagique en vue de sa grossesse, 84 % sont sevrées au premier trimestre, 8,8 % au second et 7,1 % au troisième. État des lieux de la consommation de substances psychoactives Les femmes qui n’ont pas réussi à stopper leur consommation étaient plus isolées sur le plan social, avaient un niveau de dépendance plus élevé à la nicotine et une perception du risque pour le fœtus plus faible que celles qui ont arrêté leur consommation. Parmi celles qui stoppent leur consommation, environ une sur trois s’arrête de fumer sans aide spécifique ni adaptée, seules 6 % déclarent avoir été motivées par des informations médicales. Soixante-six pour cent des femmes qui ne sont pas parvenues à stopper leur consommation de tabac avaient un partenaire qui fumait, comparativement aux 63 % qui sont parvenues à arrêter. Quatre-vingt dix-sept pour cent des femmes qui ont stoppé leur consommation de tabac durant leur grossesse consommeront à nouveau du tabac dans les années qui suivent l’accouchement. Ainsi, le nombre de femmes qui poursuivent leur consommation jusqu’à l’accouchement demeure élevé. La consommation ou non par le partenaire est un élément clé dans cette consommation ou dans la reprise de la consommation après l’accouchement [11,12]. Il y a très peu de données dans la littérature sur le syndrome de sevrage rencontré chez le nouveau-né exposé au tabac durant la vie fœtale. C’est un ensemble de petits symptômes (pleurs, nouveau né inconsolable, irritabilité, troubles du sommeil, troubles digestifs. . .) qui vont, s’ils sont associés à la notion de consommation de tabac par la mère durant la grossesse, permettent aux cliniciens d’établir un diagnostic de syndrome de sevrage à minima, celui-ci pouvant entraîner des difficultés relationnelles mère—enfant [23]. Il est possible d’établir un diagnostic en dosant dans le méconium ou les cheveux de l’enfant ou dans les cheveux de la mère la cotinine (métabolite de la nicotine). Cependant, il est souvent difficile de savoir si un symptôme du syndrome de sevrage est lié à l’exposition d’une substance spécifique durant la grossesse car les mères sont souvent polyconsommatrices (alcool, tabac et/ou cannabis). Consommation d’alcool La prévalence de la consommation d’alcool par la femme enceinte n’est pas connue de façon exacte en France et les données sont extrêmement disparates d’une étude à l’autre, selon la méthodologie utilisée (questionnaires, autoquestionnaires, dosages biologiques), la population étudiée et le moment de la grossesse. Une étude menée par Malet et al. [17] en Auvergne chez 1027 femmes enceintes a révélé que seulement 53 % des femmes affirmaient ne pas avoir consommé d’alcool durant leur grossesse, 33 % disaient avoir consommé entre un et quatre verres en quelques occasions, 13 % ont reconnu boire de façon fréquente et 1 % auraient consommé cinq verres ou plus à l’occasion. De plus, la prévalence de la consommation d’alcool par la femme enceinte n’est probablement pas le meilleur indicateur pour évaluer le danger qu’encourt le fœtus pour au moins deux raisons : • on ne connaît pas la quantité d’alcool que la mère doit consommer pour que le fœtus soit en danger mais le risque pour le fœtus concerne toutes les variétés de boissons alcoolisées (vin, bière, cidre, spiritueux. . .) ; 35 • et on sait que la toxicité de l’alcool dépend en particulier des capacités métaboliques de la mère pour l’alcool et du moment de gestation. En effet, les conséquences morphotératogènes sont l’apanage du début de grossesse tandis que les effets centraux sont la conséquence d’expositions prolongées. L’arrêt de l’exposition du fœtus à l’alcool, même tardivement allège ces répercussions. Le syndrome d’alcoolisme fœtal est la première cause de retard mental évitable. Des études ont montré une incidence de 1,6‰ en Suède, 0,2 à 1‰ aux États-Unis et entre 1 à 3‰ en France et l’incidence des effets de l’alcool sur le fœtus (EAF) représentent 1 % des naissances. Dans une étude menée par de Chazeron et al. [5] en Auvergne, chez 837 femmes qui ont consommé de l’alcool durant la grossesse (en répondant au questionnaire alcohol use disorders identification test [AUDIT]), il a été retrouvé une prévalence du syndrome d’alcoolisme fœtal de 1,8 enfants pour 1000 naissances. Consommation de cannabis Nous ne connaissons pas précisément, à l’heure actuelle, la prévalence de la consommation de cannabis chez la femme enceinte en France. On remarque que la prévalence de la consommation de cannabis augmente chez les jeunes de moins de 25 ans en population générale en France (rapport TREND). En France, le rapport TREND 2005 rapporte : • 11 millions d’expérimentateurs du cannabis (au moins une fois dans leur vie) (âge compris entre 12 et 75 ans) (24 % de la tranche d’âge) ; • 4,2 millions de consommateurs occasionnels (consommateurs dans l’année), soit 18 % de la tranche d’âge ; • 850 000 de consommateurs réguliers (dix fois dans le mois) ; • 450 000 de consommateurs journaliers (soit 50 000 de plus qu’en 2003). 6,3 % des jeunes de 18—25 ans sont concernés contre 1,3 % des 16—44 ans (ESCAPAD 2003). Consommation de cocaïne Nous connaissons mal, à l’heure actuelle, la prévalence de la consommation de cocaïne chez la femme enceinte. Il y aurait plus de 850 000 expérimentateurs de cocaïne en France dans la population générale (données OFDT, 2002) et 150 000 consommateurs occasionnels, avec un taux d’expérimentation pour les 18 à 44 ans qui est passé de 1,2 à 3,3 % depuis 1992. En résumé, en ce qui concerne le cannabis et la cocaïne, il n’y a pas, à l’heure actuelle de données sur la consommation de cannabis et de cocaïne chez la femme enceinte. Nous extrapolons la prévalence de ces consommations chez la femme enceinte à partir d’études réalisées dans la population générale. La polyconsommation est fréquente chez la femme enceinte. La tendance à l’association de plusieurs produits a tendance à croître avec l’âge dans la population générale (15 % au lycée contre 18 % dans l’enseignement supérieur) et l’association la plus souvent retrouvée est cannabis—tabac. Lorsque l’on considère 36 les produits associés au cannabis, parmi les consommateurs réguliers de cannabis en France en 2004 chez les 15—29 ans (enquête TREND 2005) : 52,3 % des consommateurs de cannabis fument régulièrement du tabac et 32,4 % consomment souvent de l’alcool. S. Lamy, F. Thibaut • Revue de litterature internationale sur la consommation de substances psychoactives chez la femme enceinte Les études évaluant la prévalence de la consommation de substances psychoactives sont nombreuses mais extrêmement disparates. Cela étant largement dû aux méthodologies utilisées (simples questionnaires ou dosages biologiques), aux biais liés au recrutement (recueil des données dans un seul hôpital, biais de recrutement des femmes (disparités socioéconomiques, comorbidités psychiatriques. . .). Néanmoins, on note une augmentation croissante de l’utilisation de substances psychoactives durant la grossesse dans de nombreux pays : • aux États-Unis, la prévalence de la consommation d’alcool par les femmes dans la population générale est de une pour cinq (cinq verres, voire plus, lors d’occasions particulières) et une femme sur 25 consomme de l’alcool durant la grossesse [7] ; • en Australie, 10 % des femmes non indigènes de l’ouest de l’Australie ont répondu à un questionnaire, 79,8 % des femmes rapportaient avoir consommé de l’alcool dans les trois mois ayant précédé la grossesse, 58,7 % durant le premier trimestre et 14 % durant toute la grossesse. Seule 46,7 % des femmes disaient ne pas avoir consommé d’alcool durant leur grossesse [3] ; • l’étude de Kristjanson et al. [15], qui questionne des femmes enceintes et non enceintes, montre que 95,6 % (dont 7,6 % sont dépendantes et 18,4 % consomment plus de cinq verres d’alcool lors d’une occasion) des femmes en Russie ont consommé de l’alcool dans les 12 derniers mois et que 60 % disent poursuivre leur consommation lorsqu’elles se savent enceintes. 34,9 % consomment encore de l’alcool après 30 jours de grossesse et 7,4 % consomment plus de cinq verres à la moindre occasion ; • au Chili, Aros et al. [2] ont estimé (par questionnaire) le nombre de femmes consommant durant la grossesse plus de 48 g d’alcool/j ou plus (dose clairement identifiée comme dangereuse pour le fœtus). Ainsi, 1 % des femmes enceintes (sur les 9628 femmes interviewées) consomment plus de 48 g/j d’alcool, 57,4 % consomment de l’alcool et 3,7 % consomment plus que la moyenne (soit 15 ml d’alcool pur/j) ; • en Suède, 1101 femmes furent interrogées à l’aide de l’autoquestionnaire AUDIT à la 30e semaine de grossesse : 30 % consomment de façon régulière de l’alcool et 46 % disent consommer lors d’une occasion [10]. Une autre étude suédoise faite par Alvik et al. [1] retrouve 89 % de femmes consommant de l’alcool avant la grossesse et 23 % après 12 semaines de grossesse ; • en Irlande, Mc Millan et al. [20] ont fait une étude épidémiologique qui montre que 37 % des femmes enceintes fument du tabac, 89 % consomment de l’alcool en quantité variable (seulement 44 % des femmes interrogées savaient • • • • que consommer de l’alcool durant la grossesse comportait des risques) ; dans l’étude de cohorte prospective, menée à Pittsburgh [4], 1360 femmes ont été interrogées entre le quatrième et le septième mois de grossesse puis après l’accouchement sur leur consommation de tabac, d’alcool, de cannabis et d’autres substances. Il n’y a pas eu de dosages biologiques de substances : 54,3 % des femmes ont consommé du tabac durant le premier trimestre de la grossesse et 52,3 % au dernier. Cinquante et un pour cent fumaient du cannabis avant la grossesse dont 21 % plus d’un joint/jour, même si celles-ci disent avoir diminué leur consommation, 19 % ont poursuivi leur consommation de cannabis durant la grossesse et 5 % consommaient encore plus d’un joint/jour ; une étude épidémiologique anglaise [26], portant sur 400 enfants, a montré la présence dans le méconium de métabolites du cannabis chez 13,2 % d’entre eux, de cocaïne dans 2,7 % des cas et d’amphétamine dans 1,7 % des cas mais cette étude ne se révèle pas exhaustive. En effet, l’étude ne portait que sur un seul hôpital (situé dans une zone plutôt socioéconomiquement défavorisée) et les dosages ne concernaient pas toutes les femmes accouchant dans ce centre, il y a donc un biais de recrutement ; Mitsuhiro et al. [21] ont estimé la prévalence de la consommation de cannabis et de cocaïne durant le dernier trimestre de la grossesse à São Paulo, en dosant ces toxiques dans les cheveux de 1000 femmes qui ont accouché dans une grande maternité. Cette étude s’est déroulée de juillet 2001 à novembre 2002. Ils ont trouvé que 6 % des femmes consommaient l’un ou l’autre de ces toxiques : 4 % du cannabis et 1,7 % de la cocaïne et 0,3 % les deux ; Pichini et al. [22] ont prélevé le méconium de 1151 nouveaux-nés entre octobre 2002 et février 2004 dans une maternité de Barcelone. 79 % des femmes ont accepté de participer à l’étude. 6,3 % des méconiums étaient positifs aux opiacés, 3,1 % à la cocaïne et 1,4 % aux deux substances. La consommation de ces substances était fréquemment associée à celle de tabac et de cannabis. Ainsi, la polyconsommation est de plus en plus souvent retrouvée et il va être de plus en plus difficile de savoir si les conséquences de l’exposition in utero par l’enfant sont dues à l’un ou l’autre de ces toxiques ; dans une étude réalisée dans le Nord des États-Unis [25], on note que selon le niveau socioéconomique de la mère, entre 3 et 41 % des nouveaux nés sont exposés in utero au cannabis. Méthodologie et biais épidemiologiques La plupart des études utilisent ainsi des questionnaires comme l’addiction severity index (ASI) ou des autoquestionnaires ou bien des dosages biologiques à la naissance de l’enfant (dans le méconium, les cheveux de la mère ou de l’enfant, le sang de cordon, l’urine de la mère ou le sang maternel), soit les deux mais ces études sont rares. L’ASI est l’instrument le plus utilisé dans le monde pour l’évaluation des sujets usagers de substances psychoactives État des lieux de la consommation de substances psychoactives dont l’usage peut donner lieu à dépendance. L’ASI a été développé dans les années 1985 à Philadelphie (États-Unis) par l’équipe de Mc Lellan. L’ASI a été validé en langue française par Krenz et al. en 2004 [14]. Il permet de quantifier la fréquence et la gravité de l’usage de substances et sa répercussion sur la vie du sujet. Il ne permet pas de faire un diagnostic ni d’abus ni de dépendance. L’ASI est un hétéroquestionnaire standardisé semi-structuré recueillant des informations dans sept domaines de la vie du patient (médical, consommation de substances et d’alcool, relations familiales et sociales, situation légale, emploi et ressources, état psychologique [18,19]). La passation du test est réalisée par un évaluateur spécifiquement formé. La passation peut être répétée dans le temps. Des autoquestionnaires peuvent également être utilisés pour affiner les données comme l’AUDIT, qui est un autoquestionnaire développé par l’OMS et validé aussi bien en population générale que spécifique [9]. Il permet d’estimer les populations présentant une alcoolisation à risque car il s’intéresse aux douze derniers mois écoulés. Il explore la fréquence et la quantité d’alcool consommé, la dépendance et les problèmes rencontrés à cause de la consommation d’alcool. L’autoquestionnaire de Fagerström est un test permettant d’évaluer l’usage de tabac et il mesure la probabilité d’être dépendant mais ce n’est pas un test diagnostique car il ne reprend pas les critères diagnostiques ni de l’abus ni de la dépendance. L’autoquestionnaire cannabis abuse screening test (CAST) permet d’effectuer un premier repérage des usages nocifs du cannabis, à partir de six questions. Comme le test de Fagerström, cet autoquestionnaire ne permet pas de faire un diagnostic d’abus ou de dépendance. Il a été utilisé notamment dans les enquêtes ESCAPAD. L’idéal serait de coupler le dosage biologique à la passation de un ou plusieurs questionnaires aidant à l’évaluation de la consommation comme l’ASI. Les données issues de la littérature montrent que lors de la réalisation de simples audits sur la consommation de substances psychoactives chez la femme enceinte, la fréquence de la consommation avouée est largement inférieure à celle que l’on retrouve si l’on effectue un dosage des différentes drogues chez le nouveau né ou chez la mère [22]. Il apparaît ainsi nécessaire d’utiliser des méthodes objectives d’évaluation de la consommation de substances psychoactives si l’on veut évaluer la prévalence de l’usage de ces substances au cours de la grossesse (dosage dans le sang, l’urine, les cheveux du nouveau-né [mais les nouveaux nés n’ont pas toujours de cheveux à la naissance et les mères n’acceptent pas nécessairement un prélèvement capillaire chez leur enfant] ou de la mère, ou enfin dans le méconium du nouveauné). Une étude réalisée chez 974 dyades mère—enfant à Barcelone par Lozano et al. [16] a montré que la recherche de cannabis dans le méconium du nouveau-né était positive dans 5,3 % des cas mais que seulement 1,7 % des mères avaient signalé une consommation lors de l’interview. Les dosages biologiques seuls sont insuffisants car les mères peuvent avoir consommé avant le cinquième mois de grossesse (période à partir de laquelle les toxiques sont détectables dans le méconium), elles ont parfois également les cheveux trop courts pour effectuer les recherches de toxiques sur une matrice capillaire. 37 Existe-t-il un profil de femmes enceintes consommant des substances psychoactives ? Il semble y avoir peu de points communs entre une femme enceinte parfaitement insérée sur le plan professionnel, avec une situation familiale stable et qui fume du cannabis pour se détendre ou qui boit par « convention sociale » et une femme séropositive pour le VIH, vivant dans la précarité et l’exclusion. De nombreuses études ont été réalisées afin de tenter d’établir un « profil » des femmes enceintes consommant une ou plusieurs substances psychoactives. Cela permettrait de dépister les grossesses à risque, même si une grande majorité des femmes consommant des substances illicites n’ont qu’un suivi obstétrical minimum (ces femmes appréhendent le contact avec le milieu médical car elles craignent souvent qu’on ne leur enlève la garde de leur enfant). Les études portant sur les différents profils sont disparates et parfois même contradictoires : • Fried [8], au cours d’une étude de cohorte prospective portant sur des enfants nés de femmes de la région d’Ottawa qui consommaient à divers degrés du cannabis pendant leur grossesse, montrent que les femmes qui consommaient du cannabis régulièrement pendant leur grossesse (plus de cinq joints par semaine) appartenaient à une classe socioéconomique plus défavorisée, étaient moins instruites et qu’elles fumaient davantage de tabac que les autres femmes ; • aux États-Unis, le profil des femmes consommant de l’alcool et du tabac est le suivant : les femmes célibataires, vivant en milieu urbain, ne recevant pas de soins lors de leur grossesse ou simplement en fin de grossesse (US Preventive Services Task Force, 1996) ; • Vaughn et al. [24] montrent que la consommation de substances psychoactives varie en fonction de l’origine ethnique. Ainsi, les femmes blanches consomment plus d’alcool et de cannabis que les femmes noires qui, en revanche, consomment de façon privilégiée de la cocaïne. Ils signalent aussi que les femmes consommant une substance psychoactive ont un moins bon suivi obstétrical aux Etats-Unis ; • les femmes noires américaines auraient tendance à consommer davantage de drogues illicites (surtout la cocaïne) que les femmes de race blanche qui, elles, consommaient davantage d’alcool [13]. La plupart des femmes étaient, dans les deux cas, très souvent issues de familles consommatrices de substances psychoactives. Elles avaient parfois été abusées sexuellement dans l’enfance et vivaient dans un milieu familial dans lequel régnait la violence. Les comorbidités psychiatriques sont fréquentes (36,4 %) telles que les pathologies dépressives et, le plus souvent, des troubles de la personnalité ; • Fergusson et al. [6] ont établi une liste de facteurs de risque qui, lorsqu’ils sont présents, doivent faire penser à une possible consommation de cannabis : ◦ le jeune âge, ◦ la primiparité, ◦ le haut niveau d’éducation, ◦ la consommation tabagique, ◦ la consommation régulière d’alcool, ◦ la consommation régulière de thé et/ou de café, 38 S. Lamy, F. Thibaut ◦ l’utilisation de drogues illicites, ◦ le poids maternel plus faible avant la grossesse. Conclusion Les substances psychoactives les plus consommées lors de la grossesse sont le tabac, l’alcool, les prévalences des consommations de cannabis et de la cocaïne demeurent mal connues. La polyconsommation est fréquente chez la femme enceinte. Les chiffres de prévalence de la consommation de substances psychoactives chez la femme enceinte sont probablement sous-évalués. En effet, les méthodes les plus souvent utilisées sont des questionnaires seuls. Afin d’obtenir une idée plus précise de la prévalence de la consommation de substances toxiques, il faudrait utiliser parallèlement des dosages biologiques à différents moments de la grossesse. Cependant, la faisabilité de telles études nécessite une logistique importante. Le moment de la grossesse est une période tout à fait privilégiée pour instaurer ou réinstaurer un dialogue entre la femme consommant une ou plusieurs substances psychoactives et le monde médical. C’est un bon moment pour faire le point, établir une démarche de prise en charge médicosociale pour la mère, voire le père (qui, le plus souvent, consomme également). Mais établir le contact avec la mère est souvent difficile car, en plus du sentiment de culpabilité qu’elle peut éprouver à consommer une substance psychoactive durant la grossesse, elle refuse les soins par crainte qu’on ne lui enlève la garde de son enfant à la naissance. Les conséquences de la consommation de substances psychoactives sont importantes, aussi bien chez la femme enceinte que chez l’enfant. Une meilleure identification du profil des femmes susceptibles de consommer des substances psychoactives pendant leurs grossesses permettrait une meilleure prise en charge médicopsychosociale de la mère et de l’enfant et permettrait de mieux cibler les campagnes de prévention et d’information. Références [1] Alvik A, Heyerdahl S, Haldorsen T, et al. Alcohol use before and during pregnancy: a population-based study. Acta Obstet Gynecol Scand 2006;85:1292—8. [2] Aros S, Mills JL, Torres C, et al. Prospective identification of pregnant women drinking four or more standard drinks (> or = 48 g) of alcohol per day. Subst Use Misuse 2006;41:183—97. [3] Colvin L, Payne J, Parsons D, et al. Alcohol consumption during pregnancy in nonindigenous west Australian women. Alcohol Clin Exp Res 2007;31:276—84. [4] Day NL, Richardson GA, Goldschmidt L, et al. 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