La dépression : des pratiques aux théories 11 Trouble anxieux généralisé et dépression C. André Paris QUELQUES CONSTATS Les praticiens se plaignent parfois d’un manque de recommandations cliniques pour le traitement du trouble anxieux généralisé [TAG]. De plus, les psychiatres ont le sentiment de ne voir le plus souvent que des TAG comorbides. L’évolution du TAG, notamment de l’enfance à l’âge adulte, n’est pas bien connue des cliniciens. De fait, cette entité pathologique risque d’être retirée du DSM-V en raison des difficultés à en donner une définition et des limites. Elle paraît cependant avoir un intérêt notamment en pratique libérale et ambulatoire. QUELQUES RAPPELS SUR LE TAG Le TAG n’est pas un concept nouveau puisque Freud avait initialement décrit l’excès de préoccupations face à certaines contingences quotidiennes. Dans notre nosologie moderne, le DSM III (1980) proposait le « Generalized Anxiety Disorder » comme une anxiété pathologique, non phobique, non obsessionnelle, L’auteur n’a pas déclaré de conflits d’intérêt. © L’Encéphale, Paris, 2009. Tous droits réservés. non compulsive, non traumatique, non paroxystique, non réactionnelle. La définition actuelle de l’anxiété généralisée repose sur le souci. Les soucis pathologiques se distinguent des soucis normaux par leur intensité et leur durée. L’aptitude au souci est initialement un avantage évolutif permettant la résolution de problèmes. Mais dans le TAG, les soucis sont si intenses qu’ils paralysent les possibilités de prise de décision et les capacités adaptatives. D’autre part, ils ne sont pas ponctuels et réactionnels : ils sont au contraire prolongés et difficilement contrôlables. Ceci a un retentissement sur le bien être et les capacités adaptatives. Critères diagnostiques du TAG (DSM-IV TR) – Anxiété et soucis excessifs survenant la plupart du temps durant au moins 6 mois concernant un certain nombre d’événements ou d’activités. – La personne éprouve de la difficulté à contrôler ces préoccupations. – L’anxiété et les soucis sont associés à 3 (ou plus) des 6 symptômes suivants : agitation, fatigabilité, difficultés de concentration ou trous de mémoire, irritabilité, tension musculaire, perturbation du sommeil. – L’objet de l’anxiété et des soucis n’est pas limité aux manifestations imputables à un autre trouble. – Souffrance cliniquement significative ou altération du fonctionnement social, professionnel. – La perturbation n’est pas due aux effets physiologiques directs d’une substance ou d’une affection médicale générale et ne survient pas exclusivement au cours d’un trouble de l’humeur, d’un trouble psychotique. Le souci est donc le symptôme central du TAG : il est défini comme « l’état de l’esprit est absorbé par un objet et cette préoccupation inquiète ou trouble jusqu’à la souffrance morale. » (Robert). Le sujet se pose sans cesse la question « et si… ? » face aux circonstances de la vie quotidienne, jusqu’à l’élaboration de scénari catastrophes (le pire est toujours anticipé et redouté). L’avenir est scanné dans le sens d’une détection systématique de tous les dangers imaginables. Les anxieux généralisés sont incapables de stopper cette évaluation de l’avenir, même pas une fois que le danger est détecté et cerné. L’incapacité à stopper les soucis est la règle : « Personne ne se frappe autant que moi, et à propos de tout. Car n’importe quoi est prétexte à La dépression : des pratiques aux théories 11 C. André tourment. Et je n’y peux rien. » écrivait ainsi Cioran, dans ses Cahiers. Ce mécanisme de souffrance se traduit par des ruminations, qui sont le fait de « se focaliser de manière répétée, circulaire, et stérile, sur les causes, les significations et les conséquences de nos problèmes, de notre situation, de notre état… ». Les ruminations différencient un individu soucieux d’un sujet souffrant d’un trouble d’anxiété généralisée. Le souci n’est alors plus un avantage adaptatif permettant de se focaliser sur un problème et de générer des solutions. L’anticipation est permanente et vaine. « Il vaut mieux employer notre esprit à supporter les infortunes qui nous arrivent qu’à prévoir celles qui nous peuvent arriver. » disait La Rochefoucauld. Malheureusement pour eux, les anxieux pensent que l’anxiété est favorable et utile, qu’elle les aide à survivre : ils sous-estiment le risque d’inhibition de l’action, et les dégâts en termes d’usure émotionnelle. Les sujets anxieux sont souvent des personnes adaptées dans la vie quotidienne à leur environnement sur le long cours, mais leur qualité de vie est altérée car ils sont dans l’attente constante d’une catastrophe. Le TAG est un trouble fréquent avec une prévalence annuelle de 2 % (6 % sur la vie entière). Par rapport au cas clinique présenté, peuvent se poser diverses questions : le problème du seuil entre normal et pathologique, la question de la grille de lecture employée (approche psy- S 48 L’Encéphale (2009) Hors-série 3, S47-S48 TAG Tempérament anxieux TAA Anxiété pathologique 0,8 % Anxiété mineure 6,4 % 10 20 30 40 50 60 70 FIG. 1. — L’évolution de l’anxiété sur la vie entière (1). chodynamique vs symptomatique) et des référentiels théoriques, ainsi que le type de prise en charge à proposer. Le TAG est un trouble à forte comorbidité : les chevauchements avec d’autres tableaux syndromiques comme l’hypocondrie (préoccupations sur la santé), la dimension obsessionnelle (crainte de l’incertitude, ruminations), le trouble de l’adaptation avec humeur anxieuse et les troubles de l’humeur sont fréquents. Les TAG purs sont surtout rencontrés chez l’enfant. Chez l’adolescent, la présence d’un TAG est un facteur de risque dépressif à l’âge adulte. Le TAG est le trouble anxieux le plus fréquent chez les sujets âgés où les comorbidités sont extrêmement fréquentes. Les événements de vie peuvent être responsables d’exacerbations du trouble, sans en être la cause. En outre, les tableaux cliniques de TAG sont d’autant plus complexes qu’ils évoluent depuis des années. L’anxiété chronique est fluctuante, tantôt sub-syndromique, tantôt syndromique, volontiers en fonction des événements de vie. Les patients adressés au psychiatre par le médecin généraliste comme « anxio-dépressifs » sont souvent des anxieux généralisés épuisés et découragés. Concernant la prise en charge, il existe bien sûr diverses possibilités : psychothérapie d’approche psychodynamique ou cognitivo-comportementale, traitements médicamenteux. Il faut cependant faire preuve de prudence, et ne pas surmédicaliser des traits d’anxiété situés dans les limites de la normale. Référence 1. Angst J., Gamma A., Rössler W. et al. Long-term depression versus episodic major depression: results from the prospective Zurich study of a community sample. J Affect Disord. 2009 ; 115 (1-2) : 11221. Epub 2008 Oct 29.