Impulsivité des sujets atteints de schizophrénie

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Impulsivité des sujets atteints de schizophrénie
N. BAUP (1)
L’impulsivité est une entité transnosographique, retrouvée dans la schizophrénie, dans des troubles de personnalité de type borderline ou antisociale, dans les abus et
dépendance à différentes substances, dans le trouble
hyperactivité avec déficit de l’attention, ou encore dans les
troubles du contrôle des impulsions.
Le concept d’impulsivité reste imprécis avec une
carence de définition et de réelles difficultés à approcher
sur un plan méthodologique, ce qui explique sans doute
en partie la quasi-absence de travaux publiés sur l’impulsivité chez les schizophrènes.
Il existe de plus une confusion fréquente avec des
dimensions comme l’agressivité et l’hostilité, et la distinction n’est pas toujours aisée du fait des différentes sous
dimensions de l’impulsivité (cognitive, motrice et liée au
difficultés de planification de l’action).
DÉFINITION
L’impulsivité peut être définie comme une « tendance
à l’action avant la réflexion s’accompagnant d’un manque
d’anticipation ou d’une mauvaise anticipation des conséquences » (2). Il est bien évidemment nécessaire de prendre en compte le contexte avant de qualifier un comportement impulsif.
La définition de l’impulsivité doit comprendre une diminution de la sensibilité aux conséquences négatives d’un
comportement, une réaction non planifiée et rapide à un
stimuli avant traitement complet de l’information, et une
absence de regard sur les conséquences à long terme
d’un comportement (13).
APPROCHE DIMENSIONNELLE DE L’IMPULSIVITÉ
Les mesures de l’impulsivité font ressortir, à partir des
analyses factorielles des résultats aux échelles d’impulsivité, différentes dimensions.
Eysenck (7), en 1996, retrouvait quatre facteurs :
l’impulsivité gênant la réflexion ; la prise de risque ; l’incapacité ou les difficultés de réflexion avant l’action ; et la
vivacité de réflexion.
Pour Barratt (14), auteur de référence dans le domaine
de l’impulsivité, trois facteurs peuvent être décrits, à partir
de l’échelle BIS (Baratt Impulsivity Scale) : une dimension
cognitive ou attentionnelle ; une dimension motrice ; et
une dimension de difficulté de planification.
Parmi les aspects moteurs ou motivationnels, on peut
citer la sensibilité à la punition, la recherche de récompenses, la capacité à attendre une gratification, la désinhibition, la tendance à l’action.
Les aspects cognitifs de l’impulsivité comprennent le
contrôle inhibiteur, la planification et la modulation des
réponses comportementales, la capacité à exécuter des
tâches cognitives difficiles, la rapidité du traitement de
l’information, et la capacité d’estimer le temps, ou « tempo
cognitif ».
Outre les trois composantes de l’impulsivité, motrice,
cognitive et de planification, différents traits de tempéraments peuvent également être inclus dans le comportement impulsif, comme la prise de risque ou la recherche
de sensation ; mais ils semblent moins spécifiques, marqués par exemple par des éléments contextuels et/ou éducatifs.
(1) SHU, Hôpital Sainte-Anne, 75014 Paris.
S 380
L’Encéphale, 33 : 2007, Juin, cahier 3
L’Encéphale, 2007 ; 33 : 380-2, cahier 3
MESURE DE L’IMPULSIVITÉ
La mesure du trait de personnalité impulsif : le trait de
personnalité impulsif, stable chez un même individu, est
actuellement mesuré par différentes échelles élaborées
ces dernières années. Parmi ces échelles ont retrouve différents questionnaires : le questionnaire IVE d’Eysenck
en 54 items ; le FIDI de Dickman en 23 items ; l’échelle
de Barratt (BIS-11) en 30 items, qui est la plus utilisée.
Pour exemple, on peut citer dans l’échelle de Barratt parmi
les items de la dimension « difficultés de planification »,
l’item 1 (« je prépare soigneusement les tâches à
accomplir ») et l’item 7 (« je programme mes voyages
longtemps à l’avance »). Parmi les items de la dimension
« impulsivité cognitive », on retrouve l’item 2 (« je fais les
choses sans réfléchir ») ou l’item 17 (« j’agis sur un coup
de tête »), et parmi ceux de la dimension « impulsivité
motrice », on trouve l’item 5 (« je ne fais pas attention »)
et l’item 6 (« mes pensées défilent très vite »).
Des mesures physiologiques : on citera l’électroencéphalogramme et les potentiels évoqués (diminution
de l’amplitude et augmentation de la latence de l’onde P
300), l’actimétrie, les modifications des mouvements oculaires (SEM ou Startle Eyeblink Modification ; les saccades oculaires).
Des mesures cognitives sont également utiles, comme
celles des régulations temporelles (reproduction, estimation, production, Tapping task ), les tests attentionnels
(alerte visuelle, test de Posner, CPT ou Continuous Performance Test, Stroop Color Word Association Test ).
IMPULSIVITÉ DANS LES SCHIZOPHRÉNIES
Chez les sujets schizophrènes, l’impulsivité peut se traduire par une agressivité, des tentatives de suicide, un
abus de substance, des comportements de prise de risque. Elle a donc un impact non négligeable sur l’évolution
du trouble schizophrénique et on peut s’étonner du très
faible nombre d’études portant sur l’impulsivité chez les
sujets schizophrènes.
Les résultats des quelques études sont mentionnés cidessous.
Les travaux portant sur les scores d’impulsivité dans la
schizophrénie ne montrent quasiment pas de différence
avec les sujets normaux. Ainsi, il n’est pas retrouvé de différence significative entre 192 sujets atteints de schizophrénie et 280 témoins lors de la passation de la BIS-10 (1).
De même, il n’a pas été retrouvé de différence significative
à la BIS entre des patients schizophrènes fumeurs et non
fumeurs avec toutefois un score de recherche de sensation plus élevé chez les fumeurs (6).
Une autre étude retrouve, en revanche, un score
d’impulsivité et de recherche de sensation plus élevé chez
des patients schizophrènes présentant un abus ou dépendance à une substance versus des patients schizophrènes non-abuseurs (5).
En ce qui concerne les troubles cognitifs, bien connus
dans la schizophrénie, il n’existe pas d’étude comparant
Impulsivité des sujets atteints de schizophrénie
les performances de sujets schizophrènes impulsifs à celles de sujets schizophrènes non impulsifs.
STRUCTURES CÉRÉBRALES IMPLIQUÉES
DANS L’IMPULSIVITÉ
L’impulsivité a été principalement étudiée en imagerie
cérébrale sur des populations de sujets sains, de patients
cérébro-lésés, de patients bipolaires présentant une personnalité impulsive, ou encore des sujets atteints de trouble hyperactivité avec déficit de l’attention.
Les résultats montrent, d’une façon générale, soit une
implication du cortex frontal inférieur ou du cortex préfrontal ventro-latéral, impliqués dans l’inhibition de la
réponse ; soit une implication des circuits dits limbiques
(qui comprennent le cortex orbito-frontal, l’amygdale, le
cortex cingulaire antérieur et le striatum) impliqués dans
les processus de prise de décision, de récompense, de
renforcement positif…
Chez les sujets atteints de schizophrénie, deux études
d’imagerie par tenseur de diffusion ont exploré la dimension d’impulsivité : l’une montre une diminution de l’intégrité de la substance blanche dans les régions frontales
inférieures associée avec un plus haut niveau d’impulsivité chez le patient schizophrène (9). L’autre retrouve une
corrélation négative entre impulsivité, mesurée par le
score total à la BIS-11, et l’intégrité de la substance blanche au niveau du cortex frontal inférieur, du cortex cingulaire antérieur, du noyau caudé, de l’insula et du lobe pariétal (10).
IMPULSIVITÉ ET THÉRAPEUTIQUE
CHEZ LES SUJETS SCHIZOPHRÈNES
Moeller dans une revue de la littérature de 2001
recense l’ensemble des traitements efficaces sur la
dimension impulsivité. Parmi les psychotropes disponibles, les thymorégulateurs (lithium et anticonvulsivants)
semblent montrer une efficacité toute particulière (15) tout
comme les antipsychotiques conventionnels et atypiques
(8), les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (4),
voire des psychostimulants comme le méthylphénidate
(12).
Plusieurs études ont montré une supériorité d’efficacité
de la clozapine sur les dimensions impulsive et agressive
chez les sujets schizophrènes résistants. La première
étude date de 1997, montrant une diminution de l’agressivité et de l’impulsivité après traitement par clozapine
chez des schizophrènes résistants (16). Les mêmes
auteurs ont montré une diminution du taux de suicide et
de l’impulsivité dans un groupe de sujets schizophrènes
traités par clozapine vs neuroleptiques classiques (17).
Une autre étude a montré l’efficacité de la clozapine sur
la dimension d’impulsivité chez 12 sujets schizophrènes
(3). Enfin, en 2006, une étude a montré une supériorité
de la clozapine sur l’olanzapine, et une forte supériorité
de l’olanzapine sur l’halopéridol, sur les comportements
agressifs des schizophrènes (11).
S 381
N. Baup
Références
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S 382
L’Encéphale, 2007 ; 33 : 380-2, cahier 3
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