La personnalité cyclothymique

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La personnalité cyclothymique
A. GUT (1)
En 1882, Kahlbaum décrivait la cyclothymie comme
une alternance d’accès maniaques et mélancoliques (11).
Il déterminait alors deux formes de psychose cyclique : la
« cyclothymia » et la « vesania typica circularis ». Ce qui
différencie les deux affections est l’existence d’une altération cognitive dans la vésania, absente dans la cyclothymie.
En 1898 Hecker, élève de Kahlbaum, caractérisait la
cyclothymie comme un trouble avec des états hyperthymiques et dépressifs (8). Il a été rapporté qu’Hecker était
le précurseur du trouble bipolaire de type 2.
Kraepelin (14) décrit un an plus tard le tempérament
dépressif, maniaque, cyclothymique et irritable. Kretschmer a lui décrit la personnalité cycloïde (15).
En 1946, dans « les dérèglements de l’humeur », Jean
Delay s’est intéressé aux cyclothymes (7). Il écrit : « Il est
des sujets dont l’humeur chaude et mobile, en vibrant
accord avec toutes les sollicitations de l’ambiance, passe
aisément de la gaieté à la tristesse et de la joie à la douleur,
cette alternance entre deux pôles est la loi de leur cycle,
ce sont les cyclothymes ».
Dans les années 70-80, Akiskal introduit une révolution
dans le domaine de la cyclothymie en affirmant que les
traits de personnalité sont la conséquence d’une pathologie de l’humeur et il est aussi apporté la notion de tempéraments affectifs (2). Il a introduit dans le spectre bipolaire les tempéraments affectifs : hyperthymique,
dépressif, irritable et cyclothymique (5).
Le concept de personnalité cyclothymique a beaucoup
évolué au travers des classifications du système DSM. Au
début, le DSM II parlait de trouble de la personnalité. Par
la suite, on a vu cette notion disparaître pour faire place
à des troubles chroniques de l’humeur dans le DSM III
pour décrire ensuite, dans le DSM IV, le tempérament
subaffectif. Dans le DSM TR est décrit le trouble cyclothymique avec les critères suivants :
A – Existence pendant au moins deux ans, de nombreuses
périodes pendant lesquelles des symptômes hypomaniaques
sont présents et de nombreuses périodes pendant lesquelles
des symptômes dépressifs sont présents sans que soient réunis
les critères d’un EDM. (Chez les enfants et adolescents la durée
est d’au moins un an.)
B – Durant la période de deux ans décrite le sujet n’a pas connu
de période de plus de deux mois consécutifs sans les
symptômes décrits au critère A.
C – Aucun épisode dépressif majeur, maniaque ou mixte n’est
survenu au cours des deux premières années du trouble.
D – Les symptômes thymiques ne sont pas ceux d’un trouble
schizoaffectif, SCZ, trouble schizophréniforme, trouble délirant
ou autre trouble non spécifié.
E – Les symptômes thymiques évoqués au critère A ne sont pas
dus aux effets physiologiques directs d’une substance ou d’une
affection médicale générale.
F – Les symptômes entraînent une souffrance cliniquement
significative ou une altération du fonctionnement social,
professionnel ou dans d’autres domaines importants.
La prévalence du trouble cyclothymique est actuellement estimée entre 3 et 6 %. Le début du trouble est
repéré, en général, à l’adolescence ou chez l’adulte jeune.
Le sex ratio est 1 même si certaines études rapportent une
prédominance féminine. Il se peut que cette prédominance féminine soit liée au fait que celles-ci repèrent et
expriment davantage leurs variations affectives.
Il est important de remarquer que 15 à 50 % des troubles cyclothymiques vont évoluer vers un trouble bipolaire
de type I ou II.
Un article récent de Koukopoulos décrit les aspects cliniques du trouble cyclothymique (13) : les périodes
dépressives sont caractérisées par l’inhibition psychique
et intellectuelle plus que par la tristesse de l’humeur qui
apparaît au second plan ; les périodes hyperthymiques
(1) SHU, Sainte-Anne, 75014 Paris.
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A. Gut
sont caractérisées par l’expansion de l’humeur et l’hyperactivité. L’auteur souligne que ce sont les moments
dépressifs que l’on repère plus souvent et dont le patient
se plaint alors que l’hyperthymie est évidemment mieux
tolérée par le patient. Il fait remarquer qu’il existe dans le
trouble cyclothymique une tendance et une facilité à critiquer son propre état que l’on ne retrouve pas dans les états
mélancoliques. Dans les phases dépressives, cette facilité
à la critique prend la forme de plaintes, de gémissements
tandis que dans les phases hypomaniaques ces critiques
pourront devenir vexantes et le patient paraître arrogant.
Les troubles du sommeil sont marqués par une hypersomnie dans les états dépressifs et une réduction des besoins
de sommeil sans fatigue dans les états hyperthymiques.
La durée des épisodes est variable, parfois d’une journée,
parfois de quelques mois voire plusieurs années. Un diagnostic différentiel du trouble cyclothymique est la mélancolie mais la présence d’idées délirantes, d’insomnie dans
la mélancolie permet de rectifier le diagnostic. L’auteur cite
également comme diagnostics différentiels, la démence
paralytique, l’hystérie et la neurasthénie alors que dans le
DSM IV TR, les diagnostics différentiels du trouble cyclothymique mentionnés sont le trouble schizoaffectif, la schizophrénie et le trouble schizophréniforme.
Pour Akiskal, la cyclothymie correspond à un tempérament affectif particulier. Cet auteur a développé des critères permettant de poser diagnostic de tempérament
cyclothymique (4) :
1 – Début précoce indéterminé (< 21 ans).
2 – Cycles courts intermittents avec euthymie peu fréquente.
3 – Troubles biphasiques caractérisés par des oscillations
brutales d’une phase à l’autre avec manifestations subjectives
et comportementales.
4 – Manifestations subjectives (au moins 2 items) :
A) Léthargie alternant avec eutonie ;
B) Pessimisme et ruminations alternant avec optimisme et
attitude insouciante ;
C) Confusion mentale alternant avec une pensée aiguë et
créative ;
D) Estime de soi incertaine, oscillant entre une faible
confiance en soi et une confiance excessive voire mégalomaniaque.
5 – Manifestations comportementales (au moins 2 items) :
A) Hypersomnie alternant avec besoin réduit de sommeil ;
B) Repli, introversion alternant avec une recherche sociale
et une désinhibition sociale ;
C) Restriction de la production verbale alternant avec
logorrhée ;
D) Pleurs inexpliqués alternant avec plaisanteries et facéties
excessives ;
E) Irrégularité qualitative et quantitative marquée dans la
productivité, associée à des horaires inhabituellement élevés
de travail.
Une question clinique importante est de savoir si la
cyclothymie est un facteur de prédisposition à la survenue
d’un trouble bipolaire, si le tempérament cyclothymique a
une influence sur l’expression des troubles bipolaires et
si enfin le trouble cyclothymique est retrouvé plus fréS4
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quemment dans les familles de patients atteints de trouble
bipolaire. Trois études récentes permettent de répondre
à ces questions.
Kochman a publié une étude prospective incluant
80 enfants et adolescents présentant un épisode dépressif au moment de l’inclusion (12). L’existence d’un tempérament cyclothymique était également évaluée lors de
l’inclusion. Ces sujets ont ensuite été suivis durant deux
ans : 43 % d’entre eux ont développé un trouble bipolaire
à 2 ans et cela plus fréquemment chez les enfants avec
un tempérament cyclothymique. De plus, l’existence d’un
tempérament cyclothymique était corrélée à une expression particulière du trouble bipolaire avec des virages plus
fréquents de l’humeur, des troubles des conduites, de
l’agressivité, des symptômes psychotiques et une suicidalité plus importante.
Akiskal en 2003 a étudié l’impact sur le trouble bipolaire
II de la présence ou non du tempérament cyclothymique
(3). Lorsque le trouble bipolaire II est associé à un tempérament cyclothymique, le début du trouble apparaît plus
précoce, le retard au diagnostic plus important, le trouble
bipolaire est souvent confondu avec un trouble de la personnalité et la clinique est marquée par une irritabilité et
des conduites à risque plus nombreuses. C’est ce qu’Akiskal nomme la « dark expression of soft bipolarity ».
Chiaroni a étudié la distribution du tempérament cyclothymique dans une population de sujets sains, avec
l’hypothèse que ce tempérament puisse être un marqueur
du trouble bipolaire (6). Il a recruté 177 volontaires sains
divisés en 3 groupes : 100 sujets sans histoire familiale
affective ou psychiatrique ; 37 sujets avec des antécédents familiaux de consultation psychiatrique ou d’hospitalisation psychiatrique sans trouble bipolaire ; 40 sujets
avec des apparentés de premier degré atteints de trouble
bipolaire I. Ils ont fait passer le questionnaire du tempérament cyclothymique d’Akiskal constitué de 8 items vrai/
faux. Une agrégation familiale du tempérament cyclothymique est retrouvée dans les familles avec des antécédents de trouble bipolaire. Ces résultats permettent de
penser que le tempérament cyclothymique pourrait représenter un endophénotype comportemental utile pour les
études génétiques sur le trouble bipolaire.
Au niveau des thérapeutiques, que peut-on proposer
pour la prise en charge des patients souffrant de
cyclothymie ? Les études américaines rapportent l’efficacité d’un traitement par sels de lithium et par valproate de
sodium à faible posologie (10). Cependant, il existe peu
de travaux sur le traitement pharmacologique de la cyclothymie.
Sur le plan psychothérapique, Melanie Klein traitait en
psychothérapie des patients ayant un trouble de l’humeur.
Si on considère la cyclothymie comme une forme atténuée
de trouble bipolaire, alors on peut s’attendre à ce que les
thérapies cognitivo-comportmentales (TCC) puissent
apporter une aide importante dans la prise en charge de
ces patients puisque les TCC ont montré une efficacité
dans les troubles bipolaires (9).
Concernant le dépistage du tempérament cyclothymique, un auto-questionnaire permettant de mesurer les
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variations de tempérament peut être utile (1) : un autogestionnaire abrégé à 39 items a été développé par
Akiskal : le TEMPS-A (Temperament Evaluation of Memphis, Pisa, Paris and San Diego-autoquestionnaire). Cet
auto-questionnaire comporte plusieurs sections : réactivité émotionnelle, cognitif, psychomoteur, rythme circadien, social ; il ressort 5 facteurs qui correspondent aux
5 tempéraments affectifs décrits par Akiskal : cyclothymique, dépressif, irritable, hyperthymique, et anxieux.
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8.
9.
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