131 chronique jl ferrein

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MANAGEMENT
De la dirigeance d’entreprise
à l’auto-dirigeance du salarié
Gestion de crise en environnement complexe pour l’entreprise, face à la revendication d’autonomie et
de visibilité pour le salarié… Le choc est rude ! Les réorganisations provoquées par la crise économique
et financière rendent encore plus urgente la nécessité pour l’entreprise de considérer ses salariés
comme des adultes. Comment soutenir le salarié dans la construction de sa relation au Travail ?
SUR L’AUTEUR
Jean-Louis Ferrein, associé
L
’ homme est un projet ». Cette
affirmation sartrienne a
pénétré le cœur de l’entreprise parce qu’elle imprègne désormais le salarié dans sa culture et ses
valeurs (What strategics can learn
from Sartre ?, Strategy + Business
n°33-2003). L’avancée des technologies favorise les conditions d’un
individualisme à portée de téléphone ou de tablette numérique…
Et pourtant, le salarié dans sa revendication à devenir « sujet » autonome
n’a jamais paru aussi désemparé
qu’aujourd’hui.
L’entreprise en mesure les effets
négatifs : absentéisme, maladies,
difficultés managériales, coût des
prud’hommes, productivité de
l’organisation, facilitation du changement…
Les études en sociologie professionnelle ont largement constaté la difficulté du sujet à se construire dans
sa relation au Travail. Les signes du
« mal-être au travail » sont nombreux
et trouvent leur expression dans la
notion de « stress ».
Selon un sondage réalisé par Ipsos/
Bernard Julhiet Group en 2010 :
• 62 % des salariés affirment ressen-
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Jean-Louis Ferrein est le fondateur du groupe
Ferrein (recrutement, accompagnement de
la mobilité, formation). Il est le créateur de
la méthodologie de construction de projet
professionnel F3P© (Ferrein ACM Process). Il
est l’auteur aux éditions Démos de
« Construire, se construire, la dynamique
du projet » (juin 2011), et de « L’orientation
professionnelle, une démarche porteuse de
sens » (nov. 2010), coécrit avec Didier Naud,
chercheur associé au CNRS.
tir un niveau de stress élevé et 45 %
considèrent que leur bien-être s’est
dégradé dans les six derniers mois.
• 3 salariés sur 10 expriment un sentiment d’inquiétude et estiment que
leur travail actuel est susceptible de
leur causer de graves problèmes psychologiques.
Cette situation a un coût social
(étude menée par l’INRS en collaboration avec Arts et Métiers ParisTech). Il serait de 2 à 3 milliards
d’euros pris en charge budgétairement, en France en 2007; sans
compter les coûts humains considérables.
Comment installer du « travailler
ensemble » dans ce « grand écart »
entre la revendication du sujet à
l’autonomie, et une entreprise qui
s’éloigne toujours plus du salarié en
raison de préoccupations mondialistes et financières ?
Les nouveaux défis pour
la « dirigeance » d’entreprise
Les notions de « gouvernance »
ou de « dirigeance » apparaissent
aujourd’hui insuffisantes pour relever le défi de la « construction du
sujet » dans sa relation au Travail et
à l’organisation de l’entreprise.
Dans l’actualité de notre rôle de
conseil en ressources humaines,
outre le « classique » sujet du stress,
trois problèmes émergents nous
apparaissent emblématiques de la
difficulté conjointe de l’entreprise
et du sujet dans la structuration de
la relation de Travail :
1.Pour l’entreprise, les difficultés de
management de la génération Y :
comment faire face à une revendication d’autonomie qui s’affranchit
de l’autorité de management tout
en réclamant de façon paradoxale
un support permanent. Mais également les difficultés de la génération
Y à comprendre et à s’adapter au
fonctionnement de l’entreprise et à
ses enjeux nécessaires d’organisation
ou à ses impératifs économiques.
Nous sommes en présence d’un problème d’éducation ou de formation à
la réalité de l’entreprise et au sens de
l’entreprenariat dans le jeu social…
2. La difficulté pour les managers de
porter les objectifs stratégiques de
l’entreprise. La notion de courage
est appelée à la rescousse. « Le courage est une vertu » et le propre d’une
vertu est qu’elle n’est pas innée mais
qu’ « elle s’entretient individuellement et collectivement » (« Le courage managérial », Démos éditions,
Didier Naud/Catherine Pelard, à
paraître en octobre 2011).
Plus le manager trouvera du sens à
l’exercice de sa responsabilité, plus
la mise en place de son courage sera
favorisée. Pour cela, l’entreprise a la
responsabilité de lui donner le temps
de la réflexion, de lui apporter des
soutiens (formations, coaching…).
Le courage s’entretient aussi collectivement dans l’entreprise et dans la
Par Jean-Louis Ferrein, associé.
Groupe Ferrein
LES POINTS CLÉS
Le salarié revendique d’être un sujet autonome au sein de l’organisation de l’entreprise
Le salarié est seul et stressé dans la construction de sa relation au Travail dans des contextes
d’entreprise complexes et économiques changeants
Il existe un fort ROI à attendre, par la mise en place d’un accompagnement conjoint entreprise-sujetpartenaires sociaux pour favoriser une auto-dirigeance du sujet/salarié
société tout entière, par la valeur de
l’exemple des leaders, par sa promotion culturelle …
3. la revendication à « un équilibre de
vie privée et de vie professionnelle ».
À notre sens, cette revendication
est avant tout un signal d’alarme
du salarié. À nouveau, il s’agit plus
d’une revendication à pouvoir penser
et se penser par rapport à un équilibre de vie, que le début d’une classique négociation matérielle.
Dans ce contexte, la question qui
nous apparaît primordiale est bien
celle de la revendication d’autonomie et de reconnaissance du salarié/
sujet. La prise en charge de cette
revendication implique pour l’entreprise, les partenaires sociaux, et
le sujet lui-même, la mise en place
des conditions nécessaires qui vont
permettre au « sujet » de se construire
dans sa relation au Travail.
© pressmaster - Fotolia.com
Pour une auto-dirigeance
du sujet
Cette revendication de droit appelle
des devoirs pour le sujet et pour
l’entreprise. Il nous apparaît que
c’est désormais à cette tâche que les
directions des ressources humaines
Selon le même sondage, pour 41 %
doivent s’atteler, si elles veulent
des salariés français, le premier facobtenir une réduction du stress et
teur de stress et de dégradation de
favoriser un engagement mature
bien-être au travail est l’absence de
dans une solidarité de destin bien
visibilité sur leur évolution profescomprise entre l’entreprise et ses
sionnelle.
salariés.
Ceci nécessite :
Il convient pour le sujet de mieux
- Une réévaluation des enjeux de
se connaître, de mieux connaître
formation. Le préalable étant de
l’entreprise et son fonctionnement.
permettre au salarié de travailler
Il peut alors
trouver du sens
et s’engager. « Le salarié dans sa revendication à devenir sujet
Il s’agit d’un autonome n’a jamais paru aussi désemparé »
enjeu d’équilibre personnel
pour le sujet, un enjeu d’efficacité et
sur sa relation au Travail (aptitudesde responsabilité pour l’entreprise,
compétences-motivations) et sur
et d’un enjeu social et politique.
son environnement (son poste au
sein de l’entreprise ou du système
L’entreprise considère depuis longéconomique).
temps le sujet comme un adulte,
Il s’agit concrètement de prestations
capable de mesurer la précarité d’un
de « point carrières », avant d’entacontrat de travail… Il faut lui donmer une quelconque formation ; la
ner les moyens de devenir adulte :
question de fond étant : quelle autoc’est-à-dire de se penser et de pennomie personnelle et professionnelle
ser son environnement de travail,
puis-je construire par l’acquisition
en particulier dans les périodes de
de compétences nécessaires à mon
crise, que nous traversons ou qui
évolution de carrière ?
s’annoncent.
- la réorientation des budgets formation vers ces prestations de type
point carrière, capables de sécuriser
les salariés sur leurs bons choix personnels et professionnels
De façon plus globale, il faut s’interroger sur les enjeux de formation
scolaire et universitaire : comment
favoriser la construction individuelle
d’une relation au Travail ? Comment
préparer une éducation à l’entreprenariat, à l’entreprise organisée, une
présentation du destin commun
salarié/entreprise ?
L’entreprise et les partenaires sociaux
ont la responsabilité de mettre en
place les conditions d’une auto-dirigeance du salarié.
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