Kass‚_ Nouvelles_r‚flexions_sur_la_Strat‚gie_de_d‚veloppement.doc

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Introduction a une réflexion sur de nouvelles
stratégies de développement pour le Sénégal.
Par
Professeur Moustapha KASSE, Président de l’Ecole de Dakar
Introduction
Jamais dans l’histoire, la planète n’a accumulé autant de
richesses matérielles, financières et techniques. Jamais les hommes
et femmes n’ont été aussi conscients des perspectives réelles pour
la satisfaction de leurs besoins, non seulement au sens strictement
économique mais encore au sens social et humain plus large. Et
pourtant, jamais les disparités n’ont été aussi fortes entre le Nord et
le Sud. Jamais la pauvreté n’a été aussi massive. La mondialisation
caractéristique dans la production, les finances et les échanges
apparaît ainsi comme un phénomène fortement asymétrique et
dual. Les stratégies suivies par les pays riches comme pauvres
semblent toutes conduire l’humanité à des impasses, du point de
vue des perspectives nationales comme de celui de l’ordre mondial.
Les stratégies de développement telles qu’elles se sont
déployées durant le dernier quart de siècle a multiplié les problèmes
des nations et des individus qui les peuplent. Paradoxalement,
l’abondance n’a pas apporté l’amélioration du niveau ou de la
qualité de la vie aux populations. Elle a plutôt pollué
l’environnement, gaspillé de gigantesques ressources, engendré la
peur et le doute relativement aux relations intergénérationnelles.
L’incapacité à maîtriser les turbulences des systèmes
économiques et financiers, à gérer les risques et les incertitudes et
à gouverner l’ordre mondial sont quelques manifestations évidentes
du fait que des changements fondamentaux sont, aujourd’hui,
indispensables et urgents, dans toutes les sphères des sociétés.
Concernant les pays en voie de développement, non seulement la
pauvreté est grandissante, mais les populations sont de plus en
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plus insatisfaites et impatientes et les jeunesses frustrées de leur
manque et de leur pénurie quant aux nécessités les plus
élémentaires de la vie : nourriture, éducation, soins médicaux,
logement, eau potable. Or, il est bien connu qu’un monde qui
désespère est un monde qui va exploser.
Que disent et que font les économistes face à toutes ces
mutations ? A quoi servent toutes leurs théories et leurs modèles ?
Les rendent-ils capables de transformer par la force des
idées pareille situation ?
La question de la scientificité de l’économie est à nouveau
posée. En vérité ce n’est pas une question désincarnée : l’économie
n’est une science que si elle aide à comprendre le monde (théorie
positive) et à dégager des instruments pour le transformer (théorie
normative). En conséquence, la communauté des économistes,
surtout africains, devrait partager un système de référence et des
informations suffisantes sur le cadre conceptuel qui a influencé le
processus du développement et qui a abouti à l’élaboration du
consensus de Washington fondement doctrinal des Programmes
d’Ajustement Structurel. Toutefois, les résultats mitigés et les
multiples contestations de cette épure imposent aujourd’hui, un
nouveau questionnement sur les stratégies du développement qui,
tenant compte des enseignements du «grand miracle» des pays
d’Asie, devraient déboucher sur de nouvelles formulations du
développement africain.
I- Les anciennes approches et stratégies
de développement.
Le cadre intellectuel qui a influencé les différentes approches
des processus de développement économique du dernier quart de
siècle gravitait autour de la croissance économique considérée
comme voie unique de sortie du sous-développement. Les pays qui
s’engageaient dans ce processus devaient réaliser une croissance
accélérée, au taux le plus élevé possible compte tenu des ressources
disponibles. De plus, il était souhaité que cette croissance soit
harmonieuse, équilibrée et débarrassée de toute fluctuation trop
forte en baisse comme en hausse.
L’adaptation du modèle aux pays en développement allait
inclure d’autres facteurs comme la quantité et la qualité «réelles» de
l’aide étrangère et des transferts de technologie destinés à
Nouvelles Stratégies de Développement – Pr. Moustapha KASSE
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compléter le capital local insuffisant. Les faibles efforts de
mobilisation internes des ressources, rendaient les estimations
concernant les possibilités de croissance rapide sans grande valeur
pratique dans le modèle.
Les études de la Banque Mondiale (BM) et du Programme des
Nations-Unies pour le Développement (PNUD) ont largement montré
que les aides et les transferts de technologie ont principalement
servi à créer des sociétés «molles» et à augmenter l’endettement
extérieur qui devient aujourd’hui insoutenable. C’est pourquoi, le
Président Abdoulaye WADE, dans «Le Plan Oméga pour l’Afrique»
montre justement que le binôme aide–endettement était rentré dans
une impasse totale ce qui impose de nouvelles formules pour le
financement du développement.
En ce qui concerne la fameuse question du transfert de
technologie, les firmes multinationales qui furent les principaux
vecteurs de cette politique ont tiré de leur «know-how» et de leurs
équipements un prix excessif. En conséquence, la technologie
«empruntée» pour la substitution aux importations et qui est à
haute intensité de capital, n’avait que de très faibles liens avec la
valorisation des ressources naturelles et la main-d’œuvre, ou avec
le reste de l’équipement technologique existant dans les pays
récepteurs.
C’est pour enquêter sur la réalité et les résultats des efforts
d’aide et de développement international des années 50 à 60 et
pour les ajuster aux besoins de modernisation des pays pauvres
que la Commission Pearson fut créée en 1968 par la Banque
Mondiale. Le Rapport Pearson jugea que l’écart grandissant entre
pays développés et pays en développement était devenu l’un des
principaux problèmes de notre temps. Comme solution, il
recommandait pour ces derniers pays un taux de croissance de 6%
par an, une réduction des barrières douanières des pays
développés, l’augmentation de l’aide étrangère privée et un transfert
de 1% du PNB des pays développés aux pays en développement.
Il fut dès le départ évident que la Commission avait sousestimé l’importance de la crise mondiale menaçante et minimisé les
extraordinaires privilèges des pays riches dans une tentative de
restaurer l’ancien mythe d’«un monde unique». Ses vues sur le
développement se situaient dans le vieux cadre intellectuel décrit cidessus et ne cherchaient nullement à aller au-delà.
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II- Le débat des années 70 et le consensus de
Washington : l’instauration d’un modèle
d’économie de marché.
La crise économique des années 70 et 80 réactive le débat de
fond sur «le sous-développement et ses solutions», en particulier
entre groupes de spécialistes des sciences sociales désireux d’une
part, d’aller au-delà du Rapport Pearson et de son référentiel
normatif d’analyse économique et d’autre part, d’examiner toutes
les réalités économiques, mais aussi sociales et historiques
dissimulées par l’ancien schéma analytique du développement.
Tandis que le débat se développait, deux Ecoles pouvaient
clairement être identifiées.
1°) L’Ecole orthodoxe et les réformes pour une
économie de marché.
La première Ecole, celle des tenants de l’orthodoxie de l’économie libérale,
estime qu’il faut redéfinir la philosophie et les objectifs du développement qui se
réduisent pour l’essentiel à la croissance économique. Dans les années 80, suite à
la crise de la dette, l’intervention des Institutions de Bretton Woods dans le débat
sur le développement va s'accompagner de profondes transformations, tant dans la
pratique que dans la réflexion. Une nouvelle ère en matière de développement est
ouverte, que les spécialistes vont assimiler au "consensus de Washington" qui
remettait en cause la théorie du développement et la spécificité des sociétés sousdéveloppées. Il constitue en somme une sorte de revanche de la théorie néoclassique qui, sur la base de l'échec des stratégies de développement et des
théories qui les portent, va étendre le champ d'application de son cadre d'analyse
aux sociétés sous-développées.
Du point de vue théorique, le consensus de Washington remet en cause
toute forme d'interventionnisme étatique et proclame la suprématie du marché dans
l'allocation des ressources. Ce discours se rattache à la doctrine de l'équilibre
général qui conçoit la possibilité d'une économie décentralisée suite à l'émergence
des prix d'équilibre résultant de la confrontation sur le marché de l'offre et de la
demande des agents économiques. D'autre part, le consensus de Washington remet
à l'ordre du jour les théories de l'avantage comparatif pour critiquer les choix
d'import-substitution ou d'industrialisation liée au marché interne, et pour justifier
une insertion internationale basée sur les dotations en facteurs des pays sousdéveloppés. Ainsi, désengagement de l'Etat, régulation marchande et avantages
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comparatifs seront les maîtres-mots des années 80 mais aussi les piliers de
l’ajustement structurel.
Confrontés aux déséquilibres financiers, à la montée de l’endettement et à la
stagnation de la production pendant la décennie des années 80, les pays d’Afrique
ont été contraints de privilégier les politiques d’ajustement et de stabilisation par
rapport aux politiques de développement et aux plans à moyen et long terme.
L’approche en termes d’ajustement structurel est largement justifié par le
gaspillage des ressources, l’inefficacité de l’économie administrée et le poids des
distorsions introduites dans le système de formation des prix et des revenus sur les
marchés des biens et services, du travail, des capitaux et des changes.
Les PAS cherchaient à mettre en place un volet stabilisation afin de réduire
les déficits et de promouvoir une série de réformes structurelles pour assurer une
plus grande régulation privée de l'économie et accroître l'insertion des économies
nationales dans une mondialisation jugée incontournable et irréversible. Pour cette
Ecole orthodoxe les PAS constituent une solution appropriée à la crise économique
africaine des années 80 et de celle provenant en grande partie aux politiques
économiques erronées des années 60 et 70. Après plus d’une décennie de réforme
introduite par les PAS dans les pays subsahariens, la Banque Mondiale (World
Bank, 1994) conclut, en se basant sur les éléments d’appréciation recueillis dans 29
pays engagés dans la voie de l’ajustement, que les réformes ont été payantes et que
les pays qui ont fait un effort particulier ont bénéficié d’un retournement tant au
plan de la croissance que de la situation socio-économique, bien que ce
retournement soit encore fragile.
Les contre-performances (ou l’absence de développement) observées dans
les années 90 seraient alors en grande partie attribuée au fait que les politiques
«rationnelles» que comportaient les PSAS n’ont pas été correctement appliquées.
Les facteurs qui paraissent avoir empêché le bon déroulement des réformes sont
nombreux. Diverses études de la Banque Mondiale notent des contraintes telles
que :
 les difficultés à faire passer des réformes institutionnelles
politiquement délicates (en raison de la puissance des groupes de
pression) ;
 le fait que les gouvernements concernés n’ont pas assumé la paternité
des réformes ;
 l’insuffisance des financements extérieurs ou de crédits pour la mise
en œuvre des programmes ;
 la faiblesse des moyens administratifs et institutionnels des pays
subsahariens disponibles pour la mise en œuvre des réformes ;
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 et, dans certains cas, le manque de réalisme des concepteurs des divers
programmes quant à la rapidité et la chronologie des réformes à
mettre en œuvre.
Au demeurant, si les PAS ont permis à certaines économies d'améliorer et de
rétablir leurs déséquilibres macroéconomiques, ils n'ont pas réussi à initier de
nouvelles dynamiques de croissance durable, suite à l'essoufflement des stratégies
d'import-substitution. Par ailleurs, ces réformes se sont traduites par une
détérioration des conditions de vie des populations et par un accroissement de la
pauvreté. Egalement, les programmes n'ont pas favorisé la construction de
nouvelles normes économiques et sociales pour succéder aux normes en crise. Au
contraire, ils ont accéléré la décomposition des normes en crise et approfondi ainsi
la régression économique et sociale. Cette crise économique et sociale a eu des
conséquences politiques importantes à travers la contestation de la légitimité de
l'Etat. Par ailleurs, le désengagement de l'Etat et la libéralisation économique se sont
traduits par l'émergence, dans la plupart des pays, de nouveaux acteurs politicofinanciers qui ont cherché à contrôler l'économie. L'affaiblissement de l'Etat et son
extinction programmée dans certaines régions ont conduit parfois au développement
de la corruption et à la constitution de fortunes sur la base de situation de rente.
2°) L’Ecole hétérodoxe et la réhabilitation de l’Etat
Ces médiocres résultats ont été à l'origine de la remise en cause des
fondements théoriques et des choix de développement du consensus de
Washington par l’Ecole dite hétérodoxe. En effet, une ère nouvelle est ouverte dans
le champ de l'économie du développement depuis le milieu des années 90 qu'on
qualifiera de période de post-ajustement qui est caractérisée par des interrogations
sur la pertinence et les performances des PAS et la recherche dynamique et
plurielle de nouvelles stratégies de développement. A ce niveau, les derniers
Rapports sur le Développement de la Banque Mondiale offrent une illustration de
cette évolution. Désormais, l’Etat et les institutions sont réintégrés dans le champs
de l’analyse et de la praxis.
Un Rapport d’un groupe d’experts de l’Université des Nations-Unies sur le
Développement Humain et Social avait contesté cette approche des
fondamentalistes en déclarant catégoriquement que «le développement n’a
fondamentalement rien a voir avec les chiffres de revenu national et sa croissance;
il n’a rien à voir avec seulement les taux d’épargne et les coefficients de capital; il
a à voir avec les êtres humains, par eux et pour eux. Le développement doit, par
conséquent, commencer par l’identification des besoins humains. Son but est de
relever le niveau de vie des masses et de donner à tous les hommes une chance de
développer leurs potentialités. Cela implique que l’on réponde à des besoins
comme ceux d’un travail permanent, de salaires réguliers et convenables, d’écoles
plus nombreuses et meilleures qualités, d’un meilleur service médical, de
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transports bon marché, d’un niveau général de revenu plus élevé. Cela implique
aussi que l’on satisfasse aux besoins et désirs non matériels : auto-détermination,
autonomie, liberté politique et sécurité, participation à la prise des décisions
affectant travailleurs et citoyens, identité nationale et culturelle, et désir de sentir
que la vie et le travail ont un sens».
L’Ecole hétérodoxe composée pour l’essentiel des différents courants
marxistes et néo-marxistes ainsi que des institutionnalistes et des «tiersmondistes», reprend à son compte certaines de ces critiques de l’Université des
Nations-Unies mais avec des formulations techniques nettement améliorées.
Malgré son caractère idéologiquement hétérogène, les auteurs s'éloignent du
modèle walrassien en reconnaissant les imperfections du marché et l'incapacité des
politiques de stabilisation et d'ajustement orthodoxe à opérer les transformations
nécessaires à une reprise durable de la croissance dans le Tiers-Monde. Dans ce
sens, J. STIGLITZ, ancien économiste principal de la Banque mondiale, «si les
politiques économiques issues du consensus de Washington se sont avérées aussi
peu performantes dans ce qui était leur objectif principal à savoir l’instauration
d’un processus vertueux de croissance économique harmonieuse ; c’est parce
qu’elles ont confondu les moyens avec les fins». En effet, même «un taux de
croissance élevé n’a constitué et ne constitue pas une garantie contre une
aggravation de la pauvreté»( Mahbub Ul Hacq : Banque mondiale). La
libéralisation, la recherche des grands équilibres, les privatisations sont prises
comme des fins plutôt que comme des moyens d’une croissance durable et
équitable. De plus, ces politiques se sont beaucoup trop focalisées sur la stabilité
des prix plutôt que sur celle de la croissance et de la production. Elles n’ont pas su
reconnaître que le renforcement des institutions financières est aussi important
pour la stabilité économique que la maîtrise des déficits budgétaires et de la masse
monétaire. Elles se sont concentrées sur les privatisations, mais elles n’ont guère
attaché assez d’importance à l’infrastructure institutionnelle nécessaire au bon
fonctionnement des marchés, et particulièrement à la concurrence et à la
compétitivité.
Depuis les années 90,
la médiocrité persistante des performances
économiques et financières ont continué de se manifester à travers la détérioration
généralisée des indicateurs macroéconomiques, la désintégration des structures de
production et des infrastructures et la détérioration rapide du bien-être social
notamment l’éducation, la santé publique et le logement, a appelé le nécessaire
ajustement de l’ajustement. En effet, pour beaucoup d’ économistes partisans de
cette approche hétérodoxe, l’échec du développement dans les pays subsahariens
est avant tout le produit :
 de l’échec des politiques économiques adoptées après l’indépendance,
dans les années 60 et 70 ;
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 de l’échec des PSAS mis en œuvre dans les années 80 pour remédier aux
faiblesses structurelles des économies et des institutions des pays
subsahariens.
Ces faiblesses tiennent pour l’essentiel à la distorsion de la structure des
échanges (à cause de la place excessive des produits primaires), au manque de
modernisation de l’agriculture, à l’étroitesse et à la faiblesse de la base industrielle,
et avant tout au niveau extrêmement faible de développement des ressources
humaines ainsi qu’à l’insuffisance du réseau des transports et des équipements
d’infrastructure dans les régions rurales (Cornia, 1991). Pour ces économistes,
l’analyse de la stratégie de développement à long terme montre qu’il est vital de
trouver des solutions pour remédier à l’insuffisance des ressources humaines et des
infrastructures.
D’ailleurs, si les analystes ne semblent pas imputer totalement la stagnation
économique des pays subsahariens aux seuls programmes d’ajustement en tant que
tels, ils soulignent cependant qu’en accordant une prépondérance quasi absolue aux
mesures de stabilisation à court terme, au lieu de s’attaquer aux problèmes
structurels fondamentaux, ces programmes ont en fait amené les économies
africaines à s’écarter de la voie d’une croissance durable (Cornia, 1991 ; Stewart,
192). Certains estiment même avec force d’arguments tirés de l’analyse
économique qu’un cadre de développement modifié peut encore fonctionner
«efficacement» :
 si la justice sociale ou distributive est intégrée dans les modèles ;
 s’il existe des institutions fiables, démocratiques et transparentes de
coordination des transactions des acteurs et qui soient capables de faire
fonctionner un système de planification techniquement rénové
essentiellement du haut vers le bas («top down») ;
 si la participation populaire dans la gestion du développement est
assurée ;
 et si les Institutions Financières Internationales et le systèmes
économiques des Nations Unies assurent un processus continu de
transfert pour une part raisonnable des ressources des pays riches aux
pays pauvres.
En définitive le continent africain est à la recherche d’une nouvelle vision,
d’un paradigme et d’un programme alternatif de développement considéré comme
une transformation de la société. La question centrale est alors comment mettre en
place un système économique et financier performant et jeter les bases de
fonctionnement d’une société démocratique. Dans ce contexte, il faut tirer, pour le
continent africain, toutes les leçons du miracle asiatique. La croissance rapide des
pays d’Asie de l’Est a montré que le développement était possible et qu’il pouvait
s’accompagner d’une réduction de la pauvreté, d’une amélioration largement
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partagée du niveau de vie et même d’un processus de démocratisation.
Evidemment, dans la phase ascendante des PAS les expériences du miracle estasiatique étaient considérablement dérangeantes pour les défenseurs des solutions
orthodoxes, car ces pays ne ce sont pas conformés aux prescriptions habituelles des
Institutions Financières Internationales. Dans la plupart des cas, l’Etat a joué un
rôle efficace de création et d’orientation des ressources vers des projets à long
terme. Cet Etat a été qualifié d’Etat «pro» c’est-à-dire promoteur, producteur,
prospecteur et programmeur. Les gouvernements ont suivi certaines des
prescriptions techniques habituelles, comme par la politique macroéconomique
stable, mais ils ont ignoré les autres. Par exemple, au lieu de privatiser, ils ont crée
des entreprises hautement productives et plus généralement ils ont mené une
politique industrielle pour développer certains secteurs. Les pouvoirs publics
intervenaient dans le commerce, même si c’était plus pour favoriser les
exportations que pour limiter les importations. Egalement, ils se sont engagés dans
un timide encadrement du secteur financier, en abaissant les taux d’intérêt et en
augmentant la rentabilité des banques et des entreprises.
III- L’émergence est-ce possible ? Par quelle stratégie
?
Théoriciens et praticiens sont de plus en plus d’accord sur le fait qu’un
nouveau cadre de concepts tels que celui évoqué ci-dessus est nécessaire pour la
remise en cause des phénomènes critiques (et interdépendants) qui affectent
partout le développement et pour nous aider à comprendre la nature des nouvelles
forces qui apparaissent partout dans le monde et qui poussent au changement.
Cette remise en cause ne doit pas refléter seulement une réforme de l’ancien
cadre du développement économique, rendu un peu plus efficace par incorporation
d’un peu plus de justice sociale et distributive. Elle doit également redéfinir les
orientations (approche positive) et les politiques à mettre en œuvre (approche
normative) .
Cette redéfinition doit être tentée en étudiant l’expérience historique des
pays développés ou en développant, et non plus à partir de théories a priori
totalement détachées des réalités. Des sous-modèles spécifiques à un pays
pourraient être élaborés pour chercher à opérationaliser le nouveau cadre. Un cadre
de concepts différents, constitué par un nouvel ensemble d’objectifs et par un
nouveau processus, reste cependant une condition préliminaire nécessaire pour que
les sous-modèles puissent être applicables et politiquement valables. Un cadre
international de soutien devrait également être élaboré. Mais avant que ce nouveau
cadre international puisse apparaître, il faudra peut-être le détacher d’abord des
relations globales existantes pour le faire rentrer, à de nouvelles conditions, dans
de nouvelles institutions.
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La tâche des économistes, toutes options idéologiques confondues, est
d’appréhender la situation d’ensemble des pays africains, d’identifier les éléments
sur lesquels il y a accord afin de définir le nouveau cadre général de concepts en
phase parfaite avec l’axiomatique de la rationalité économique. Les éléments à
inclure dans ce cadre de concepts peuvent être jugés en fonction des critères ciaprès :






la définition d’objectifs strictement économiques qui permettent de
s’engager dans la voie d’un développement durable et d’échapper au
piège de la pauvreté;
la restructuration des institutions de gouvernance et la reconstruction
de l’Etat en vue de la création d’un environnement institutionnel
plus incitatif pour les politiques de développement ;
la mise en œuvre de politiques sectorielles pertinentes dans le cadre
d’une estimation réaliste de la dotation en ressources naturelles et
qui accordent à l’agriculture et aux technologies un rôle moteur dans
la réalisation de la croissance ;
l’élaboration de politiques publiques efficaces d’allocation optimale
des ressources en faveur des activités productives;
le choix d’une politique de redistribution des revenus qui maximise
les potentialités endogènes de développement ;
la mobilisation de la communauté internationale dans le cadre d’un
nouveau partenariat qui accroisse les ressources financières à long
terme et les investissements privés directs étrangers.
1°) Approche positive de l’émergence économique
Dans la littérature, il n’existe pas de définition universelle du concept
d’économie émergente. Les conceptions diffèrent d’un auteur à un autre et surtout
d’une institution à une autre. L’émergence n’est pas seulement un concept
dynamique, elle est un concept plus global qui ne polarise pas seulement sur un
marché, une bourse, une place financière, elle concerne le pays tout entier. Dès
lors, un pays peut être considéré comme émergent pour deux raisons bien
distinctes. D ‘une part, il connaît un taux de croissance relativement élevé sur une
période longue, parce qu’il a réussi à développer son commerce extérieur et à
accroître sensiblement ses exportations ; notamment de produits manufacturés dans
lesquels il s’est spécialisé : il s’est alors intégré au marché mondial. D’autre part, il
a institué ou réactivé un marché financier sur lequel les transactions peuvent se
développer parce qu’il a incité les entreprises à se financer de cette façon à partir
de l’épargne nationale aussi bien qu’étrangère; il a probablement rendu sa monnaie
convertible et libéré les flux de capitaux : il s’est intégré à la finance internationale.
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Le maintien de ce double mouvement devrait déclencher un processus de
rattrapage économique des pays développés.
Vu sous cet angle, quatorze pays sont retenus comme pays émergents ; Hong
Kong, Singapour, Malaisie, Taiwan, Thaïlande, Indonésie, Philippines, Corée du
Sud, Colombie, Chili, Mexique, Brésil, Argentine et Vénézuela (Banque Mondiale
dans sa revue «Working Paper»). Pour couper court à toute confusion entre pays
émergents et nouveaux pays industrialisés, la Banque Mondiale retient seulement
les pays émergents d’Asie de l’Est comme les nouveaux pays industrialisés. La
célèbre revue «The Economiste» dans sa section «Emerging Market Indicator»
publie des informations statistiques sur un ensemble de pays comprenant en plus
des pays retenus par la Banque Mondiale, la Grèce, Israël, le Portugal, la Pologne,
la Turquie, la Hongrie, la Russie, la République Tchèque et l’Afrique du Sud.
D’autres auteurs tout en acceptant le point de vue de la Banque Mondiale se
demandent si la Tunisie, le Botswana, et l’Ile Maurice ne peuvent pas être
considérés comme des pays émergents du contient africain. Au regard des deux
critères avancés, ils ne le sont pas, ce qui permet alors d’introduire le concept
médian de pays sub-émergents c’est-à-dire des pays qui mettent toutes les
conditions en place pour devenir des pays émergents.
2°) Approche normative et pré requis de l’émergence.
Lorsqu’on analyse la performance supérieure de l’Asie, pendant ces 30
dernières années, elle est attribuable selon Lindauer et Romer (1993) à trois
éléments interdépendants comme le mode de gouvernement et la qualité des
institutions de l’ économie, l’utilisation optimale des facteurs de production
disponibles et le contenu de la stratégie de développement. La conjugaison de ce
éléments a généré l’ouverture sur les marchés extérieurs, le dynamisme du secteur
privé, l’efficience de l’administration, des systèmes financiers, de la main
d’œuvre, les infrastructures et les institutions d’encadrement. Il faut chercher à
quantifier tous ces éléments pour mieux comprendre le processus de génération de
cette croissance durable en Asie.
Dans leur essence, les réformes entreprises qui ont doté ces économies des
caractéristiques suivantes :
a) L’ouverture sur le marché international
La théorie économique depuis ses pères fondateurs Adams Smith et David
Ricardo a toujours mis l’accent sur le commerce international, les avantages
rattachés à une ouverture se résument à :
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



une plus forte spécialisation basée sur la théorie ricardienne des
avantages comparatives ;
un plus grand accès aux innovations technologiques ;
une pression plus forte pour l’amélioration de la compétitivité des
entreprises locales ;
une réduction des activités improductives.
b) Le développement du système financier
L’analyse keynésienne à travers la théorie du multiplicateur montre que
l’investissement est un élément clé de la croissance, or l’investissement n’est
optimal que si le système bancaire accorde des crédits.
Pour le développement du système financier, les pays d’Amérique Latine ont
procédé dans une première étape à une libéralisation tous azimuts avant de mettre
en œuvre des mesures d’accompagnement à la libéralisation initiale.
Le dynamisme du secteur financier sera mesuré par le ratio de crédits
allouées au privé sur le PIB.
c) La libéralisation du marché du travail
Le cadre de concurrence accru liée à la mondialisation rend indispensable
que les entreprises aient le moins de contraintes possibles. Ces contraintes allant de
la rigidité des salaires à cause de puissantes organisations syndicales et de normes
institutionnelles (salaire minimum) à des conditions d’embauche et de licenciement
très onéreux. En fait, l’objectif de plein emploi n’est réalisable qu’avec un marché
du travail flexible qui permet l’ajustement entre l’offre et la demande de travail.
Les réformes qui ont eu lieu dans ce domaine visaient à lever l’ensemble des
distorsions y compris celles relatives aux effectifs pléthoriques de l’administration.
Pour tenir compte de cet aspect, on retiendra comme indicateur le ratio constitué de
l’emploi dans le secteur public sur l’emploi total dans le secteur non agricole.
d) La réduction de la taille du secteur public
L’objectif visé est d’une part, le remplacement du grand nombre
d’entreprises publiques extrêmement protégées et inefficientes par des entreprises
privées plus compétitives et, d’autre part, la suppression des monopoles pour que
la fonction allocative du marché puisse être optimale.
Au début des années 80, les pays émergents ont réduit significativement leur
emprunts publics, ce qui a attiré un tiers (1/3) des fonds privés destinés aux
infrastructures en Amérique Latine et la moitié (1/2) en Asie de l’Est.
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e) L’utilisation efficiente et optimale des ressources publiques
La littérature économique atteste qu’une bureaucratie lourde ne rime pas
avec des performances économiques car en fait, une large part des ressources
devant servir à l’investissement est utilisée pour entretenir cette bureaucratie à des
fins de consommation somptuaire.
En vue de mesurer les progrès obtenus dans ce domaine par les pays
émergents, le ratio des salaires de l’administration sur les dépenses primaires est
utilisé.
g) La répartition équitable des fruits de la croissance
Pour ce faire, les gouvernements ont dû convaincre les élites économiques
de la nécessité de partager les fruits de la croissance avec les couches pauvres.
C’est ainsi que le pourcentage des populations vivant au dessous du seuil de
pauvreté n’a cessé en effet de baisser dans ces pays : il est passé de 59% en 1962 à
26% en 1986 en Thaïlande et de 58% en 1972 à 17% 10 ans plus tard en Indonésie.
Dans tous ces pays, la stratégie économique a été l’œuvre de technocrates
compétents, propres et à l’abri des ingérences publiques. En plus, les
gouvernements ont mis en place des cadres juridiques et réglementaires favorables
à l’initiative privée. Ils ont également favorisé un dialogue permanent entre les
milieux d’affaires et le pouvoir public, ce qui a permis de rendre les règles du jeu
claires et transparentes et de susciter la confiance du privé.
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