Journée psychiatrie Pourquoi les hospitalisations sans consentement augmentent-elles ? La loi de 1990 visait à réduire le nombre des hospitalisations sans consentement en psychiatrie. C’est le contraire qui se produit. Réflexion sur le sens de cette augmentation. « L a loi du 30 juin 1990, en psychiatrie, pose le principe de l’hospitalisation libre, dit Alexandra Véluire, juriste (Ifross) à l’université LyonIII. Elle stipule en effet : le statut des personnes hospitalisées en psychiatrie a longtemps relevé d’une législation ne laissant aucune place au libre consentement du patient. « La loi de 1990 fait en effet suite à la loi de 1838, qui est donc restée en vigueur 152 ans, rappelle Alexandra Véluire. Cette nouvelle loi sur l’hospitalisation sans consentement vise à concilier les libertés des personnes et les devoirs de l’État. » Son application devait entraîner une réduction du nombre des hospitalisations forcées en psychiatrie, désormais baptisées HDT (hospitalisation à la demande d’un tiers) et HO (hospitalisation d’office). Celles-ci devaient devenir des exceptions. C’est le contraire qui se produit. On constate une augmentation des hospitalisations sous contrainte entre 1980 et 1997. « Existe-t-il, pour autant, une augmentation des pathologies psychiatriques ? se demande Michelle Livet, cadre infirmier en psychiatrie. Dans ce cas, le dispositif de soins en santé mentale habituel, c’est-à-dire sans contrainte, aurait dû en assurer la prise en charge ». Or, ce n’est pas le cas. Divers facteurs peuvent expliquer cette hausse des ●●● Professions Santé Infirmier Infirmière - No 23 - janvier-février 2001 37 Spécial RSTI ●●● hospitalisations sous contrainte. Michelle Livet cite la production et la gestion de la violence dans la société, un déficit de compétence clinique chez les soignants, y compris les médecins, des oppositions fortes entre la “culture” des infirmiers de secteur psychiatrique et les nouvelles IDE de soins généraux. « La société produit peut-être davantage de souffrance et de violence, dit-elle. Beaucoup croient que le médecin peut tout guérir. » Il suffirait alors d’une prise en charge médicale forcée, en psychiatrie, des personnes dont les attitudes semblent bizarres ou dérangeantes pour régler le problème. Les équipes de secteur psychiatrique peuvent travailler dans des domaines plus larges que celui des pathologies psychiatriques de leurs malades habituels. Mais cela revient à recevoir davantage de personnes, avec des moyens, notamment des effectifs, qui diminuent souvent. « Si l’équipe d’un secteur n’est pas assez développée, elle devra, paradoxalement, faire appel à la contrainte pour améliorer sa relation avec le patient », poursuit Michelle Livet. Or, il ne doit pas s’agir de gérer un éventail de difficultés plus large avec une palette clinique plus limitée. « L’actuelle réorganisation de la psychiatrie conduit pourtant les équipes au repli sur soi, dit-elle. Ses effets négatifs se traduisent par l’essor de la pratique de la mise en chambre d’isolement des patients, dont on ne sait pas toujours si elle vise à les soigner ou à protéger le soignant. » Diagnostic, aiguillages et “voies de garage” « Par ailleurs, chez une nouvelle population de psychiatres, aux urgences psychiatriques notamment, l’indication d’hospitalisation à la demande d’un tiers est posée très tôt, ajoute Michelle Livet. Cette orientation est prise d’emblée, avant même que le patient ne parvienne à l’hôpital concerné. Le patient arrive aux urgences psychiatriques. Très vite, l’urgentiste décrète qu’il sera difficile de travailler avec lui. Il recommande alors l’hospitalisation sous contrainte. Or, trop utiliser ce procédé conduit à une perte de l’efficacité clinique. » On observe la même chose aux urgences des hôpitaux généraux : si le patient se conduit de manière un peu différente, il est vite étiqueté psychotique suicidaire. « Ce qui est de plus en plus terrible, c’est l’insuffisance des services “porte”, permettant de garder en observation 24 heures, au sein des services d’accueil d’urgence ou SAU, explique Dominique Friard, infirmier de secteur psychiatrique. Ils fonctionnent comme des filtres. Or, celui qui accueille n’est pas celui qui soignera. La tentation est d’autant plus grande, pour le soignant ayant cette seule fonction 38 d’aiguillage, de ne traiter qu’une urgence et non le patient. C’est d’autant plus préjudiciable qu’il n’est pas rare qu’un patient, quinze ans après sa première crise ayant entraîné une hospitalisation, raconte de façon très précise l’entretien ayant constitué l’acte fondateur du suivi. Ce que le soignant dit au moment d’une forte crise et des décisions qui sont prises reste crucial pour l’avenir du patient. » Dérives « Ce qui est tout de même étonnant, en cette ère d’évaluation, c’est qu’il soit impossible de connaître les chiffres annuels récents des hospitalisations sous contrainte », s’étonne Dominique Friard. On ne connaît que les chiffres de leur essor, de 1980 à 1997. On ne sait rien ensuite, bien que leur nombre soit recensé par les Comités départementaux de l’hospitalisation psychiatrique (CDHP). « En psychiatrie, nous constatons toutefois que l’on procède davantage à des hospitalisations à la demande d’un tiers, dit Michelle Livet. Ces demandes émanent en particulier des hôpitaux généraux et de leurs services d’urgences. » L’application de la loi de 1990 subit une dérive : la personnalité du “tiers” dans l’hospitalisation à la demande d’un tiers. Ce devait être un proche “susceptible d’agir dans l’intérêt du malade”. « Or, c’est souvent une assistante sociale qui va rédiger la lettre du tiers », constate Alexandra Véluire. C’est une interprétation un peu cavalière du texte. « De même, un deuxième certificat était prévu pour invalider le premier en cas d’abus. Or, il est très rare qu’un médecin en contredise un autre. » Malheureusement, une hospitalisation trop rapide et forcée semble aboutir à trop isoler le patient. On connaît pourtant d’autres approches. « Il est possible de travailler avec le patient de psychiatrie sur sa capacité de reconnaître ses propres symptômes et sur l’apprentissage de ce qu’il doit faire alors, dit Michelle Livet. C’est justement ce type d’approche qui permet de réduire le nombre des hospitalisations, aussi bien libres que sous contrainte. » Professions Santé Infirmier Infirmière - No 23 - janvier-février 2001 M.B. Les conférences des RSTI ont été suivies par Ludmila Couturier, Andrée-Lucie Pissondes, Marc Blin, Stéphane Henri. Reportage photo :