L’arthrose piso-triquétrale et ses diagnostics différentiels M

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P O I N T
L’arthrose piso-triquétrale
et ses diagnostics différentiels
Pisotriquetral osteoarthritis
! A. Saraux*, D. Le Nen**
P o i n t s
f o r t s
" Le diagnostic d’une pathologie piso-triqué-
trale est clinique et repose sur la description
spontanée par le patient d’une douleur de la
région ulnaire du poignet, parfois augmentée
par la flexion palmaire et l’inclinaison ulnaire.
" La symptomatologie peut être déclenchée par
les manœuvres suivantes :
– la pression ou la percussion du pisiforme,
– le rabot,
– la flexion du poignet en inclinaison ulnaire
contrariée,
– le test contre-résistance,
– le test d’appréhension.
" Le diagnostic ne peut être confirmé que par
l’imagerie. L’exploration de l’interligne piso-triquétral est surtout obtenue par deux types
d’incidence :
– le cliché en profil à 30 ou 40° de supination de
l’avant-bras dégage parfaitement le pisiforme
et l’articulation piso-triquétrale (figures 1 et 2,
p. 28-29) ;
– l’incidence axiale du canal carpien objective
aussi de façon satisfaisante l’articulation pisotriquétrale, mais sa réalisation est plus difficile.
" Le traitement médical de l’arthrose piso-triquétrale peut faire appel à l’immobilisation
dans une orthèse en légère flexion palmaire,
aux anti-inflammatoires non stéroïdiens, et aux
injections locales de corticoïdes. L’efficacité
n’est cependant pas spectaculaire à long terme.
.../...
* Service de rhumatologie et ** service d’orthopédie, CHU de la CavaleBlanche, 29609 Brest Cedex.
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.../...
Sur le plan chirurgical, la pisiformectomie
semble représenter le meilleur traitement en
cas d’échec du traitement conservateur.
Mots-clés : Arthrose piso-triquétrale - Arthrose
du poignet.
Keywords : Pisotriquetral - Osteoarthritis.
L’ARTHROSE DU POIGNET
Parmi les sièges classiques de pathologies dégénératives de la
main et du poignet, on compte l’arthrose des interphalangiennes proximales et distales, l’arthrose des métacarpophalangiennes des doigts longs et du pouce, la rhizarthrose et l’arthrose péri-trapézienne, l’arthrose scapho-trapézo-trapézoïdienne
et l’arthrose du poignet. Cette dernière est habituellement
secondaire, qu’il s’agisse d’une séquelle traumatique (instabilité scapho-lunaire ou triquétro-lunaire, cal vicieux d’une
fracture du radius, pseudarthrose du scaphoïde), d’une maladie inflammatoire ou métabolique, ou d’une ostéonécrose
(notamment du semi-lunaire).
À coté de ces affections largement décrites dans les ouvrages
de rhumatologie, un cadre étiologique est longtemps resté
méconnu malgré sa relative fréquence : l’arthrose piso-pyramidale ou piso-triquétrale.
PLACE DE LA PATHOLOGIE PISOTRIQUÉTRALE PARMI LES DOULEURS
ULNAIRES DU POIGNET (1)
Comme la plupart des autres articulations, l’articulation pisotriquétrale peut être le siège d’une pathologie douloureuse.
Elle est alors volontiers source d’errances diagnostiques, les
La Lettre du Rhumatologue - n° 290 - mars 2003
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symptômes étant rapportés à d’autres articulations de voisinage. Le patient peut faire l’objet d’examens peu contributifs
ou orientant à tort vers une pathologie autre qui peut lui être
associée.
Syndrome d’hyperpression interne du carpe ou conflit
ulno-carpien
Habituellement secondaire à un index radio-ulnaire positif,
ces douleurs du carrefour radio-ulnaire distal sont augmentées
en inclinaison ulnaire du poignet en prono-supination et par
les manipulations de la région ulno-triquétrale.
Diagnostic de la pathologie piso-triquétrale
Lésion luno-triquétrale
La douleur siège au niveau de l’interligne luno-triquétral et
augmente lors de la torsion du carpe. Le ballottement lunotriquétral (ou test de Reagan) est souvent présent, avec un ressaut douloureux lorsque la rupture luno-triquétrale est importante. On peut de même observer un ressaut ou un claquement
dans les mouvements d’inclinaison frontale ou lors du passage
de la flexion à l’extension.
Le diagnostic d’une pathologie piso-triquétrale est clinique et
repose sur la description spontanée par le patient d’une douleur de la région ulnaire du poignet, parfois augmentée par la
flexion palmaire et l’inclinaison ulnaire. Les accidents de blocage du poignet en flexion palmaire peuvent être retrouvés
lorsque des corps étrangers intra-articulaires sont associés.
La symptomatologie peut être déclenchée par les manœuvres
suivantes :
– la pression ou la percussion du pisiforme ;
– le rabot (aussi appelé grind test de Seradge), qui est responsable de craquements et de douleurs ;
– la flexion du poignet en inclinaison ulnaire contrariée ;
– le test contre-résistance : l’examinateur empêche la migration proximale du pisiforme lorsque le patient passe de la position d’extension à la position de flexion ;
– le test d’appréhension : l’examinateur déplace le pisiforme
du côté ulnaire, le poignet est en position neutre ou en légère
extension ; le patient demande à arrêter le test en cas de pathologie piso-triquétrale ;
– enfin, l’infiltration de Xylocaïne® peut avoir un intérêt diagnostique.
Diagnostics différentiels
Les douleurs du bord ulnaire du poignet sont des motifs réguliers de consultation de rhumatologie ou d’orthopédie. La proximité de différentes structures anatomiques (extrémité ulnaire
distale, triquétrum, pisiforme) explique la difficulté d’un diagnostic clinique. En dehors des pathologie piso-triquétrales, on
peut retrouver les pathologies énumérées ci-après.
Pathologie du carrefour radio-ulnaire distal
Ce sont les lésions de l’articulation radio-ulnaire distale et du
ligament triangulaire et ulno-carpien qui sont responsables des
douleurs du carrefour radio-ulnaire distal. Les principaux
signes pour s’orienter vers cette étiologie sont :
– la recherche d’un piston antéro-postérieur douloureux (test
du ballottement) ;
– la pression latérale associée à des mouvements de pronosupination en déviation radiale ;
– la saillie postérieure de la tête ulnaire visible en pronation
et réduite en supination (lorsqu’il existe une luxation dorsale
de la tête ulnaire) ;
– la limitation douloureuse de la prono-supination.
D’autres tests sont plus spécifiquement orientés vers une lésion
du ligament triangulaire (notamment claquement et ressaut
douloureux dans les mouvements de prono-supination).
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Traumatisme de l’apophyse unciforme
La pression directe sur l’apophyse unciforme est douloureuse
lorsqu’il existe une fracture ou une pseudarthrose de cette articulation.
Pathologie tendineuse
Une luxation de l’extenseur ulnaire du carpe (qui s’accompagne volontiers d’un ressaut douloureux au niveau du tendon
de l’extenseur ulnaire du carpe), une tendinite ou une synovite de l’extenseur ulnaire du carpe et, enfin, une tendinite du
fléchisseur ulnaire du carpe (la portion distale du fléchisseur
ulnaire du carpe est alors sensible) peuvent aussi constituer
les diagnostics différentiels classiques de la pathologie pisotriquétrale.
Les fractures du pisiforme, qu’elles soient traumatiques
ou de contrainte
Les arrachements de l’insertion du fléchisseur ulnaire du
carpe
La difficulté du diagnostic différentiel avec ces différentes
pathologies tient au fait que ces lésions peuvent être associées
à la pathologie piso-triquétrale.
Étiologies de la pathologie piso-triquétrale
Sur un groupe de 26 patients souffrant d’une douleur de l’articulation piso-triquétrale, nous avons pu distinguer quatre
groupes, selon que les patients présentaient :
– une arthropathie dégénérative d’apparence primitive (sans
antécédent traumatique, avec un aspect d’arthrose sur les examens d’imagerie) ;
– une arthropathie secondaire, traumatique ou microtraumatique (soit avec anomalie radiologique secondaire à une fracture ou une luxation, soit arthropathie sans anomalie radiographique mais avec une notion traumatique ou microtraumatique
retrouvée) ;
– une douleur après neurolyse du nerf médian (par instabilité
axiale conséquence de l’ouverture du retinaculum des fléchisseurs) ;
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– une pathologie piso-triquétrale secondaire à la présence de
corps étrangers.
Ce sont essentiellement les patients des deux premiers groupes,
de loin les plus importants en nombre, qui sont porteurs d’une
arthrose piso-triquétrale.
L’ARTHROSE PISO-TRIQUÉTRALE (2, 3)
# de la souffrance du nerf ulnaire, surtout en cas de fracture
ou de subluxation du pisiforme, et plus rarement lors d’arthrose primitive ;
# de lésions arthrosiques de l’articulation radio-ulnaire distale, les facteurs de risque pouvant être pour part les mêmes,
et les pathologies radio-ulnaires distales post-traumatiques
(lésion du ligament triangulaire, conflit ulno-carpien, instabilité radio-ulnaire distale et instabilité du tendon de l’extenseur
ulnaire du carpe) pouvant toucher le sujet même jeune ayant
des antécédents traumatiques.
Diagnostic
Devant une douleur de la région ulnaire du carpe, après confirmation du siège piso-triquétral de l’atteinte et l’exclusion des
principaux diagnostics différentiels, le diagnostic est facilement évoqué.
Les facteurs de risque cités dans le chapitre des étiologies
(cf. infra) orientent le clinicien. Il est fréquent que le début soit
progressif, et l’évolution est souvent longue avant la première
consultation (plusieurs années dans notre expérience). L’horaire de la douleur peut être mécanique ou mixte. Elle est strictement localisée en regard de l’articulation piso-triquétrale ou
irradie vers les derniers doigts de la main. L’examen objectif,
en dehors des signes d’atteinte de l’articulation piso-triquétrale, peut parfois retrouver un discret gonflement en regard
de l’articulation. La mobilité du poignet n’est habituellement
pas limitée.
Le diagnostic ne peut être confirmé que par l’imagerie.
Examens complémentaires
Radiographies. Les classiques radiographies de face et de
profil du poignet ne montrent pas l’articulation piso-triquétrale. On peut parfois observer des ostéophytes du pisiforme
de face (figure 1), orientant néanmoins vers le diagnostic.
L’exploration de l’interligne piso-triquétral est surtout obtenue par deux types d’incidence :
# Le cliché en profil à 30 ou 40° de supination de l’avant-bras
dégage parfaitement le pisiforme et l’articulation piso-triquétrale (figure 2). Une radiographie de trois quarts du poignet
peut dégager de la même façon l’articulation piso-triquétrale.
Étiologies de l’arthrose piso-triquétrale
L’arthrose piso-triquétrale est volontiers primitive, survenant
alors chez des patients d’âge mûr, sans notion traumatique, de
façon bilatérale, le plus souvent sur un terrain arthrosique
(interphalangiennes proximales, interphalangiennes distales,
péritrapéziennes).
Néanmoins, des arthropathies secondaires à une pathologie
microtraumatique ou, plus rarement, réellement traumatique
peuvent être observées. Les gestes le plus souvent incriminés
se retrouvent chez des patients ayant pour activité de tordre,
couper ou tailler, voire soulever de manière répétitive des objets
ou utiliser l’éminence hypothénar comme un marteau. Le traumatisme direct peut en être responsable lors d’accident de la
voie publique, de chute au sol sur le poignet en hyperextension, soit par le biais d’une fracture du pisiforme, exceptionnelle, soit, plus souvent, du fait d’une fracture du triquétrum.
La responsabilité d’une instabilité du pisiforme a été évoquée,
mais il s’agit d’une notion très subjective, car la définition de
la luxation n’est pas établie aujourd’hui. Il existe une grande
variabilité d’un individu à l’autre.
Pathologies associées
D’autres pathologies sont volontiers associées à la pathologie
piso-triquétrale, et peuvent parfois dérouter lorsqu’elles dominent le tableau clinique. Il s’agit notamment :
28
Figure 1.
La Lettre du Rhumatologue - n° 290 - mars 2003
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Figure 2.
# L’incidence axiale du canal carpien objective aussi de façon
satisfaisante l’articulation piso-triquétrale, mais sa réalisation
est plus difficile.
Scintigraphie osseuse. Elle n’est habituellement pas réalisée
dans l’indication de l’exploration piso-triquétrale, mais une
hyperfixation localisée a été observée de façon très significative chez les patients que nous avons vus pour cette affection
et qui avaient bénéficié d’un tel examen dans un cadre
d’errance diagnostique.
Tomodensitométrie. C’est l’examen le plus performant, mais
il n’est pas nécessaire au diagnostic lorsque les radiographies
sont “parlantes”. Il permet d’affirmer le diagnostic d’arthrose
et d’analyser toutes les lésions (ostéophytes, pincement, corps
étranger).
Traitement
Le traitement médical de l’arthrose piso-triquétrale peut faire
appel à l’immobilisation dans une orthèse en légère flexion
palmaire, aux anti-inflammatoires non stéroïdiens et aux injections locales de corticoïdes. Ces dernières sont réalisées sans
scopie, après repérage manuel de l’interligne. L’efficacité n’est
cependant pas spectaculaire à long terme.
Sur le plan chirurgical, la pisiformectomie semble représenter le meilleur traitement en cas d’échec du traitement conservateur.
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Lors de consultations médico-chirurgicales, nous avions été
frappés par la chronicité de cette arthrose piso-triquétrale chez
les patients traités médicalement, ce qui nous avait conduits à
recontacter tous les patients que nous avions vus entre le 1er janvier 1993 et le 1er février 1995. Tous ont été examinés par un
observateur neutre en février 1996 afin de juger de l’évolution
selon qu’ils avaient bénéficié ou non d’une pisiformectomie
(2). Sur 7 patients, 8 arthroses piso-triquétrales avaient été
identifiées, 4 n’ayant été traitées que médicalement, et 4 ayant
été opérées. Le geste chirurgical était une pisiformectomie
dans tous les cas, réalisée par le même opérateur. Malgré la
petite taille de la population étudiée, tous les patients du groupe
opéré étaient asymptomatiques, tandis qu’aucun des patients
du groupe non opéré n’était guéri.
Pour évaluer le résultat de la pisiformectomie, nous avons eu
en outre l’occasion de faire une étude rétrospective des résultats cliniques et fonctionnels de 15 patients ayant bénéficié
d’une pisiformectomie à Brest ou à Nantes (3). Après un recul
moyen de 31,5 mois (extrêmes 6-84 mois), le résultat était jugé
excellent douze fois, bon deux fois, et moyen dans un cas. La
douleur résiduelle évaluée analogiquement était de 0,8 ± 0,3
(0-4,5) en postopératoire, alors qu’elle était cotée à 6,4 ± 4
(2,5-8) en préopératoire.
Si cette série est de faible taille, elle semble corroborer les
données de la littérature, et paraît donc constituer une alternative raisonnable de l’échec du traitement médical.
L’intervention alternative qui pourrait être envisagée est l’arthrodèse de l’articulation piso-triquétrale, qui ne comporte toutefois pas plus d’avantages, mais certainement plus d’inconvénients (risque de pseudarthrodèse, saillie du matériel au
niveau d’un os sous-cutané, incapacité prolongée).
"
Bibliographie
1. Le Nen D, Saraux A, Dubrana F, Lefèvre C. Pathologie de l’articulation pisotriquétrale. Démembrement à propos de 26 cas. Ann Orthop Ouest 2000 ; 32 :
129-34.
2. Le Nen D, Saraux A, Yaacoub C, Hu W, Le Goff P, Lefevre C. Arthrose de l’articulation piso-triquétrale : une entité méconnue. À propos de 8 observations.
Rev Rhum [ed. fr], 1997 ; 64 : 460-5.
3. Alexandre P, Le Nen D, Saraux A, Chaise F. Traitement des douleurs piso-triquétrales par exérèse du pisiforme : à propos de 15 cas. Soumis pour publication.
2. L’imagerie de l’arthrose piso-triquétrale peut comporter :
a. le cliché en profil à 30 ou 40° de supination de l’avantbras
b. le cliché en profil à 30 ou 40° de pronation de l’avantbras
c. le cliché en profil à 60 ou 80° de supination de l’avantbras
d. l’incidence axiale du canal carpien
e. un scanner du poignet
1. a, b, c, d ; 2. a, d, e.
1. Le diagnostic clinique d’une pathologie piso-triquétrale repose sur :
a. la description spontanée par le patient d’une douleur
de la région ulnaire du poignet
b. l’augmentation de la douleur par la flexion palmaire et
l’inclinaison ulnaire
c. la positivité du rabot piso-triquétral
d. la douleur à la pression ou à la percussion du pisiforme
e. la positivité du test de Reagan
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