MISE AU POINT Prise en charge thérapeutique des hémorragies cérébrales spontanées : ce qui change, ce qui ne change pas… Management of intracerebral hemorrhage: where are we now? C. Guidoux* L’ hémorragie intracérébrale (HIC) spontanée est une pathologie grave dont la morbi­ mortalité reste élevée (plus de la moitié des patients décèdent la première année). Son incidence mondiale a augmenté depuis les années 1990, même si elle a diminué en Europe (1). Le diagnostic précoce par imagerie cérébrale ainsi que la prise en charge thérapeutique, notamment au cours des premières heures, sont donc des enjeux majeurs. Les recommandations européennes (2) et américaines (3), fondées sur les résultats de larges études récentes, ont été réactualisées, modifiant nos pratiques sur certains points. L’objectif de cet article est de connaître les modalités thérapeutiques visant à améliorer le pronostic de ces patients. Les premières heures… L’admission en unité neurovasculaire (UNV) a montré un bénéfice en termes de morbimortalité chez les patients ayant une HIC (4), comparativement à des services traditionnels. Leur intérêt est notamment d’assurer la surveillance neurologique et la mise en place des traitements de la phase aiguë, et de prévenir les complications pouvant survenir au décours de l’agression cérébrale (pneumopathie d’inhalation, thrombose veineuse profonde, embolie pulmonaire, infections). Ce qui change : baisser la pression artérielle ? Concernant la pression artérielle, les données de la littérature de ces dernières années ont fait changer le dogme consistant à “respecter” l’hypertension artérielle en phase aiguë d’une HIC. Tout d’abord, des études observationnelles et d’autres fondées sur l’imagerie cérébrale ont montré que le traitement de l’hypertension artérielle en phase aiguë d’une HIC n’était pas délétère sur la perfusion cérébrale et en termes de mortalité. L’étude internationale prospective INTERACT II (Intensive Blood Pres­ sure Reduction in Acute Cerebral Hemorrhage) [5], randomisée et multicentrique, a été réalisée chez 2 839 patients dans les 6 heures suivant la survenue de l’HIC (les patients ayant eu une hémorragie massive ou étant dans le coma étaient exclus). Elle visait à comparer une prise en charge conventionnelle (traitement d’une pression artérielle systolique [PAS] supérieure à 180 mmHg, en lien avec les recommandations en vigueur à ce moment-là) avec un traitement intensif visant une PAS inférieure à 140 mmHg dans l’heure suivant la randomisation du patient. Le critère principal (mortalité ou handicap sévère) n’a pas été atteint (OR = 0,87 ; IC 95 : 0,75-1,01 ; p = 0,06), mais l’analyse des critères secondaires a montré un bénéfice du traitement agressif sur des paramètres de handicap fonctionnel et de qualité de vie. Des analyses post hoc ont par ailleurs montré une association linéaire et significative entre les variations tensionnelles et le devenir fonctionnel ainsi qu’une meilleure récupération neurologique chez les patients ayant la diminution la plus nette de la PAS au cours de la première heure. Les recommandations (européennes et américaines) vont donc désormais dans le sens, chez des patients dont la PAS initiale est comprise entre 150 et 220 mmHg, de l’instauration d’un traitement antihyper­tenseur afin d’obtenir * Centre d’accueil et de traitement de l’attaque cérébrale, service de neurologie, hôpital Bichat-­­ClaudeBernard, Paris. La Lettre du Neurologue • Vol. XXI - n° 4 - avril 2017 | 85 Points forts Mots-clés AVC Hémorragie cérébrale Recommandations Hypertension Traitement Highlights »» Spontaneous intracerebral hemorrhage (ICH) is associated with high mortality and morbidity throughout the world. »» Recent randomized clinical trials have reported that early intensive blood pressure reduction can be a safe and feasible strategy. »» Urgent measures are needed to reverse the effects of vitamin K antagonists and non-vitamin K antagonist oral anticoagulants for patients with ICH. »» Intermittent pneumatic compression reduces the occurrence of proximal deep vein thrombosis. »» The beneficial effects of surgical management of supratentorial ICH should be restricted in specific situations. Keywords Stroke Intracerebral hemorrhage Guidelines Hypertension Therapeutics »» L’hémorragie intracérébrale (HIC) spontanée est une pathologie grave dont la morbimortalité reste élevée. »» Des études récentes ont montré que la baisse de la pression artérielle était réalisable, bien tolérée et probablement efficace en termes de pronostic fonctionnel. »» Si le patient est sous anticoagulation curative lors de la survenue de l’HIC, l’antagonisation doit être effectuée en urgence. »» La compression pneumatique intermittente doit être mise en place le plus précocement possible pour prévenir la survenue des thromboses veineuses profondes. »» L’évacuation chirurgicale des HIC sus-tentorielles n’est pas indiquée, et la place d’une chirurgie moins invasive reste à être démontrée. une PAS inférieure à 140 mmHg dans l’heure qui suit l’arrivée à l’hôpital. La Société française neurovasculaire (SFNV) a émis en mars 2015 (6) des préconisations sur ce sujet. Les traitements antihypertenseurs qui semblent être les plus facilement utilisables dans cette indication sont l’urapidil et la nicardipine par voie intraveineuse (dans les études ci-dessus, la molécule utilisée était au libre choix du prescripteur). En 2016, les résultats de l’étude ATACH II (Anti­ hypertensive Treatment of Acute Cerebral Hemor­ rhage) [7] ont été publiés. Mille patients souffrant d’une HIC ont été randomisés et ont reçu soit un traitement “standard” avec un objectif de PAS entre 140 et 179 mmHg, soit un traitement plus intensif avec un objectif de PAS entre 110 et 139 mmHg. Le traitement (nicardipine) devait être instauré dans les 4 heures 30 après la survenue de l’HIC. Le critère principal était le décès ou le handicap sévère à 3 mois. Il n’a pas été mis en évidence de différence statistiquement significative entre les 2 groupes. Les effets indésirables survenant dans les 72 heures étaient les mêmes entre les 2 groupes. En pratique, l’un des points essentiels de ces études a été de montrer que la baisse de la pression artérielle en phase aiguë de l’HIC est réalisable, bien tolérée et probablement efficace en termes de pronostic fonctionnel. Hémorragie intracérébrale et hémostase Il est important de déterminer si le patient présente un trouble de la coagulation dans le cadre de la prise ou non d’un traitement anticoagulant (anti­ vitamine K [AVK], héparine de bas poids moléculaire [HBPM] ou anticoagulant oral direct [AOD]), afin d’adapter la prise en charge. Cette donnée est parfois difficile à recueillir, en particulier chez les patients aphasiques ou ayant des troubles de la vigilance. Le bilan biologique, réalisé en urgence, doit comporter une NFS-plaquettes, les paramètres de l’hémo­stase (taux de prothrombine-International Normalized Ratio [TP-INR], temps de céphaline activée [TCA], 86 | La Lettre du Neurologue • Vol. XXI - n° 4 - avril 2017 temps de thrombine, anti-Xa, héparinémie) ainsi qu’une évaluation de la fonction rénale. Chez les patients sous AOD, un dosage spécifique de l’anticoagulant peut être effectué. Pour les patients traités par héparine ou AVK, le traitement en urgence repose sur l’antagonisation selon les recommandations de la Haute Autorité de santé (vitamine K-PPSB [facteurs prothrombine, proconvertine, Stuart et antihémophilique B] pour les AVK) [8]. Ce qui change : les patients sous AOD L’émergence des AOD implique de connaître les modalités de prise en charge chez les patients prenant ces traitements et ayant une HIC. Chez ces sujets, il est également nécessaire de neutraliser l’effet anticoagulant en urgence. Pour le dabigatran, l’idarucizumab est l’antidote spécifique et permet la réversion rapide et complète de l’effet anticoagulant (étude REVERSE-AD) [9]. L’andexanet alfa, qui n’est pas commercialisé, a montré son efficacité biologique sur la réversion des “-xabans” chez des volontaires sains et chez des patients ayant une hémorragie majeure (10). Il serait donc un traitement envisageable, à l’avenir, chez les patients traités par rivaroxaban ou apixaban. Actuellement, chez ces sujets, le traitement repose sur l’administration de concentrés de complexe prothrombinique (CCP) activé ou non (préconisation SFNV, juin 2016) [11]. D’une manière plus générale, il avait été montré que le facteur VII recombinant n’avait pas d’indication en phase aiguë d’une HIC. Concernant la transfusion de plaquettes (chez les patients sous antiagrégants plaquettaires au moment de l’HIC), 2 études sont actuellement en cours et leur utilisation, pour le moment, reste à démontrer en phase aiguë d’une HIC. Et la chirurgie ? Il n’y a pas d’indication à l’évacuation chirurgicale d’une HIC supratentorielle sauf situations exceptionnelles. Plusieurs études suggèrent cependant l’intérêt de techniques chirurgicales moins inva- MISE AU POINT sives (comme l’aspiration par exemple). L’étude multicentrique prospective randomisée MISTIE II (Minimally Invasive Surgery Plus Recombinant Tissue-Type Plasminogen Activator for ICH Evacua­ tion Trial) [12] a montré une réduction de la taille de l’hématome et de l’œdème dans le groupe chirurgical (79 patients) comparativement aux sujets qui n’ont pas été opérés. L’étude randomisée de phase III − MISTIE III − est en cours. Actuellement, l’évacuation chirurgicale des HIC sus-tentorielles n’est donc pas recommandée, en dehors de situations extrêmes (“sauvetage”). L’hémicrâniectomie décompressive (avec ou sans évacuation associée de l’hématome) peut être une option thérapeutique proposée aux patients présentant des troubles de la vigilance et un hématome supratentoriel avec un effet de masse important. Concernant les hémorragies cérébelleuses, la chirurgie est indiquée en urgence dès lors qu’il y a une aggravation neurologique, une compression du tronc cérébral ou une hydrocéphalie. Prise en charge des complications Les complications survenant après une HIC sont les thromboses veineuses profondes, les embolies pulmonaires, la pneumopathie d’inhalation, la détresse respiratoire, les infections et le sepsis. Ce qui change : la prévention des complications thromboemboliques L’une des principales mesures de prévention consiste à éviter la survenue des thromboses veineuses profondes. Plusieurs études (CLOTS 1, 2 et 3) [13] ont montré qu’il n’y avait pas d’intérêt à mettre en place des chaussettes/bas de contention, mais que la compression pneumatique intermittente était efficace pour prévenir les thromboses veineuses profondes. Celle-ci doit être mise en place le plus précocement possible. Par ailleurs, la question est, chez ces patients, de déterminer la “meilleure fenêtre” pour instaurer l’anticoagulation préventive. Les recommandations américaines (3) préconisent de l’instaurer entre le premier et le quatrième jour au décours de l’HIC après avoir objectivé l’arrêt du saignement intra­ crânien. En pratique, la compression pneumatique intermittente doit être instaurée dès l’admission du patient et l’anticoagulation préventive est habituellement débutée, selon l’évolution clinique et radiologique, dans les 24 à 48 premières heures. En cas de thrombose veineuse profonde et/ou d’embolie pulmonaire documentée, une anticoagulation curative ou la mise en place d’un filtre cave sera discutée selon le délai entre la survenue de l’HIC et de la complication thrombotique, la taille et la stabilité de l’HIC, sa localisation (lobaire/profonde) et la possibilité d’envisager l’ablation du filtre cave dans un second temps. Autres complications fréquentes Les troubles de la déglutition constituent les principaux facteurs de risque d’une pneumopathie d’inhalation. Il est donc essentiel d’évaluer la déglutition avant d’instaurer les traitements per os afin de prévenir la survenue d’une pneumopathie. La survenue de crises comitiales précoces chez les patients ayant une HIC est élevée (14). Il n’y a pas lieu d’instaurer de manière systématique (traitement prophylactique) une thérapeutique anticomitiale. Cependant, celle-ci est recommandée (3) en cas de survenue d’au moins une crise comitiale ou d’anomalies électriques sur l’électroencéphalogramme (EEG) chez les patients présentant des troubles de la vigilance. Les autres complications chez les patients hospitalisés pour une HIC peuvent être d’une manière générale : un infarctus du myocarde, une défaillance cardiaque, des arythmies ventriculaires, un arrêt cardiaque, une insuffisance rénale, une hypo­ natrémie, une hémorragie digestive et une dépression. Concernant les complications cardiologiques, il paraît raisonnable de réaliser un électrocardiogramme et un dosage des enzymes cardiaques chez ces patients (3). Limiter l’aggravation, rééduquer le handicap Les mesures médicales habituelles de lutte contre l’œdème cérébral proposées sont la position proclive à 30°, l’utilisation d’un traitement anti-œdémateux (mannitol, sérum salé hypertonique), l’hyper­ ventilation et la sédation. La corticothérapie n’a pas d’indication pour le traitement de l’hypertension intracrânienne. La Lettre du Neurologue • Vol. XXI - n° 4 - avril 2017 | 87 MISE AU POINT C. Guidoux déclare avoir des liens d’intérêts avec Bayer HealthCare et AstraZeneca. Prise en charge thérapeutique des hémorragies cérébrales spontanées : ce qui change, ce qui ne change pas… La glycémie doit être monitorée. L’hypo- et l’hyper­ glycémie doivent être évitées (sans qu’il ne soit préconisé de protocole spécifique). Par ailleurs, l’hyperthermie est un facteur de mauvais pronostic chez les patients ayant une HIC. L’instauration d’un traitement antipyrétique n’a pas démontré son efficacité chez ces sujets mais il paraît raisonnable de maintenir une normothermie en cas d’HIC. D’autre part, l’hypothermie modérée chez des patients avec HIC pourrait prévenir l’augmentation de l’œdème cérébral (étude de 12 patients) [15], mais cela reste à être démontré chez un plus grand nombre de malades. La rééducation doit être instaurée dès que possible chez les patients admis pour HIC. Elle doit être adaptée au(x) déficit(s) présenté(s) par le patient. Conclusion Même si la prise en charge des HIC n’a pas connue d’avancées majeures en termes de survie ces dernières années, l’optimisation des traitements de phase aiguë semblerait permettre d’améliorer le pronostic fonctionnel de nos patients. L’enjeu est également de pouvoir agir au mieux en termes de prévention primaire (meilleure connaissance de la physiopathologie, équilibration optimale du traitement antihypertenseur, etc.) et d’adapter les mesures de prévention secondaire (par exemple de discuter la fermeture de l’auricule chez un patient en fibrillation auriculaire ayant un antécédent d’hémor­ ragie cérébrale). ■ Références bibliographiques 1. Feigin VL, Lawes CM, Bennett DA et al. Worldwide stroke incidence and early case fatality reported in 56 popula­ tion-based studies: a systematic review. Lancet Neurol 2009;8(4):355-69. 2. Steiner T, Al-Shahi Salman R, Beer R et al. European Stroke Organisation (ESO) guidelines for the management of spontaneous intracerebral hemorrhage. Int J Stroke 2014;9(7):840-55. 3. Hemphill JC, Greenberg SM, Anderson CS et al. Guidelines for the management of spontaneous intracerebral hemor­ rhage: a guideline for healthcare professionals from the American Heart Association/American Stroke Association. Stroke 2015;46(7):2032-60. 4. Diringer MN, Edwards DF. Admission to a neurologic/ neurosurgical intensive care unit is associated with reduced mortality rate after intracerebral hemorrhage. Crit Care Med 2001;29(3):635-40. 5. Anderson CS, Heeley E, Huang Y et al. Rapid blood-pres­ sure lowering in patients with acute intracerebral hemor­ rhage. N Engl J Med 2013;368(25):2355-65. 6. Préconisations de la SFNV. Pression artérielle à la phase aiguë des hémorragies intracérébrales. Préconisation pour sa gestion. Travail effectué sous la direction de J. Tardy et de C. Cordonnier, avec la participation de C. Stapf et Y. Béjôt, mai 2015. 7. Qureshi AI, Palesch YY, Barsan WG et al. Intensive blood-pressure lowering in patients with acute cerebral hemorrhage. N Engl J Med 2016;375(11):1033-43. 8. Prise en charge des surdosages en antivitamines K, des situations à risque hémorragique et des accidents hémorra­ giques chez les patients traités par antivitamines K en ville et en milieu hospitalier. Recommandations HAS, avril 2008. 9. Pollack CV, Reilly PA, Eikelboom J et al. Idarucizumab for dabigatran reversal. N Engl J Med 2015;373(6):511-20. 10. Connolly SJ, Milling TJ, Eikelboom JW et al. Andexanet alfa for acute major bleeding associated with factor Xa inhibitors. N Engl J Med 2016;375(12):1131-41. 11. Hémorragie intracérébrale sous anticoagulants oraux directs. Préconisations pour une prise en charge en urgence. Travail effectué en collaboration avec le GFHT (Groupe français d’études sur l’hémostase et la thrombose) sous la direction de L. Derex, avec la participation de P. Sié, C. Cordonnier, J.P. Neau, J.M. Olivot, S. Timsit, E. Touzé, mai 2014 réactualisé en juin 2016. 12. Mould WA, Carhuapoma JR, Muschelli J et al. Minimally invasive surgery plus recombinant tissue-type plasminogen activator for intracerebral hemorrhage evacuation decreases perihematomal edema. Stroke 2013;44(3):627-34. 13. Dennis M, Sandercock P, Reid J et al. Effectiveness of intermittent pneumatic compression in reduction of risk of deep vein thrombosis in patients who have had a stroke (CLOTS 3): a multicentre randomised controlled trial. Lancet 2013;382(9891):516-24. 14. Szaflarski JP, Rackley AY, Kleindorfer DO et al. Incidence of seizures in the acute phase of stroke: a population-based study. Epilepsia 2008;49(6):974-81. 15. Kollmar R, Staykov D, Dörfler A et al. Hypothermia reduces perihemorrhagic edema after intracerebral hemor­ rhage. Stroke 2010;41(8):1684-9. AVIS AUX LECTEURS Les revues Edimark sont publiées en toute indépendance et sous l’unique et entière responsabilité du directeur de la publication et du rédacteur en chef. Le comité de rédaction est composé d’une dizaine de praticiens (chercheurs, hospi­taliers, universitaires et libéraux), installés partout en France, qui représentent, dans leur diversité (lieu et mode d’exercice, domaine de prédilection, âge, etc.), la pluralité de la discipline. L’équipe se réunit 2 ou 3 fois par an pour débattre des sujets et des auteurs à publier. La qualité des textes est garantie par la sollicitation systématique d’une relecture scientifique en double aveugle, l’implication d’un service de rédaction/révision in situ et la validation des épreuves par les auteurs et les rédacteurs en chef. 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