MISE AU POINT Traitements antirhumatismaux chez des patients porteurs du virus de l’hépatite C ou de l’hépatite B Rheumatic treatment in patients with hepatitis B or hepatitis C S. Faure*, G.P. Pageaux* L es traitements antirhumatismaux sont largement utilisés lors de la prise en charge des arthropathies inflammatoires, notamment dans la polyarthrite rhumatoïde, et certains d’entre eux, du fait de leur potentiel immunosuppresseur, pourraient modifier l’évolution des hépatites chroniques liées aux virus B et C (VHB et VHC). Nous proposons ici une synthèse des données de la littérature concernant cette thématique, axée sur les 3 classes thérapeutiques les plus utilisées : corticostéroïdes, méthotrexate, anti-TNFα. Données récentes sur l’épidémiologie des hépatites virales B et C * Pôle digestif, hôpital Saint-Éloi, CHU de Montpellier. Ces données sont issues du rapport de l’Institut de veille sanitaire publié en 2006. En 2004, dans la population de France métropolitaine âgée de 18 à 80 ans, la prévalence des anticorps anti-VHC (sujets ayant été en contact avec le virus) est estimée à 0,84 %. La prévalence de l’infection chronique (ARN du VHC positif) est estimée à 0,53 %. En France, on estime à 250 000 le nombre de porteurs chroniques du VHC. Les facteurs associés de manière indépendante à la présence des anticorps anti-VHC sont l’usage de drogues par voie injectable ou nasale, les transfusions sanguines réalisées avant 1992, les tatouages, le fait d’être né dans un pays où la prévalence de l’infection à VHC est d’au moins 2,5 %, le statut de bénéficiaire de la CMU, un âge 24 | La Lettre du Rhumatologue • No 364 - septembre 2010 supérieur à 29 ans. Le taux de chronicité après infection aiguë par le VHC est estimé à 70 %. Il est établi qu’environ 20 % des patients atteints d’hépatite chronique C développeront une cirrhose dans un délai moyen de 20 ans. L’association de l’interféron pégylé à la ribavirine permet d’obtenir une réponse virologique soutenue chez 80 % des patients naïfs de génotype 2 ou 3 et chez 45 % des patients naïfs de génotype 1. La prévalence du portage de l’antigène (Ag) HBs est estimée à 0,65 %. La prévalence des anticorps anti-HBc (porteurs chroniques et porteurs occultes) est estimée à 7,3 %. Les facteurs associés de manière indépendante à la présence des anticorps anti-HBc sont l’usage de drogues par voie injectable, l’homosexualité, un niveau d’études inférieur au bac, des séjours prolongés en institution sanitaire, sociale ou psychiatrique, le fait d’être né dans un pays où la prévalence de l’infection à VHB est d’au moins 2 %, le statut de bénéficiaire de la CMU, un lieu de résidence dans le quart nord-est ou sud-est de la France ou en Île-de-France, le sexe masculin, un âge supérieur à 29 ans. Le taux de chronicité après infection aiguë par le VHB est estimé à 10 %. En cas d’hépatite chronique, le taux de progression annuel vers la cirrhose est de 2 à 10 %. Il est de 2 % pour le carcinome hépatocellulaire. Les analogues nucléosidiques (lamivudine, entécavir) et nucléotidiques (adéfovir, ténofovir) ont considérablement amélioré la prise en charge thérapeutique de l’­hépatite ­chronique B. Bien que la vaccination soit le traitement préventif de choix, le taux de couverture global tous âges confondus était de 22 % en 2002. Points forts »» L’histoire naturelle de l’hépatite chronique C peut être affectée par les situations d’immunodépression, mais il n’est pas démontré que la prescription temporaire d’un médicament influençant l’immunité aggrave l’atteinte hépatique ou modifie la charge virale du virus. Seuls les bolus de corticostéroïdes sont un facteur de risque avéré d’accélération de la fibrose. En cas de traitement par anti-TNF, sur la base de résultats préliminaires et limités, il ne semble pas y avoir d’aggravation de l’hépatite C, mais une surveillance stricte reste nécessaire. Une réactivation virale pourrait en revanche survenir sous rituximab. »» La recherche de marqueurs de l’infection chronique virale B (antigène HBs et anticorps anti-HBc, et, en cas de positivité de l’un d’entre eux, ADN du virus de l’hépatite B) doit être effectuée avant toute prescription de traitement immunosuppresseur, en raison du risque élevé de réactivation virale. Il n’existe pas de données épidémiologiques spécifiques concernant les patients porteurs d’affections rhumatologiques. Traitements antirhumatismaux et hépatite virale C L’histoire naturelle de l’hépatite chronique C peut être affectée par les situations d’immunodépression. Ainsi, la vitesse de progression de la fibrose hépatique est accélérée chez les patients co-infectés par le virus VIH et après transplantation d’organe. À l’inverse, il n’est pas démontré que la prescription temporaire d’un médicament influençant l’immunité aggrave l’atteinte hépatique ou modifie la charge virale du VHC. Corticostéroïdes Paradoxalement, il existe peu d’informations disponibles sur les corticostéroïdes. À doses modérées (≤ 1 ­mg/­kg/­j), leur utilisation en cures courtes est sans risque. Dans les autres modes d’utilisation, les données issues de la transplantation hépatique pour cirrhose virale C nous apportent quelques informations : les bolus de corticostéroïdes (500 ou 1 000 mg) sont un facteur de risque, car ils accélèrent la fibrose. Les conséquences de leur utilisation sur le long terme, quant à elles, ne sont pas claires. Méthotrexate Là encore, peu de données sont disponibles dans la littérature. En raison du potentiel fibrosant de ce médicament (1), le méthotrexate doit être utilisé avec précaution chez les patients VHC atteints d’une fibrose significative, c’est-à-dire de stade F2 et plus de la classification Métavir. Ainsi, une évaluation de la fibrose par biopsie hépatique ou tests non invasifs (fibrotest, fibromètre, FibroScan®) est requise avant la prescription de méthotrexate chez des patients atteints d’hépatite C. Aucune modification virologique chez ces patients n’a été décrite. Mots-clés Traitements immunosuppresseurs Pathologie rhumatismale Hépatite virale B Hépatite virale C Réactivation virale Keywords Anti-TNFα Sur la base des résultats préliminaires et limités publiés dans la littérature, il ne semble pas y avoir d’aggravation de l’hépatite C chez les patients VHC+ traités par anti-TNFα (2, 3). Cependant, nous manquons d’infor­mations sur l’évolution des transaminases et de la charge virale quantitative C pendant et après le traitement par anti-TNFα pour conclure quant à l’innocuité de ces médicaments dans cette situation (4). En outre, il faut encourager la réalisation de test non invasifs de fibrose avant et après le traitement pour réellement mesurer l’­impact de ces médicaments immunosuppresseurs sur l’histoire naturelle de l’hépatite C. Immunosuppressive treatment Rheumatic disease Hepatitis B Hepatitis C Viral reactivation Rituximab Les informations concernant le rituximab sont plus ambiguës. D’une part, en raison de son pouvoir de déplétion sur les lymphocytes B, il a été utilisé avec succès en association avec l’interféron pégylé et la ribavirine dans le cadre des cryoglobulinémies mixtes associées à l’hépatite C (5). D’autre part, des cas de “réactivation” virale C, sans que cette notion soit clairement définie, ont été décrits lors de son utilisation chez des patients atteints de lymphome (6). À notre connaissance, de telles situations n’ont pas été décrites dans les pathologies rhumatismales. Traitements antirhumatismaux et hépatite virale B L’histoire naturelle de l’hépatite chronique B comporte 4 phases en fonction du niveau de la charge virale : tolérance immunitaire, clairance immunitaire, portage inactif et négativation de l’Ag HBs, qui n’est pas synonyme de guérison. À l’occasion d’une immunosuppression, une réactivation virale peut conduire un patient en situation de portage inactif avec charge virale faible ou indétectable à une phase active de clairance immunitaire avec charge virale élevée (7). La réactivation virale peut entraîner, par hépatotoxicité directe, une production massive d’Ag HBs responsable d’hépatites aiguës sévères pouvant aggraver une hépatopathie sous-jacente. À l’inverse, La Lettre du Rhumatologue • No 364 - septembre 2010 | 25 MISE AU POINT SITE RÉSERVÉ AUX PROFESSIONNELS DE SANTÉ l’arrêt d’une immunosuppression induit une restauration immunitaire qui, au même titre que la réactivation virale au cours de l’immuno­suppression, peut être à l’origine d’hépatites fulminantes (8). Ces 2 événements en miroir ont ainsi les mêmes conséquences et peuvent être observés pendant ou à la fin de l’administration de traitements antirhumatismaux immunosuppresseurs, tels que les corticostéroïdes, le méthotrexate, les anticorps anti-TNFα ou le rituximab. La recherche de marqueurs d’infection chronique virale B (Ag HBs, anticorps [Ac] anti-HBc, et, en cas de positivité de l’un d’entre eux, ADN du VHB) doit être un préalable à toute prescription de ces traitements (9). Les malades Ag HBs négatif avec Ac anti-HBc positifs et ADN VHB indétectable qui reçoivent un traitement immunosuppresseur doivent être suivis de près avec dosage de l’ALAT et de l’ADN VHB et traités par un analogue ­nucléosidique/­nucléotidique dès la confirmation de la réactivation du VHB, avant l’élévation des ALAT (10). Les malades Ag HBs positif candidats à un traitement immunosuppresseur doivent avoir un dosage de l’ADN du VHB et recevoir un traitement préventif par analogue ­nucléosidique/­nucléotidique durant la thérapie et 12 mois après la fin de celle-ci (11). En cas de positivité de l’un des marqueurs d’infection chronique virale B (Ag HBs, Ac anti-HBc, ADN du VHB), une consultation avec un hépatologue est nécessaire afin de discuter de l’indication du traitement, de sa durée et du choix de l’analogue nucléosidique ou nucléotidique. Conclusion Il existe des différences importantes entre les porteurs du VHC et du VHB atteints de pathologies rhumatismales nécessitant un traitement immunosuppresseur. Une collaboration étroite entre rhumatologues et hépatologues est fortement conseillée. ■ Références bibliographiques 1. Toscano E, Cotta J, Robles M et al. [Hepatotoxicity induced by new immunosuppressants]. Gastroenterol Hepatol 2010;33(1):54-65. 2. Nathan DM, Angus PW, Gibson PR. Hepatitis B and C virus infections and antitumor necrosis factor-alpha therapy: guidelines for clinical approach. J Gastroenterol Hepatol 2006;21:1366-71. 3. Parke FA, Reveille JD. Anti-tumor necrosis factor agents for rheumatoid arthritis in the setting of chronic hepatitis C infection. Arthritis Rheum 2004;51:800-4. 4. Calabrese LH, Zein N, Vassilopoulos D. Safety of antitumour necrosis factor (antiTNF) therapy in patients with chronic viral infections: hepatitis C, ­hepatitis B, and HIV infection. Ann Rheum Dis 2004;63 (Suppl. 2):18-24. 5. Dammaco F, Tucci FA, Lauletta G et al. Pegylated interferon-alpha, ribavirin, and rituximab combined therapy of hepatitis C virus-related mixed cryoglobulinemia: a long-term study. Blood 2010;116(3):343-53. 6. Tsutsumi Y, Ichiki K, Shiratori S et al. Changes in hepatitis C virus antibody titer and viral RNA load in non-Hodgkin’s lymphoma patients after rituximab chemotherapy. Int J Lab Hematol 2009;31:468-70. 7. Thong BY, Koh ET, Chng HH, Chow WC. Outcomes of chronic hepatitis B infection in Oriental patients with rheumatic diseases. Ann Acad Med Singapore 2007;36:100-5. 8. Ito S, Nakazono K, Murasawa A et al. Development of fulminant hepatitis B (precore variant mutant type) after the discontinuation of low-dose methotrexate therapy in a rheumatoid arthritis patient. Arthritis Rheum 2001;44:339-42. 9. Calabrese LH, Zein NN, Vassilopoulos D. Hepatitis B virus (HBV) reactivation with immunosuppressive therapy in rheumatic diseases: assessment and preventive strategies. Ann Rheum Dis 2006;65:983-9. 10. Roux CH, Brocq O, Breuil V et al. Safety of anti-TNF-alpha therapy in rheumatoid arthritis and spondylarthropathies with concurrent B or C chronic hepatitis. Rheumatology 2006;45:1294-7. 11. [EASL clinical practice guidelines. Management of chronic hepatitis B]. Gastroenterol Clin Biol 2009;33:539-54. http://fracturesvertebrales.imagedumois.com Rendez-vous mensuel autour d’un cas clinique en rhumato-imagerie présenté et commenté par un expert Pour être informé par e-mail de la publication du cas clinique du mois, inscrivez-vous sur http://fracturesvertebrales.imagedumois.com Participation aux quiz didactiques, et accès illimité et gratuit à la banque des cas cliniques Avec le soutien institutionnel des Laboratoires