Feuerbach L opposition

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Cours Poncet – Philosophie – M. Cieniewicz
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L’opposition du divin et de l’humain est une opposition illusoire, elle n’est, autrement dit
rien d’autre que l’opposition entre l’essence humaine et l’individu humain, et par suite l’objet et le
contenu de la religion chrétienne sont eux aussi humains de part en part.
La religion, du moins la religion chrétienne, est le rapport de l’homme avec lui-même, ou
plus exactement avec son être, mais un rapport avec son être qui se présente comme un être autre
que lui. L’être divin n’est rien d’autre que l’être humain, ou plutôt, que l’être de l’homme,
débarrassé des bornes de l’homme individuel, c'est-à-dire réel et corporel, puis objectivé, c'est-àdire contemplé et adoré comme un être propre, mais autre que lui et distinct de lui : c’est pourquoi
toutes les déterminations de l’être divin sont des déterminations de l’être humain.[...]
Tu crois à l’amour comme à une propriété divine, parce que tu aimes toi-même, tu crois que
Dieu est un être sage et bon, parce que tu ne connais rien de meilleur en toi que la bonté et
l’intelligence, et tu crois que Dieu existe, qu’il est donc sujet ou être (ce qui existe est être, qu’on le
désigne ou détermine comme substance, comme personne, ou comme on voudra) parce que tu
existes toi-même, que tu es toi-même un être. [...]
Voici la seule différence qui sépare les qualités de Dieu et l’être de Dieu : c’est que l’être,
l’existence ne t’apparaissent pas comme un anthropomorphisme, car c’est ton propre mode d’être
qui constitue la nécessité que Dieu soit un existant et un être, tandis que ses propriétés au contraire
t’apparaissent, elles, comme des anthropomorphismes, car leur nécessité, la nécessité que Dieu soit
sage, bon, juste, etc., n’est pas une nécessité immédiate, identique à l’existence de l’homme, mais
une nécessité médiatisée par la conscience de soi de l’homme et par l’activité de la pensée. Je suis
un sujet et un être, j’existe, mais je peux être sage ou insensé, je peux être bon ou mauvais. Exister
c’est, dans la représentation humaine, le principe et le fondement, et la présupposition des prédicats.
L’homme peut bien, par conséquent, abandonner les prédicats : l’existence de Dieu sera pour lui une
vérité achevée, intouchable, absolument certaine et objective. Et pourtant cette différence n’est
qu’illusoire. La nécessité du sujet ne tient qu’à la nécessité du prédicat.
Ludwig FEUERBACH, L'essence du christianisme, 1841.
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