LANGUES NATIONALES ET CULTURE DEMOCRATIQUE DANS LES MEDIAS A KISANGANI Par Cécile LOSOLO Bouwekama Assistante à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines INTRODUCTION Les médias Congolais connaissent bien des problèmes quant à leur mode de gestion, qu’à celui de programmation et d’intervention dans leurs zones de couverture. Parmi les problèmes soulevés, figure celui de langue de production et de diffusion des informations. Dans l’analyse des faits d’une bonne politique de programmation, connaître son public, ses caractéristiques, ses attentes, c’est pouvoir produire des programmes qui vont lui donner satisfaction. (BROSSEAU J.M et SOUNCIN J., 1998, p.46) Ainsi, la question se rapportant à la langue (aux langues) de diffusion est étudiée et déterminée à l’avance ; elle permettra au média d’atteindre ses objectifs et de bien jouer son rôle dans la société où il est implanté. Pourtant, dans la politique sociolinguistique, les médias de Kisangani privilégient sur l’ensemble de leurs programmes, la langue officielle, le Français. Cela constitue parfois un obstacle dans la production et la réception des informations diffusées auprès du public qui fait semblant de les suivre. Les émissions en langues nationales souvent complémentaires et « bouche-trou » dans les grilles de programme, n’attirent l’attention ni des professionnels des médias ni du programmateur. Les émissions de haute portée (débat, table ronde, magazine,…) sont le plus souvent produites en Français et destinées à l’élite intellectuelle et à la classe dirigeante considérées comme leaders dans leurs groupes restreints. Notre réflexion part du modèle selon lequel les messages des médias atteignent d’abord certaines personnes plus sociables et plus influentes que les autres ; ensuite ces personnes, les mieux informées, transmettent l’information reçue dans les relations de face à face aux groupes plus ou moins restreints. (BALLE Fr., 2005, p.529) Certes, le processus de démocratisation déclenché depuis 1990 en République Démocratique du Congo demeure encore pour la majorité de la population. Le processus électoral de 2006 a été un moyen palpable 1 permettant aux citoyens congolais de saisir de facto les changements opérés. La tâche attendue des médias était non seulement d’informer les citoyens de l’évolution du processus, mais aussi de former les esprits (longtemps) léthargiques à se mobiliser en vue de s’approprier le fait et de s’y impliquer totalement. Si la communication en chaîne ou le multi-step flow (EKAMBO D., 2006 pp.155-156) reconnaît la valeur des récepteurs guides dans la société, la population de Kisangani vit le contraire. En d’autres termes, l’opinion constate que les leaders ne jouent pas réellement leur rôle de servir de courroie de transmission, bloquent l’information reçue et s’approprient la situation pour écarter d e la scène politique la majorité de la population. Notre étude s’inscrit dans la lignée d’André-Jean Tudesq (TUDESQ A.J et NEDELEC S. 1998, pp.20-21) et de Nelson Mandela (MANDELA N.www report.orgcons.) par la refondation de la presse africaine donnant priorité aux langues nationales africaines dans les programmes. Elle évalue dans ce cadre précis l’apport des langues nationales à savoir le lingala et le swahili dans les médias de Kisangani depuis le début du processus électoral. Dans la démarche méthodologique de ce travail nous recourons à l’analyse de contenu dans son sens large entendue au sens d’une méthode empirique dépendante du type de parole que l’on vise, adéquate au domaine et au but recherchés. Cette méthode est appuyée par l’approche ethnographique en communication (DEREZE G., 2009, p.31), fondée sur le caractère indispensable de la pratique du terrain. Notre analyse porte sur un choix résolu de la presse audiovisuelle de Kisangani dont la Radio communautaire Mwangaza (RACOM), Radio télévision Amani(RTA) et la Radio Okapi. Ce choix se justifie par rapport aux éléments jugés à notre niveau utiles pour la viabilité d’un média notamment le taux d’écoute et la crédibilité accordée aux médias retenus ainsi que l’utilisation plus au mois équilibrée de langues nationales dans les programmes durant cette période cruciale de l’histoire politique du pays. On joindra à cette liste les chaînes des télévisions émettant de Kinshasa et captées à Kisangani et dont les émissions culturelles produites en lingala hybride retient l’attention soutenue du public. Il s’agit de la Radio Télévision Groupe Avenir (RTG@), de la chaîne Digital Congo et de la Radio Télévision Nationale Congolaise/ Kinshasa. L’étude est ponctuée en deux moments. Le premier temps s’articule sur les langues nationales, le deuxième évalue la contribution de la 2 nationalisation de programme des médias pour la promotion de la culture démocratique. 1. Les langues nationales dans les médias. Aussi appelée langue véhiculaire, une langue nationale est une langue commune satisfaisant aux besoins communicationnels des communautés ayant des parlers divers sur l’ensemble du territoire national ou une grande partie d’étendue territoriale. (BOKULA M., 2005, p.125) Dans ce point, trois aspects du problème sont abordés : la politique linguistique et sociolinguistique des médias de Kisangani, les fonctions et rôles des langues et l’avenir sociolinguistique des médias. 1.1. La politique linguistique et sociolinguistique des médias La cartographie linguistique du Zaïre a classé la ville de Kisangani parmi les villes swahiliphones (BOKULA M., 2005, p.7) Mais, suite aux facteurs linguistiques et extralinguistiques, Kisangani est devenue aujourd’hui une ville bilingue où le kiswahili et le lingala, deux langues nationales de la RD Congo sont parlées. Le français est reconnu dans son statut de langue officielle du pays et de l’administration. 1.2. Les fonctions et les rôles des langues nationales dans les médias La fonction primordiale des langues nationales en tant que moyen de communication est la fonction sociale. Ces langues permettent aux locuteurs de différentes communautés habitant la ville de Kisangani de se comprendre mutuellement ; elles permettent à l’individu de retrouver son identité et à s’ insérer dans son milieu social et culturel. Malgré les diversités culturelles existantes dans la ville, ce patrimoine commun renforce l’unité ou la cohésion. Dans la dimension communicationnelle, l’utilisation des langues nationales produit deux situations instantanées. La première consiste pour ces langues à assurer la transmission de l’information ; la deuxième qui est très importante et globalisante, elles établissent entre locuteurs la relation qui s’effectue dès le décodage de l’information transmise. Ainsi, le rapport établi conduit vers la socialisation des acteurs communiquant (émetteurs et récepteurs). Notons que dans tous les secteurs de la vie, ces langues favorisent la compréhension du message. Pour illustrer nos propos nous avons cible six domaines ou centre d’intérêt à savoir, le secteur médiatique, le domaine éducatif, le domaine politique, le domaine économique, le domaine religieux et le domaine militaire. 3 Dans le secteur médiatique, les langues nationales permettent à toute la population de s’informer sur tout ce qui se passe dans la société, d’accéder aux médias en expliquant clairement des problèmes de société. La traduction des éditions françaises en langues nationales permettent une large diffusion des informations à toute la masse. Pendant la seconde guerre mondiale, par exemple, l’utilisation des langues africaines dans les programmes des radios relais de la BBC/Afrique était pour informer la population de l’évolution de la guerre et aussi pour justifier la présence et la participation actives des troupes africaine. (TUDESQ A.J. et NEDELEC S., 1998, p.58 ) Dans le secteur de l’éducation, ces langues sont des instruments d’enseignement dans la transmission de connaissance de l’univers culturel congolais à tous les degrés d’enseignement ; elles sont plus utilisées dans les actions d’alphabétisation, de l’éducation permanente des jeunes et des adultes ainsi que dans l’apprentissage des métiers aux analphabètes. Dans le domaine économique, en publicité, ces langues influencent la clientèle. L’utilisation des langues nationales dans l’action publicitaire à travers les attributs du produit exerce sur le consommateur une séductionpersuasion (IPO A.E., 1996, pp.245-248) qui amplifie son besoin et l’identifie. A titre illustratif nous avons ce qui suit : - Noms de tissus : « momemi maki »qui veut dire « le porteur des œufs » ; « moklisto azali mwinda »qui veut dire « le chrétien est lumière. » - La bière, turbo King « mobali ya nguya » : turbo King, « un homme puissant ». Dans le domaine religieux, les langues nationales sont utilisées pour l’évangélisation afin de rendre intelligible et accessible la bonne nouvelle à la majorité des chrétiens. Pendant les émissions religieuses, l’interprétation de la parole de Dieu en langue nationale revêt aussi, pour les chrétiens, une signification profonde qui rappelle l’avènement de la pentecôte entendue au sens de l’effusion de l’esprit saint sur toute chair (Actes 2 :17) et la diversification des langues utilisées pour annoncer cette bonne nouvelle ( REF :et cette bonne nouvelle sera prêchée en toutes langues…) Dans le domaine politique, les langues nationales facilitent le rapport entre administrateurs et administrés. Pendant la période de campagne électorale, l’utilisation de lingala et de kiswahili par le candidat a toujours attiré l’attention de l’électorat. Dans certains cas, les langues nationales servent de situation de discrétion pour les locuteurs ; c’est le cas par exemple de MOBUTU, président du Zaïre lorsqu’il s’adresse à un des ministres qui 4 parlait positivement du pays à l’étranger, »mwana mboka, buka lokuta na yo. » Dans le domaine militaire, vu le niveau d’instruction des militaires congolais, ces langues permettent de bien assurer des instructions militaires aux groupes concernés. . 1.3. Avenir sociolinguistique des médias La nationalisation des programmes des médias ouvre deux brèches : l’émergence d’une super langue nationale et le trilinguisme fonctionnel. 1.3.1 Le trilinguisme fonctionnel La politique linguistique et sociolinguistique de médias conduit au trilinguisme fonctionnel. (BOKULA M., 2005, pp. 162-163) Au cours des émissions, l’individu accède aux trois composantes de stratifications de base, notamment la langue ethnique ou vernaculaire qui lie l’individu à son ethnicité et à sa culture traditionnelle, la langue nationale met en interaction interethnique et le français qui exprime la cohésion nationale, le savoir scientifique. Cette formule est plus employée dans les émissions culturelles et le portrait où l’invité se fait découvrir pour son langage. Pendant la campagne électorale de la législative de 2006 un candidat s’exprimait en ces termes sur le plateau d’une radio : « Watoto wa Kisangani, siku ya utshaguzi, mutshague mutu munyewe atatengeneza mungini … … La question de la bonne gouvernance, de la paix, de la sécurité territoriale préoccupe le pays en général et la ville de Kisangani en particulier. Situations qui font référence aux termes d’Etat de droit, de transparence et de participation … po na kosukisa napesi mbote na bandeko banso ya Kisangani,…epa na bambole nalobi afashama,… bamongo nalobi ngoya losako, bangando, bomoyao … » Ce qui veut dire, » les enfants (habitants) de Kisangani, le jour de vote, choisissez la personne qui va améliorer la situation du milieu … … La question de la bonne gouvernance, de paix, de sécurité territoriale demeurent des préoccupations pour le pays en général et de la ville de Kisangani en particulier. Situations qui font référence aux termes d’Etat de droit, de transparence et de participation… … pour terminer, je salue toute la population de Kisangani, à tous les mbole, je dis bonjour … aux mongo, je dis bonjour, aux ngando, je dis aussi bonjour »… 5 Ces extraits de discours sont très significatifs à tous les niveaux de la stratification sociale. Cette stratification prend comme points de repère le niveau d’instruction et de groupe tribal. S’agissant du niveau d’instruction, il sied de noter la présence de l’élite intellectuelle et les non instruits ; et par rapport au groupe de provenance, on peut relever la présence de Mbole,Ngando ;Mongo,etc et qui sont locuteurs des langues en présence( le lingala et kiswahili). La langue vernaculaire renvoie à une communication de proximité culturelle. Les salutations adressées particulièrement aux communautés locales constituent pour le candidat une manière d’inviter les siens à voter massivement pour lui et le candidat de son choix à la magistrature suprême. La langue nationale renvoie à un échange interethnique avec les communautés habitant Kisangani et le Français atteste le niveau d’instruction du candidat et de ses connaissances à l’histoire du pays. Cette formule semble être bonne. Notre inquiétude réside au niveau de dérapage et l’intoxication de l’auditoire par les langues vernaculaires, comme ce fut le cas de la Radio Kilimandjaro (MAOUNDO NODJI, 2005 p.158) 1.3.2. Emergence d’une super langue nationale des médias Dans l’état actuel le lingala exerce plus d’influence dans les programmes des médias que le kiswahili. Pendant le reportage des faits divers, les accidents de circulation, les émissions de terrain le lingala est plus utilisé. Son expansion se justifie par le fait que, le lingala hybride ou le lingala kinois (BOKULA M., 2005, p.130) employé par les animateurs des émissions culturelles (musique, théâtre, …) des radios et télévisions émettant de Kinshasa captées à Kisangani influence plus le parler de l’audiovisuel de Kisangani.( ces émissions on peut citer : Section Musique, Succès de Stars, Number one, Hit parmi du passé , Karibu variété, Bana Leo, Tambourin, Bozenga, Le Reveil,V12 ,Groupe Shama, Mille feux, Delta force, Muyombe gauche, Sami mokili, etc.) Cette variante jugée très attrayante pour le public joue un rôle important dans la viabilité de média surtout devant la concurrence. Elle tend augmenter le taux de consommateurs des médias qui veulent apprendre, s’informer et se divertir. Les indicateurs évoqués ci-haut traduisent clairement la réalité selon laquelle l’utilisation des langues nationales dans les programmes des médias influence le taux d’écoute, et par ce fait, peut contribuer positivement à la promotion de la culture démocratique. 6 2. La contribution de la nationalisation de programmes des médias pour la promotion de la culture démocratique Il est communément admis que les médias sont un auxiliaire puissant de l’éducation citoyenne dans une société démocratique. L’éducation est comprise ici comme une action consistant à former l’esprit de manière à développer les capacités intellectuelles et morales. Cette formation se fait à travers des programmes bien élaborés, adaptés au contexte et aux faits. 2.1. L’apprentissage et la promotion de la culture démocratique à Kisangani L’instauration de la démocratie nécessite donc un apprentissage et un effort de construction. Cet apprentissage est appuyé par les médias à travers l’organisation des forums, des tables rondes, des débats, des papiers d’analyses, des reportages reflétant les opinions des populations face aux enjeux politiques. Ce travail a pour objectif de cultiver les valeurs fondatrices de la démocratie dont la discipline, la rigueur, l’honnêteté, l’intégrité morale, la transparence, la tolérance, la participation, le sens de responsabilité, le dialogue etc. Les actions menées par les médias sont reparties dans les programmes élaborés : émissions, journaux, musiques. 1.1.1. Les émissions Ce sous-point s’est appesanti sur les émissions animées par des radios à la RACOM et la RTA. La Radio communautaire MWANGAZA (RACOM) : première de son genre, (la radio communautaire Mwangaza est créée par la société civile dans le souci de donner accès aux sans voix, servir la communauté de Kisangani, soutenir les activités de développement des associations et organisations membres de la société civile) cet organe de presse a aidé la population de Kisangani par ses programmes en langues nationales à savoir, lingala et swahili. Ces émissions sont regroupées en deux périodes. La première concerne le processus électoral de 2006 et la deuxième phase prend en compte les productions programmées à partir de l’an 2008 pour la consolidation de la culture démocratique. La plupart des émissions sont réalisées en lingala. Parmi ces émissions nous relevons ce qui suit (LOSOLO B., 2007-2008, pp.166-172) : « Fungola miso », « ouvrez les yeux », est une émission de débat politique au cours de laquelle les membres de la société civile et les représentants des partis politiques discutaient de problèmes quotidiens de population sur base de projets de société présentés par les partis politiques. Le débat consistait à 7 analyser et évaluer leurs interventions sur terrain quant à la recherche des solutions. Elle passait chaque samedi de 18heures à 19heures et rediffusée le dimanche de 8heures à 9heures. Au cours de l’émission, plusieurs réactions du public étaient enregistrées. « Masolo na ekolo », ‘’dialogue national’’, abordait la question relative au pluralisme politique en vue d’éclairer le public sur le rôle des partis politiques, leurs activités… Les représentants et membres des partis politiques fonctionnant dans la ville étaient individuellement invités pour parler de leur parti. Elle était organisée chaque mercredi de 9heures à 10heures et rediffusée l’après-midi ou le lendemain à la même heure. « Tango yango oyo », ‘’c’est le moment’, l’émission vulgarisait, tout en les expliquant les textes juridiques régissant le peuple Congolais. Elle était programmée de 8heures à 8heures 30munites. « Magazine élections », expliquait le cadre juridique des textes relatifs aux élections. « Maloba ya basi », «parole de femmes », traitait de la question du genre en vue d’encourager la candidature féminine. Elle était programmée le vendredi de 18heures à 19 heures. « Sauti ya mukongomani », ‘’la voix du Congolais, abordait les questions relatives aux droits de l’homme et à la justice tels que vus dans le milieu et en République Démocratique du Congo. « Tribune populaire», ces émissions ont été organisées périodiquement pour avoir les points de vue de la population sur les questions clés de l’actualité et de l’évolution du processus électoral. Disons que toutes ces émissions ont été diffusées durant tout le processus électoral de 2006. A partir de 2008 la radio a inséré dans son programme les émissions suivantes : « Makanisi ya bana mboka », les opinions de la population,’’ initiée en vue de consolider la démocratie après les élections de 2006, elle est émission de débat politique au cours de laquelle les élus du peuple de la ville de Kisangani sont invités pour répondre aux questions que pose la population. Elle est organisée le samedi de 18heures à 19heures et rediffusée le dimanche de 8heures à 9heures. - Maponomi, élection, traite de la question relative aux élections, 8 - Médias et démocratie, aborde les thèmes de la bonne gouvernance, de la transparence, etc. La Radio télévision AMANI « A propos », masolo, cette émission abordait les questions d’actualité dans tous les domaines de la vie. Elle était organisée chaque mardi de 20h30 à 21h.La répercussion enregistrée après la diffusion de l’émission a montré réellement l’importance de l’utilisation des langues qui influencent l’écoute active et directe, la participation du public. Même si l’édition spéciale du journal parlé ‘’ La rétrospective’’ présentée par Jean-Pierre LIFOLI (en cette année, il est journaliste à la radio télé AMANI. Pour le moment, il est directeur de la radio BOLINGO à Kisangani, formateur international dans la région de l’Afrique centrale et Professeur à l’Université de Kisangani) de 12 heures à 12heures 45, retraçait le bilan des guerres de 1 jour, 3 jours et de 6 jours à Kisangani, les commentaires de Pierre KOMBA au cours de l’émission’’ spéciale bonne année’’ diffusée de 13heures à 14heures la même journée du 1er janvier 2002, sur la situation d’impaiement des fonctionnaires de l’Etat dans la partie sous contrôle du Rassemblement Congolais pour la Démocratie RCD, ont éveillé les esprits pour prendre position contre les rwandais. Cette émission a concrètement exprimé ce que Jurgen Habermass appelle l’espace public où les citoyens, faisant usage de leur raison, s’approprient la sphère publique contrôlée par l’autorité, la transforment en une sphère où la critique s’exerce contre le pouvoir de l’Etat.( LIFOLI B.,2008-2009, p.64). « Tribune de jeunes » produite en Français et lingala, faisait des commentaires sur le vécu quotidien de citoyen et de réflexion dans tous les domaines de vie pour inculquer les valeurs positives aux jeunes. 2.1.2. Les journaux Les traductions des journaux français en langues nationales sont des temps de grande écoute où le public s’informe sur l’actualité et l’évolution des faits. L’intérêt et l’attention accordés par le public au rendez-vous d’actualité en langues nationales montrent bien le besoin réel en information dont il est privé. 2.1.3. La musique Dans la société africaine, en général, la chanson constitue un moyen de communication de grande importance. Elle traduit et exprime une réalité vivante de la vie sociale. La médiatisation des chansons des artistes congolais constitue un moyen non moins négligeable dans la transmission de 9 l’information pour mobiliser et conscientiser le peuple Congolais. Ceci rejoint la pensée de Mulumbati Ngasha (LISSENDJA B., 2009-2010, p. 104) qui nous citons : « pour diffuser les idées, une idéologie, une doctrine au sein d’une population, la propagande politique utilise aussi la chanson,… ». Aussi la population de Kisangani a été également sensibilisée par les œuvres musicales ayant trait à la démocratie dont quelques illustrations sont présentées ci- dessous. Ces chansons étaient programmées au cours des émissions, des détentes musicales, des animations libres évoquant ainsi la démocratie. « Pouvoir au peuple, pouvoir pour le pouvoir, pouvoir par le peuple… ». Dans ce refrain, l’artiste musicien développe la notion de démocratie selon Abraham Lincoln (LIFOLI B., 2006-2007, p.29) : la démocratie est le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Il reprend dans cet extrait l’essentiel de pensée fondatrice de l’alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo AFDL, parti cher à Mzee Laurent Désiré KABILA, pour qui il a chanté. «… Indépendance tchatcha tozwi e, na table ronde, to gagner o… » « Indépendance tchatcha que nous avons eue, à la table ronde nous avons gagné… ». L’artiste chante la victoire de la lutte menée par les Pères de l’indépendance congolaise et invite les autres citoyens congolais à l’instar Lumumba et ses amis à préserver l’unité, la cohésion et à sauvegarder l’intérêt national (KADONY N.K., 2007-2008) sur la table de discussion. Ces programmes ont permis ainsi l’apprentissage et la promotion de la démocratie. Toutefois, le génie du journaliste doit l’aider à définir les genres journalistiques pour produire les émissions et informations intéressantes et de qualité. 2.2. Les formats journalistiques Nous attendons par format journalistique ou genre journalistique, la forme avec laquelle le journaliste peut développer les informations. Parmi ces formats nous en avons retenu quelques-uns. Il s’agit notamment du reportage, de l’enrobé, du débat, de vox pop, du magazine, de l’interview, du commentaire. Le reportage et l’enrobé : au-delà de l’ambiance qu’ils vont vivre et du témoignage de l’authenticité des faits, ces genres aident à porter un jugement sur la personne qui parle et à prendre une 10 position à partir de sa déclaration. Voici un extrait de discours du président Joseph KABILA lors de sa première visite à Kisangani dans un papier d’enrobé : Lancement… Attaque Micro… Son « … population ya Kisangani mimi nadjuwa shida yenu. Shida ya kwanza ni madji, shida pa pili ni moto, shida ya tatu ni ya ndjiya. Tuta fanya ngufu dju mashida zile zote ibadirikiwe… » ce qui veut dire Population de Kisangani ,je connais bien vos problèmes ; le premier est celui de l’eau, le deuxième c’est l’électricité, le troisième est relatif aux routes et voix de communication. Nous allons faire de notre mieux pour apporter un changement… (Discours du Président Joseph KABILA à l’esplanade de la poste à Kisangani lors de la propagande des élections présidentielles de 2006) Chute Micro… C’était un extrait du discours du candidat président de la République Joseph KABILA lors de son adresse à la population de Kisangani. L’écoute active de ce discours a plusieurs significations auprès du public récepteur et de la part du président Kabila. Pour le public, par rapport aux autres candidats qui sont passés et qui se sont exprimés en Français, Joseph KABILA est, pour la population de Kisangani un candidat proche de la base sur qui le peuple congolais peut compter et qui est sensible aux problèmes quotidiens de la population. Ce discours constitue une référence à partir de laquelle, on aura à évaluer la matérialisation et la concrétisation du programme eau, électricité et route. Pour Joseph KABILA, l’expression en langue nationale n’est pas un simple moyen pour faciliter la compréhension du message, mais elle consiste à inviter les citoyens à porter leur attention sur sa personne, à créer une certaine sympathie envers lui en temps opportun, c’est-à-dire pendant les élections. Le débat /le talk-show/la table ronde : incluant autres formats tels que le reportage, l’interview, le vox pop, le in phone, ces genres permettent de débattre sur des questions clés d’actualité. La répartition équitable des paroles, l’égalité des intervenants dans le débat, la tolérance, l’esprit d’ouverture et la confiance des intervenants sont l’expression de la culture démocratique qui 11 influence l’écoute et élargissent l’espace de diffusion et de discussion. Le vox pop : donne des possibilités aux populations de s’exprimer et donner leurs points de vue sur un problème de société, une question d’actualité, d’évaluer une action menée sur terrain. Le magazine : fournit l’explication approfondie d’un sujet traité brièvement dans le journal et qui intéresse le public. (émission magazine élection). L’interview : est un entretien libre et dirigé avec une personne sur ses idées, ses actes, sur une question spécifique et qui demande son expertise. Le portrait : dans ce format le journaliste offre un regard sur une personne en évoquant avec beaucoup de verve sa personnalité et son parcours. Le commentaire : exprime l’opinion de la rédaction, du journaliste ou d’une personne extérieure sur un événement, une situation. Dans l’extrait de l’émission « A propos », spéciale bonne année 2002 : « baye ozali kosala na bango mosala, bazali bango mokote, bazali na mabota. Lelo mokolo mwa esengo pe ya feti ya mbula ya sika, ebongwani mbalakaka mokolo ya losambo ya kokila o kati ya mabota… ». Cela veut dire : ceux qui travaillent avec vous ne sont pas seuls, ils ont des familles. Aujourd’hui un jour de joie et de fête de nouvel an c’est transformé subitement en jour de prière de jeûne dans des familles… ». Ces émissions peuvent être considérées comme des actes locutoires posés par différents animateurs, lesquels ont des visées illocutoires dont les effets sont perceptibles au niveau de la population cible sous –forme des actes perlocutoires. 2.3. Impact de la nationalisation des programmes La politique linguistique et sociolinguistique appliquée par les médias a joué un rôle considérable dans la consolidation du processus démocratique à Kisangani. La médiatisation des informations en lingala et en kiswahili a contribué à l’accès des populations aux médias soit pour s’informer sur une situation, soit pour réagir contre celle- ci. A Kisangani, de 2006 à 2007, la Radio Communautaire Mwangaza a servi de cadre de référence aux populations pour dénoncer les cas de viols et d’atteintes aux droits de l’homme dont elles étaient victimes. Grâce aux émissions réalisées et diffusées sur les antennes de la radio Mwangaza sur les tracasseries, le commandant de la 9ème Région militaire a ordonné le démantèlement massif 12 des barrières érigées illégalement sur les voies de communication routières et fluviales. L’utilisation des langues lingala et swahili a également élargi l’espace public et créé des foyers de discussion (BOUGNOUX D., 2001, pp.90-91) permettant la formation du jugement rationnel du citoyen. Les écarts de participation observés dans la phase d’enrôlement des élections de 2006 et de 2011 en sont un exemple frappant. La faible participation de la population en 2011 résulte du fait du jugement négatif vis-à-vis des promesses tant attendues de la part des élus. L’utilisation du lingala hybride dans les émissions culturelles a augmenté sensiblement le taux d’écoute. Et l’acquisition de nouveaux médias (radios, télévisions, téléphones) justifie ce fait. CONCLUSION La politique linguistique et sociolinguistique des médias ouvre une nouvelle brèche dans la presse congolaise, en généra, et dans la presse de Kisangani, en particulier, à l’ère de la démocratisation. Ainsi, la nationalisation des programmes par l’utilisation des langues nationales ne constitue pas seulement le simple fait d’informer les citoyens, mais aussi de former leurs esprits en vue d’apporter le changement souhaité et voulu. Pendant le processus électoral, par exemple, les langues nationales permettent aux citoyens votant d’avoir suffisamment accès aux renseignements sur les programmes des partis politiques, des candidats et de faire un choix éclairé. Notre souci dans cette réflexion n’est pas de supprimer les programmes en langues étrangères, parmi lesquelles le français, mais d’interpeller les professionnels des médias afin qu’ils s’adaptent au contexte du milieu et de temps dans lesquels ils œuvrent pour une participation active de tout un chacun. Ces quelques idées que nous avons livrées dans le cadre de cette étude s’inscrivent dans une réflexion d’ensemble qui est susceptible de déboucher sur la recherche systématique et fouillée pour nourrir davantage le débat sur la question. 13 BIBLIOGRAPHIE I. OUVRAGES BALLE Fr, Médias et sociétés, Paris, Montchrestien, 2005. BOUGNOUX D, Introduction aux sciences de l’information et de la communication, Paris, Nouvelle édition, La Découverte, 2001. BROSSEAU J.M. et SOUNCIN.J., Créer, gérer et animer une radio, Paris, GRET, 1996 EKAMBO D., Auteurs étrangers, Dictionnaires des principaux auteurs non francophones en sciences de l’information et de la communication, Paris, L’Harmattan, 2006 BOKULA M., Langues, langages et sociétés au Congo, Kisangani, BUTRAD-CRLA, 2005 DEREZE.G., Méthodes empiriques de recherches en communication, Bruxelles, De Boeck, 2009 TUDESQ. A.J et NEDELEC.S., Journaux et radios en Afrique aux XIX°S et XX°S, Paris, GRET, 1998 II. 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