La délicate appréhension de la mort CELINE BUR* « Obsèques dès 1185 euros » peut-on lire sur certains panneaux publicitaires. La mort aurait donc un prix ; elle serait dans le commerce. Si ce n’est la mort, c’est en tout cas le repos du corps et de l’âme du mort qui se monnaye. Selon les croyances propres à chacun, la mort peut n’être qu’une étape dissociant le corps et l’âme ou représenter la fin de ce qui a été. Mais dans tous les cas, le respect dû au cadavre et à l’esprit du mort lui assure le droit à une dernière demeure, sauf à faire le choix de redevenir poussière. À la différence de l’animal, l’homme se sait mortel et bien qu’il craigne cette ultime phase de l’existence, souvent, il la prépare. La mort est définie par l’encyclopédie comme « la cessation complète et définitive de la vie. La cessation complète d’activité »1. Juridiquement, le décès se traduit par la disparition de la personnalité juridique, c’est-à-dire la perte de l’aptitude à la mise en œuvre des règles de droit et à la participation à l’activité juridique reconnue a priori et par principe aux êtres humains. Cette aptitude s’acquiert à la naissance, sous condition de viabilité. Ce diagnostic peut poser des difficultés en pratique. En fonction des circonstances, les critères retenus pour définir la mort, peuvent eux aussi paraître délicats à appréhender. En effet, les possibilités, aujourd’hui offertes par la médecine de réanimation ou de stimulation cardio-respiratoire, rendent moins évident le constat de la réalité d’un décès. Il existe des signes positifs de décès, tel que l’arrêt du cœur, du pouls, de la respiration, ainsi que la rigidité cadavérique, qui suffisent en principe à le qualifier. Il est cependant des cas où la mort n’est plus « le terme instantané d’un enchaînement pathologique inéluctable » 2. Il est possible de ramener à la vie des personnes ayant subi un arrêt du cœur ou présentant un coma, ou encore de maintenir artificiellement en vie des personnes. Certains cas médicaux nécessitent que les médecins vérifient la mort cérébrale du patient. La mort cérébrale est d’ailleurs le critère prééminent en cas de prélèvement d’organes. Ainsi, la seule définition juridique de la mort apparaît à l’article R. 1232-1 du Code de la santé publique, relatif au don d’organes. Cette disposition prévoit que « si la personne * Docteur en droit. Larousse Médical, Larousse, 2006. 2 Dictionnaire permanent Bioéthique et Biotechnologies, Éditions Législatives, déc. 2010, p. 1311. 1 présente un arrêt cardiaque et respiratoire persistant, le constat de la mort ne peut être établi que si les trois critères cliniques suivants sont simultanément présents » : absence totale de conscience et d'activité motrice spontanée, abolition de tous les réflexes du tronc cérébral, et absence totale de ventilation spontanée. Cette définition permet le constat de mort alors que le sang n’a pas cessé de circuler ou depuis peu de temps. Les organes sont ainsi maintenus en vie. La définition de la mort est donc scientifique, mais l’autorité publique doit en être informée, car celle-ci emporte, en tant que fait juridique naturel, un certain nombre d’effets3 dans la vie juridique du défunt et de ses proches. Le décès doit être déclaré dans les vingt-quatre heures à l’officier d’état civil du lieu du décès, par toute personne en ayant connaissance4. Dans la pratique, c’est le plus souvent un proche du défunt, un employé des pompes funèbres, ou de l’hôpital, qui s’en charge. Un certificat de décès produit par un médecin, corroborant les informations portées à la connaissance de l’officier, doit être présenté. Ce n’est qu’en présence de ce certificat que l'autorisation de fermeture du cercueil peut être délivrée, vingt-quatre heures après le décès5. En cas de mort suspecte ou violente, le permis d'inhumer ne pourra être délivré qu’après production d’un procès-verbal établi par un médecin légiste et un officier de police6. Il est fait mention du décès en marge de l’acte de naissance7. En l’absence de corps, le constat médical ne peut avoir lieu, la mort ne peut être que présumée. Deux situations correspondent à cette hypothèse et permettent d’obtenir une déclaration juridictionnelle de décès. Le décès peut être judiciairement déclaré à la requête du Ministère public ou des parties intéressées, lorsqu’un individu disparait dans des circonstances de nature à mettre sa vie en danger, ou que son décès est certain mais que son corps n’a pu être retrouvé8. La date du décès est alors fixée, par le tribunal de grande instance du lieu de la disparition, en tenant compte des présomptions tirées des circonstances de la cause et, à défaut, au jour de la disparition. Le jugement déclaratif de décès sera transcrit sur le registre de l’état civil. Ainsi, bien que les corps du navigateur Éric Tabarly par exemple, ou de victimes de catastrophes naturelles ne soient pas retrouvés, la mort de ces personnes a pu être déclarée. La déclaration judiciaire de décès peut ainsi être proche dans le temps du décès présumé de la personne, mais elle peut aussi être éloignée, si la personne est seulement considérée comme absente. Ce n’est qu’après plusieurs années, que la personne qui a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans donner de nouvelles, pourra être considérée comme morte. L’absent est en effet présumé vivant. Cependant, à la demande des parties intéressées, le juge des tutelles peut constater la présomption d’absence et ordonner des mesures provisoires permettant de gérer le patrimoine de l’absent. Ce n’est que lorsque se sera écoulée une période de dix ans, depuis le jugement qui a constaté la présomption d’absence, ou vingt ans en son absence depuis les dernières nouvelles reçues, que la mort pourra être déclarée par le tribunal de grande instance, à la requête de toute partie intéressée ou du Ministère public9. Les jugements déclaratifs de disparition ou d’absence emportent, à partir de la transcription, les mêmes effets que ceux d’un décès médicalement constaté. Toutefois la mort 3 B. Py, « La mort et le droit », PUF, 1997, p. 30-70 ; J.-P. Gridel, « L’individu juridiquement mort », D. 2000, p. 261-266. 4 Art. 78 du Code civil. 5 Art. L. 2223-42 du Code général des collectivités territoriales. 6 Art. 81 et 82 du Code civil. 7 Sur ces questions, voir J.-P. Gridel, préc. 8 Art. 88 et s. du Code civil. 9 Art. 112 et s. du Code civil. n’étant que présumée, le retour du prétendu défunt reste possible. Celui dont l’absence ou la disparition a été judiciairement déclarée a la possibilité d’obtenir un jugement d’annulation10. Si son constat est parfois incertain, la mort concerne chacun d’entre nous et reste inéluctable. Selon Planiol, « les morts ne sont plus des personnes ; ils ne sont plus rien ». Ainsi, la « personnalité se perd avec la vie »11. Pour Heidegger, la vie humaine s'inscrit dans la finitude, la mort est un indéterminé qui ne manquera pas d'arriver mais qui, jusque là, ne concerne pas l’être humain12. Pourtant, la mort concerne les vivants car elle affecte un grand nombre de situations de la vie humaine. La mort est-elle une fin ? La fin peut être entendue à la fois comme une finalité, un but, mais aussi comme un terme. La mort peut-elle être recherchée, être considérée comme une finalité ? Une personne peut souhaiter sa propre mort, le suicide ou l’euthanasie sont les exemples d’une mort choisie. Elle peut aussi être décidée par autrui, complice ou bourreau du défunt. Si la mort met fin à la vie et à la personnalité juridique, marque-t-elle pour autant un terme ? La mort a des conséquences, certaines peuvent être organisées, préalablement au décès, par le défunt lui-même afin que sa volonté soit respectée après son décès, d’autres seront réalisées après sa mort en recherchant la volonté du mort. D’autres encore sont inhérentes à sa qualité d’être humain et font l’objet d’un respect imposé par le droit. 10 Sur ces questions, voir J.-P. Gridel, préc. M. Planiol, « Traité élémentaire de droit civil », t. I, LGDJ, 3e éd., 1920, n° 371. 12 M. Heidegger, « Être et Temps », 1927. 11