Les rythmes de l’innovation expliquent-ils fondamentalement les rythmes de l’activité économiques ? Copie d’élève ayant obtenu 20 sur 20 au concours ESCP 2003 « On voit des ordinateurs partout, sauf dans les chiffres de la productivité » ? Cette constatation des années 1980, appelée « paradoxe de Solow », illustre les relations parfois difficiles que l’on peut établir entre croissance et innovation. Les ordinateurs ne sont-ils pas une des innovations majeures de la fin du XXième siècle ? L’innovation, à ne pas confondre avec l’invention, est une découverte qui est mise en application et dont l’efficacité a été scientifiquement prouvée ; elle est économiquement et socialement acceptée. Ainsi, on distinguera les innovations de produits des innovations de procédés, beaucoup plus porteuses. Au cours des l’évolutions économique et historique, nous sommes passés par des périodes d’innovations successives plus ou moins importantes. Force est donc de s’interroger sur l’influence des rythmes de l’innovation sur les rythmes de l’économie. Par rythmes de l’économie, nous entendons les périodes successives d’accélération et de ralentissement de l’activité économique. Analysés le plus souvent à partir de l’idée de fluctuations économiques, dites erratiques quand elles sont irrégulières ou cycliques sinon, les rythmes de l’économie sont un élément important de la conjoncture qui se caractérisent globalement par des périodes de croissance – quand le PIB augmente – et des ralentissements ou de crise. Peut-on expliquer d’une façon nécessaire et certaine les rythmes de l’économie par ceux de l’innovation ? Après avoir montré l’influence fondamentale des cycles de l’innovation sur les rythmes de l’économie, nous nous attacherons aux autres explications possibles pour enfin nous interroger sur la pertinence encore actuelle de l’explication par les rythmes de l’innovation. Corrigé de Parienty AE novembre 2004 Corrigé Les rythmes de l'innovation expliquent-ils fondamentalement les rythmes de l’économie? Sujet ESCP-EAP, 2003, Problématique L'activité économique connaît des fluctuations plus ou moins récurrentes, qui ont parfois amené à parler de cycles. Le terme de «rythme» est d'ailleurs ambigu, qui peut s'appliquer aussi bien aux cycles des affaires, perturbations conjoncturelles d'une durée de deux à dix ans, selon le spécialiste de la question, l'Américain Wesley Mitchell, qu'aux mouvements longs de plusieurs dizaines d'années. On doit à Joseph Schumpeter une interprétation d'ensemble des cycles, où l'innovation joue un rôle capital. Le sujet s'y réfère. Cependant, depuis une vingtaine d'années, une révolution technique majeure se développe autour de la microélectronique. Dans un premier temps, elle n'a entraîné aucune accélération de la croissance ; c'est le fameux «paradoxe de Solow ». Depuis 1995, on décèle certes une accélération de la croissance américaine, mais celle-ci ne se diffuse pas et semble fragile, car largement liée à une bulle spéculative. Il semble donc que l'innovation soit incapable à elle seule de gouverner la croissance. De fait, l'efficacité du progrès technique suppose des cohérences : d'une part, entre diverses technologies au sein d'un système technique, d'autre part, entre techniques et contexte institutionnel. Même si l'innovation est un élément essentiel de compréhension de la croissance et des crises, les fluctuations économiques ne relèvent donc pas d'un simple déterminisme technique. Plan possible 1. L'innovation, facteur essentiel des fluctuations – L'innovation à l'origine de la croissance Les travaux de comptabilité de la croissance menés à partir des années 50 sur la base du modèle de Robert Solow par Moses Abramovitz, Edward Denison ou, en France, Edmond Malinvaud, concluent tous au rôle essentiel de la productivité totale (ou globale) des facteurs techniques dans la croissance, dont elle «explique» au moins la moitié. Les gains de productivité totale correspondent pour l'essentiel au progrès technique, au sens très large que les économistes donnent à cette notion. Celui-ci est endogène, comme Joseph Schumpeter en avait eu l'intuition dès le début du XXe siècle. Le progrès technique ne tombe pas du ciel, engendré par un appareil technoscientifique sans lien avec l'économie. Il est d'abord le produit d'investissements spécifiques en recherche et développement. – Un progrès technique cyclique Les investissements générateurs d'innovation sont décidés en fonction des perspectives de profit et des moyens financiers disponibles. Les schumpétériens affirment que l'innovation est déclenchée par l'épuisement des perspectives de profit qu'entraîne inévitablement la banalisation des produits, source de concurrence. Le cycle de l'innovation serait donc à deux temps. Dans un premier temps l'entrepreneur prend le risque de l'innovation ; s'il réussit, il obtient un monopole temporaire, source de profits. Dans un second temps, la réussite de l'innovation amène des imitateurs à investir le marché en proposant des prix plus bas ; les marges bénéficiaires s'érodent donc et il faut lancer une nouvelle vague d'innovations. Cet effet cyclique est renforcé car les innovations apparaissent en « grappes », du fait que l'érosion des profits est générale et parce qu'une vague d'innovations s'ordonne autour de quelques innovations majeures, qui sont ensuite déclinées et prolongées par des innovations mineures. L'hypothèse schumpétérienne a été contestée par les historiens. Mais, en datant, comme le fait l'historien Gerhardt Mensch, l'apparition d'une innovation à compter de son utilisation économique, le rythme des innovations semble effectivement lié aux cycles longs de type Kondratieff. 2. Mais l'analyse des fluctuations ne saurait se réduire au progrès technique - Innovation et cadre institutionnel Le progrès technique se traduit par des gains de productivité du travail, du fait de progrès dans les techniques de production ou d'une variété accrue de produits à l'origine d'une plus grande satisfaction du consommateur. Mais ces gains de productivité peuvent être utilisés de différentes façons. Par exemple, ils peuvent être utilisés pour réduire la durée du travail et, dans ce cas, il n'y a pas de croissance. Ils peuvent aussi servir la hausse des profits, l'emploi étant réduit d'autant. Dans ce cas, les débouchés risquent d'être insuffisants. Pour un mode de partage des gains de productivité assurant une demande solvable croissante, des institutions adaptées sont nécessaires, rappelle l'école de la régulation chère à Michel Aglietta ou à Robert Boyer. - D'autres facteurs de fluctuations L’analyse des crises montre que la machine économique peut se gripper pour de nombreuses raisons. Si les gains de productivité reposent sur un flux suffisant d'investissements, notamment en recherche et développement, l'incertitude affectant les profits ou le manque de ressources peuvent obérer le rythme de la croissance. Un facteur de fluctuations important est la récurrence des crises financières liées à la spéculation. Le facteur financier est considéré comme déterminant dans la crise de 1929 par Irving Fisher (la «debt deflation ») ou dans les crises japonaise et asiatique récentes (voir les analyses de Jeffrey Sachs ou de Dani Rodrik). Quelques références Histoire des techniques, Bertrand Gille, éd. Gallimard, 1978. Stalemate in Technology : Innovations Overcoule the Depression, Gerhardt Mensch, éd. Ballinger, New York, 1979. Les grands cycles de la conjoncture (1925), Nicolaï Kondratieff, éd. Economica, 1992. Business Cycles. A Theoretical, Historical and Statistical Analysis of the Capitalist Process, Joseph Schumpeter, éd. McGraw-Hill, New York, 1939. Théorie de l'évolution économique (1912), Joseph Schumpeter, éd. Dalloz, 1935. Mots-clés Capital Dans le sens le plus fréquent (qui est financier), c'est une somme d'argent placée susceptible de rapporter des intérêts (s'il s'agit d'un prêt) ou des dividendes (s'il s'agit de titres de propriété). Par extension, le terme en est venu à désigner les apports de fonds que les copropriétaires d'une société effectuent au titre de leur propriété (capital au sens comptable), puis les équipements utilisés par l'entreprise pour produire (capital au sens technique) et, enfin, dans le langage marxiste, le rapport de propriété qui permet aux membres d'un groupe social (la bourgeoisie) d'acheter des moyens de production (travailleurs, ou capital variable, car ils créent de la plus-value, c'est-à-dire engendrent une valeur supérieure à ce qu'ils ont coûté, ou équipements, matières ou produits semi-finis, appelés alors capital constant). Le capital (aux sens technique, financier ou marxiste) permet de mettre en oeuvre une production. Il engendre donc des revenus, lesquels sont l'objet d'une répartition plus ou moins conflictuelle entre ceux qui travaillent et ceux qui possèdent. La question débattue par les théoriciens concerne le caractère productif du capital. Pour les marxistes, les choses sont claires : seul le travail crée de la valeur, et si le capital engendre un revenu, ce ne peut être qu'au détriment de ceux qui, en travaillant, ont créé de la valeur. Pour les économistes néoclassiques, le capital est un facteur de production au même titre que le travail. Ces économistes estiment donc que chaque facteur de production doit recevoir une contribution mesurée par sa productivité marginale, c'est-à-dire le surplus de production occasionné par l'utilisation d'une unité supplémentaire du facteur de production concerné, les autres facteurs de production demeurant en quantité inchangée. C'est, selon eux, ce qui