Extrait - Librinova

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Luc DidierJean
Le Sentier des Ombres
Cycle de Trapellune II
© Luc DidierJean, 2016
ISBN numérique : 979-10-262-0798-6
Courriel : [email protected]
Internet : www.librinova.com
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Le Sentier des Ombres
« La septième ouvre sur Annwyn, en bordure Ouest du monde. La cité
antique paresse à l’ombre de ses clochers dorés, rêvant à sa gloire passée.
Les statues de bronze des soixante-dix-sept dieux qui veillent sur Annwyn
côtoient celles des rois humains, lignée dont la source se perd au-delà du
temps. Et entre ses venelles, dans le secret des murs ocres, sous ses pavés
usés, dans ses greniers poussiéreux, caché aux regards, court le sentier des
Ombres, que nul ne foule sans noircir son âme.
Voyageur, compte tes pas, et garde tes yeux ouverts, faute de quoi tu
deviendras une ombre sur le Sentier. »
Ambrosius le jeune, Des fragments de l’ancien monde.
Chapitre 15 : Le Trésor des Gobelins
L’air était doux – une soirée à faire des grillades dans le jardin, estima
Simon avec une pointe de regret, un biscuit sec à la main.
— Nous nous sommes déjà invité au barbecue des Gobishs, lui fit
remarquer Félix, et tu ne t’es même pas servi de leur brochette. Une
occasion unique de goûter les saucisses Gobishs.
Simon s’étouffa à moitié avec les miettes de son gâteau.
— Pouah ! Brochette de chien ou de … Je préfère ne pas y penser.
— Les garçons, profitez du paysage au lieu de raconter des bêtises.
Melissa tendit le doigt vers les falaises.
— Vous avez vu la cascade ? Elle doit bien faire cent mètres de haut.
Le soleil transformait le nuage d’écume à la base de la chute d’eau en
un arc-en-ciel vaporeux, dont les contours se mouvaient imperceptiblement
avec la brise. Des oiseaux chantaient dans la forêt derrière eux, saluant la
fin du jour. Félix se coucha sur les planches et observa les petits nuages
pommelés dans le ciel.
— Nous n’aurons pas de pluie ce soir, je pense.
Pas de pluie pour nous déranger. Il se tourna vers Melissa, qui
observait aussi le ciel, un sourire énigmatique sur les lèvres. Avait-elle
saisi le sens de sa remarque ? Quelquefois, Félix avait l’impression d’être
d’une maladresse insurmontable. Lourd, pour tout dire.
Melissa se leva et alla sa planter à la proue. La main en visière, elle
observa les contours du lac vers l’aval.
— On distingue déjà la gorge qui s’enfonce dans les Monts
Brouillasse, et au fond de laquelle doit s’ouvrir le passage. Ce serait bien
d’être sur place avant la nuit, pour voir de quoi il retourne.
Simon soupira.
— Ça, ça veut dire qu’il faut y aller immédiatement.
— Oh ! C’est comme vous voulez, répondit Melissa d’un ton léger.
Finalement, c’est vous qui allez devoir ramer deux fois plus vite si nous
trainons trop ici.
— Un argument décisif, admit Félix.
Haldriss se contenta de rire sous cape ; ils regagnèrent l’intérieur du
Nautilus, où Machetruffe leur fit la fête, et se remirent en route. Les trois
hommes d’équipage manœuvrèrent en cadence la bielle, tandis que la
capitaine approchait lentement son vaisseau des falaises sud. Félix se
surprit à chanter le tube des White Rabbits pour rythmer leur effort, et les
deux autres enfants vinrent charitablement à son aide.
Le pan de roc qui formait la rive s’incurva vers les montagnes,
révélant une tranchée qui s’enfonçait profondément dans la roche grise.
Les murailles de chaque côté du passage s’élevaient de plus en plus haut à
mesure que l’on s’avançait dans le chenal, et celui-ci, large d’une bonne
cinquantaine de mètres à son embouchure, allait rétrécissant. Finalement,
le passage se révéla être un cul de sac d’une centaine de mètres de
longueur, et guère plus large de vingt mètres à l’endroit où il mourrait
contre la falaise.
Le fond du passage était pratiquement déjà dans les ténèbres ; ils
ouvrirent l’écoutille et sortirent pour inspecter les à-pics vertigineux qui
les encerclaient. On en voyait plus du ciel qu’une étroite bande bleue, audelà des murailles de roche.
— Une chose est sûre, constata Simon, Il n’y a pas de chenal secret.
— Qui parlait de chenal ? C’est un canal souterrain que nous
cherchons.
Simon faillit s’étrangler.
— Ce serait de la folie ! Ce sous-marin n’est rien d’autre qu’une sorte
de barrique allongée ! Le moindre rocher et il se fracasse !
Sans tenir compte des récriminations de son ami, Melissa saisit la
bille magique et s’engagea sur l’échelle.
— Je vais mettre notre phare en place.
Simon examina la carte avant de prendre les autres à témoin.
— Le passage des Gobelins doit faire plusieurs kilomètres ! Et une
fois engagé dedans ? Nous allons être entraînés par le courant ! Je n’ai pas
envie d’aller jouer les spéléologues embarqué dans un tonneau !
— Du calme, plaida Félix. Attendons de voir.
Une fois Melissa de retour, ils bouclèrent l’écoutille et amorcèrent
lentement la descente. La lumière de leur projecteur magique s’intensifia,
faisant reculer les ténèbres alentour. La coque, sous l’effet de la pression,
émit un petit craquement qui fit bondir Simon.
— Arrêtez de remplir les ballasts, je vois le fond, annonça Melissa. Et
je vois l’entrée.
Ils se pressèrent contre les hublots. Au pied de la falaise sous-marine
s’ouvrait une ouverture béante, d’une quinzaine de mètres de diamètre. La
lumière ne faisait qu’en effleurer l’entrée, lui donnant l’aspect peu
engageant d’une gueule vorace. Ils restèrent comme hypnotisés lorsque
Simon toussa.
— C’est moi, ou on est en train d’avancer ?
— Il y a du courant, constata Haldriss. Il nous faut nous décider.
— L’entrée paraît confortable, commenta Melissa.
— C’est de la folie ! cria Simon. Il faut faire marche arrière !
Il se jeta sur les vilebrequins avant de constater qu’il ne savait pas
comment les actionner pour faire tourner l’hélice à l’envers. Leur
mouvement était contraint par quelque mécanisme invisible. Félix chercha
en vain à les débloquer, aidé d’Haldriss, tandis que Melissa restait au
gouvernail. Elle ne tarda pas à crier :
— On part en travers ! Moulinez, sinon on va racler le bord du
passage !
Les trois matelots obéirent, Simon ajoutant quelques jurons à la
manœuvre, et le sous-marin s’engouffra gracieusement dans la rivière
souterraine.
Le courant était plus fort que prévu, ce qui finalement s’avéra une
bonne chose, car leur vaisseau fila droit dans l’énorme conduit, sans aller
se frotter, ni sur fond ni sur les bords. Le bois protestait cependant avec
force, grinçant et craquant de manière alarmante. Les occupants retenaient
leur souffle, les yeux rivés sur les parois sombres qui défilaient à toute
allure.
Simon parvint à émettre un gémissement.
— Si jamais il y a un coude, on est fichu
— Les foreurs ont fait leur travail comme ils devaient le faire, dit
Haldriss.
Félix prit conscience du sens des paroles du petit homme. Ce passage,
rond comme l’intérieur d’un tuyau géant n’avait rien de naturel, il avait été
creusé. Par quelles techniques incroyables ? Impossible d’en avoir la
moindre idée, mais si Haldriss voyait juste, alors ils avaient des chances de
s’en tirer vivants. Par contre, s’il se trompait…
Machetruffe n’était guère plus à l’aise malgré ses quatre points
d’appui : les pattes largement écartées, il semblait prêt à tout instant à
déraper pour venir s’écraser contre ses compagnons humains.
— Est-ce que le périscope peut se rentrer ? demanda soudain Melissa.
Haldriss bondit et en un instant fit coulisser le tube de cuivre dans son
logement.
— Les ingénieurs nains ont vraiment pensé à tout.
— Manque juste une bonne épaisseur d’acier tout autour de leur
barrique, souffla Simon, le nez collé au hublot.
La descente leur parut interminable, et peut-être le fut-elle réellement,
mais comme aucun d’eux n’avait pensé à regarder sa montre à l’entrée du
gouffre, ils ne purent en avoir le cœur net. En fin de compte, le courant
ralentit brusquement, et le sous-marin, après avoir traversé un nuage de
bulles scintillantes comme du cristal dans le faisceau du projecteur, reprit
une assiette horizontale et s’immobilisa. Simon quitta son poste
d’observation, l’air hagard.
— Euh… j’ai l’impression qu’on est encore vachement profond.
Comment on remonte ? Les nains n’ont sûrement pas inventé de bonbonne
d’air comprimé pour remplir les ballasts ?
— Avec les bras ! indiqua Melissa.
A côté du gouvernail se trouvait une poignée qui manœuvrait des
volets de profondeur, et quand les garçons s’activèrent aux vilebrequins, le
sous-marin pointa vers la surface. Ils émergèrent rapidement, à leur grand
soulagement, mais constatèrent alors qu’ils ne se trouvaient pas à l’air
libre, mais dans une sorte de grand lac souterrain. Cette découverte doucha
leur enthousiasme. Après avoir pompé pour remplir les ballasts d’air, ils
ouvrirent l’écoutille et sortirent sur le pont. Il n’y avait aucun bruit, et les
eaux noires étaient immobiles. Melissa dévissa la bille magique et l’utilisa
pour sonder les ténèbres alentour. Des parois rocheuses étaient visibles de
part et d’autre, distantes d’une cinquantaine de mètres. Loin derrière eux,
les eaux étaient moins paisibles, de légers remous marquaient sans doute
l’arrivée de la rivière souterraine. Le plafond de la grotte restait plongé
dans l’ombre.
— Toute pinte de bière bue doit ressortir drue, dit sentencieusement
Haldriss.
— Une maxime appropriée. Avançons, il doit donc y avoir une sortie
de l’autre côté.
Ils traversèrent le lac à allure réduite, jusqu’à ce que Melissa, qui était
restée sur le pont, projecteur en main, pousse un cri.
— Il y a des escaliers taillés dans la muraille de gauche ! Et… une île,
droit devant !
C’était un simple affleurement rocheux, mais sur lequel avait été bâtie
une véritable forteresse miniature, deux tours trapues encadrant une haute
muraille de pierre sèche. Un ponton avait été taillé dans la roche, et Félix
mit le cap dessus. Ils avancèrent prudemment pour accoster sans heurt,
mais une fois à l’amarre, la pertinence de la manœuvre parut soudain bien
discutable, tant la construction était sinistre. Melissa balayait la muraille
de sa torche magique, étirant les longues ombres des murailles sur le lac et
les falaises, avant de les replonger dans une obscurité complète. Une porte
béante s’ouvrait à la base du mur le plus proche.
— Dans quoi est-ce qu’on s’est fourré ? demanda Simon, sans
vraiment attendre de réponse. Qui peut être assez frappé pour venir
construire un fort souterrain ?
— Une ancienne citadelle gobeline, estima Haldriss, le nez en l’air. Je
dirais même une très ancienne citadelle, datant de l’époque où les gobelins
avaient des avant-postes sur les pentes septentrionales des Monts
Brouillasse. Avant que ne les exterminent les Nocturniens.
— Il y a eu des guerres entre les gobelins et les Nocturniens ?
— Sanglantes. A cette époque, les gobelins étaient puissants. Ils
avaient un roi unique. Le dernier a été raccourci d’une tête par une
escouade de Nocturniens ayant pénétré jusque dans la salle du trône, dans
son château de Muglabach, et depuis les gobelins sont divisés en multiples
tribus, bien incapables de construire de telles choses.
Il engloba d’un geste les murailles et les longs escaliers qui
tranchaient d’une ligne nette la falaise.
— Et ce n’est ici qu’un poste de garde. La cité doit se trouver dans des
cavernes voisines.
— Brrr ! Je n’ai pas tellement envie d’aller faire le touriste chez les
gobs, frissonna Simon.
Haldriss sauta sur le minuscule quai.
— Nous allons jeter un rapide coup d’œil ? C’est totalement désert et
semble fort quiet, ajouta-t-il, à l’adresse de Simon.
Ils amarrèrent leur vaisseau et lui emboitèrent le pas, laissant un
Machetruffe fort mécontent au fond du Nautilus. La voûte d’entrée de la
forteresse semblait solide, mais le linteau avait été sculpté en forme de tête
monstrueuse, mise en garde très claire pour les importuns. Ils se glissèrent
sans bruit à l’intérieur de l’antique construction, avec la désagréable
sensation de braver un interdit millénaire. Une cour pavée de blocs
grossiers, à moitié disjoints, s’étendait entre les deux murailles, et la lueur
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