INTERVIEW « Moi, je vais dans le privé » ENTRETIEN AVEC LE DR BENOÎT DUBAU, PHAR DÉMISSIONNAIRE près un début de carrière dans le service public, le Dr Benoît DUBAU a choisi de le quitter. PHAR donne la parole à ce jeune collègue qui a souhaité, sans langue de bois, exposer les raisons de son choix. Nul doute que ses propos sévères doivent nous interpeller. Non seulement nous, les PHAR, mais aussi les tutelles, les directions locales qui, par leurs comportements parfois incompréhensibles, choisissent de laisser fuir ce sang neuf de nos hôpitaux… A PHAR : Vous n'êtes pas encore ce qu'on appelle un quadra et après avoir été PHAR près de 3 ans, vous avez choisi de quitter l'hôpital public pour le secteur libéral. Pour quelles raisons ? PETIT À PETIT, JE SUIS DEVENU UN PION B. Dubau : J'aime le service public.Depuis la fin de mon internat, je l'ai servi et je l'ai défendu.D’abord dans un CHG en grande difficulté,heureusement aujourd’hui remis sur pied,puis dans un CHU. Je pensais réellement y poursuivre ma carrière et faire partie d’une équipe motivée et motivante.Mais je me suis senti de plus en plus mal à l'aise du fait de l’absence de reconnaissance vis-à-vis de ses acteurs.Petit à petit,j’en suis devenu un pion dont peu importaient les envies et les compétences… J’en ai tiré les conséquences. PHAR : Une décision récente alors ? B. Dubau : Cette décision est très récente. Comme je vous l’ai dit, la dégradation des conditions de travail m’a forcé à partir. Je ne regrette pas mon choix,devenu inévitable devant le constat quotidien des tares du système. On parle partout de la crise de confiance de l'hôpital,mais personne ne fait rien.Les rapports sur le désenchantement hospitalier se sont succédés, sans autres effets que des mesures qui cassent l'outil sans vraiment permettre une reconstruction collective sur des bases nouvelles, réellement portées par les acteurs du terrain.C'est le règne de la technocratie et des bavardages médiatiques. De l'affichage pur et simple. Une casse qui m’est devenue insupportable. Je précise ici que je ne suis pas un cas isolé : un autre de mes jeunes collègues a récemment choisi de quitter le même hôpital,pour des raisons similaires… 20 PHAR : Concrètement, quel constat faites-vous ? B. Dubau : Une dégradation inimaginable. J’ai terminé mon clinicat en 2000.À l’époque,grâce aux réformes statutaires (repos de sécurité,48 heures hebdomadaires par exemple,pour lesquels le rôle du SNPHAR a été majeur),cela paraissait intéressant.Les « jeunes » comme moi hésitaient. Puis, à cette phase d'espoir d'amélioration de nos conditions de travail a succédé une période de déconvenues qui se sont accumulées jour après jour.Notamment, la perte du lien social dans les relations au travail. Les cadres n’y croient même plus, tout comme les directeurs, les chefs de service, etc. De sombres nuages à l'horizon pour l'hôpital public et ses acteurs que nous sommes avec les autres personnels.Tout se passe comme si un retour de bâton s'opérait. Absence de dialogue social, crises d'identité des professionnels, perspectives d'avenir assombries par des comportements qui font fi de ce que nous sommes : des médecins hautement qualifiés ; 12 à 15 ans d'études pour qu'un directeur ne prenne même pas la peine de vous accueillir ou simplement répondre à vos courriers, des PHAR qui sont obligés de taper eux-mêmes les comptes rendus de leurs patients, faute de secrétaires. Une sorte de jeu de pions que l'on place ici ou là,sans se soucier de la recherche d'un bienêtre professionnel dont le patient doit, au final, bénéficier. Le lien social disparaît chaque jour,nous voyons la multiplication de « chefs » revendiquant du pouvoir,mais qui n’en acceptent pas les responsabilités et n’en ont pas la vision. Les décideurs locaux qui n'ont les yeux rivés que sur la recherche d'une productivité sans fin.Mais quelle productivité ? Pour moi, l'hôpital, c'est bien autre chose : un groupe humain qui doit trouver fierté et plaisir à l'accomplissement de ses difficiles missions,lesquelles doivent être reconnues et gratifiées. On en est bien loin... Ce n’est pas qu’une question de salaire (là encore,le SNPHAR a joué un rôle majeur pour améliorer la carrière, notamment des plus jeunes). Mais depuis quatre ans,je ne crois pas avoir entendu un seul message réellement positif dans mon entourage.Pas une réunion où se soit seulement exprimée une satisfaction à partager collectivement. Que des problèmes à régler,toujours des problèmes.Sans les solutionner ! Il faut que ça change vite car,sinon,je crains le pire pour la démographie hospitalière : je ne serais pas le seul à partir. PHAR : Pourtant les textes prévoient des espaces de dialogue dans les hôpitaux : CME, conseils de blocs, conseils de service, etc. Formellement, les mécanismes de concertation existent. B. Dubau : En réalité,il n'y a que peu de place pour de vrais échanges.Tout devient rapidement rapport de forces, déplacement de pièces en une stratégie confuse, davantage pour les bénéfices très personnels de quelques-uns que pour des retombées ou des engagements collectifs. C’EST SOUVENT « MOI D’ABORD » AVANT LE BIEN COMMUN Je ne me rappelle pas avoir vu un seul conseil de bloc fonctionner en transparence réelle, où le débat puisse avoir lieu, où des décisions soient prises sur l'avis du terrain,au besoin éclairé d'expertises, pour être réellement suivies d'effets tangibles. Quant aux conseils de service,ce sont le plus souvent (encore hélas !), des réunions de pure forme et non pas de vrais lieux de démocratie interne.D'ailleurs,combien rendent effectivement des PV de séance faisant l'objet d'analyses, de suivi et de mesures correctives par les directions ou les chefs de service ? Les CME ? INTERVIEW Elles sont soit des chambres d'enregistrement, soit des lieux de lutte de pouvoir qui se poursuivent sans fin. Je schématise, mais, à mon avis, rien n'a vraiment changé. Quant aux pôles, c'est une bonne idée, mais on en voit déjà les risques. Les ambitions personnelles se bousculent à leur porte,sans même pouvoir prétendre à un vrai management d'hommes ni gestion de budget. Rien ne change.Des super-chefs de service,avec plus de pouvoir et toujours plus loin du terrain clinique.La plupart des décisions ne sont pas centrées autour de ce qui devrait être notre unique souci : le patient.C’est souvent « moi d’abord » avant le « bien commun ». Et puis les textes, parlons-en ! En France, dans nos hôpitaux, combien de contrats de plages additionnelles ont-ils été proposés aux PH qui les font pourtant ? La réglementation les prévoit, mais pas une administration,ou si peu,ne les met en place.Les PH sont contraints d’aller au contentieux. La « machine » tourne encore, mais pour combien de temps ? les IDE et les IADE sont à ce point désenchantées que la cote d'alerte est atteinte, sans que les cadres s'en rendent compte ou ne puissent réagir. On devrait mesurer plus systématiquement la satisfaction au travail dans les hôpitaux. Une anecdote : une amie est allée se présenter pour un examen d’embauche comme IDE dans un CHU. Elle a été reçue par un directeur des soins infirmiers qui lui a expliqué que c’était un honneur de travailler dans un CHU, que peu importaient ses desiderata : elle irait au bloc comme panseuse. Et oui, il manque d’IBODE, mais personne ne se pose la question de savoir pourquoi les gens ne veulent plus travailler en bloc ! Il n'y a aucune politique des ressources humaines digne de ce nom.On les dilapide avec l'illusion que le bénévolat va pouvoir encore fonctionner. C'est une grave erreur de management. La masse salariale, c'est 70 % du budget hospitalier. À voir comment on gère ce « capital humain », c’est pur gâchis ! PHAR : La part variable dans la rémunération ? B. Dubau : Ça me fait rire et ça me rend pourtant triste. Est-ce que les pouvoirs publics s’imaginent que les médecins vont rester à l’hôpital pour 15 %.Le privé offre des augmentations de 100 à 150 %.Si nous restons à l’hôpital ce n’est pas pour ces 15 %.Notre travail reste centré sur l’homme, sa maladie et sa souffrance. L’hôpital public, plus que de l’argent, doit offrir des conditions de travail (travail en équipe,écoute,multiplication des compétences, respect,valorisation du travail,responsabilisation des différents personnels). Comment imaginer que l'hôpital public puisse se satisfaire de PH qui n'auraient pas,par essence,un désir de qualité de leurs soins ? Que nos collègues chirurgiens aient voulu jouer au gagne-petit (15 %) me choque profondément. Même si je l'abandonne,le statut de PH permettait la reconnaissance des investissements différenciés.On n'avait pas besoin de « ce bidule » de part variable, une pièce de plus dans l'usine à gaz qu'est devenu l'hôpital public. Moi, je vais dans le privé, ça a au moins le mérite de la clarté. Je suis obligé à la qualité, et ça ne change rien à ce que j’ai toujours fait dans le public. La part variable, c’est la casse du statut. Soyons clairs ! PHAR : Vous êtes très pessimiste. Mais alors, où va l'hôpital public ? B. Dubau : Je ne le crains que trop, vers une perte de confiance, une absence de messages positifs. On a oublié que l'homme est au cœur du système pour ne le considérer que dans sa fonctionnalité pure. Une forme inouïe est la flexibilité des personnels qui doit maintenant pouvoir s'exercer indifféremment ici ou là, sans se soucier des apports personnels que le travail doit procurer à chaque soignant.Les compétences relationnelles sont, elles aussi, quasi « protocolisées », là où elles devraient s’enrichir au fil du temps au sein du collectif de travail. Les transmissions ciblées ? Une succession de croix dans des cases. « C’est pas mon secteur » est devenu la phrase la plus souvent prononcée dans les couloirs des hôpitaux... Il n'y a plus assez de place pour les échanges interhumains dans un système où ils sont, pourtant, un mode de ressourcement essentiel. PHAR : Vous espérez donc un réel mieux-être en libéral ? B. Dubau : Sans aucun doute.Tenez, ne serait-ce que l'accueil. J'ai été reçu par le président du CME et le directeur de la clinique. Ils me sont immédiatement apparus plus authentiques,fiers de leur établissement,de ses potentiels,de son développement.Un attachement que je ne ressentais pas dans le public de la part de leurs homologues aux commandes. Une chose m'a particulièrement frappé : après les années passées dans le CHU que je quitte,je n'ai jamais rencontré le directeur général. Le directeur du CHU, je connais son existence,sans plus.Je le redis,dans le public,tout ressemble à de la figuration, tellement à distance du quotidien et de la vraie vie au travail.J'espère que je pourrai prendre des décisions avec mes confrères,là où,à l'hôpital,ma voix n'a en fait jamais vraiment compté... PHAR : Hôpital ou clinique : un choix facile ? B. Dubau : Absolument pas ! Ça a été pour moi une forme de déchirement que de prendre acte après avoir tenté de résister. Je dois dire que le SNPHAR m'a toujours soutenu.Nos collègues et nos directions ne respectent pas assez ce syndicat qui apporte, sur le système, une réflexion à la portée de tous, sans jamais la galvauder.Je sais bien que demain,dire « je travaille à la clinique X » n'aura jamais le même écho en moi que « je travaille à l'hôpital Z ». Mais je sais que j'y espère une forme de reconnaissance qui,à l'hôpital, n'est plus. Un de mes collègues du SNPHAR m'a souhaité bon courage en me disant qu'il mesurait ce choix difficile. « Se séparer de ses rêves n'est jamais simple ! » m’a-t-il dit.C'est à mon tour de lui répondre « Bon courage à vous aussi ! Vous en avez besoin ! Je continuerai de vous porter une grande confiance pour tous les domaines que vous touchez... J’espère que vous poursuivrez votre combat, et que les jeunes vous rejoindront pour défendre l’avenir de l’hôpital public ».D'ailleurs,je resterai abonné à PHAR et à votre site Internet. Un lien qui a toujours été très important pour moi et qui le restera. PHAR : Et les personnels paramédicaux ? B. Dubau : J'ai apprécié et admiré leur réel dévouement et leur attachement au patient,et ceci dans des conditions d'exercice vraiment difficiles. Nous avons vécu des moments très forts que je n'oublierai pas.Seul l'esprit d'équipe autour du patient nous a soudés pour tenir ces dernières années. J'ai aussi le sentiment que SE SÉPARER DE SES RÊVES N’EST JAMAIS SIMPLE Propos recueillis par la rédaction 21