Phèdre : Le monstre marin (vers 1031 à 1049)

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Phèdre : Le monstre marin (vers 1031 à 1049)
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Phèdre : Le monstre marin
(vers 1031 à 1049)
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- Phèdre de Sénèque
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Publication date: lundi 18 avril 2016
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Phèdre : Le monstre marin (vers 1031 à 1049)
Accusé à tort d'avoir voulu violer sa belle-mère, Hippolyte est poursuivi par la colère de
Thésée. A sa demande, Poséidon fait jaillir des flots un monstre marin.
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Traduction juxtalinéaire
Le monstre qui s'approche pour châtier Hippolyte n'a pas été invoqué au hasard : Thésée, en effet, abusé par les
accusations mensongères de Phèdre, s'est tourné vers son père Poséidon, réclamant vengeance : « A présent, fais
que les vents ébranlent les sombres nuées pour étendre un voile de ténèbres, obscurcis le ciel et les étoiles, fais
déborder la mer, mets en branle la foule des monstres marins et appelle du fond même de l'Océan les flots en fureur.
» Or Poséidon, on l'oublie souvent, n'est pas seulement le dieu de la mer : il est également « l'ébranleur de la terre »,
le dieu des séismes et celui qu'on invoque pour mettre une ville à l'abri des colères telluriques.
Rien d'étonnant donc à ce que le monstre soit caractérisé ici par l'hybridité : comme son maître Poséidon, il
appartient à la fois à l'univers marin et à l'univers terrestre, et les deux motifs s'entrecroisent sans cesse dans le
fragment étudié, pour forger une créature hautement épique.
++++
Une créature hybride
Animal terrestre
C'est sous les traits du taureau qu'apparaît d'abord le monstre issu des flots :
Cærml/ tau/rms // cMll/ skb/l-m+s / g r ns
Cet animal « évoque l'idée de puissance et de fougue irrésistibles. (...) Dans la tradition grecque, les taureaux
indomptés symbolisaient le déchaînement sans frein de la violence. Ce sont des animaux consacrés à Poséidon,
dieu des océans et des tempêtes, à Dionysos, dieu de la virilité féconde. [1] » L'importance de taurus dans le vers
est soulignée à la fois par sa présence à la coupe et par le jeu des allitérations en « r » : caerulea, taurus, gerens et,
au vers suivant, erexit. L'adjectif caeruleus signifie « bleu sombre » ou encore « noirâtre » et s'applique assez bien à
la robe du taureau. Notons cependant une ambiguïté sur laquelle nous reviendrons : caeruleus évoque aussi le
bleu... de la mer !
C'est une créature aux aguets : stant hispidæ aurs . Le choix de l'adjectif hispidus joue sur un double sens puisqu'il
signifie à la foi « velu » et « grossier » : le taureau manifeste ainsi toute sa force virile et sa sauvagerie latente. Cette
double thématique de la force mâle et de la brutalité s'entrelace constamment, comme dans la périphrase feri
dominator gregis. Les regards flamboyants (flammam vomunt oculi) participent de cette violence du taureau marin de manière cette fois hyperbolique.
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Mais la créature terrestre est aussi un animal marin, dont les traits apparaissent sans délai et concurrencent l'image
du taureau.
Animal marin
Disons-le, même si c'est une évidence, cette créature est issue de la mer, qui éprouve pour lui comme une sorte de
tendresse : pontus in terrs ruit suumque mMnstrum sequitur. Le possessif suum implique un lien affectif entre le
monstre et la mer qui l'a engendré. Racine prendra le contrepied de cet attachement en faisant dire à Théramène : «
Le flot qui l'apporta recule épouvanté ».
Sénèque entrelace à dessein les aspects terrestre et marin de l'animal. On le voit au balancement des vers 1039 et
1040 caractérisé par une double périphrase :
et quem fer+ domintor habuisset gregis
et quem sub und+s ntus
L'hybridité associe étroitement monde terrestre et monde marin : au vers 1037, si altam jubam fait référence au
taureau, fronte viridant+ évoque pour sa part le monstre marin grâce à la couleur verte [2]. Le vers 1044 reprend le
procédé : pectus ac palear viret : « Sa poitrine et ses fanons sont verts ». Si pectus et palear évoquent le taureau,
c'est à nouveau à la référence au verdissement, grâce au verbe viret, qui introduit le thème marin. A propos de
couleurs, nous avions noté l'ambiguïté du terme caeruleus : de fait, dans un autre balancement - vers 1040 et 1041 la deuxième apparition de l'adjectif se réfère non plus au taureau mais au monstre marin : hinc relucent cærul
+nsignes not : « tantôt [ses yeux] brillent, étranges, d'un éclat bleu. »
Au croisement de deux règnes
Les derniers vers du fragment associent plus étroitement encore les deux animaux : Tum, pone tergus,ultima in
monstrum coit facies : « Puis, à son dos, un dernier détail en fait un monstre » (vers 1046-1047). la progression du
passage concrétise cette hybridité qui ne nous apparaissait jusqu'alors que de manière fragmentaire. C'est
progressivement que l'animal se révèle aux témoins médusés. Pour l'instant, le terme monstrum est assez vague...
La suite en revanche montre et nomme : et ingns blua immnsam trahit squmMsa partem : « l'énorme bête
squameuse traîne une immense queue ». (vers 1047-1048) Les écailles (squama, ae en latin) sont l'indice ultime de
la double nature du monstre, que l'on peut dire « équilibré » dans la mesure où immensam, qui évoque la queue du
monstre marin, répond à ingens, qui s'applique au taureau : la démesure répond à la démesure... Mais à quoi
ressemble concrètement la partie marine de cette créature hybride ? Sénèque lâche le mot pistrix, terme générique
qui peut désigner une baleine, un requin, un poisson-scie... On s'en contentera, d'autant plus que l'animal est
présenté au sein d'une comparaison : Talis extremo mari Pistrix citatas sorbet aut frangit rates : « telle, au fond des
mers, La baleine qui engloutit ou brise les navires en mouvement. »
++++
Une créature épique
Par son origine
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Les spectateurs du film Alien le savent, le monstre n'est jamais aussi effrayant que durant ces longues minutes
d'attente où l'on ne connaît pas encore ses traits. C'est pourquoi Sénèque, en dramaturge consommé, choisit
d'évoquer d'abord le fantastique enfantement de la créature venue des eaux : Inhorruit concussus undarum globus,
solvitque sese : « La masse des eaux se hérissa, secouée et se brisa. » L'emploi du verbe inhorreo est intéressant
dans la mesure où il évoque de manière concrète le gonflement des eaux et, plus abstraitement, l'horreur qui saisit
les témoins de la scène. Le messager confirme ce sentiment un peu plus loin - ce sera la seule évocation directe de
la terreur générale - Os quassat tremor : « Un tremblement nous secoue les os. » C'est déjà la colère de Poséidon
qui s'empare des corps : n'est-il pas le dieu qui ébranle (quasso) ?
Fils des eaux, le monstre est poussé par elles. et litori invexit malum majus timore : « [la masse des eaux] apporta au
rivage un fléau plus grand qu'on eût craint. » Tout reste encore très abstrait et empreint d'une horreur vague qui se
concentre sur les substantifs malum et timore, dans un passage reparuable par le jeu des nasales et les allitérations
en « i ».
Par ses dimensions
Le monstre épique n'est pas n'importe quel monstre : il doit impressionner par ses dimensions. Qu'on se souvienne
du Cyclope peint par Virgile dans L'Enéide, monstrum horrendum, informe, ingens, cui lumen ademptum : « c'est un
monstre effrayant, difforme, gigantesque, aveugle ». Le messager témoigne de l'horrible fascination de l'être qui se
dresse devant lui, prélude à une description plus poussée : Quis habitus ille corporis vast+ fuit ! « Ah ! Ce qu'était
l'aspect de son vaste corps ! » L' adjectif vasti, qui magnifie le monstre, joue un rôle important dans ce
grandissement épique, de même que sublimis plus loin, de même que altam devant jubam au vers 1037. Au vers
1045, l'expression longum latus, éclatée aux deux extrémités du vers, dépeint une nouvelle fois un être hors norme.
par sa puissance
Mais il ne suffit pas d'être grand pour effrayer. Il faut aussi témoigner d'une irrésistible force. La musculature du
taureau est mise en valeur dans le passage Opima cervix arduos tollit toros : « Sa nuque opulente forme une haute
saillie de muscles ». Le jeu de mots entre taurus, le taureau et torus, le muscle, crée une équivalence entre l'un et
l'autre : le taureau, c'est du muscle pur... Pour des Romains habitués aux spectacles du cirque, la colère du monstre
a quelque chose de familier : nrsque hiulc+s haustibus patulæ fremunt. « et ses larges naseaux frémissent de
profondes inspirations ». On remarquera comment le groupe hiulc+s haustibus est mis en valeur par le jeu des
voyelles et pas sa position entre les mots naresque et patulae, qui se rapportent l'un à l'autre.
++++
Conclusion
Fidèle au recommandations d'Horace [3], et inspiré par l'exemple d'Euripide, Sénèque a fait le choix de raconter
plutôt que de représenter : « Ne mets pas sur la scène ce qui doit se passer dans la coulisse, et soustrais aux
regards certains faits, que viendra raconter un témoin oculaire. Ce n'est pas devant le public que Médée doit
massacrer ses enfants, l'exécrable Atrée faire cuire les membres de ses fils, Procné se changer en oiseau, Cadmus
en dragon. Je n'ajoute aucune foi à de tels spectacles et je ne les admets pas. [4] » C'est donc le double talent du
dramaturge et du comédien qui doivent compenser cette difficulté. Ici, Sénèque a su ménager avec habileté ses
effets, en dévoilant progressivement les traits d'un monstre qui doit doit tout à sa repoussante hybridité. C'est
d'ailleurs ce qui fait l'originalité de cette évocation, qui se concentre sur la fascination qui pétrifie les compagnons
d'Hippolyte terrorisés.
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Phèdre : Le monstre marin (vers 1031 à 1049)
[1] Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, © Robert Laffont
[2] Viridans est le participe présent du verbe virido, qui signifie « être vert »
[3] Horace (en latin Quintus Horatius Flaccus) est un poète latin né à Vénose dans le sud de l'Italie, le 8 décembre 65 av. J.-C. et mort à Rome le
27 novembre 8 av. J.-C.
[4] L'Art poétique
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