L’Information psychiatrique 2012 ; 88 : 381–4 QUESTION OUVERTE Mesurer les durées d’hospitalisation : note méthodologique François Chapireau Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. RÉSUMÉ Les enjeux méthodologiques sont importants pour l’étude des durées d’hospitalisation en psychiatrie, mais ils sont rarement discutés. Quatre points sont analysés dans cette note : les règles de calcul d’un indicateur, la signification de l’indicateur, le choix de l’indicateur et celui du modèle théorique. Mots clés : durée de séjour, hospitalisation psychiatrique, indicateur de gestion, méthodologie ABSTRACT Measuring duration of hospital stay : a methodological note. Methodological issues are important for the study of the duration of hospital stay in mental hospitals, but they are rarely discussed. Four points are analyzed in this note : rules in calculating an indicator, the significance of the indicator, choice of the indicator, and choice of a theoretical model. Key words: length of hospital stay, psychiatric hospitalization, management indicator, methodology RESUMEN Medir la duración de la hospitalización. Lo que se juega a nivel metodológico es importante para el estudio de la duración de la hospitalización en psiquiatría, pero pocas veces se pone a discusión. Cuatro puntos se analizan en esta nota : las reglas de cálculo de un indicador, el significado del indicador, la elección del indicador y la del modelo teórico. Palabras claves : duración de estancia, hospitalización psiquiátrica, indicador de gestión, metodología doi:10.1684/ipe.2012.0930 Les durées d’hospitalisation sont l’objet d’une attention soutenue. Des indicateurs sont utilisés pour en suivre l’évolution. Des comparaisons sont effectuées. L’organisation des soins en tient compte. Or, les indications méthodologiques disponibles se bornent à formuler le mode de calcul des indicateurs, comme si leur usage était dépourvu d’ambiguïté. Ce n’est pas le cas. La mesure des durées d’hospitalisation peut donner lieu à des malentendus, voire à des contresens. Une réflexion méthodologique Psychiatre des hôpitaux honoraire, responsable du département d’information médicale, ASM 13, 11, rue Albert-Bayet, 75013 Paris, France <[email protected]> Tirés à part : F. Chapireau est nécessaire. Quatre questions seront évoquées de la plus pratique à la plus générale : les règles de calcul d’un indicateur, la signification de l’indicateur (ce qu’il indique), le choix de l’indicateur et celui du modèle théorique. Pour les rendre aussi claires que possible, le jargon technique sera évité. Les règles de calcul de l’indicateur Le plus souvent, les durées d’hospitalisation sont étudiées à l’aide d’une moyenne, calculée en divisant le nombre annuel de journées d’hospitalisation par le nombre de séjours observés sur la même période (c’est la durée moyenne d’hospitalisation par séjour, appelée par abréviation la durée moyenne de séjour ou DMS) ou bien par le nombre de patients concernés (c’est la durée moyenne d’hospitalisation par patient, appelée par abréviation la durée moyenne d’hospitalisation ou DMH). L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 88, N◦ 5 - MAI 2012 381 Pour citer cet article : Chapireau F. Mesurer les durées d’hospitalisation : note méthodologique. L’Information psychiatrique 2012 ; 88 : 381-4 doi:10.1684/ipe.2012.0930 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. F. Chapireau Malgré la simplicité apparente du calcul, les erreurs sont possibles. La plus grave tient à l’omission des patients déjà présents le premier jour de la période. Elle figure encore dans certains documents du ministère de la Santé. De quoi s’agit-il ? Le numérateur comprend la totalité des journées comptées dans l’année, et inclut donc celles qui correspondent aux patients déjà présents le premier jour, c’est-à-dire aux séjours déjà en cours au début de la période. Quand le dénominateur ne comprend que les séjours ayant débuté au cours de la période (ou les patients admis), les deux termes de la division ne portent pas sur les même évènements. Le résultat est trop élevé car il attribue aux séjours ayant débuté au cours de la période (ou aux patients admis) des journées qui correspondent en fait à ceux qui étaient déjà en cours (ou déjà présents) le premier jour. Pour que le numérateur et le dénominateur portent sur les mêmes évènements, il faut inclure dans le dénominateur le nombre de patients dont le séjour est déjà en cours au premier jour de la période. Ces remarques ne sont pas sans conséquence. Un texte aussi important que le Rapport Massé [5] a basé ses propositions sur des données officielles nettement surestimées à cause de cette erreur de calcul. Ainsi, ce rapport cite le chiffre (tiré de l’enquête H80) de 60,9 jours pour la durée moyenne de séjour par séjour dans l’ensemble des établissements et services sectorisés en 1989. Si le calcul avait été effectué comme il aurait du l’être, en comptant aussi les présents au premier janvier, le lecteur aurait appris que cette DMS était en fait de 52,0 jours. De plus, l’ampleur de l’erreur n’a pas été la même selon la catégorie d’établissement (CHS, HPP, CHG et cliniques). Dès lors, les comparaisons proposées dans la publication officielle et reprises dans le rapport Massé étaient fallacieuses. À partir de l’activité de 1989, les documents du ministère consacrés aux secteurs de psychiatrie ont présenté une DMS par patient (DMH) calculée sur l’ensemble de la file active hospitalière et incluant donc les présents au 1er janvier. En revanche, la DMS par séjour publiée dans la Statistique d’activité des établissements (SAE) continue actuellement à être calculée sans compter les présents au 1er janvier. La signification de l’indicateur La durée moyenne d’hospitalisation est un indicateur. Il convient de ne pas se tromper sur ce qu’il indique. Toute erreur sur ce point a des conséquences sur les décisions, puisque l’information supposée ne correspond pas à l’information effective. Ainsi, il est courant d’entendre que si dans un hôpital A, la durée moyenne de séjour est de X jours, cela signifie qu’un patient admis dans cet établissement va probablement y rester pour une durée de X jours. Cette affirmation semble être du simple bon sens. Pourtant, elle est presque toujours fausse. Pour le comprendre, il faut s’arrêter sur l’effet de répartition produit par la moyenne. C’est particulièrement net dans l’exemple 382 suivant : le New York Times du 29 mars 2007 a rendu compte d’une étude portant sur l’évolution du revenu des Américains de 2004 à 2005. D’une année à l’autre, le revenu moyen a augmenté d’environ 9 %. Cela signifie-t-il qu’en un an, chaque citoyen américain a vu son revenu s’accroître en moyenne d’environ un dixième ? On pourrait le croire. Ce serait une erreur. Le citoyen moyen et le revenu moyen sont tout à fait distincts. En effet, l’article du New York Times nous apprend que de 2004 à 2005, le revenu de 90 % des Américains a légèrement baissé (0,6 %). Si le revenu moyen a quand même augmenté, c’est parce que le revenu des 10 %, les plus riches, s’est nettement accru. Lors du calcul du revenu moyen, cet accroissement a été réparti entre les Américains, puisque (rappelons-le) le revenu moyen est calculé en divisant la somme de tous les revenus par le nombre de personnes concernées. Telle est la répartition produite par les moyennes. Bien entendu, le même phénomène se produit pour les durées moyennes de séjour. Qu’il s’agisse de la DMS par patient (DMH) ou de la DMS par séjour, les valeurs les plus élevées pèsent beaucoup sur les moyennes. De même, qu’il ne faut pas confondre revenu moyen et américain moyen, de même, c’est une erreur d’assimiler séjour moyen et patient moyen. Ainsi par exemple, c’est une erreur de penser que si à l’hôpital A, la durée moyenne de séjour est plus élevée qu’à l’hôpital B, alors les patients admis dans l’hôpital A vont probablement y rester plus longtemps que s’ils avaient été admis dans l’hôpital B. Il est même possible que le contraire soit vrai. En effet, pour que la durée moyenne de séjour soit plus élevée dans l’hôpital A que dans l’hôpital B, il suffit que l’hôpital A reçoive davantage de patients de long séjour que l’hôpital B. La DMS n’apporte pas d’information sur le sort du patient moyen. Elle informe sur la consommation de ressources. Le choix de l’indicateur Quel est l’indicateur qui va nous informer sur le sort du patient moyen ? C’est la médiane. La médiane est la valeur qui sépare une population donnée en deux groupes d’effectif égal de manière à ce qu’il y ait autant de personnes se trouvant au-dessus et au-dessous de cette valeur. En France, la durée médiane des séjours révolus en psychiatrie est devenue inférieure à 44 jours à partir de 1970. Autrement dit, dès 1970, la moitié des malades sortis dans l’année avait effectué un séjour de 44 jours au plus [3]. En 1978, près de deux patients sur trois (64 %) étaient sortis avant cette durée [4]. Ces résultats contrastent fortement avec ceux touchant la durée moyenne de séjour par patient, qui est descendue à 45 jours en 2000 seulement. Cet écart montre à quel point il est important de ne pas confondre durée moyenne et durée médiane. Croire aujourd’hui qu’une personne admise en service de psychiatrie va probablement y rester 45 jours, c’est prendre la situation L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 88, N◦ 5 - MAI 2012 Mesurer les durées d’hospitalisation : note méthodologique de 1970 pour celle de 2000. Fonder aujourd’hui des décisions sur cette idée, c’est agir non pas en fonction de la situation actuelle, mais par rapport à celle de 1970. Il n’y a plus de donnée nationale sur la durée médiane de séjour depuis 1978. Une enquête conduite en 2000 par la Caisse régionale d’assurance maladie dans l’ensemble de la région Aquitaine a montré que la moitié des patients admis en service sectorisé de psychiatrie pendant l’enquête étaient sortis après un séjour de 13 jours au plus [1]. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. Le choix du modèle théorique La moyenne et la médiane représentent des situations typiques. Mais, la mesure des durées d’hospitalisation s’intéresse aussi aux situations atypiques. C’est le cas notamment des séjours de longue durée, qui ont occasionné plusieurs enquêtes et des débats animés. Si les patients de long séjour suscitent tant d’attention, c’est parce que parmi eux, une proportion notable est sensée relever non pas du secteur sanitaire mais du secteur médicosocial (maison d’accueil spécialisée, foyer d’accueil médicalisé, etc.). Le choix de transférer des personnes du secteur sanitaire vers le secteur médicosocial est un choix politique qu’on peut approuver ou non, mais qui ne soulève pas en lui-même de difficulté méthodologique. La difficulté méthodologique est ailleurs. À la base de cette politique se trouve l’idée, selon laquelle une fois que les patients de long séjour ont quitté les services de psychiatrie, il est possible de fermer un nombre de lits analogue au nombre de personnes transférées, et donc de réduire les coûts. Cette politique reste un axe majeur de la planification des équipements psychiatriques. Selon la Mission nationale d’appui en santé mentale, elle pourrait toucher le quart voire le tiers des lits sectorisés [6]. Elle repose sur une hypothèse implicite : une fois que les personnes sont dans le secteur médicosocial, rien ne se passe dans les services de psychiatrie. C’est une représentation semblable à celle des vases communicants. Ce modèle est statique, quasi mécanique. Il est trompeur. Les faits le contredisent souvent. En pratique, que se passe-t-il ? Dans de nombreux cas, et de plus en plus fréquemment, lorsqu’un lit est « libéré » par la sortie d’un patient de long séjour, ce lit est aussitôt occupé par un autre patient. Bien plus, parmi ces nouveaux, certains deviennent à leur tour des patients de long séjour [2]. Le modèle des vases communicants est trompeur, car la population hospitalisée est en renouvellement constant. Son principal caractère n’est pas d’être statique, mais au contraire d’être dynamique. Cette dynamique est complexe. Ainsi, il ne faut pas se tromper sur l’effet des soins psychiatriques qui se déroulent en dehors de l’hôpital. Selon le modèle des vases communicants, les soins ambulatoires ou à temps partiel ont un effet d’« alternative à l’hospitalisation ». De fait, certaines hospitalisations sont évitées grâce à des soins mieux adaptés, et d’autres sont raccourcies parce que les soins se poursuivent sous une autre forme. Toutefois, une conséquence du vaste développement des soins ambulatoires et à temps partiel est l’accroissement considérable du nombre de personnes ayant accès aux soins psychiatriques et donc du nombre de celles qui sont susceptibles d’être hospitalisées. D’autres facteurs jouent dans le même sens, comme la plus grande tendance à se reconnaître en souffrance psychique, la présence de psychiatres dans les services d’urgence, etc. Le modèle des vases communicants ne prend pas du tout en compte ces phénomènes. De plus, en raison de la disparité des équipements de soins d’un lieu à l’autre, mais aussi de la diversité des pratiques à l’hôpital et autour de l’hôpital, ces dynamiques varient elles aussi fortement dans le temps et dans l’espace. Il convient pourtant de mesurer toutes les dimensions de la situation empirique, si l’on veut comprendre la variété des dynamiques et dégager des axes d’amélioration adaptés à la diversité des situations. À côté des longs séjours, l’autre situation atypique est celle des séjours très courts. Selon le modèle des vases communicants, il n’y a pas de raison de s’y intéresser. Pourtant, il n’est pas indifférent dans la vie d’une personne d’être hospitalisée en psychiatrie, même si c’est pour en sortir presque aussitôt. De plus, les hospitalisations très courtes font appel à la disponibilité et à l’énergie des soignants et les restreignent pour les autres patients. Leur fréquence actuelle n’est pas connue mais elle est sans doute notable, car en 1978, un malade sorti sur cinq était resté moins de huit jours hospitalisé en psychiatrie [4]. L’étude des hospitalisations très courtes sera riche d’enseignements. Pourvu qu’elle soit conduite selon une méthodologie rigoureuse, elle permettra de connaître les cas dans lesquels les professionnels eux-mêmes pensent que l’admission n’est pas justifiée et elle éclairera la diversité des facteurs ayant conduit néanmoins à l’admission, ce qui permettra ensuite d’agir de manière appropriée à chaque situation. Malgré tout cela, les séjours très courts suscitent peu d’intérêt : est-ce parce qu’ils ne concernent qu’un faible nombre de journées et que par conséquent aucune économie financière immédiate n’est à attendre de leur côté ? Conclusion Que soit formulé le choix politique d’imposer certaines limites aux soins hospitaliers, c’est un sujet légitime de débat démocratique. Que ces limites soient décidées sur la base de méthodes fausses et de théories inappropriées, c’est une erreur méthodologique qui a deux conséquences. D’une part, les solutions proposées portent à faux dans la mesure où elles reposent sur une connaissance erronée des situations qu’elles visent à modifier. D’autre part, les préoccupations financières prennent une place disproportionnée aux dépens du souci du sort des personnes. Pour mieux connaître le sort des personnes, pour L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 88, N◦ 5 - MAI 2012 383 F. Chapireau mesurer les durées médianes de séjour et pour analyser les diverses dynamiques des populations soignées, il faudra apporter quelques adaptations au système actuel de recueil d’informations en psychiatrie, puis se donner les moyens d’étudier les données recueillies. Conflits d’intérêts : aucun. 2. Chapireau F. Les nouveaux longs séjours en établissements de soins spécialisés en psychiatrie : résultats d’une enquête nationale sur un échantillon représentatif (1998-2000). L’Encéphale 2005 ; 31 : 466-76. 3. Inserm. Statistiques médicales des établissements psychiatriques. Année 1970. Paris : Inserm, 1973. 4. Inserm. Statistiques médicales des établissements psychiatriques. Année 1978. Paris : Inserm, 1982. Références 5. Massé G. La psychiatrie ouverte. Rennes : Éditions ENSP, 1997. 6. MNASM. Guide pour une démarche plurielle de conduite du changement. Paris : MNASM, 2011. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. 1. Bénétier M, Dupuy P, Dupouy-Dupon C, et al. Les patients en hospitalisation complète en psychiatrie dans la région Aquitaine. Pratiques et Organisation des Soins 2006 ; 37 : 205-13. 384 L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 88, N◦ 5 - MAI 2012