Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège Réchauffement climatique et perte de biodiversité végétale: quelles conséquences sur les bactéries du sol? 13/02/09 Acteurs de l'ombre, les micro-organismes du sol sont indispensables au bon déroulement du cycle de l'azote. Monique Carnol et Sandrine Malchair se sont penchées sur les bactéries responsables d'un processus de ce cycle. Leur objectif ? Tenter de déterminer si le réchauffement climatique et la perte de diversité végétale influencent la diversité et l'activité de ces micro-organismes. Rares sont les jours où les médias ne traitent pas du réchauffement climatique et ne relatent pas les nouvelles constatations alarmantes des scientifiques. Mais si les conséquences du réchauffement global à la surface de notre planète et dans l'air sont de mieux en mieux connues, qu'en est-il sous terre ? De taille microscopique, invisibles à l'œil nu, les micro-organismes du sol ont néanmoins un très grand rôle à jouer. Il y en aurait autant dans deux poignées de terre que d'êtres humains en Amériques du Nord. Ces bactéries, champignons et autres micro-organismes sont des acteurs incontournables des cycles biogéochimiques, notamment parce qu'ils transforment la matière organique en matière minérale, assimilable par les végétaux. Si les scientifiques se sont souvent penchés sur ces processus de transport et de transformation du carbone, de l'azote, de l'eau et de bien d'autres éléments de façon globale, peu d'entre eux en ont exploré les coulisses. Sandrine Malchair et Monique Carnol du Laboratoire d'écologie végétale et microbienne de l'Université de Liège s'appliquent depuis 3 ans à mieux connaître les acteurs de l'ombre du cycle de l'azote. Plus précisément, la doctorante et sa promotrice de thèse tentent de déterminer si le réchauffement climatique et la perte de diversité végétale auraient un impact sur l'activité et la diversité des bactéries d'un des processus intervenant dans le cycle de l'azote. «Les micro-organismes sont responsables de la décomposition de la matière, c'est-à-dire de la transformation de la matière organique en matière minérale assimilable par les plantes», explique Monique Carnol. «Jusqu'ici, le monde scientifique s'est surtout penché sur l'étude des composants chimiques et peu sur les bactéries elles-mêmes car l'étude de celles-ci, par leur culture en laboratoire, n'était pas évidente. Aujourd'hui, les techniques moléculaires ont évolué et permettent d'étudier ces bactéries via leur ADN, extrait directement à partir du sol, sans passer par la culture», poursuit-t-elle. Le cycle de l'azote comporte plusieurs processus. Parmi eux : la nitrification. Au cours de cette étape du - - cycle, l'ammoniac est transformé en nitrites (NO2 ), puis en nitrates (NO3 ) grâce à l'intervention de bactéries présentes dans le sol (voir schéma ci-dessous). Une fois la nitrification accomplie, les végétaux sont alors - capables d'absorber via leurs racines les ions NO3 et ils les incorporent dans les acides aminés et les protéines, notamment. © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 19 April 2017 -1- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège «Nous nous sommes focalisées sur les bactéries intervenant lors de la première étape de la nitrification : les bactéries oxydant l'ammoniac (NH3), appelées AOB. Celles-ci se chargent de transformer l'ammoniac en - nitrites (NO2 ) et leur action est déterminante pour la production finale de nitrates», indique Sandrine Malchair. Trois degrés de plus Dans le cadre de sa thèse, cette jeune chercheuse collabore avec l'Université d'Anvers (UIA) et l'Université Catholique de Leuven (KULeuven). Elle a ainsi pu bénéficier pour ses expériences de la plateforme expérimentale installée sur le campus Drie Eiken de l'UIA. Cette dernière compte 12 chambres exposées à la lumière naturelle parmi lesquelles six, non chauffées, sont à température ambiante et six autres, chauffées, atteignent une température de 3 degrés au dessus de la température ambiante. Soit l'équivalent de la hausse de température prédite par les experts du réchauffement climatique. © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 19 April 2017 -2- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège A l'intérieur de chacune de ces chambres, les scientifiques ont reproduit des écosystèmes modèles de prairie contenant neuf, trois ou une espèce de plantes; représentant une 'richesse spécifique' décroissante. Grâce à ce dispositif, Sandrine Malchair a donc pu simuler un réchauffement climatique ainsi que trois niveaux de biodiversité végétale. Après 4 et 16 mois d'expérimentation, la chercheuse a alors récolté des tranches de sol des différents milieux afin de découvrir quelles espèces d'AOB étaient présentes et quelle était la production en nitrates de ces communautés bactériennes. Pour ce faire, la doctorante a utilisé la technique de l'extraction d'ADN à partir du sol. Celle-ci consiste à détruire les membranes cellulaires des bactéries à l'aide de diverses solutions afin d'en libérer leur ADN. Une fois ces fragments de génomes récupérés, Sandrine Malchair a procédé à la réplication ciblée des morceaux d'ADN des AOB grâce à une technique appelée Polymerase Chain Reaction (PCR). Celle-ci permet d'obtenir d'importantes quantités d'un fragment d'ADN spécifique et de longueur définie. Ensuite, afin de déterminer le nombre d'espèces d'AOB présentes dans l'échantillon de terre, la chercheuse a placé les morceaux d'ADN sur un gel d'électrophorèse en gradient dénaturant (DGGE) permettant de séparer les molécules de même taille. Le nombre de bandes obtenues reflétait alors la richesse spécifique en AOB de l'échantillon. Le séquençage de ces bandes (détermination de la composition en bases de ces fragments d'ADN) permet également de déterminer l'identité des AOB présentes. © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 19 April 2017 -3- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège L'évaluation de la production de nitrates par les bactéries oxydant l'ammoniac était quant à elle mesurée par incubation de l'échantillon de terre dans l'obscurité durant 30h, à 25°C et en présence d'un excès de substrat. La production potentielle de nitrate représentait l'activité des AOBs au moment de l'échantillonnage. Pas d'effet sur la production de nitrate Les résultats de ces analyses, bien que préliminaires, révèlent certaines tendances. Tout d'abord, dans ce contexte d'expérimentation, la hausse de 3°C simulant un réchauffement climatique ne semble pas avoir d'effet sur la diversité des AOB dans le sol, ni sur la production de nitrates. Par contre, les scientifiques ont observé © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 19 April 2017 -4- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège des communautés d'AOB différentes dans le sol des écosystèmes à une, trois ou neuf espèces de plantes. La diversité végétale d'un écosystème aurait donc une influence sur la présence d'espèces de micro-organismes. Enfin, «En ce qui concerne le lien entre la diversité des bactéries et la production de nitrates, celui-ci n'est pas encore très clair. Nous avons observé dans certains cas une relation inverse entre le nombre d'espèces de bactéries oxydant l'ammoniac présentes dans le sol et la production de nitrates. Mais il est trop tôt pour tirer des conclusions», affirme Sandrine Malchair. «Il est cependant intéressant de remettre en cause l'idée fréquemment reçue selon laquelle plus un écosystème est (bio)diversifié, mieux il fonctionne», continue la chercheuse de l'ULg. L'hypothèse de base émise par les chercheurs au commencement de cette étude, à savoir : « une plus grande diversité végétale entraînerait une plus grande diversité de AOB et donc une plus grande production de nitrates » serait donc trop élémentaire. «Cette étude entrouvre une porte pour essayer de voir « qui est là » en termes de bactéries oxydant l'ammoniac et de comprendre quels sont les facteurs qui influencent leur diversité et/ou leur productivité», poursuit Monique Carnol. Un deuxième volet de recherches de Sandrine Malchair consiste en l'étude des écosystèmes forestiers. La doctorante travaille également à l'étude des liens potentiels entre les espèces d'arbres et les communautés de bactéries oxydant l'ammoniac présentes dans le sol des forêts. Cette recherche a été partiellement financée par le FWO (Fonds Wetenschappelijk Onderzoek - Vlaanderen) le 'Fonds de la recherche scientifique' (FNRS) et l'Université de Liège (Fonds Spécial de la Recherche). Elle s'est effectuée en collaboration avec Hans J. De Boeck, Catherine M.H.M. Lemmens, Reinhart Ceulemans et Ivan Nijs (Research Group of Plant and Vegetation Ecology, Department of Biology, Universiteit Antwerpen; http://webhost.ua.ac.be/pleco) et Roel Merckx (Division Soil and Water Management, Faculty of Bioscience Engineering, Katholieke Universiteit Leuven). © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 19 April 2017 -5-