Anne Abeillé (U. Paris 7) & Robert Borsley (U. of Essex) [email protected] / [email protected] La syntaxe des corrélatives comparatives en anglais et en français Il est souvent difficile de distinguer coordination et subordination. Il a parfois été proposé qu’une construction soit analysée come coordonnée en syntaxe et subordonnée en sémantique, ou vice versa. Culicover et Jackendoff (1997), par exemple, proposent qu’en anglais, les exemples tels que (1) soient syntaxiquement des coordinations mais qu’en sémantique il s’agisse d’une subordonnée suivie d’une principale: (1) One more can of beer and I’m leaving. Culicover et Jackendoff (1999) proposent une analyse similaire pour les corrélatives comparatives (CC) en anglais (cf 2). (2) The more books I read, the more I understand. Nous montrons qu’on n’a pas besoin de cette discordance entre syntaxe et sémantique, car il y a des arguments proprement syntaxiques pour montrer qu’il faut analyser la seconde proposition comme principale. Quand le contexte impose le subjonctif, c’est le verbe de la seconde proposition qui est concerné, et pas celui de la première: &It is imperative that # &the more John eats, the more he pay # (3) % " % " $I demand that ! $* the more John eat, the more he pays! De plus, l’inversion sujet-auxiliaire est possible dans la seconde proposition mais pas dans la première: (4a) est grammatical mais pas (4b). (4)a. ?The more Bill smokes, the more does Susan hate him. b. *The more does Bill smoke, the more Susan hates him. Le seul véritable argument de Culicover et Jackendoff pour une analyse coordonnée est le fait que l’ordre des deux propositions est fixe (pour une interprétation donnée). Mais, comme ils le notent eux-mêmes, on a la même rigidité dans les constructions conditionnelles en if-then comme le montrent les exemples (5): (5)a. If I read more books, then I understand more. b. *Then I understand more if I read more books. Nous proposons donc que la construction CC en anglais soit un cas de subordination syntaxique et sémantique. En français, la construction CC semble plus proche d’une construction coordonnée car elle peut inclure la conjonction “et” (cf 6a). Les contraintes de symétrie sont plus fortes car l’inversion du sujet clitique est possible dans les deux propositions (cf 6b), et en cas d’extraction, on doit extraire de chaque proposition (7): (6) a Plus il court (et) plus il est fatigué b (Paul a peu de temps). Ainsi plus vite commencera-t-il, plus vite aura-t-il fini (7) a C’est un auteur que plus on lit, plus on apprécie b *C’est un auteur que plus on lit ses livres, plus on apprécie c *C’est un auteur que plus on lit, plus on aimerait le connaître Nous montrons cependant qu’une analyse assymétrique est préférable même pour le français. D’une part, en cas de contexte imposant le subjonctif, on peut avoir le subjonctif seulement dans la seconde proposition (certains locuteurs acceptent mal 8b, mais tous le trouvent meilleur que 8a) (8) a * Le ministre voudrait que moins on ait de chances au départ, plus on peut avoir d’aides b (?)? Le ministre voudrait que moins on a de chances au départ, plus on puisse avoir d’aides D’autre part, à la différence des constructions coordonnées, on ne peut pas répéter ‘que’ en cas d’enchâssement: (9) a C’est un auteur qu’on lit beaucoup et *(qu’) on apprécie autant b C’est un auteur que plus on lit (et) (*que) plus on apprécie Nous analysons donc les CC en français comme syntaxiquement et sémantiquement assymétriques, avec deux particularités: la seconde proposition est une Tête qui peut commencer par “et” (comme c’était le cas après certaines conditionnelles en Ancien français, cf Rebuschi 2002), la première proposition est une Non-Tête qui n’a pas toutes les propriétés d’une subordonnée. Nous proposons une analyse détaillée en HPSG (cf Pollard and Sag 1994) des CC dans les deux langues. Nous utilisons une approche par classification croisée des types de constructions (qui sont des associations entre structures et interprétations), qui peuvent hériter de types syntaxiques plus généraux. Nous définissons un type de construction binaire que nous appelons le type comparative-correlative-clause. Dans les deux langues, une des clauses est une Tête, et l’autre une Non-Tête. En français, les contraintes de symétrie sont assurées par le partage des traits SLASH (pour l’extraction) et MAIN (pour l’inversion du sujet clitique) entre les deux clauses. Concernant la structure interne de chaque clause, nous analysons le syntagme initial comme extrait dans les deux langues: on peut avoir des cas de dépendance à distance, on a des effets d’insularité et en français on peut avoir l’inversion stylistique du sujet: (10) Plus vite recommenceront les cours, plus vite il faudra que soient rendues les notes. Nous analysons donc les deux clauses comme héritant du type syntagme-tête-filler dans les deux langues. Dans les deux langues, le filler doit inclure des éléments spéciaux, the et un comparatif en anglais, “plus, “moins” ou un comparatif (mieux, meilleur) en français. Nous utilisons le trait non local CORREL à cet effet. Nous définissons aussi une règle d’ordre pour contraindre ces éléments à être toujours à l’initiale du filler: (10) a *To the more people I talk, the more I get confused b * Beaucoup plus je cours, beaucoup plus je suis fatigué Nous définissons aussi deux sous-types de CC pour chaque langue: en anglais, le sous-type standard-cc-clause (avec deux clauses héritant du syntagme-tête-filler et la seconde comme la Tête), et le sous-type reversed-cc-clause (avec la première comme Tête et la seconde seulement comme syntagme-tête-filler et comme Non-Tête) (cf 11). En français, nous avons aussi le soustype standard-cc-clause, l’autre sous-type étant le coord-cc-clause, avec la seconde proposition commençant par “et” et héritant du syntagme-tête-complément (“et” étant analysé comme une tête prenant une phrase [CORREL +] comme complément). (11) We understand more, the more we read. References Allaire Suzanne 1982 Le modèle syntaxique des systèmes corrélatifs, Etude en français moderne, Thèse d'état, Rennes Culicover, Peter W. and Ray S. Jackendoff (1997), Semantic subordination despite syntactic coordination, Linguistic Inquiry. 28,195-218. Culicover, Peter W., and Ray Jackendoff. (1999), The View from the Periphery: The English Comparative Correlative. Linguistic Inquiry 30.543-571. Pollard Carl, Sag Ivan 1994, Head-driven Phrase structure grammar, University Chicago Press. Rebuschi, Georges. 2001-02. ‘Coordination et subordination, I et II’, Bulletin de la Société de linguistique de Paris, t. 96-97