20 Prix Recherche BENEDITA ROCHA Physiologie/ Physiopathologie Lauréate du Prix Recherche Inserm 2007 en physiologie et physiopathologie, Benedita Rocha est directrice de l’unité Inserm 591 « Différenciation et physiologie des lymphocytes T », à la faculté Necker – Enfants-malades. Elle est à l’origine de plusieurs nouveaux concepts qui ont fortement contribué à fonder l’immunologie moderne et permis d’améliorer notre compréhension du système immunitaire. Le profil de Benedita Rocha appartient au genre très particulier de ceux qui semblent « avoir été programmés » pour la recherche. Pourtant aux antipodes de ce qui lui était destiné, Benedita Rocha est aujourd’hui un chercheur de renommée internationale. « Je crois que rien n’aurait pu faire vaciller ma vocation », explique-t-elle en plaisantant. « J’ai grandi à Lisbonne où j’ai reçu une éducation très pieuse et traditionnelle. Je me suis très tôt sentie en décalage avec ce qu’on attendait des petites filles de l’époque. J’étais curieuse de tout, j’adorais déjà les sciences. À l’âge de 10 ans, je me souviens avoir supplié mes parents de m’offrir un microscope pour Noël. Ma mère m’a demandé d’où venait cette idée insolite et m’a expliqué que ce n’était pas des préoccupations de fillette. Mais mon père me l’a acheté. J’ai alors passé mes journées à observer tout ce que je trouvais. » « Au début des années 70, notre connaissance du système immunitaire était élémentaire » Après son baccalauréat, Benedita s’inscrit à la faculté de médecine. « C’était une période de ma vie assez éprouvante. J’ai vécu la mort de mon père, lorsque j’étais au lycée, comme un véritable cataclysme. De plus, je devais travailler pour payer mes études », se souvientelle. « C’est à ce moment que j’ai choisi mon nom d’usage. Au Portugal, nous avons tous plusieurs noms de famille. Moi j’ai choisi Rocha, qui veut dire roche. L’évocation de “mes reins solides”. Une façon aussi, peut-être, de me donner du courage. » Malgré les difficultés, elle 21 l 1967 : baccalauréat, à Lisbonne, Portugal l 1972 : doctorat en médecine, université de Lisbonne, Portugal l 1979 : doctorat en sciences, université de Glasgow, Écosse l 1985 : Professeur, université de Lisbonne, Portugal l 1986 : recrutement au sein de l’unité Inserm 25 dirigée par Jean-François Bach, hôpital Necker – Enfants-malades, Paris l 1991 : chargée de recherche au sein de l’unité Inserm 345 dirigée par Martine Papiernik, hôpital Necker – Enfants-malades, Paris l 2003 : directrice de l’unité Inserm 591 « Différenciation et physiologie des lymphocytes T », hôpital Necker – Enfants-malades, Paris 22 réussit ses examens de médecine avec brio. « C’était l’époque des toutes premières transplantations rénales, au début des années 70. Nos connaissances du système immunitaire étaient élémentaires et nous ne comprenions pas grand-chose aux mécanismes immunologiques. Malheureusement, il n’y avait aucune activité de recherche au Portugal. Moi-même, je ne savais même pas que ça existait ! » À la fin de son cursus, elle part en Grande-Bretagne en stage. Elle découvre alors l’existence de laboratoires de recherche par-delà les frontières de son pays natal. Quand elle rentre à Lisbonne, elle fait une demande de bourse pour réaliser une thèse en sciences, à l’étranger. La réponse se fait attendre. Elle pratique la médecine pendant cinq années, à l’hôpital Sainte-Marie, à Lisbonne. Puis un jour de 1975, une lettre lui annonce qu’elle a obtenu une bourse de thèse. Elle part la semaine suivante pour l’Écosse. « Dans les années 80, au Portugal, il n’y avait pas de laboratoire de recherche » Arrivée à Glasgow, Benedita se met au travail. « C’était un véritable enseignement à l’anglo-saxonne. On ne m’a donné ni sujet, ni méthodologie, juste une paillasse. Je me suis construite toute seule. » Elle rencontre son futur mari, Antonio Freitas, portugais et étudiant en thèse, comme elle. Après leur doctorat, tous deux décident de rentrer au pays pour introduire la recherche au Portugal. « Dans les années 80, il y avait tout à faire dans ce domaine. La dictature de Salazar avait éliminé toute trace d’activité de recherche scientifique ou médicale », explique Benedita. Mais les choses ne sont pas simples. Professeurs à l’université de Lisbonne, il leur est difficile de se consacrer à la recherche. Le temps qui leur est imparti pour mener leurs travaux se limite aux soirées et aux week-ends. Malgré ces conditions de travail difficiles, Benedita, avec l’aide de son mari, développe une approche conceptuelle qui apporte une pierre considérable à l’édifice des connaissances immunologiques de l’époque. Elle introduit la notion d’homéostasie lymphocytaire et montre ainsi qu’il existe des systèmes de régulation des lymphocytes qui maintiennent le nombre des cellules constant. « Ces années ont été très enrichissantes. D’abord, car le manque de crédits m’a valu d’acquérir une méthodologie irréprochable. À la paillasse, je n’avais pas le droit à l’erreur. Ensuite, car j’ai rencontré de vrais passionnés, comme moi. » Elle contribue en effet à la formation d’étudiants qui participent aujourd’hui activement à la recherche française en immunologie : Anna Cumano, Paolo Vieira ou encore Antonio Bandeira. En 1985, le directeur de son département l’oblige à fermer le laboratoire. Afin de continuer leurs projets, son mari et elle n’ont plus d’autre choix que de quitter le Portugal. « Face à un problème, Benedita n’est jamais dogmatique » C’est en France, en 1986, qu’ils trouvent leur terre d’accueil. Antonio Freitas poursuit ses recherches à l’Institut Pasteur tandis que Benedita intègre l’équipe de Martine Papiernik dans l’unité de Jean-François Bach. « Ma rencontre avec Martine Papiernik a été la meilleure chose qui pouvait m’arriver à ce moment-là », raconte Benedita. « C’était une très belle rencontre scientifique mais également humaine. » De son côté, Martine Papiernik explique : « Quand j’ai rencontré Benedita, elle était déjà très brillante. Elle a une très grande créativité et une rigueur exceptionnelle. C’est, en partie, ce qui fait sa force et son talent. Face à un problème, Benedita n’est jamais dogmatique et de ce fait, tout est possible. » Elle est la première à montrer que les lymphocytes T peuvent devenir tolérants à certains antigènes en dehors du thymus. « Cela explique certaines situations comme l’infection par le virus du sida. L’exposition chronique au VIH entraîne la tolérance des lymphocytes pour le pathogène. Autrement dit, au lieu de réagir au signal, ils ne répondent plus. » « Benedita a un esprit très libre » Elle prouve ensuite que les lymphocytes T, contrairement à ce que l’on pensait, ont besoin de signaux pour survivre hors du thymus. En d’autres termes, les lymphocytes n’ont pas une durée de vie prédéterminée. Ils peuvent mourir ou vivre en fonction des signaux qu’ils reçoivent. Ce papier, publié dans la revue Science en 1997, est l’article d’immunologie fondamentale français le plus cité ces dix dernières années. « J’ai quitté le Portugal pour effectuer ma thèse dans son laboratoire, à Paris », explique Henrique Veiga-Fernandes, 23 ancien étudiant de thèse à Necker, aujourd’hui chercheur au National Institute for Medical Research à Londres. « Benedita a un esprit très libre. J’ai vraiment rencontré dans son laboratoire une culture pour le goût de la spéculation scientifique. C’est d’ailleurs ce qui m’a tout de suite fasciné chez Benedita, la singularité de son approche scientifique et l’originalité des questions qu’elle pose. » Il poursuit : « Elle a beaucoup de recul, si bien qu’elle a réussi à introduire en immunologie des concepts d’autres domaines, comme l’écologie par exemple. » Benedita publie ensuite un article majeur sur la mémoire immunitaire. Elle montre ainsi que les lymphocytes T dits « mémoire » correspondent à une sous-population nouvelle dont les fonctionnalités sont très différentes des lymphocytes T « naïfs ». « Arriver à assembler les pièces du puzzle et enfin comprendre l’image est un moment unique » « Quand vous arrivez à assembler les pièces du puzzle et qu’enfin vous comprenez l’image, c’est un moment unique. Une des sensations les plus merveilleuses que je connaisse ! » Proposer des concepts nouveaux en rupture avec ce que l’on pensait jusqu’alors, réussir à bâtir des ponts insoupçonnés entre deux faits qui semblent déconnectés sont autant de défis qui font vibrer ce chercheur hors norme. « L’immunologie a ça de passionnant, qu’elle nous permet une approche holistique. Elle nous oblige à réfléchir à l’échelle de l’individu tout entier. » Sujet d’inspiration inépuisable, ce champ d’investigation évoque néanmoins pour Benedita quelques frustrations : « J’aimerais une deuxième, une troisième, une quatrième vie afin d’aller plus loin dans la compréhension de l’immunologie, bien sûr, mais également de tout ce qui m’entoure », soupire-t-elle. « Je vais laisser derrière moi un terrain de recherche incroyable, avec regret, évidemment. » 24 25