Pourquoi je trouve raisonnable qu’on puisse demander aux enseignants de s’abstenir de porter des signes religieux à l’école Le débat concernant la Charte des valeurs va de tous bords. Il tourne même parfois à la guerre idéologique, nouvel avatar des guerres religieuses. Mon propos sera, lui, moins passionnel. Je voudrais témoigner de faits et des raisons qui les expliquent. Ces faits concernent des changements récents du programme d’études de l’école, ce qu’on appelle le curriculum. Ces changements me conduisent à penser que l’interdiction du port de signes religieux à l’école par les enseignants n’est pas une prescription déraisonnable. Il y a près de 20 ans, j’ai participé à l’écoute, aux travaux d’analyse et de réflexion qui ont conduit à des propositions de changements dans l’école. Certaines d’entre elles avaient pour but de la rendre plus inclusive. Le remplacement des commissions scolaires religieuses par des commissions scolaires linguistiques fut un de ces changements. Cette « laïcisation » des structures est bien connue. Mais on ne parle jamais d’une autre, la « laïcisation » du curriculum d’études. Les propositions croisées de trois rapports successifs, celui des États généraux sur l’éducation (Rénover notre système d’éducation : dix chantiers prioritaires), celui du groupe de travail sur la réforme du curriculum (Réaffirmer l’école), celui du groupe de travail sur la place de la religion à l’école (Laïcité et religions), acceptées et mises en œuvre par la ministre de l’Éducation de l'époque, Pauline Marois, ont conduit à ces changements. Inclure et séparer ou inclure et rassembler Ces changements sont les suivants : il n’y aura plus d’enseignement religieux dans l’école, un cours d’éthique et culture religieuse le remplacera, un cours d’éducation à la citoyenneté sera créé et rattaché au cours d’histoire. Or, quel est le rationnel de ces dispositions et l’effet recherché par elles? Dès 1970, la place de l’enseignement religieux à l’école est posée par des parents catholiques d’écoles situées dans des quartiers où se concentrent de nouveaux immigrants. Au moment où ils veulent porter des modifications à la Loi de l’instruction publique, Camille Laurin puis Claude Ryan ne peuvent plus éviter la question du pluralisme. L’un et l’autre choisissent la même solution. L’enseignement religieux catholique ou protestant se donnera toujours à l’école, mais à ce choix s’ajoutera un enseignement moral non confessionnel. Pour inclure la diversité, on ouvre donc le jeu de l’offre précédente, mais on maintient la séparation des élèves selon leur choix. Lors des États généraux, la question revient. En 10 ans, le pluralisme des religions et des opinions s’est accru. Comment en tenir compte? S’ouvrir à la diversité en rendant possible à l’école l’enseignement d’autres religions? Cette solution est évoquée, puis abandonnée. Non seulement à cause de la ghettoïsation que pouvait produire ce modèle, mais surtout au nom d’une conception du rôle de l’école. Pour préparer les enfants et les jeunes au vivre ensemble dans une société pluraliste, ne faudrait-il pas qu’elle les inclue et, malgré leur diversité, cherche à les rassembler sur des sujets qui pourraient les diviser? C’est là, l’explication des dispositions nouvelles du curriculum d’études. Les cours d’enseignement religieux n’ont plus leur place à l’école. Alors que précédemment les cours d’enseignement religieux introduisaient les élèves catholiques et protestants au phénomène religieux et aux valeurs, mais dans des groupes séparés, et que les élèves du cours de morale n’entendaient pas parlé de religion, désormais, un même cours (Éthique et culture religieuse) rassemble les élèves, dans les mêmes classes et quelle que soit leur appartenance religieuse, pour y étudier le fait religieux, ses manifestations ainsi que les valeurs morales. Alors que précédemment, les cours d’enseignement catholique et protestant et le cours de morale introduisaient les élèves, dans des groupes séparés, aux mêmes valeurs morales, mais les justifiaient par des raisons différentes, la religion d’un côté ou la raison de l’autre, désormais un nouveau cours, celui de l’éducation à la citoyenneté, fait partager aux élèves, dans les mêmes classes, des valeurs communes, mais fondées sur des raisons communes, celles du vouloir vivre ensemble dans une société démocratique. Et ce cours est confié au professeur d’histoire. Il aurait pu venir compléter le cours d’éthique et culture religieuse, mais on a tenu à le rattacher à l’enseignement de l’histoire. Pour certains, l’importance donnée au cours d’histoire nationale dans un curriculum d’études ne servirait qu’à nourrir le nationalisme ethnique. Au Québec, le cours d’histoire nationale est désormais le lieu où les élèves sont introduits à ce qu’est le nationalisme civique. L’école, un sanctuaire civique Toutes ces choses sont maintenant réalisées. Elles ont déjà soulevé colères et protestations. Malgré ces difficultés, Pauline Marois a persisté. Ces nouvelles dispositions ont fait bouger les plaques tectoniques sur lesquelles étaient placés les curriculums d’études successifs depuis plus de 100 ans. Or, qu’y a-t-il dans une école de plus structurant, pour les enseignants, les élèves et leurs parents, qu’un curriculum d’études? Et si l’on veut connaître l’idée que se fait une société donnée de la préparation de ses enfants au monde dans lequel ils vivront, quel meilleur miroir que le curriculum d’études de son école? Pour préparer à l’avenir, l’actuel curriculum d’études cherche à inclure et à rassembler. Pour concrétiser cette intention, nous avons été conduits à le « laïciser ». Non au nom d’une théorie, mais pour résoudre un problème. Les enseignements religieux ont été envoyés à l’extérieur de l’école et à l’intérieur, une approche « neutre » est utilisée pour traiter des religions et des valeurs. En fait, ces dispositions font maintenant de l’école un sanctuaire civique. La très grande majorité de celles et ceux qui y travaillent, qui ont vécu ces changements et qui constatent à travers les élèves qu’ils reçoivent à la fois le reflux du religieux et l’accroissement de ses formes, a d’elle-même compris que, par politesse, par respect pour les opinions et religions différentes des enfants et de leurs parents, les signes visibles d’appartenance religieuse personnelle n’avaient plus de place dans un tel sanctuaire. C’est pourquoi il ne me paraît pas déraisonnable que cette pratique soit étendue à tous et même fixée par la loi. Certains considèrent une telle interdiction comme la manifestation de la non-acceptation de la diversité puisqu’elle peut aboutir à exclure de l’école des adultes qui ne voudraient pas s’y soumettre. Pour nous, dans le modèle d’intégration de la diversité que nous avons choisi pour l’école, cette interdiction est le corollaire d’une démarche qui vise à inclure, mais en les rassemblant, tous les enfants de l’école. Paul Inchauspé A été commissaire des États généraux sur l’éducation et président du groupe de travail sur la réforme du curriculum d’études.