Le désavantage social des troubles mentaux: épidémie, invalidation

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Review article
Le désavantage social des troubles mentaux:
épidémie, invalidation ou stigmatisation
Charles Bonsack
Service de psychiatrie communautaire, département de psychiatrie du CHUV, Site de Cery, Prilly, Switzerland
Funding / potential competing interests: No financial support and no other potential conflict of interest relevant to this article was reported.
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Epidémie de troubles mentaux ou augmentation
de la stigmatisation?
L’épidémie d’invalidité peut être due à de nombreux facteurs:
une augmentation du nombre de personnes souffrant de
troubles psychiques dans la population, une meilleure
détection des troubles, un abaissement du seuil ou une
augmentation du nombre de troubles identifiables, ou une
stigmatisation plus importante des troubles psychiques dans
le marché de l’emploi. L’augmentation du nombre de personnes souffrant de troubles mentaux est peu probable et elle
n’est pas nécessaire pour expliquer le phénomène. Les études
épidémiologiques s’accordent pour montrer que les troubles
mentaux de type dépression, anxiété,troubles de la personnalité et d’abus de substances sont extrêmement fréquents et
touchent près de 50% de la population au cours de la vie [2,
3]. De plus, le passage de l’enfance à l’âge adulte constitue un
pic d’apparition de la plupart des troubles psychiques, en particulier lorsqu’ils deviennent récurrents ou durables [4]. Au
vu de ces éléments, il semble plus probable que «l’épidémie»
observée soit la résultante d’une meilleure identification des
troubles ou une aggravation de leurs conséquences sociales.
Des efforts importants ont été réalisés dans les pays développés pour mieux identifier les troubles psychiques comme la
Correspondance:
Charles Bonsack, MD
Service de psychiatrie communautaire,
département de psychiatrie du CHUV
Site de Cery
CH-1008 Prilly
Switzerland
charles.bonsack[at]chuv.ch
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La désinstitutionalisation et l’intégration sociale des personnes souffrant de troubles psychiques sont devenus des
principes de base des traitements psychiatriques. L’exercice
des droits civiques, le droit au logement et l’accès à l’emploi
sont revendiqués dans une perspective de rétablissement.
Parallèlement à cette évolution de la psychiatrie qui touche
principalement les troubles psychiatriques sévères tels que la
Introduction
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The social disadvantage of mental health disorders: epidemic, disablement or stigma
Pople suffering from mental disorders are increasingly excluded from the labour market by a growing disability insurance use. Young adults are most affected by this phenomenon, with the largest increase of disability pensions
for mental health disorders in European industrialised countries. Several hypotheses can explain this phenomenon: an increase in the number and severity of mental disorders; a market less adapted to the mental disorders; or
an increase of stigma about mental disorders. Aim of this article is to discuss
the role of stigma.
Results: In mental disorders, stigma and disability have effects entangled in a
vicious circle. Unlike physical disability, social disadvantage in mental disorders do not result linearly from a functional limitation. Machine as a “perfect
worker” and the increasing demands of relational skills in employment do not
favour mental disorders. Moreover, stigma and self-stigma worsen mental disorders and overlap with them. Some common psychological disorders such as
depression or personality disorders are particularly sensitive to self-stigma.
Conclusion: It is urgent to stop increasing the exclusion from the labour market of persons suffering from mental disorders. “Private” and “social” recovery must be enabled by pragmatic methods, whether exclusion is being due
to stigma or disability. Some concepts such as a recovery model or a supported employment developed for severe and highly stigmatised mental disorders such as schizophrenia should be adapted for more frequent mental
disorders like depression or personality disorders. Recovery model values the
ability to retrieve a social role despite persistence of symptoms. Interventions
like “individual placement and support” overturn usual medical logic that
“cure precedes employment”. Integration in employment thus becomes an
integral part of the recovery process and addresses simultaneously: disorder,
job integration related stress and exclusion due to stigma.
Key words: stigma; mental disorders; discrimination; social disadvantage
schizophrénie ou les troubles bipolaires, on observe une augmentation importante du nombre de personnes en incapacité
de travail en raison de troubles psychiques plus répandus tels
que les troubles de la personnalité, les troubles anxieux ou la
dépression. Dans cette population, le taux de chômage est
trois fois plus élevé [1]. L’invalidité pour des raisons psychi
ques représente 40% de l’ensemble des causes d’invalidité et
les nouvelles demandes de rente pour des raisons psychiques
augmentent chez les jeunes de 18 à 24 ans alors qu’elles
diminuent dans les autres classes d’âge [1]. Le taux de retour
à l’emploi après une période d’invalidité étant très faible,
celle-ci équivaut une exclusion du marché de l’emploi d’un
nombre grandissant de personnes souffrant de troubles psychiques. De manière paradoxale, alors que la psychiatrie
développe des méthodes pour mieux intégrer dans la communauté les troubles psychiatriques sévères, les désavantages
sociaux liés à des troubles mentaux plus fréquents s’aggravent, avec une exclusion du marché du travail. Plusieurs
hypothèses peuvent expliquer ce phénomène: une augmentation du nombre et de la gravité des troubles mentaux; un
marché de l’emploi moins adapté aux troubles psychiques;
ou une augmentation de la stigmatisation des troubles mentaux. L’objectif de cet article est discuter ces différents aspects,
de focaliser sur la stigmatisation et d’examiner comment
modifier les approches pour enrayer ce phénomène.
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Summary
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durant la deuxième guerre mondiale ou qu’aux roms aujourd’hui. Consulter un psychiatre peut être un signe de ré
ussite sociale dans un milieu aisé et être un motif de discrimination dans un contexte social défavorisé de la même région.
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dépression, par exemple dans les programmes de lutte contre
le suicide. En conséquence, ces troubles semblent mieux
identifiés et traités, comme en témoignent les courbes croisées de la diminution des taux de suicides et de l’augmentation de la prescription d’antidépresseurs dans les pays du
nord de l’Europe [5]. Les débats sur l’identification et la
classification des maladies autour des différentes versions des
manuels diagnostiques et statistiques ou sur l’influence de
stratégies marketing sur certains diagnostics comme la phobie sociale montrent que l’identification des troubles psychiatriques dépend en partie de facteurs indépendants du nombre
de cas dans la population [6]. Néanmoins, cet aspect d’identification et de traitement devrait entraîner une diminution
des cas d’invalidité pour des raisons psychiques plutôt que
les augmenter. L’interprétation la plus convaincante de
cette «épidémie» concerne donc une aggravation des conséquences sociales des troubles psychiques.
Les études épidémiologiques internationales ont montré
que si les troubles psychiatriques sévères ont une prévalence
semblable entre les régions, leurs conséquences sociales sont
variables selon le contexte, et cela de manière défavorables
pour les pays développés. Une personne souffrant de schizophrénie a environ 1.5 fois plus de chance d’être rétablie,
intégrée socialement et de disposer d’une activité rémunérée
dans un pays en voie de développement que dans un
pays industrialisé [7]. Les conséquences sociales de troubles
psychiques semblent donc plus graves dans nos sociétés
«développées». Les causes de l’augmentation de cette discrimination des personnes souffrant de troubles psychiques
dans nos sociétés sont multiples. Nous faisons l’hypothèse
que des mécanismes de stigmatisation sont à l’œuvre dans
l’augmentation de l’invalidation des troubles psychiques,
plutôt qu’une augmentation des troubles psychiques euxmêmes. Pour montrer ce phénomène, nous allons utiliser le
modèle décrit par Link et Phelan [8], qui conceptualise la
stigmatisation comme la résultante d’un cercle vicieux qui
consiste à étiqueter, stéréotyper, séparer, discriminer et priver de pouvoir social les personnes qui en sont victimes.
Nous ne nions pas que d’autres mécanismes soient également à l’œuvre, comme la modification du marché du travail ou le système des assurances sociales. Nous allons toutefois nous concentrer sur les aspects liés à la stigmatisation et
à l’auto-stigmatisation.
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Etiqueter et stéréotyper: les mécanismes à la base
de la stigmatisation
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Etiqueter consiste à identifier des différences superficielles
comme par exemple la couleur de la peau ou l’orientation
sexuelle et à les désigner comme un écart intolérable par rapport à la norme du groupe dominant. L’étiquetage pose la
question de la norme et de la tolérance à la variation de cette
norme. Comme exemple extrême, lorsque le régime nazi
pose comme norme un surhomme aryen idéalisé, il introduit
un climat de peur et de suspicion qui favorise de manière
violente la stigmatisation d’autrui. Cette norme est suffisamment floue et idéalisée pour suspecter l’ensemble de la population de ne pas être suffisamment «pure». Ainsi, lorsque la
«norme» s’approche d’un idéal surhumain, elle favorise à la
fois l’étiquetage arbitraire et un rejet d’autant plus violent
que l’on risque d’être suspecté soi-même. Les risques aujourd’hui d’augmenter l’étiquetage des personnes souffrant
de troubles psychiques sont liés l’évolution du marché du
travail, à l’épidémiologie des troubles psychiques, à la dévalorisation de la faillibilité humaine face à la machine, à la
dévalorisation de la notion de réparation et à la perte du
droit à l’oubli. Premièrement, l’évolution du marché du travail vers les activités de service rend les troubles psychiques
plus visibles et identifiables. En effet, dans un marché orienté
vers la production, ce sont les défauts du corps comme l’amputation d’une jambe ou d’un bras qui sont le plus visibles.
Dans marché orienté vers les services, l’impact relationnel
des troubles psychiques est plus évident. Deuxièmement, les
troubles psychiques touchent près d’une personne sur deux
au cours de la vie. Cet aspect devrait logiquement «normaliser» les troubles psychiques. Mais tant que cette étiquette ne
peut pas être revendiquée fièrement, elle doit au contraire
être rejetée d’autant plus violemment qu’elle pourrait tous
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Le stigmate est «un attribut qui jette un discrédit profond»
qui entraîne que l’individu «cesse d’être une personne accomplie et ordinaire et tombe au rang d’individu vicié, amputé» [9]. La stigmatisation désigne à la fois l’action de flétrir,
blamer avec dureté et publiquement, autant que le résultat
de cette action. Quelles qu’en soient les causes, les qualifications qui désignent un groupe stigmatisé sont toujours les
mêmes: les personnes appartenant à ce groupe sont «paresseuses et nuisibles» et «profitent abusivement des ressources
du groupe dominant». Ce discours n’est pas lié à des caractéristiques fixes, mais varie selon le contexte social et le moment dans le temps [9]. Il a été appliqué aux migrants hollandais aux Etats-Unis à la fin du XIXème, autant qu’aux juifs
Les mécanismes de stigmatisation et d’autostigmatisation à l’œuvre
La stigmatisation des personnes souffrant de troubles
psychiques
L’auto-stigmatisation ou stigmate internalisé consiste à
s’approprier les défauts attribués à un groupe lorsqu’on est
identifié à ce groupe. L’internalisation des stéréotypes par la
personne stigmatisée la conduit à se considérer elle-même
comme «paresseuse et nuisible» ou «moins qu’humaine».
L’importance de ce phénomène, a été mise en évidence par
des personnes rétablies de troubles mentaux comme une
schizophrénie [10]. Selon ces auteurs, l’autostigmatisation
peut conduire a une diminution de l’estime de soi et de l’efficacité personnelle, ou au contraire à une «juste colère» qui
peut contribuer à surmonter les difficultés [11]. L’auto-stigmatisation peut avoir un effet particulièrement néfaste dans
une période de construction de l’identité, ou dans une
période de crise identitaire. Elle aboutit à une forme d’impuissance apprise, l’effet «pourquoi essayer?» [12].
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L’auto stigmatisation
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La psychiatrie est elle aussi victime d’étiquettes et de stéréotypes, qui aboutissent également à une forme de stigmatisation, non seulement de la psychiatrie comme branche moins
valorisée de la médecine, mais aussi des professionnels qui y
travaillent. On peut distinguer des stéréotypes sur la psychiatrie hospitalière, la psychothérapie, et la psychiatrie biologique. La psychiatrie hospitalière est victime de la confusion entre les soins et le contrôle social, que l’histoire asilaire
n’a pas contribué à clarifier. Quelque soit la réalité de la psychiatrie hospitalière moderne, axée sur les soins aigus et non
sur l’hébergement asilaire, l’étiquette «asile» et les stéréotypes associés persistent. De manière contradictoire, on lui
attribue à la fois les défauts «d’enfermer et contraindre injustement» des personnes «qui ne font que vouloir vivre autrement», mais aussi de «laisser en liberté des fous dangereux». Par exemple, dans un article du Temps du jeudi 31
août 2000 intitulé «La mésaventure d’un «forcené» ébranle
gendarmes et psychiatres», le journaliste dénonce dans une
première partie les mesures de contraintes et l’enfermement
imposés à un jeune homme qui présentait un épisode psychotique. Dans une deuxième partie, il dénonce avec la
même véhémence le laxisme avec lequel l’hôpital psychiatrique ne l’a pas enfermé pour éviter une fugue [16]. Les
stéréotypes de la psychothérapie contiennent une pointe
d’envie vis à vis d’une psychiatrie «luxueuse», «inefficace
et inutile» et «destinée principalement aux bien portants».
La psychiatrie biologique possède l’image «puissante», mais
suspecte de pouvoir guérir dans un «paradis artificiel». La
psychiatrie communautaire existe encore peu dans l’image
du public en Suisse. Elle porte le stéréotype en partie positif
de la «psychiatrie hors des murs», sans abolir la stigmatisation. La psychiatrie hors des murs c’est «très bien, mais pas
chez moi» («not in my backyard») [17].
Les stéréotypes de la psychiatrie asilaire, de la psychothérapie et de la psychiatrie biologique ont l’avantage d’évacuer la complexité de l’intrication entre troubles mentaux
et société. Dans la psychiatrie asilaire, il y a un dedans et un
dehors, dont les rapports sont strictement réglementés. Les
personnes dans l’asile perdent l’essentiel de leurs droits et
sont soumises à un système hiérarchique simple qui est clairement distinct de la vie dans la société. La psychothérapie
fait quant à elle de l’interaction entre santé mentale et société une affaire strictement privée, confidentielle, «entre
quatre yeux». La psychiatrie biologique évacue elle aussi la
dimension sociale et considère le trouble mental comme
strictement médical et interne à la chair de la personne.
La psychiatrie sociale et communautaire a le défi de s’impli-
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L’étiquette et les attributs indésirables qui s’y rattachent modifient profondément l’identité et rendent la personne fondamentalement différente aux yeux des autres. Sa qualité
d’être humain est dégradée. Cette différence se traduit
dans le vocabulaire: «être» dépressif, difficile, plutôt
Les stéréotypes sur la psychiatrie
Séparer «eux» et «nous», discriminer et priver de pouvoir
social
«qu’avoir» une dépression ou des problèmes relationnels.
Discriminer et priver de pouvoir social constitue la dernière
étape de la stigmatisation. Ainsi, à partir de différences
superficielles, la personne discriminée est mise à l’écart et
perd le droit à jouer son rôle social. Cette perte de statut
ne résulte pas seulement d’une forme ouverte et visible de
discrimination, mais aussi par une discrimination structurelle, constituée de détails subtils comme le droit à la parole,
la qualité d’écoute ou d’approbation, la condescendance ou
le paternalisme.
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nous concerner. D’autre part, les progrès techniques et
socio-économiques, qui ont amenés le confort et l’accès
généralisé à des biens de consommations dans les pays industrialisés, peuvent aussi modifier notre rapport à l’humanité. Premièrement, l’idéal dans l’activité productive n’appartient aujourd’hui plus à l’humain, mais à la machine. Le
goût du bel objet manufacturé, précieux par ses défauts,
n’est valorisé que par une élite. Les normes plus largement
répandues de «qualité totale», de productivité constante sont
liées aux machines, ordinateurs et robots. Dans ce cadre,
l’humain est une source de risque: elle n’est pas tolérable,
comme en témoigne la judiciarisation de l’erreur. Le trouble
psychique représente dans ce contexte un miroir intolérable
de la faillibilité humaine: la personne devient «inexplicablement» dysfonctionnelle, imprévisible. Deuxièmement, dans
une société de consommation, la notion de réparation n’est
pas valorisée. Ce qui est cassé est à jeter, même s’il faut oublier pour cela la capacité de résilience de l’être humain. Enfin, la conservation et la circulation de l’information entraîne
qu’une étiquette une fois posée a tendance à perdurer indéfiniment, quelque soit sa validité. Ainsi, le trouble psychique
présente de nombreux risques d’étiquetage, et cette étiquette
une fois posée, risque bien de rester permanente, quelque
soit l’évolution de la personne.
Stéréotyper consiste à attribuer des défauts à la personne
étiquetée sans tenir compte des autres informations à disposition. Les troubles mentaux sont un terreau très favorable
aux stéréotypes et pas seulement pour les dangers supposés
des troubles psychiatriques sévères. Les employeurs préfèrent engager une personne «peu fiable et paresseuse» sans
antécédents psychiatriques, qu’une personne «fiable et motivée» ayant eu des antécédents de troubles mentaux [13].
L’attitude des soignants devient plus négative lorsqu’ils sont
confrontés à des vignettes cliniques indiquant des antécédents «psychiatriques» que «lombalgiques» [14]. Stéréotyper suppose une connaissance superficielle ou partielle, mais
néanmoins insuffisante pour surmonter des a priori négatifs.
Lorsque le niveau de connaissance général sur la santé mentale augmente, il est possible que l’on passe par une phase
durant laquelle le niveau de connaissance permet d’identifier les troubles et craindre leurs conséquences, mais reste
insuffisant pour les comprendre et les accepter. Le rapport de
l’OMS en 2001 [15] sur la santé mentale dans le monde a
permis de prendre conscience de l’impact économique majeur des troubles mentaux. Cette prise de conscience a pu
avoir un effet positif pour accorder plus de moyens pour la
détection et les traitements des troubles psychiatriques. Par
contre, elle a pu également rendre conscient les entreprises
du risque économique d’engager des personnes souffrant de
troubles mentaux même légers sans leur donner les moyens
d’y faire face.
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Le rôle de la psychiatrie sociale et communautaire
Contribuer à enrayer l’épidémie
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Nous avons vu que «l’épidémie» de désavantage social en
raison de troubles psychiques n’ est pas lié à une augmen
tation du nombre de personnes souffrant de troubles psychiques, mais plutôt à la prévalence élevée des troubles
psychiatriques dans la population, ainsi qu’à une meilleure
sensibilisation à la détection et au traitement des troubles,
mais surtout à l’intrication du handicap et de la stigmati
sation des troubles mentaux. Dans ce débat, l’expérience
acquise avec les troubles mentaux sévères et persistants
permet d’envisager des solutions, à condition d’ouvrir le
champ d’action de la psychiatrie communautaire aux
autres troubles et d’en adapter les pratiques. Premièrement,
passer d’un modèle biomédical de guérison (au sens «cure»)
à un modèle biopsychosocial de rétablissement (au sens
«care») peut constituer un antidote à la stigmatisation des
troubles psychiatriques à toutes les étapes du mécanisme de
stigmatisation [19]. Deuxièmement, la psychiatrie communautaire a développé des solutions pragmatiques pour se
rétablir simultanément de manière «sociale» et «privée»
sans exiger la disparition complète d’un trouble. Ce modèle
promeut des interventions qui inversent la logique médicale
habituelle d’une guérison des troubles individuels avant
d’en considérer les conséquences sociales. A l’inverse, dans
ce modèle, la mise en situation sociale, comme une insertion
en emploi, précède ou accompagne le processus de guérison.
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Le modèle du rétablissement comme antidote
à l’invalidation et à la stigmatisation
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Le modèle du «rétablissement» a été développé principale
ment par des personnes souffrant de schizophrénie pour
mieux convenir à leur expérience personnelle de la guérison
[20]. Que signifie en effet «guérir» d’une maladie telle que
la schizophrénie? Le modèle médical, en se focalisant sur
la «cure» de la cause des troubles, offre des perspectives
restreintes aux personnes souffrant de troubles psychiques,
que les personnes interprètent comme une absence d’espoir.
Or, comme le montrent les travaux sur le modèle du rétablissement, guérir d’un trouble psychiatrique n’est pas
seulement une guérison privée, mais c’est surtout le rétablissement d’un rôle social, d’une vie pleine et significative dans
la communauté [21]. Peu importe la disparition des symptômes ou même de la maladie, si cette disparition ne permet
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La stigmatisation et le handicap aboutissent tous deux à un
désavantage social. Ces deux déterminants sont mêlés dans
les troubles psychiques de manière beaucoup plus importante que dans les troubles somatiques. Dans le modèle du
handicap physique, on peut identifier une causalité linéaire:
le trouble a des conséquences fonctionnelles, qui déterminent un handicap et un désavantage social. Par exemple,
une tétraplégie entraîne des troubles fonctionnels moteurs,
un handicap nécessitant l’usage d’une chaise roulante et un
désavantage social comme une limitation physique à l’accès
à des bâtiments ou des services. Dans les troubles psychiques, cette causalité linéaire apparaît moins évidente et
on peut parler plutôt de causalité circulaire. Si les limitations
fonctionnelles jouent un rôle dans le handicap psychique,
on constate que leur effet sur l’incapacité à occuper un
emploi devient disproportionné. Un trouble de la person
nalité sans rapport immédiat avec les compétences exigées
dans une activité professionnelle peut devenir un obstacle
insurmontable pour l’accès à l’emploi [18]. Premièrement,
les conséquences sociales des troubles sont plus importantes
que les conséquences fonctionnelles directes des troubles
eux-mêmes. Peu importe ce dont sont capables les personnes, souffrir d’un trouble psychique signifie devenir peu
compréhensible, imprévisible: une tare qui affecte non
seulement la personne elle-même, mais aussi ses liens avec
ses proches et la communauté. Deuxièmement, la stigma
tisation des troubles mentaux court-circuite la notion classique de handicap pour passer directement de l’étiquette du
trouble au désavantage social. Comme nous l’avons montré
plus haut, il suffit qu’une personne soit identifiée comme
souffrant de troubles psychiques pour que sa désirabilité
auprès d’un employeur soit rabaissée. Enfin, la rupture des
liens sociaux et l’autostigmatisation ont des conséquences
négatives directes sur l’aggravation des troubles psychiques
eux-mêmes, en diminuant l’estime de soi, la motivation au
traitement ou la capacité d’autorégulation dans la relation à
autrui. De plus, cette rupture aggrave les effets de la discrimination larvée?, invisible, en diminuant notamment l’accès
des personnes aux réseaux sociaux d’influence ou les capacités de relais par le bouche à oreille.
Certains troubles psychiques comme la dépression, les
troubles anxieux ou les troubles de la personnalité pour
raient être plus vulnérables à la stigmatisation, non pas par
l’ampleur de celle-ci comme dans le cas de la schizophrénie,
mais par leur hypersensibilité à celle-ci. Les personnes souffrant de troubles dépressifs pourraient être particulièrement
affectées par l’autostigmatisation, en raison de l’introjection,
de la dévalorisation et de la perte d’estime de soi inhérentes
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Désavantage social: handicap ou stigmatisation
au trouble. Ainsi, les personnes déprimées pourraient adhérer de manière plus forte au stéréotype «les personnes dé
primées ne sont plus bonnes à rien dans le domaine de
l’emploi». Les personnes souffrant de troubles anxieux,
notamment de phobie sociale, pourraient trouver dans le
regard des autres une confirmation de leur sentiment
d’insuffisance et aggraver les comportements d’évitement.
Les troubles de la personnalité pourraient être touchées par
la stigmatisation par leur hypersensibilité au rejet et à
l’abandon, et par les attentes idéalisées vis à vis de l’emploi
et des employeurs: «à quoi bon essayer de m’intégrer dans
une société qui ne veut pas de moi».
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quer complètement dans la complexité de la vie sociale et
sans nier la part individuelle du trouble. D’un côté, cela suppose de sortir de la «protection» contraignante et discriminante de l’asile, qui est une des sources d’invalidation des
troubles mentaux. De l’autre, cela implique de développer
des méthodes qui favorisent l’activation d’une résilience
communautaire, c’est-à-dire non plus seulement la guérison
«privée» de la psychothérapie ou de la psychiatrie bio
logique, mais une guérison à la fois privée et sociale.
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Le paradoxe de l’accès aux soins et de la protection des plus faibles
L’intrication entre les désavantages sociaux liés à un handicap ou à la stigmatisation crée une tension entre la volonté
d’identifier et traiter précocement les troubles psychiques fréquents pour éviter le handicap et le souci d’éviter une
étiquette stigmatisante. Nous sommes donc devant un paradoxe: la nécessité de poser une étiquette diagnostique pour
identifier et traiter précocement d’une part, et protéger
d’autre part les personnes concernées contre les effets stigmatisants de cette étiquette. Nous avons montré qu’une
étiquette d’antécédents de troubles psychiques suffit pour
rendre la personne moins désirable pour un employeur. Par
le phénomène d’autostigmatisation, l’étiquette de trouble
psychique peut aussi convaincre la personne de ne plus avoir
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Etiquetage, stéréotypes et accès aux soins: normaliser
les troubles psychiatriques dans des périodes critiques
les qualités nécessaires à une vie sociale accomplie ou à l’enfermer dans un effet «à quoi bon?». L’étiquetage parait d’autant plus dangereux socialement que les troubles sont fréquents, puisque même si une portion restreinte de personnes
vivent un désavantage social suite à cet étiquetage, le nombre
absolu de personnes concerner peut néanmoins devenir rapidement important. Les personnes dont la situation sociale
est déjà précaire craignent cet étiquetage et évitent souvent
les soins psychiatriques, même lorsqu’ils sont nécessaires.
Lutter contre l’étiquetage et les stéréotypes peut prendre
des formes opposées: gérer la confidentialité ou normaliser
les troubles psychiques. Dans notre société de transparence,
de fichiers électroniques et de réseaux sociaux, la gestion
de la confidentialité des informations sensibles sur la santé
des personnes s’est considérablement «libérée». Le secret
de l’intimité n’est plus valorisé et les personnes apprennent
souvent à leurs dépens le maniement complexe de la divulgation. La circulation mal contrôlée de ces informations
sensibles pourrait avoir un coût social important auquel les
assurances sociales devraient être sensibilisées. Certains
auteurs montrent néanmoins que l’absence de divulgation
a ses inconvénients et propose de différencier différents
niveaux de divulgation depuis l’évitement des contacts sociaux jusqu’à la déclaration médiatique, en insistant sur les
avantages d’un «fier coming out» [23]. Les campagnes pour
identifier et traiter précocement les troubles psychiques vont
dans le sens de cette fière divulgation. Normaliser des
troubles psychiques comme une caractéristique d’humanité
évite aussi de réduire la personne à sa maladie, même si les
symptômes touchent à l’identité et aux compétences relationnelles. S’il est reconnu que la moitié de la population va
souffrir d’un trouble psychique au cours de sa vie, rester
inflexible et droit dans n’importe quelle phase critique de sa
vie devrait plutôt rendre suspect d’escroquerie ou d’inhumanité. Néanmoins, quelques soient l’évolution des connaissances du publique sur les troubles mentaux, la tension
entre un étiquetage «positif» pour prévenir le handicap par
un traitement précoce et un étiquetage «négatif» source de
discrimination va persister. Nous devons donc chercher des
solutions individualisées pour lutter contre la discrimination
et la perte de pouvoir social qui vont au-delà de la distinction de ses causes entre handicap et stigmatisation.
L’approche pragmatique de la psychiatrie communautaire pour
lutter contre la discrimination et la perte de pouvoir social
La psychiatrie sociale et communautaire s’est longtemps
concentrée sur le traitement des troubles psychiatriques
dans une vision de «chronicité». Cette limitation peut
constituer une forme d’autostigmatisation des professionnels
de psychiatrie. «A quoi bon essayer», puisque les personnes
souffrant de troubles psychiatriques sont «inguérissables».
Il est ainsi frappant de constater combien les professionnels de psychiatrie peuvent être parfois troublés le modèle
du rétablissement: «un mensonge», «un leurre», «de faux
espoirs». Par exemple, à l’origine de la réhabilitation psychiatrique, seules les personnes ayant vécu une baisse
importante de leur fonctionnement social après une longue
période de troubles malgré un traitement bien conduit
pouvaient bénéficier de ce type d’approche. En se centrant
sur ces troubles psychiatriques «chroniques» auparavant
longuement institutionnalisés, la psychiatrie communau­
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pas de retrouver sa place auprès des autres dans la communauté. Même si ce modèle a été développé initialement pour
les troubles psychiatriques sévères tels que la schizophrénie,
une question semblable se pose pour les troubles dépressifs
ou pour les troubles de la personnalité.
Ce modèle est en même temps un antidote précis à plusieurs aspects de la stigmatisation et de l’invalidation [19].
Fondé sur l’espoir d’un processus de changement, il s’oppose
à un étiquetage permanent lié à l’existence immuable d’un
trouble. Au contraire, l’être humain a un parcours singulier
constamment modelé par l’expérience vécue. Il lutte contre
le stéréotype d’une identité réduite au trouble et la sépa
ration entre «eux» et «nous» comme moins qu’humain: «je
ne suis pas un dépressif, mais un être humain souffrant
d’une dépression, qui n’est qu’une part de moi». Ce modèle
promeut également la réappropriation du pouvoir individuel
et collectif, ainsi que le maintien des connexions sociales
dans une «juste colère» contre la discrimination, en faisant
explicitement référence à des mouvements sociaux comme
la lutte contre la ségrégation raciale.
Dans la perspective plus large de l’augmentation des désavantages sociaux des troubles mentaux, il offre une alternative crédible à l’objectif de «guérison des troubles» comme
préalable à l’insertion sociale et professionnelle. Il s’oppose
également à un modèle de perfection imposé par la machine
sur l’homme, à jeter lorsqu’il est usé, et promeut l’idée de
«cicatrisation» plutôt que de «cure»: l’expérience de la
maladie nous transforme, retourner à l’état antérieur «de
perfection» n’est ni possible, ni souhaitable. Le modèle du
rétablissement permet aux personnes souffrant de troubles
psychiques de lutter contre l’auto-stigmatisation et de revendiquer fièrement leur résilience. Au niveau de la stigmatisation publique, ce modèle montre des personnes qui ne sont
pas détruites par les troubles psychiques, mais au contraire
grandies par cette expérience, à l’exemple de sportifs de haut
niveau comme le rugbyman Jonny Wilkinson dans la campagne anti stigmatisation «Time to Change» au Royaume
Uni [22]. L’application du modèle du rétablissement pour la
déstigmatisation se présente néanmoins de manière différente pour les troubles fréquents tels que les troubles
anxieux, dépressifs ou les traits de personnalité dysfonctionnels que dans les troubles psychiatriques sévères plus rares.
238
Review article
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sommes convaincus de la nécessité d’une action pragmatique
directe et individuelle pour les troubles psychiques fréquents
en s’inspirant par exemple du modèle de soutien individuel à
l’emploi développé pour les troubles psychiatriques sévères.
Ce type d’intervention tient compte de la complexité de la
guérison privée et sociale, et propose de traiter conjointement
la compensation ou la guérison du handicap, l’accompagnement pour surmonter la stigmatisation et la discrimination,
ainsi que de réduire par l’expérience la distance entre «l’emploi idéal» et «l’employé modèle».
 
 
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La stigmatisation ne permet certainement pas d’expliquer
complètement l’exclusion du marché de l’emploi d’un nom
bre croissant de personnes souffrant de troubles psychiques.
Néanmoins, ce modèle offre une grille de lecture individuelle
et sociale aux cercles vicieux qui écartent progressivement les
personnes de la capacité à occuper un emploi. Nous en avons
discuté trois dimensions: les normes divergentes d’un bon
employé et d’un bon emploi, la confusion entre le désavantage social lié au handicap ou à la stigmatisation et enfin, la
nécessité d’une approche pragmatique basée sur le modèle du
rétablissement. Dans une société habituée à la perfection des
machines, la distance entre les normes d’un bon employé et
d’un bon emploi se creuse. Un bon employé devrait ressembler à une machine, toujours performant, corvéable, infaillible
à l’erreur. Un bon emploi devrait se rapprocher d’un loisir,
compréhensif aux aléas de la vie, ouvert dans ses choix, tolérant à l’erreur. Le handicap, comme la stigmatisation, aboutit
à un désavantage social. Nous avons montré que dans les
troubles psychiques, le handicap et la stigmatisation sont particulièrement intriqués dans un cercle vicieux. Le désavantage
social est disproportionné par rapport aux limitations fonctionnelles, la stigmatisation renforce le désavantage social et
l’auto-stigmatisation aggrave la dépression. Les troubles de la
personnalité, hypersensibles au rejet sont également vulnérables au phénomène de stigmatisation et peuvent développer
rapidement une réaction de «pourquoi essayer?». Enfin, nous
Conclusion
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taire a d’abord transféré le modèle de l’asile vers la com
munauté. Le modèle originel «d’assertive community
treatment (ACT)», efficace pour réduire le recours à l’hospitalisation, ne conçoit originellement pas de rétablissement
possible et propose en principe un suivi «paternaliste» à vie
[24]. Le modèle progressif de réhabilitation psychiatrique
suggérait des étapes successives de lieux protégés avant l’intégration complète dans la communauté. Dans ces modèles,
les valeurs de protection prédominaient sur les valeurs d’autonomie et de connexions sociales. Il apparaissait également
peu probable que d’autres partenaires dans la communauté
naturelle puissent jouer un rôle prépondérant dans le rétablissement. Aujourd’hui, les perspectives sont inversées:
comme il apparait peu probable d’apprendre à nager sans
se plonger dans l’eau, il apparait aujourd’hui peu efficace
de réintégrer les personnes dans la communauté sans y être
complètement plongées. Par exemple, dans le domaine de la
réintégration à l’emploi, la psychiatrie communautaire est
passée d’un modèle «entraîner puis placer» à celui de «placer puis entraîner» en emploi compétitif [25]. Ce modèle,
contre intuitif dans une logique médicale, part du principe
que la récupération des droits sociaux comme l’accès à
l’emploi précède le rétablissement et non l’inverse [26]. La
capacité à occuper un emploi se construit ainsi dans l’emploi
et non au-dehors, en collaboration avec les employeurs sur
une certaine durée et dans une culture positive de l’échec
comme l’acquisition d’une expérience. Cette méthode permet de faire le compte de manière fine des ressources et des
limitations en situation et de récupérer des conséquences
secondaires liées au désavantage social de l’éloignement du
marché du travail.
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