la rencontre patient-famille-soignants dans le contexte de la maladie

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LA RENCONTRE PATIENT-FAMILLE-SOIGNANTS DANS LE
CONTEXTE DE LA MALADIE GRAVE
De Boeck Supérieur | « Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de
réseaux »
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2016/2 n° 57 | pages 49 à 71
ISSN 1372-8202
ISBN 9782807390171
Article disponible en ligne à l'adresse :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-cahiers-critiques-de-therapiefamiliale-2016-2-page-49.htm
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Jean-Pierre Gagnier, Linda Roy, « La rencontre patient-famille-soignants dans le
contexte de la maladie grave », Cahiers critiques de thérapie familiale et de
pratiques de réseaux 2016/2 (n° 57), p. 49-71.
DOI 10.3917/ctf.057.0049
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Jean-Pierre Gagnier, Linda Roy
La rencontre patient-famille-soignants
dans le contexte de la maladie grave
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Résumé
Quand survient la maladie grave, des ressources émergent et des fragilités
peuvent être amplifiées. Les relations familiales révèlent alors leur histoire et leur
densité. Tout en soulageant et accompagnant au mieux la personne confrontée à
la maladie, il importe de reconnaître les adaptations mutuelles qui se manifestent
dans les familles et l’expérience des soignants qui gravitent dans un tel champ
de force et y contribuent. Le soignant, qu’il soit travailleur social, psychologue,
infirmière, médecin ou autre, intervient au cœur de ce champ de forces. Plusieurs
repères issus de l’approche systémique nous soutiennent au quotidien dans l’exercice de nos responsabilités individuelles et collectives. Des enjeux liés aux loyautés familiales et à la rencontre patient-famille-soignants sont priorisés. De courts
récits inspirés de situations réelles illustrent nos propos.
Abstract: The encounter between the patient, family and care providers
when a serious illness occurs
When occurs serious illness, resources emerge and fragilities can be amplified. Family relations then reveal their history and density. While relieving and
best accompanying the person confronted with the disease, it is important to recognize the mutual adaptations that occur in families and the experience of care
providers who revolve in such a force field and contribute to it. The care provider,
whether a social worker, psychologist, nurse, doctor or other, acts at the heart of
this field of forces. Several guidelines from the systemic approach support us on a
daily basis in the exercise of our individual and collective responsibilities. Issues
related to family loyalties and to the encounters between patients, families and
1
2
Psychologue, professeur, chercheur au Centre d’études interdisciplinaires sur
le développement de l’enfant et la famille, Département de psychologie, Université du Québec à Trois-Rivières ; collaborateur au Réseau Cancer Montérégie
(RCM).
Travailleuse sociale régionale au Réseau Cancer Montérégie (RCM) du Centre
intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Centre, Hôpital Charles
Lemoyne, Québec, Canada.
DOI: 10.3917/ctf.057.0049
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Jean-Pierre Gagnier1 & Linda Roy2
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care providers are prioritized. Short stories inspired by real situations illustrate
our paper.
Keywords
Serious illness – Cancerology – Family adaptation – Psychosocial
interventions – Care providers.
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Introduction
Cet article témoigne de nos expériences cliniques et de nos sensibilités
particulières à l’égard des personnes atteintes de maladie grave, des familles
et des soignants. En tant qu’intervenants psychosociaux engagés en cancérologie dans un contexte hospitalier3, nous voyons à quel point la maladie
grave exige la dispensation de soins de pointe et exerce une pression sur les
relations familiales. Adoptant une perspective résolument développementale et systémique, nous sommes amenés à penser en termes de complexité,
d’assemblage et de hasard. Les expériences quotidiennes vécues dans le
contexte de la maladie grave sont sources de questionnements, de défis
et de découvertes. Des embâcles se créent, des opportunités sont saisies.
À l’insu bien souvent de ceux qui les émettent, ces éléments contraignent ou
stimulent les moments de recherche d’équilibre ou de sens.
Les conceptions actuelles du soin, précisées dans les documents gouvernementaux et inscrites dans les engagements des établissements de santé,
rappellent l’importance du soutien aux familles et aux proches des patients.
Or, les défis cliniques et de gestion pour concrétiser de telles volontés demeurent importants. La centration individuelle bien légitime sur la maladie
et la personne malade a creusé des sillons dont il n’est pas si simple de sortir. Le soutien au patient atteint de maladie grave n’efface pas les contextes
familiaux, culturels et sociaux. L’individu et le contexte coexistent. Les
3
Les services de santé psychosociaux permettent aux patients, aux familles et aux
professionnels d’optimiser les soins biomédicaux et de gérer les aspects psychologiques et sociaux de la maladie et de ses conséquences afin de promouvoir une
meilleure santé (Institute of Medecine (IOM), 2008). Nous tenons à remercier tous
les intervenants que nous côtoyons et que nous supervisons. Ils nous inspirent et
permettent d’approfondir les idées et les pratiques dont nous témoignons dans cet
article. Nous tenons également à souligner la collaboration de Julie Vadeboncoeur
et de Pierre Asselin qui ont relu et judicieusement commenté notre travail.
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Mots clés
Maladie grave – Cancérologie – Adaptation familiale – Interventions
psychosociales – Soignants.
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tentatives d’adaptation mutuelle épousent des formes changeantes et multiples. C’est souvent dans les petits gestes du quotidien que la vie se raconte,
que se révèlent le souci de l’autre et les inquiétudes les plus profondes. Les
personnes malades et les familles4 parlent de leur expérience dans un langage qui mérite une écoute particulièrement attentive. Les rapprochements,
les hésitations, les réflexions intimes, les gestes à peine esquissés révèlent
un champ de force aussi subtil que déterminant. Comment comprendre que
la souplesse adaptative des uns et des autres puisse être activée, compromise
ou perdue ? Comment penser les adaptations mutuelles entre une personne
atteinte de maladie grave, sa famille et les soignants ? Comment répondre
aux exigences d’accessibilité et de continuité de soins et de services hors les
murs (en externe et à domicile) ? Le développement de pratiques cliniques
conçues et ajustées aux besoins des patients et des familles, en assemblage
avec les soignants, est au cœur de nos engagements professionnels.
Nos propos témoignent donc de ce qui peut survenir dans le contexte
de la maladie grave sans prétendre que l’ensemble des expériences et des
réactions possibles puissent être représentées. Une attention particulière est
accordée aux adaptations familiales et aux enjeux relationnels qui sont régulièrement soulevés dans le contexte clinique de la maladie grave. La thématique des loyautés familiales, de la place et la rencontre patient-famillesoignants sont privilégiées. Plusieurs repères issus de l’approche systémique
nous soutiennent au quotidien dans l’exercice de nos responsabilités individuelles et collectives. Nous proposons d’abord quelques idées qui, tels des
phares, éclairent nos pas et ancrent notre recherche de cohérence. De courts
récits inspirés de situations réelles illustrent nos propos5. Ces fragments de
vie témoignent des liens circulaires existant entre la personne atteinte, la
famille, les proches, les soignants et le contexte social. Comme le précise
Mony Elkaïm, la question essentielle ne consiste pas à savoir qui fait quoi à
qui, mais bien que font-ils ensemble et nous avec eux. Nous souhaitons simplement que les considérations générales et les fragments de vie commentés
puissent contribuer à la réflexion sur cette thématique complexe.
4
5
Le proche peut être le conjoint, les enfants, les parents ou les autres membres de la
famille, de même que les amis significatifs.
Certains détails ont cependant été modifiés afin de protéger l’anonymat des personnes concernées.
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Depuis une quinzaine d’années, à la direction Québécoise de cancérologie, on constate deux grandes tendances concomitantes. La première
concerne directement l’expérience des patients. Ainsi, une proportion importante de travaux actuels porte sur l’évaluation de la détresse, les cognitions et les stratégies individuelles d’adaptation des personnes atteintes de
cancer (Direction de la lutte contre le cancer, 2011 ; Holland, Breitbart,
Jacobsen, Loscalzo, McCorkle, Butow, 2015). La seconde tendance rappelle que les proches sont bousculés par la maladie grave d’un des leurs
et sont pourtant attendus comme sources de soutien. Ainsi, les documents
formels ne parlent plus exclusivement des patients. Progressivement, les
auteurs reconnaissent l’importance de saisir le patient dans son contexte
familial et encore plus récemment dans son contexte social en parlant des
proches et de la culture d’appartenance. On retrouve cette évolution dans
les écrits ministériels et les documents officiels (Organisation mondiale de
la santé 2009 ; Association Canadienne d’Oncologie psychosociale, 2010 ;
Direction de la lutte contre le cancer, 2011).
Qu’il suffise de mentionner l’évolution démographique, les nouvelles
formes d’organisation familiale et la diversité culturelle. L’accroissement
de l’espérance de vie augmente la possibilité que des conjoints très âgés
ou des enfants passablement âgés aient à soutenir un proche dans la traversée de la maladie. À défaut de soutien ou de répit suffisants, il est possible
qu’un proche puisse ressentir une sorte d’usure physique et douloureuse à
la détresse d’une personne gravement malade ou en fin de vie. De même, le
petit nombre d’enfants dans les fratries réduit la taille des réseaux familiaux
pouvant combiner leurs ressources et leurs disponibilités pour faire face à la
crise. Pour les familles d’immigration récente, la maladie d’un être cher ou
la fin de vie débordent les frontières de leur société d’accueil. Les repères
culturels, les rituels de la patrie d’origine où vit encore une grande partie des
membres de la famille élargie, exigent de concilier deux registres distincts
de relations et de significations. La fragilisation d’un être cher peut parfois
réactiver brusquement ce qui a été vécu lors du processus d’immigration.
Les mutations reliées aux transformations familiales et sociales et à l’organisation des services rappellent la pertinence et la nécessité d’ajuster l’offre
de soins et d’accompagnement.
Dans ce contexte en pleine mouvance, l’hospitalisation est brève
et ne s’applique généralement que dans les situations de soins aigus.
Concrètement, les soins en oncologie s’actualisent de plus en plus en clinique externe. Le maintien à domicile est encouragé. Les soignants sont
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Un environnement changeant
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davantage amenés à rencontrer les patients et les familles dans leur propre
contexte de vie. Pour les malades et les familles, recevant des traitements
dans les cliniques externes des hôpitaux spécialisés ou suivis à domicile,
de nouvelles bases de sécurité doivent être établies. Les pharmaciens,
par exemple, se préoccupent de l’adhésion des malades aux prescriptions
de traitement prises en dehors des milieux formels de soins. Quand, par
exemple, un médicament est administré en milieu de soins, les contrôles
sont assurés à même les mécanismes de suivi et de régulation des pratiques
hospitalières courantes. Quand le médicament est pris hors les murs, sous la
responsabilité directe des malades et des proches, les soignants constatent
que quelque chose échappe à leur vue. De nouvelles modalités de suivi
doivent être développées. Or, le passage du discours à la pratique demeure
exigeant.
Comment assurer une base sécurité nouvelle et créatrice pour que les
malades, leurs proches et les intervenants puissent inventer leurs soutiens ?
Les soins spécialisés offerts en cancérologie sont essentiels mais non suffisants s’ils ne parviennent pas à intégrer une prise en compte des adaptations
mutuelles et des relations tout au long de la trajectoire.
La maladie occupe l’avant-scène
et la vie continue
Dans un monde qui adule la performance et la réussite individuelle,
la maladie et la mort apparaissent comme d’inconvenants trouble-fêtes
(Aubert, 2003 ; Laporte & Vonarx, 2015). Chacun porte, enfoui au plus profond de son être, l’ardent désir que sa vie échappe aux dents acérées du
temps et que les personnes aimées ne souffrent et ne meurent jamais. La
maladie constitue une menace dans le temps, c’est-à-dire dans le temps du
corps, dans le temps passé avec les autres, dans le temps des projets entrepris ou simplement rêvés (Goldbeter-Merinfeld, 2006).
Bien que les soins et les traitements aient beaucoup évolué, le caractère largement imprévisible du cancer et la vitesse parfois vertigineuse de
ses effets demeurent des sources de peurs profondes. Le rapport au temps
et le familier, jusque-là bien installés, sont bouleversés. Les automatismes
du quotidien, les régulations offertes par le travail et les activités sociales
semblent soudainement d’une époque révolue. La force de la menace, la fatigue et les exigences imposées par la maladie et le soin projettent le patient
et ses proches dans une expérience déstabilisante. Les exigences reliées aux
symptômes et aux effets secondaires des traitements s’inscrivent dans un
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« Apaiser l’imaginaire du malade, afin qu’au moins il cesse de souffrir de ses réflexions sur la maladie plus que de la maladie elle-même…
Maintes et maintes fois j’ai constaté avec tristesse que les pièges métaphoriques qui déforment l’expérience d’un malade atteint de cancer ont
des conséquences tout à fait réelles : ils dissuadent des gens de se faire
soigner assez tôt et de s’efforcer de chercher un traitement valable. »,
(Sontag, 2009, p.130).
La nature du cancer, l’évolution de la maladie et la durée des épisodes de soins sculptent inévitablement des expériences distinctes pour les
patients et pour les proches. Certaines personnes atteintes d’une forme virulente de cancer qui a couvé silencieusement apprennent très tardivement
la gravité de leur état et décèdent rapidement. Pour ces patients, la vie du
« jusque-là » est soumise à un très brusque freinage. Le choc et la crise sont
alors si concentrés que l’impensable et l’urgent accaparent massivement
l’espace.
Pour d’autres, l’évolution plus lente de la maladie et les divers épisodes de soins offrent des occasions particulières et uniques de rencontres
avec soi-même, avec les proches et les soignants7. Bien qu’augmentant les
chances de survie, l’évolution des traitements participe à l’allongement des
trajectoires de soins.
«  Le progrès médical n’induit pas tellement d’augmentation des cas
de guérison mais une véritable explosion des cas de maladies chroniques.
Nous observons donc une augmentation du nombre de patients atteints
de plusieurs maladies chroniques concomitantes. Cet accroissement de
la complexité clinique met à mal la sur-spécialisation de la médecine. »,
(Goldwasser, 2013, p 187).
En cancérologie, il est de plus en plus fréquent d’observer des manifestations et des sources de pression associées aux maladies dites chroniques.
6
7
Nous adoptons l’appellation « maladie grave » compte tenu de la place qu’elle occupe dans la documentation scientifique et clinique. Il convient toutefois de demeurer vigilants et critiques face aux possibles effets performatifs des représentations
sociales associées au cancer. Attentive à la stigmatisation de certaines maladies et
en particulier aux mystifications qui entourent le cancer, Suzan Sontag (2009) propose une réflexion critique sur la maladie comme métaphore.
Pour une fine description des phases d’évolution du cancer, voir Delvaux (2006).
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monde de représentations sociales encore bien souvent sombres et fortement chargées (Savard, 2011 ; Sontag, 2009)6.
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Quelques repères systémiques
qui nous aident à composer avec la complexité
de la pratique clinique
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Suite à ce bref survol d’enjeux sociaux et organisationnels, nous souhaitons partager quelques repères systémiques qui nous aident à penser et à
agir. Nous proposons également des récits de pratique et les commentons de
manière à traduire notre approche psychosociale attentive aux assemblages
patient-famille-soignants.
Penser en termes de circularité
L’intérêt pour les dimensions familiales et sociales de la maladie
grave s’est accru dès qu’ont été davantage reconnus les effets circulaires
existant entre la personne atteinte, les proches, les soignants et le contexte
social ambiant (Byng-Hall, 2013 ; Mitchell, Wynia, Golden, McNellis,
Okun, Webb, Rohrbach & Von Kohorn, 2012)8. Les problèmes de santé
ou les symptômes, présentés légitimement dans un contexte de maladie,
en termes de caractéristiques individuelles, sont vécus en relation avec les
personnes significatives. Pour les soignants, adopter une épistémologie systémique, c’est s’intéresser, entre autres, aux relations et aux configurations
circulaires9 entre les éléments d’un système. Chaque comportement est à la
fois source et objet d’influences.
«  Ce que l’on définit en tant qu’« explication » s’enrichit et se complique puisque ce qu’il s’agit d’expliquer, ne désigne plus un comportement
défini en termes de soumission des effets à des causes, mais un comportement
8
9
Rappelons simplement que plusieurs autres pionniers tels Ancelin-Schützenberger,
Ausloos, Basaglia, Elkaïm, Minuchin et Onnis ont contribué, de manière distincte
et complémentaire, au développement d’une compréhension systémique des problématiques de santé. Ces auteurs inspirent nos pratiques de tous les jours.
La notion de circularité a été initialement élaborée par Bateson qui utilisait ce terme
pour décrire l’organisation récursive qui caractérise les formes vivantes. L’équipe
de Milan a ensuite proposé un modèle d’intervention circulaire qui utilise la technique des questions circulaires. Deux points propres à ce modèle méritent d’être
rappelés : 1) l’information réside dans les différences ; 2) c’est dans son contexte
qu’un comportement trouve sa signification.
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L’étape de la survivance est apparue progressivement dans la trajectoire de
soins (Direction de la lutte contre le cancer, 2011).
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En intervention, les questionnements circulaires contribuent à situer les individus dans leur contexte interpersonnel et font émerger ce que
Bateson appelait « les motifs qui relient ». Il s’avère alors possible de reconnaître des influences réciproques jusque-là méconnues. S’inspirant de
cette perspective, l’essentiel du projet d’intervention psychosocial consiste
à soutenir la recherche de nouvelles façons d’être ensemble.
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Dans un contexte
La maladie grave surgit toujours dans une histoire de vie, à un moment particulier, dans un contexte. Les patients ont une vie bien à eux avant
l’apparition de la maladie et pendant la maladie. Ils ont une expérience avec
la solitude, avec la vulnérabilité, avec le fait de demander, avec le sens de
la présence ou de l’absence de relations de proximité (pensons simplement
aux exigences soulevées par la cohabitation dans une chambre d’hôpital
ou par l’arrivée d’un nombre important de soignants dans leur vie). Dans
les contextes de soins, la personne malade se montre à la fois cohérente
(s’appuyant dans les tendances de sa « vie du jusque-là ») et en partie énigmatique pour elle-même, pour les proches et les soignants.
Dans un couple ou une famille, la vie s’organise, les rôles se structurent, les rituels sont créés. Progressivement, il y a des implicites dont on
ne discute plus. Quand survient la maladie grave, le terrain de l’intimité et
des acquis est réactivé. La menace et les exigences de la maladie obligent
à revoir ce qui a été ritualisé et réactive ce que Neuburger (2000) appelle le
mythe fondateur. La nécessité d’une réorganisation s’impose. Les moments
de crise sont à la fois sources de menace et opportunités de changement.
Quiconque œuvre en cancérologie et en soins palliatifs peut témoigner
d’étonnantes avancées pouvant se produire, parfois en quelques jours seulement, dans le positionnement du malade ou dans l’agencement des relations familiales. Des positionnements d’incrédulité ou de peur peuvent être
suivis d’adaptations tirant profit du soutien offert. Ausloos (2010), dans un
article remarquable intitulé De la crise à la résilience face au cancer, rappelle la question de l’opportunité et s’inscrit en pleine cohérence avec la
reconnaissance de la compétence de la famille. Darnaud (2012) souligne
de plus l’exigence pour les soignants d’être là, à ce moment-là, auprès des
personnes, dans l’intensité du dire exprimé ou réprimé, dans l’intensité du
cri de révolte qui cherche une voie.
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naissant de l’interaction entre une sensibilité et un environnement. »,
(Despret, Elkaïm et Stengers, 2002, p. 24)
La rencontre patient-famille-soignants dans le contexte de la maladie grave 57
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En fait, dans le parcours de la maladie grave, quand une crise survient, des dimensions de la personne malade et des relations déjà établies
surgissent. Ce qui allait de soi devient questionnable et parfois caduque.
La crise serait la rencontre avec des aspects de soi qui n’étaient pas mis
de l’avant, qui étaient en quelque sorte dormants. Ces aspects de soi qui
s’éveillent sont liés au passé mais ils ne se réduisent pas à lui. Les dimensions de soi entrent en résonance à un moment particulier avec les autres et
le contexte, (Elkaïm, 2009)10.
Dans le sillage et les turbulences de la maladie grave et de la fin de
vie, des ressources surgissent et des fragilités peuvent être amplifiées. Les
relations familiales révèlent alors d’autres pendants de leur histoire et de
leur structure. Autant de familles, autant de trajectoires. La diversité des
réactions et des stratégies adaptatives des patients et des familles est observable tout au long de la trajectoire allant de la confrontation à la maladie
grave jusqu’à guérison ou à la traversée du deuil.
Les membres de la famille vivent entre eux un parcours, une traversée chaque fois porteuse d’enjeux universels et particuliers. Ce que vivent
les proches est légitime et peut bien évidemment exercer une influence sur
l’expérience du malade. S’approcher du vécu des proches, c’est apprendre à
se maintenir au cœur des relations de manière sensible et différenciée. Les
proches vivent eux-mêmes des bouleversements dans cet affrontement avec
la maladie grave. Bien souvent, ils parlent de ces grands remous aux soignants. C’est pourquoi, malgré les pressions multiples et les émotions vives,
il est crucial de nous soucier du parcours qui lie les uns et les autres par la
force des attachements affectifs et des projets partagés. Nous pouvons, sans
intrusion inopportune, faciliter l’émergence et le maintien de conditions
favorables au vivre ensemble. Ainsi, le regard posé par les soignants sur la
famille ne doit pas réduire celle-ci au seul statut de ressource pour la personne malade. Rien ne justifie le fait qu’une famille puisse être simplement
mise au service du malade sans espace pour se vivre et se dire. Il ne s’agit
10
Le concept de résonance proposé par Elkaïm est une sorte de point nodal,
d’intersection entre différents systèmes, portant sur une ou plusieurs singularités
partagées.
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« C’est l’incapacité, pour la personne, de prendre de la distance au
moment où elle vit l’événement, qui en fait à la fois un élément vécu et une
déchirure. L’événement n’est plus un événement, tant il menace en raison de
la violence perçue, la survie du sujet à ses yeux. », (Darnaud, 2012, p. 122).
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pas non plus de demander au patient de porter et de régler les difficultés ou
les non-dits de sa famille.
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La participation des observateurs dans le système observé devant être
pleinement reconnue, les soignants bougent dans un tel champ de forces
et inévitablement y contribuent (Elkaïm, 2014 ; Gagnier & Roy, 2009). La
cybernétique de « second ordre » et les travaux de Heinz von Foerster ont
grandement aidé les systémiciens à penser la participation des intervenants
et à concevoir leurs modes d’intervention à partir de la manière dont ils sont
situés (Despret, Elkaïm & Stengers, 2002). Les équipes de soin sont inévitablement observatrices et participantes.
« Le thérapeute n’a pas accès, ne lui en déplaise, à une véritable
extraterritorialité, ses constructions du monde sont, au contraire, indissolublement liées à celles des personnes avec lesquelles il entre en relation car
l’observateur n’est pas situé en dehors de ce qu’il observe : partie prenante
de la situation, il est inclus à ce titre dans le système auquel il participe. »,
(Elkaïm, 2014, p. 12).
En l’absence de position réflexive ou de repères suffisants, il est difficile pour les soignants de comprendre ce qui se joue entre les membres de
la famille et avec eux.
Penser en termes d’adaptations familiales nous invite à réfléchir au
rapport entre les pratiques professionnelles et les initiatives prises par les
familles. Les situations de confrontation à la maladie grave ou à la fin de
vie, bien que requérant des soins physiques de qualité et des attitudes de
soutien, ne nécessitent pas d’emblée le recours à des intervenants psychosociaux11. Le diagnostic propulse les personnes malades et les proches dans
une crise intense. Pourtant, la plupart des familles arrivent à composer avec
les exigences soulevées en puisant dans leurs ressources, dans leur capital
d’attachement et de solidarité. Il importe de réfléchir aux conditions qui
font que des familles ont des besoins particuliers, plutôt que de considérer
que toutes les familles ont inévitablement besoin d’interventions psychosociales. Onnis (1984), dans un article remarquable sur la demande, rappelait
à quel point l’offre de services pouvait sculpter la demande.
11
L’oncologie psychosociale est définie comme une spécialité des soins du cancer
concernée par la qualité de vie, la compréhension et le traitement de l’aspect social,
psychologique, émotionnel, spirituelle et fonctionnel associé au cancer et au deuil.
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La place des intervenants
La rencontre patient-famille-soignants dans le contexte de la maladie grave 59
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Plusieurs études ont permis de mieux cerner les besoins psychosociaux des patients et des familles (Association canadienne d’oncologie psychosociale, 2010 ; Direction de la lutte contre le cancer, 2011). Les soins
de soutien offerts par l’équipe de base en oncologie et les professionnels du
soin des réseaux communautaires suffiraient pour répondre aux besoins de
la moitié des personnes concernées12. Les intervenants psychosociaux sont
interpellés dans les situations complexes généralement identifiées par leurs
collègues du soin dans le cadre d’une collaboration interdisciplinaire. La
reconnaissance de la compétence et des capacités d’adaptation des familles
nous invite à ne pas nous imposer comme des tiers inévitables13. À défaut
d’un tel discernement, nous risquons de participer à une logique confirmant
l’insuffisance des ressources des familles pour la traversée des moments de
crise14.
Cette exigence et capacité d’identification des situations nécessitant
une aide psychosociale spécialisée et de non intrusion dans les situations
bien soutenues à même les ressources des patients et des familles demeure
un défi constant. Des études récentes (Fann & Arthehold, 2012 ; Zebrack
et coll. 2015) indiquent que les patients considèrent que les équipes soignantes reconnaissent encore peu leurs besoins psychosociaux et que certains membres des équipes ne semblent pas savoir comment utiliser judicieusement les ressources psychosociales. Sensibles à ces enjeux, nous
portons essentiellement deux principaux soucis : 1) bien définir les services
psychosociaux et les critères d’orientation vers les soins et services psychosociaux ; 2) ne pas envahir les patients et leur famille des besoins identifiés
par les professionnels pour lesquels ils ne formulent aucune demande ou qui
n’ont pas été, dans la mesure du possible, validés auprès d’eux (Gagnier &
Roy, 2013).
Il nous apparaît même possible que l’adoption, encore trop fréquente,
d’une perspective centrée sur les déficits des familles puisse jouer un rôle
régulateur et permettre l’évitement des tensions vécues dans les équipes
de soins autour de la place des uns et des autres. En effet, la collaboration interdisciplinaire suscite le croisement des regards et des expertises.
12
13
14
Les travaux de Fitch (2008) et du Comité canadien d’oncologie psychosociale
(2010) proposent une organisation hiérarchisée des services basés sur la proportion
des patients nécessitant de l’aide.
Pour une réflexion clinique systémique approfondie sur les tiers, nous suggérons de
consulter les écrits d’Édith Goldbeter-Merinfeld.
Rappelons la contribution d’Austin (1970) à propos des énoncés performatifs qui
méritent d’être considérés comme des actions qui modifient les choses.
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Jean-Pierre Gagnier & Linda Roy
Considérer les enjeux liés à l’évolution de la maladie et aux traitements,
et choisir une voie avec le patient et sa famille exigent que les membres de
l’équipe puissent s’ouvrir avec sensibilité aux hypothèses multiples et parfois contradictoires soulevées dans les situations complexes. N’en doutons
pas, cette collaboration est difficile. Elle oblige les professionnels à reconnaître et assumer les limites de leurs champs de pratique et des traitements.
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Ainsi, deux types d’offre doivent pouvoir coexister : 1) être là, à côté
des patients et des familles, offrir empathie et informations disponibles ;
2) intervenir quand il le faut. Les initiatives et les tentatives d’adaptation des
membres de la famille méritent d’être pleinement reconnues. Il nous arrive
fréquemment d’être simplement des témoins appréciateurs des forces vives,
des attachements et des solidarités qui s’expriment au cœur du difficile.
De la compétence
Le récit qui va suivre rappelle par sa simplicité que la maladie grave
et la mort peuvent être vécus dans l’intimité et la discrétion, sans intervention psychosociale spécialisée. Il présente un fragment de vie qui illustre ce
qui s’est tissé entre deux êtres au fil du temps partagé et il décrit une qualité
émergente porteuse de compétence.
Un moment de veille
Approchons-nous doucement. Une femme âgée est assise au chevet
de son conjoint. Elle guette le moindre frémissement sur son visage,
pour capter l’insaisissable. Cette scène se déroule sur le registre
de la pudeur et de la discrétion. Elle qui a tant partagé son espace
de vie avec son homme, le veille, ou mieux, se veille avec lui. Elle
qui a beaucoup travaillé de ses mains, cousu les vêtements des
enfants, aimé de son mieux, assiste impuissante à l’irréparable.
Une souffrance contenue et silencieuse, en fines dentelles, dans ce
moment carrefour entre la vie du « jusque-là » et la vie incertaine et
pour le moment impensable de demain.
Ainsi, le cœur et la raison frémissent face au vide et aux ruptures. La
maladie grave et la fin de vie ébranlent la base de sécurité. Elles touchent les
croyances, les rôles et les représentations. Ces répercussions existentielles
sont naturelles. Une dame offre sa présence et sa disponibilité à son compagnon de route. La maladie ou la mort d’une personne qu’on aime nous
rappellent la précarité de l’existence (Barnes, 2013 ; Fauré, 2012). Bien que
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L’amour, l’attachement et l’engagement nous transforment. Dans
l’histoire entremêlée d’une famille, les pertes et les transitions incitent
chacun à une relecture de son propre récit de vie. Le couple et la famille
font partie de ce qui nous définit. Ainsi l’engagement et la loyauté sont
des déterminants importants des relations familiales. Conséquemment, les
enjeux de l’éthique relationnelle sont particulièrement saillants dans les familles confrontées à une situation de maladie grave ou de fin de vie. C’est
notre attente de réciprocité, d’équité et de loyauté qui détermine, pour une
bonne part, la manière dont nous traitons les personnes qui nous entourent
(Ducommun-Nagy, 2008). Quand des personnes signifiantes de notre entourage se sont montrées généreuses à notre égard, l’éthique relationnelle
nous amène à leur exprimer notre loyauté. C’est pourquoi la loyauté familiale joue un rôle important dans la cohésion des familles. Elle aide à traverser les inévitables moments de crise et de transition. Elle est susceptible de
soutenir les tentatives de redéfinition identitaire.
La vie est ce qu’elle est. Nous ne sommes pas victimes des nôtres qui
sont atteints de maladie grave. Nous sommes avec eux dans l’incertain, dans
l’exigeant, dans le possible et dans les limites inévitables de la vie (Barruel
& Bioy, 2013). Au cœur du souffrant et du difficile, le développement des
uns et des autres se poursuit, les manifestations d’attachement et de solidarité humaine produisent régulièrement d’étonnantes avancées.
« Plus nous sommes autonomes, plus nous devons assumer l’incertitude et l’inquiétude, plus nous avons besoin de reliance. Plus nous prenons
conscience que nous sommes perdus dans l’univers et que nous sommes
engagés dans une aventure inconnue, plus nous avons besoin d’être reliés à
nos frères et sœurs en humanité. », (Morin, 2004, p. 39).
Nous proposons maintenant une métaphore. Il arrive que les familles
au chevet d’un proche renvoient à une sorte de respiration partagée. Une
grande inspiration quand l’on cherche à assurer la contenance des émotions.
Plus d’espace pour respirer quand les nouvelles sont bonnes, quand l’être
15
Le tout ne se résume pas à la somme des éléments qui le composent. C’est cette
non-sommativité que Watzlawick (1972) a appelé la qualité émergente.
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la situation demeure exigeante, cette dame fait preuve de trois niveaux distincts et complémentaires de loyale fidélité : une fidélité à l’égard de son
propre engagement affectif, à l’égard de son homme et à l’égard du lien qui
les unit15. Telle l’action d’un champ magnétique, la loyauté directe est une
force qu’on peut reconnaître à ses effets (Ducommun-Nagy, 2006).
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cher est calme, quand il se repose et ne semble pas souffrir. Une famille
qui retient son souffle à d’autres moments, sous la pression de la gravité
de l’instant ou pour simplement déposer une image en soi. Ces mouvements autour et avec le malade sont parties prenantes de son contexte de
maladie ou de fin de vie et le confirment vivant, membre de la fraternité
des vivants (Hacpille, 2012). Des moments de dialogue ou des silences
partagés, des regards échangés, les gestes simples pour assurer le confort,
des mains qui se touchent. Reliés par les liens d’attachement et l’histoire
partagée, les proches s’installent souvent comme des veilleurs attentifs,
comme des équipes à relais auprès de la personne malade ou en fin de vie
(Gagnier, 2014, 2016). Nous parlons alors des « loyautés qui nous libèrent »
(Ducommun-Nagy, 2006). Ces moments partagés participent à l’élaboration des deuils des survivants et contribuent aux scripts familiaux (ByingHall, 2013).
Loyautés familiales
La maladie grave et la fin de vie d’un proche peuvent amplifier les
tendances déjà présentes dans les relations familiales. Il arrive que la tension, la fatigue et l’angoisse ressenties dans la relation avec un proche en
fin de vie puissent réveiller des blessures qui étaient en quelque sorte dormantes. Par ailleurs, sous la vive pression de situations de menace ou de
perte, l’instinct de vie et les capacités de dépassement prennent du relief.
S’il peut être naturel d’offrir sa loyaute16 à des parents qui se sont dévoués
pour nous, que se passe-t-il quand des sentiments d’injustice, d’indifférence
et de colère rappellent un passé familial difficile ? Des tensions internes
peuvent inhiber la capacité à s’approcher ou à se montrer disponible.
« La loyauté se définit comme la préférence donnée à une relation
par rapport à une autre, fondée sur un libre choix que nous faisons en tenant compte de trois éléments : ce que nous avons reçu dans chacune de
nos relations, ce que nous avons déjà donné et enfin ce que nous pourrions
recevoir dans le futur. », (Ducommun-Nagy, 2006, p. 81).
16
Le thème de la loyauté a été introduit dans le champ de la thérapie familiale par le
fondateur de la thérapie contextuelle Yvan Boszormenyi-Nagy (1973). DucommunNagy (2006) rappelle que les loyautés familiales ne sont pas que des contraintes,
elles sont des forces qui nous libèrent en pouvant permettre de tisser des liens
et d’apprendre à vivre de manière autonome. Dans sa définition relationnelle, la
loyauté est essentiellement basée sur l’engagement et la redevance.
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La rencontre patient-famille-soignants dans le contexte de la maladie grave 63
La rencontre ultime d’un fils avec son père
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Dans une pièce de théâtre intitulée « L’Impératif présent », l’auteur
québécois Michel Tremblay met en scène un fils de 55 ans qui visite
son père en fin de vie et lui donne des soins. Les deux hommes
livrent la perception de leur drame personnel et familial dans une
confrontation qui conduit chacun à son heure de vérité. Pour le père,
c’est l’inévitable rencontre avec sa fragilité, sa dépendance et la
fin de sa vie. Or, le fils porte en lui depuis longtemps le souvenir de
mauvais traitements infligés par son père et d’atteintes répétées à
sa valeur.
La souffrance et la rancœur logées dans l’intime du fils engendrent
des mouvements opposés, contradictoires : maintien de la colère
comme fidélité à sa propre expérience et désir de pardonner comme
ultime opportunité de libération. Quelle expérience souffrante que
celle de s’occuper de son père en fin de vie alors que des pans entiers
de leur relation brûlent encore en lui. Au moment de s’approcher
de son père maintenant affaibli, c’est le manque, la colère et
l’impuissance qui montent en lui et le paralysent.
D’une visite à l’autre, progressivement, silencieusement, ils espèrent
un rapprochement. Les murs et les silences installés entre eux au
fil du temps s’imposent encore avec force. Les pressions du temps
compté et du tant à dire s’amplifient. Les gestes de soins trahissent
l’ambivalence des sentiments et deviennent des mots mis en scène.
Les soignants sont témoins de cette intense confrontation. Tous les
jours, ils sont amenés à traverser avec délicatesse ces espaces de l’intime. Ils
cherchent à contenir ce qui est éveillés en eux. Ils ont à soigner, à soutenir et
à savoir attendre. Un grand risque, celui d’imposer une forme de résolution
hâtive qui, tel un passage à l’acte, nierait le temps requis pour les adaptations mutuelles et bousculerait le champ des possibles dans cette joute de
l’intime. Dans les adaptations familiales plus difficiles, notre regard ne doit
pas s’arrêter aux seuls comportements observables. Nous sommes témoins
privilégiés d’intentions, de besoins, de peurs qui se terrent sous les manifestations d’opposition et de réclamation. Les soignants sont alors des tiers
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Dans le prochain récit, nous présentons une situation pouvant générer une expérience émotionnelle intense pour les soignants et dans laquelle
une bifurcation, du nouveau demeurent possibles pour les membres de la
famille.
Jean-Pierre Gagnier & Linda Roy
qui permettent d’évacuer la peur et l’angoisse générée par la rencontre de la
limite. La pratique courante en cancérologie démontre que l’intégration des
proches dans la compréhension des problèmes et de l’intervention exige,
de la part des professionnels, beaucoup de rigueur, une vigilance face aux
enjeux de confidentialité, le respect du cadre d’intervention et une fine analyse des demandes. Comme le rappellent Reyneart, Janne, Zdanowicz &
Naviaux (1998), il faut parfois un grand art pour établir des alliances avec
les proches sans engendrer de coalliances contre le patient.
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Ainsi, il arrive que les conduites et les paroles de certains patients en
grande détresse ou en colère soient très difficiles à vivre pour des proches ou
les soignants. Ces agissements sont souvent ressentis comme des attaques
personnelles directes et injustifiées. L’expérience de l’impuissance est souvent très éprouvante. Comment éviter que des jeux de prescription hâtive de
conduites ou la disqualification des uns et des autres ne viennent recouvrir
et amplifier ce qui d’hier à maintenant se répète devant nous, avec nous ?
Quand une personne a été lésée de manière importante, des formes
implicites d’autorisation à punir et à critiquer sont susceptibles de prendre
racines17. Quand un fils considère que son père n’a pas rempli ses obligations envers lui, il peut estimer qu’il ne lui doit rien, surtout pas sa loyauté.
Quand le compte n’y est pas, la spirale d’une légitimité destructive peut
s’enclencher. Telle une tache d’huile qui déborde de ses frontières initiales,
cette spirale peut conduire à refuser de prendre en compte les droits et les
besoins des autres. Et ce, justement parce que les autres n’auraient pas pris
en compte ses droits et ses besoins (Ducommun-Nagy, 2008).
«  C’est comme si le passé réclamait plus que le présent ou le futur…
L’injustice est contexte : si quelqu’un est victime, ses partenaires sont touchés, concernés par l’interdépendance des conséquences et des engagements. », (Michard, 2005, p. 83).
Dans l’illustration précédente, le fils parviendra-t-il à exonérer son
père ? Dans la perspective de l’éthique relationnelle, si des parents ont
porté gravement atteinte à l’intégrité physique ou émotionnelle d’un enfant, ce sont eux qui lui doivent réparation. Si l’enfant se montre tout de
même généreux à leur égard, ce ne sera pas par obligation (DucommunNagy, 2010). Telles des fissures dans un mur opaque de colère réprimée, les
17
« L’ardoise pivotante », appellation proposée par Boszormenyi-Nagy (1973),
l’héritage du déficit de réciprocité, l’engagement à rééquilibrer le passé d’une
génération à la génération suivante sont des facteurs importants de dysfonctionnements conjugaux et familiaux.
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La mise en mouvement générée par le fait de donner, malgré les injustices passées, peut permettre d’amorcer une spirale de légitimité constructive, puisqu’inévitablement les effets se répercutent dans d’autres relations
voire d’autres générations. Les retombées d’une telle traversée sont importantes dans une trajectoire de vie. En fait, le besoin de reprendre ce qui est
dû ou le besoin de redonner peut être reporté dans le temps. Ils peuvent être
actualisés éventuellement avec d’autres personnes ou à un autre moment de
la vie. La légitimité acquise en donnant se manifeste par une plus grande
liberté intérieure, une tendance diminuée à se mettre en échec et la possibilité de deuils moins complexes.
La place des uns et des autres
La maladie grave forme un assemblage avec les agencements relationnels préexistants et agit souvent comme un amplificateur. Ainsi, la réactivation de tensions résiduelles associées à certaines histoires familiales peut
parfois rendre les rapprochements difficiles. Les désaccords et les conflits
survenant entre les membres de la famille risque alors d’empiéter sur l’énergie et l’espace dont la personne malade a besoin pour s’adapter.
Dans le prochain récit, nous présentons une situation complexe illustrant un enjeu universel et délicat, celui de la place.
Mélanie s’est présentée aux urgences de l’hôpital après avoir
consulté dans un cabinet médical à quelques reprises. À chaque
occasion, un diagnostic de bronchite était établi. Voyant la situation
se détériorer de jour en jour, l’employeur de Mélanie l’a convaincue
de se rendre aux urgences.
Dès son arrivée aux urgences, après quelques examens plus
approfondis, Mélanie est envoyée à l’unité des soins intensifs. La
maladie évolue au rythme de sa fougue de jeune adulte. La patiente
se trouve dans un état critique. Au cours de ce séjour aux soins
intensifs, une consultation est demandée à l’équipe en oncologie.
L’équipe des soins intensifs affirme ne pas arriver à calmer et à
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moments partagés et les gestes de soins peuvent soutenir l’espoir. Où trouver la force de choisir, si possible, une forme de pacification plutôt que de
continuer à nourrir l’amertume en dénonçant et en réclamant ? Où trouver
la force de ne plus agir sur la base de la légitimité à punir ? Peut-on parvenir
à lâcher prise sans se trahir soi-même ?
Jean-Pierre Gagnier & Linda Roy
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soutenir les proches de Mélanie. La tension entre les membres de la
famille est excessivement vive et manifeste.
Mélanie est une jeune adulte de 30 ans qui partage sa vie avec Carl,
son conjoint depuis 5 ans. Carl travaille dans la même organisation
qu’elle. Mélanie est la cadette d’une famille de deux enfants. Son
frère aîné est décédé dans un accident d’automobile il y a 7 ans.
Mélanie a rencontré son conjoint actuel peu après le décès de son
frère. Se remémorant cette période, le conjoint nous dira d’ailleurs
que c’est surtout grâce à lui que Mélanie a repris pied et poursuivi
ses études. Selon lui, Mélanie ne se permettait pas d’exprimer la
douleur de la perte de son frère devant ses parents. Elle cherchait le
mieux possible à les protéger et à se protéger de ce drame, de cette
brûlure interne si intense. Pendant l’hospitalisation de Mélanie,
maintenant transférée au département d’oncologie, la tension
est montée entre les proches de Mélanie, et plus particulièrement
entre sa mère et Carl. Ces derniers se querellaient en présence de
Mélanie et cherchaient à établir des alliances avec les infirmières.
Qui prendrait donc parti pour l’un contre l’autre ?
Mélanie et Carl vivaient depuis quelques mois chez les parents
de celle-ci. Ils avaient quitté leur logement dans le but d’arriver
à constituer une mise de fonds pour s’acheter une maison. Les
parents de Mélanie prévoyaient de leur côté quitter la demeure
familiale à brève échéance. La mère de la jeune femme a pris sa
retraite récemment et son père se prépare à le faire. C’est un peu
comme si la famille s’était contractée pour réaliser simultanément
un mouvement dans deux étapes de vie, soit le début de la vie adulte
sans les parents pour les uns, le passage à la retraite pour les autres.
La mère de Mélanie nous dit se sentir seule et débordée par cette
crise. Elle ajoute que depuis la mort accidentelle de son fils, une
distance silencieuse, un champ de non-dit se sont installés entre elle
et son mari. Elle souhaiterait pouvoir en parler avec lui.
Pendant l’hospitalisation, la querelle entre la mère de Mélanie
et Carl s’est intensifiée. Chacune des deux personnes cherchait
à disqualifier son rival et à entraîner les membres de l’équipe de
soignante dans ses filets.
Dans cette situation familiale, chacun cherche à assurer sa place
auprès de Mélanie. Qui a la priorité ? Les petits détails du quotidien deviennent des occasions d’affrontement : la nourriture préparée par la mère
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La rencontre patient-famille-soignants dans le contexte de la maladie grave 67
ou par le conjoint, les heures de présence auprès de Mélanie, et ainsi de
suite. Qui détient la place la plus légitime auprès de Mélanie ? De telles
questions génèrent des tensions et contribuent à un intenable malaise dans
la famille et puis progressivement, dans l’équipe soignante. Comme nous
l’avions indiqué précédemment, dès que la maladie grave survient dans une
vie, elle s’inscrit dans une histoire et un contexte qui s’en emparent et évoluent avec elle.
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La travailleuse sociale de l’équipe d’oncologie s’est approchée
d’abord de Mélanie afin de réfléchir avec elle, à ses besoins, à ses attentes
dans une telle situation. Mélanie lui a dit, à sa façon, qu’elle se sentait tiraillée sur deux fronts : entre sa mère et son conjoint Carl, entre son père et sa
mère. Au plus profond d’elle-même, elle désirait protéger ses parents de la
douleur d’une autre perte et disposer d’un espace pour mener sa vie. C’est
à partir de ces paroles de la patiente que l’équipe pouvait penser son rôle
et soutenir le vivre ensemble. Les propos de Mélanie ont ouvert le chemin
à des rencontres familiales. Comment soutenir Mélanie et à la fois accompagner ses proches en gardant à l’esprit le fait que chacun a sa place auprès
d’elle ?
«  Ne faut-il pas qu’un espace d’incertitude soit préservé pour que,
dans la brèche formée par le doute, les esprits s’activent, se mettent en
mouvement, créent, imaginent… N’est-ce pas autour de ce même espace,
que s’enracine l’accueil de l’autre, engageant à une attitude humble qui ne
peut prétendre savoir pour l’autre, invitant à découvrir, accompagner. »,
(Ceccaldi, Barruel & Goldwasser, 2013, p. 56).
L’expérience de la maladie se greffe sur une vie singulière, arrive
à un moment particulier de son déroulement et gravite dans un champ de
forces non moins uniques. Pendant que la grande vulnérabilité de Mélanie
vient éveiller chez ses parents la douleur de la perte relativement récente de
leur fils, son conjoint Carl est désemparé, interrompu en plein élan dans le
projet de vie autonome en couple. Chaque situation familiale porte une signature. Lorsque le cancer touche un conjoint appartenant depuis quelques
années à un couple sans enfant, comment peut-il assurer sa juste place ?
Lorsque c’est la vie de leur propre fille qui est menacée, quel que soit son
âge, comment les parents peuvent-ils assurer leur présence ? Comment les
uns et les autres parviendront-ils à composer une nouvelle orchestration en
fidélité à leurs alliances antérieures et en souplesse face à ce qui s’annonce ?
De fait, on appartient à soi, au carrefour de ses multiples relations significatives. Un soin qui s’organise trop massivement autour d’une réponse
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Cette situation soulève des enjeux délicats autour de la question de
la place des uns et des autres. Parallèlement à ce qui se joue sur la scène
familiale, la place des soignants auprès de la famille et entre eux mérite une
grande attention. Confrontée au quotidien par des situations délicates, complexes et bien souvent inédites, l’équipe doit être « suffisamment bonne  18 »,
c’est-à-dire dévouée, rigoureuse, rencontrant des limites et soucieuse de les
considérer. Elle se préoccupe également sans relâche de la place du patient
et de ses proches tout en consentant à s’inclure dans le regard qu’elle porte
sur les situations. Stimulés par les exigences concrètes du quotidien, les
membres de notre équipe cherchent pour leur part à développer une collaboration interdisciplinaire qui puisse favoriser le soutien et la coopération
construits sur les ressources de chaque intervenant.
Conclusion
Comme nous avons cherché à le soutenir et l’illustrer, les soins dispensés dans le contexte de la maladie grave soulèvent d’importants défis.
Une inévitable tension, un espace de négociation persistent entre la nécessité et la valeur de soins spécialisés rigoureux et la reconnaissance suffisante
des adaptations qui se réalisent entre les membres du réseau familial, les
amis et les personnes malades ou en fin de vie. Comment parvenir à être
aussi présents que nécessaire à certains moments et simplement témoins
discrets dans d’autres circonstances ? Comment accompagner les familles
et les proches sans empiéter sur leurs initiatives et adaptations mutuelles
avec le patient ? Comment reconnaître pleinement que la vulnérabilité d’un
être cher ou sa mort font partie de la vie et concernent les liens tout autant
que les soins ? Les intervenants se déplacent sur cette arrête étroite du souci
de l’autre, de l’intime et du délicat.
L’évolution des soins et des services invite à développer de nouvelles
pratiques, de nouvelles formes de sécurité pour les malades et les familles.
18
Analogie avec le concept de « la mère suffisamment bonne » proposée par Winnicott. Pour Winnicott, la mère suffisamment bonne, c’est la mère réelle, dévouée, qui
fait de son mieux. Elle est capable d’avoir des défaillances et d’y remédier. L’équipe
« suffisamment bonne » est l’équipe réelle qui se dévoue au patient et à la famille,
fait de son mieux, reconnaît ses limites et se révèle capable de s’ajuster.
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spécialisée à des symptômes individuels, sans se soucier des expériences
engendrées dans le vivre ensemble, peut contribuer paradoxalement à affaiblir la capacité d’un collectif à se solidariser, à prendre soin et à préparer
demain.
La rencontre patient-famille-soignants dans le contexte de la maladie grave 69
Les soins offerts en clinique externe et à domicile exigent que l’on porte davantage attention à l’expérience des proches aidants et aux relais intersectoriels devant garantir l’accessibilité, l’équité et la continuité des soins aux personnes atteintes de maladie grave. Notre pratique en cancérologie confirme
que l’expérience des patients et des familles bénéficie des initiatives organisationnelles de bien-traitance à l’égard des intervenants, de la collaboration
interdisciplinaire (Gagnier & Roy, 2013) et du respect des diverses modalités
de soins et de services offerts par les familles et les communautés.
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La rencontre patient-famille-soignants dans le contexte de la maladie grave 71
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