ordonnances-prescriptions-2015

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Santé Bien-être | Enquête
29 décembre 2015
Médicaments
Prescrire en DCI
Depuis un an, les médecins ont obligation de prescrire les médicaments en les nommant par
leur molécule. Bien peu le font.
À l’issue d’une consultation chez le médecin, vous avez peut-être noté des changements sur
l’ordonnance de médicaments qu’il vous a tendue. Des noms de médicaments bizarres, à
rallonge, en lieu et place de vos produits habituels ? Pas de panique, c’est normal. Depuis un
an, les professionnels de santé habilités à prescrire des médicaments doivent rédiger les
ordonnances en dénomination commune internationale (DCI), c’est-à-dire en indiquant le
nom de la molécule, son dosage et la forme. Le nom commercial peut être mentionné, mais il
ne vient qu’en complément. Cette évolution est l’une des dispositions de la loi Bertrand, votée
à la suite du scandale du Mediator.
Qu’est-ce que la DCI ?
La dénomination commune internationale correspond au(x) principe(s) actif(s) d’un
médicament. C’est donc une désignation scientifique. Le paracétamol, la morphine sont des
DCI. Une DCI peut se décliner sous plusieurs noms commerciaux, comme un camembert peut
être vendu sous plusieurs marques différentes. Les DCI sont regroupées par familles pour
marquer la similarité des mécanismes d’action, des effets indésirables et des contreindications, et portent un signe de reconnaissance de cette appartenance dans leur appellation.
Exemple : la terminaison « -zépam » caractérise les tranquillisants de la catégorie des
benzodiazépines.
Ce qu’elle n’est pas
Il ne faut pas confondre DCI et médicament générique. Même s’il comporte souvent le nom
de la molécule dans son nom, un générique est une déclinaison commerciale.
Les avantages
Elle est identique dans tous les pays
Les DCI sont conçues par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Une ordonnance en
DCI peut donc être comprise dans n’importe quelle pharmacie, même au bout du monde.
L’inverse n’est pas vrai : une prescription en nom commercial posera parfois des difficultés à
l’étranger, car les noms donnés par les firmes pharmaceutiques peuvent varier
considérablement d’un pays à l’autre. Au mieux, le pharmacien essaiera de vous conseiller à
partir de vos symptômes ; au pire, il tentera de trouver une correspondance à partir du nom
inscrit sur l’ordonnance. Mais le risque est grand qu’il vous propose un produit inadapté,
voire nocif. La revue médicale indépendante Prescrire cite le cas d’un patient français sous
Préviscan – un anticoagulant – ayant reçu à la place un vasodilatateur parce que ce dernier
était commercialisé sous le nom Previscan en Argentine. Il a été victime d’un AVC (accident
vasculaire cérébral).
Le risque de surdosage est limité
Il est courant qu’un même principe actif se décline sous plusieurs appellations commerciales,
même quand le dosage et la forme sont identiques. Ainsi, en France, le paracétamol est vendu
sous plusieurs dizaines de noms. La plupart du temps, la mention « paracétamol » apparaît sur
la boîte, sous le nom. Mais cela ne saute pas aux yeux et nous avons même repéré un produit,
Humex rhume, pour lequel « paracétamol » n’est indiqué ni sur le devant de la boîte, ni sur la
plaquette (QC Santé n° 100) ! Il est nécessaire de retourner l’emballage pour lire la
composition en lettres minuscules et constater que chaque gélule contient 500 mg de
paracétamol. Cette relégation au second plan du principe actif est un véritable problème, car
on court le risque de prendre plusieurs fois du paracétamol sans s’en rendre compte. Or, le
surdosage de cette molécule a rapidement des conséquences délétères sur le foie.
Les professionnels s’y retrouvent plus facilement
D’abord parce que le nombre de DCI est bien plus restreint que la foule des noms
commerciaux. Ensuite parce que la rédaction en DCI s’avère plus explicite. Elle permet de
repérer facilement la famille du médicament : par exemple, les antibiotiques de la famille des
pénicillines se terminent par « -cilline », ceux de la famille des céphalosporines commencent
par « cef- », les antihypertenseurs bêtabloquants portent le suffixe « -olol », etc. Ces « segments » sont des marqueurs qui ont du sens, du point de vue médical.
Des patients avertis
La DCI familiarise les utilisateurs avec le traitement et son mode d’action. Elle participe à une
forme d’éducation à l’usage du médicament.
Les limites
La Haute autorité de santé a publié une liste des exceptions à la prescription en DCI. Les
contraceptifs oraux, dont les plaquettes comprennent parfois des pilules de dosage différent
selon le moment du cycle, en font partie, de même que d’autres produits composés de
plusieurs molécules, telles les vitamines. D’une manière générale, surtout en automédication,
il est préférable d’éviter les produits « cocktails », qui multiplient les risques de doublons et
d’interaction.
En pratique
L’obligation de prescrire en DCI est effective depuis le 1er janvier 2015. La loi ne prévoit pas
de sanction directe si elle n’est pas respectée.
Notre enquête : 815 ordonnances analysées
Comment nous avons procédé
Quelques mois après l’entrée en vigueur de l’obligation de prescrire en DCI, nous avons
collecté, avec nos associations locales, près de 815 ordonnances préalablement anonymisées
(suppression du nom du patient et du médecin). Nous avons analysé leur contenu en tenant
compte des exceptions à la prescription en DCI.
Seulement 27 % des lignes de prescription sont en DCI, dont 14 % en DCI complétée du
nom commercial
Sur les 2 729 lignes de prescription, 73 % des médicaments sont prescrits sous leur nom de
marque. Plus des deux tiers des lignes ne sont ainsi pas conformes à la réglementation en
vigueur. Les médecins ont donc encore une grande marge de progression. Cependant, il faut
noter des avancées par rapport aux années passées. Selon la Mutualité française, qui
s’intéresse de longue date à la prescription en DCI, en 2002, seulement une ligne de
prescription sur 100 se faisait en DCI. En 2006, on en comptait 10 %, et 14 % en 2014.
En 2015, notre chiffre de 27 % fait apparaître un saut important et récent, sans doute à mettre
au crédit de la loi imposant l’obligation. Un sondage réalisé par le site vidal.fr (mars dernier),
le confirme d’une certaine façon : près de la moitié des généralistes et un tiers des spécialistes
ayant répondu au questionnaire ont modifié leurs habitudes depuis le 1er janvier 2015. Cela
s’est surtout fait au profit d’une prescription en DCI accompagnée du nom de marque.
Moins d’une ordonnance sur cinq, soit 18 %, est entièrement rédigée en DCI ou en DCI
et nom de marque.
A contrario, 57 % des ordonnances sont rédigées intégralement en nom de marque, sans
aucune mention de DCI.
Les généralistes sont plus respectueux de la loi que les spécialistes
•
•
Lignes de prescription rédigées en DCI Généralistes : 30 %
Spécialistes : 15 %
Ordonnances ne comportant aucune DCI
•
•
Généralistes : 51 %
Spécialistes : 78 %
Ordonnances totalement rédigées en DCI
•
•
Généralistes : 20 %
Spécialistes : 10 %
En régions, plus la densité médicale est forte, moins on prescrit en DCI.
La part des prescriptions en DCI est plus importante lorsque les ordonnances sont
imprimées.
Cela tend à montrer l’importance des logiciels d’aide à la prescription dans l’essor de la
prescription en DCI (voir encadré).
Trois questions à Louis-Adrien Delarue médecin généraliste à Angoulême (16)
(1)
Comment avez-vous intégré dans votre pratique l’obligation de prescrire en
DCI ?
Louis-Adrien Delarue. Cela n’a rien changé à ma pratique quotidienne, car je suis convaincu
de l’utilité de la prescription en dénomination commune internationale depuis mes études de
médecine. J’ai passé le concours de l’internat en apprenant les DCI et je me suis installé dans
un cabinet où mes associés prescrivent en DCI. D’ailleurs, nous ne recevons pas les
commerciaux de l’industrie pharmaceutique. Pour faciliter notre travail, nous nous appuyons
sur AlmaPro, un logiciel associatif élaboré par les médecins généralistes pour les médecins
généralistes. Il est paramétré pour convertir les noms commerciaux en DCI. C’est très utile,
par exemple quand nous voyons des patients qui sortent de l’hôpital ou de chez un médecin
spécialiste avec une ordonnance ne comportant que des noms de marques. Sans logiciel, la
conversion prendrait beaucoup de temps.
Comment vos patients réagissent-ils ?
L.-A. D. Nous expliquons les choses systématiquement, en insistant sur le fait que nous
sommes avant tout des scientifiques. Partant, les noms commerciaux ne nous intéressent pas,
ils n’ont pas de crédibilité à nos yeux. Nous faisons valoir l’idée que la DCI constitue un
langage commun à tous les professionnels de santé, qui limite le risque d’interactions ou de
doublons sur une ordonnance. Pour nous, une ordonnance en DCI est plus claire, on la
comprend en un coup d’œil. Cet effort de pédagogie est bien perçu et nous n’avons pas de
difficultés à nous faire entendre, d’autant plus que nous avons tous le même état d’esprit dans
le cabinet. Nos patients réalisent que le nom commercial d’un médicament n’est rien de plus
qu’une marque. Eux-mêmes en viennent à mieux comprendre les différentes familles de
médicaments, à ne plus considérer le paracétamol comme un anti-inflammatoire, par exemple.
Avez-vous le sentiment que, autour de vous, la DCI devient une habitude ?
L.-A. D. Les jeunes médecins semblent plus sensibles à cette question ; je vois de plus en plus
d’ordonnances en DCI pour les patients passés par les urgences de l’hôpital. Il arrive que le
médecin change de pratique par le biais du pharmacien : comme beaucoup de génériques
comportent la DCI dans leur nom, il suffit que le pharmacien ait fait une substitution en
générique et que le médecin renouvelle ensuite cette transformation pour que la DCI passe
dans la pratique. Par ailleurs, la DCI facilite le dialogue avec les externes et les internes qui
viennent en stage au cabinet car, en cours, ils apprennent les médicaments par famille.
Finalement, les médecins se rendent compte que la liste des médicaments essentiels à
mémoriser est bien plus courte qu’il n’y paraît. La DCI est une simplification de langage tout
aussi utile côté médecins que côté patients.
(1) Le Dr Louis-Adrien Delarue déclare être membre du Formindep (Association pour une
formation et une information médicales indépendantes) et qu’il n’a pas de liens avec les
entreprises du médicament.
Les médecins peu enthousiastes
« La prescription en DCI, j’y étais sensible quand je travaillais en cabinet libéral, explique
Elisa M. (1), médecin généraliste, mais j’ai laissé tomber en arrivant à l’hôpital. En effet, au
centre de planification où je travaille, nous utilisons encore des dossiers papier et nous
n’avons pas de logiciel d’aide à la prescription. » Aux urgences hospitalières, Jenny Sobotka
ne prend pas non plus la peine de prescrire en DCI. Cet effort lui semble vain : « Peu importe
ce que j’inscris sur l’ordonnance, la pharmacie de l’hôpital n’a qu’une seule marque de
paracétamol ou d’inhibiteurs de la pompe à protons, en raison des accords de fourniture
passés avec les industriels. J’écris directement Doliprane ou Inexium, car c’est ce dont on
dispose. Pour les ordonnances de sortie, la marge de manœuvre est plus grande, mais je
reconnais que je fais au plus simple. Je marque ce que j’ai déjà l’habitude de donner,
sachant que le pharmacien fera de toute façon la substitution avec un générique. » Car, pour
beaucoup de prescripteurs, la DCI se confond avec la promotion des génériques. Les
médecins libéraux ne font pas plus le distinguo que leurs confrères hospitaliers. Ainsi, Céline
Palussière, allergologue, applique la loi de bonne grâce, d’autant que sa spécialité s’y prête,
mais elle n’en saisit pas l’intérêt « dans la mesure où les pharmaciens font déjà la
substitution ». François Birault, généraliste, justifie aussi ses réticences à prescrire en DCI par
les aléas de la substitution en pharmacie, fustigeant « la variation des emballages ou leurs
similitudes ». Comme d’autres, il pointe la difficulté à faire passer la prescription en DCI
auprès de ses patients, « pauvres, parfois illettrés, maîtrisant mal la langue ou voyant mal
faute de lunettes. Pour eux, Aspégic est plus simple à retenir qu’acide acétylsalicylique. » Il
est vrai que la prescription en DCI nécessite de la pédagogie et du temps, un luxe rare chez les
médecins.
(1) Les noms ont été changés.
L’aide précieuse des logiciels
Les médecins sont unanimes : les logiciels d’aide à la prescription (LAP) qui équipent leurs
ordinateurs sont un appui technique précieux pour prescrire en DCI. Les LAP sont
doublement certifiés. D’une part, les quatre banques de données de médicaments auxquelles
ils sont adossés sont agréées selon un cahier des charges édité par la Haute autorité de santé
(HAS) – en réalité, les éditeurs de logiciels n’utilisent que deux banques. Les logiciels euxmêmes sont contrôlés selon un référentiel de la HAS. La prescription en DCI est un des
critères à remplir. « Lors des tests, la conformité doit être totale », indique Marc Fumey,
adjoint au chef du service évaluation et amélioration des pratiques. La certification des LAP
vise à réduire le risque d’accidents liés aux médicaments et à faciliter le travail des
prescripteurs.
Anne-Sophie Stamane (@asstamane) avec Isabelle Bourcier
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