Été 1 Hipparque : l'inventeur de la précision a forme achevée de l'astronomie grecque est parvenue jusqu'à nous, par l'intermédiaire des Arabes, via l'Almageste de Ptolémée, datant du milieu du iie siècle de notre ère. C'est cette astronomie qui restera en vigueur pendant près de quinze siècles, jusqu'à l'époque de Galilée. Or Ptolémée n'a guère modifié, sauf en ce qui concerne les mouvements des planètes, l'œuvre édifiée trois siècles plus tôt par le "prince des astronomes" : Hipparque. L 'après les historiens grecs, c'est une "étoile nouvelle" qui aurait éveillé la curiosité du jeune Hipparque pour l'astronomie. Si apparition il y a eu, il s'agissait sans doute d'une comète - une fois encore, ces astres capricieux auraient ainsi joué leur rôle dans le destin des hommes. Actif entre 160 et - 120, Hipparque se distingue de beaucoup de savants de l'Antiquité par le lieu où il séjourne et travaille. contrairement à Ératosthène, Euclide, Aristarque et tant d'autres, il ne vit pas à Alexandrie, mais à Rhodes. Cette île grecque, située près des côtes de la Turquie actuelle, est alors un centre maritime important et à peu près la seule rivale de la cité égyptienne dans le domaine des idées et du savoir. Elle compte D des grammairiens de premier plan, plusieurs philosophes et au moins un astronome… Hipparque va reprendre le flambeau de l'astronomie grecque là où l'a laissé, un siècle plus tôt environ, son prédécesseur Aristarque. Certes, il est davantage observateur et calculateur que cosmologiste. Autant que nous le sachions, il ne s'intéressera pas aux idées héliocentriques de son aîné, idées qui ne refleuriront qu'avec le Polonais Nicolas Copernic. Mais Aristarque s'est aussi illustré dans toute autre chose, s'appliquant d'abord, en bon Alexandrin, à mesurer le monde. 'il fallait résumer d'un seul mot l'intense activité des savants d'Alexandrie, nul doute en effet que l'on choisirait celui de "mesure". C'est, par exemple, une "figure" de la ville qui, vers la fin du iiie siècle avant notre ère, a évalué les dimensions de la Terre. contemporain d'Aristarque, Ératosthène est géographe et par ailleurs responsable de la bibliothèque d'Alexandrie, ce qui fait de lui un personnage extrêmement important. Au bibliothécaire revient l'honneur d'instruire le prince héritier et la direction des dépendances de la bibliothèque, notamment celle du "musée", la maison des muses, où travaillent les savants de toutes les disciplines. C'est là que le mathématicien Euclide a rédigé les Éléments qui vont gouverner la géométrie durant vingt siècles. S u cours d'un voyage dans le sud de l'Égypte, Ératosthène a remarqué que le jour du solstice d'été, vers midi, le Soleil éclairait le fond des puits à Assouan. Preuve que les rayons solaires, à cette date et à cette heure, tombent à la verticale de la ville. L'année suivante à la même date, il a A mesuré l'incidence des rayons dans sa bonne ville d'Alexandrie, et obtenu directement l'angle entre les deux verticales : un "cinquantième de tour" dans les unités de l'époque. La distance au sol entre les deux villes valant 5 000 stades (dans les unités de l'époque toujours), il en a déduit que le tour de Terre mesurait 250 000 stades résultat très proche de nos 40 000 km actuels. vec ce résultat fondamental, l'arpentage du ciel va pouvoir commencer. Car si l'on connaît les dimensions du globe terrestre, on ne peut plus ignorer celles de la Lune. Quelques années plus tôt, Aristarque n'a-t-il pas établi, par une méthode merveilleusement simple, faisant appel aux éclipses de Lune, que son diamètre était trois fois plus petit que celui de la Terre ? Justement, Hipparque le Rhodien va affiner la mesure. corrigeant une erreur de son aîné, il montre que la Lune est en réalité quatre fois plus petite que la Terre. Or, en connaissant le diamètre de la Lune, on peut déterminer sa distance. Puisqu'on la voit comme une boule de 1 m de diamètre éloignée de 100 m, il faut en conclure que sa distance vaut cent fois son diamètre ! Voilà comment, il y a plus de deux millénaires, les hommes repoussèrent d'un seul coup à 400 000 de nos kilomètres la frontière de leur terrain de mesure. A ristarque avait même tenté d'aller plus loin et d'estimer la distance séparant la Terre du Soleil. Et là encore, Hipparque reprend sa méthode, pour montrer cette fois qu'elle est inapplicable car elle exige une précision qu'il lui est impossible d'atteindre.La précision est le souci constant d'Hipparque - on pourrait presque dire sa A Été création ! Il est le premier, en particulier, à introduire dans la science grecque le découpage du cercle en 360 degrés, du degré en 60 minutes et de la minute en 60 secondes, là où Aristarque et Ératosthène comptaient encore en "fractions de tour". Un quadrillage qu'il applique à la Terre - introduisant l'usage des parallèles et des méridiens - comme au ciel : il repère ainsi la position des étoiles dont il va dresser le premier catalogue. L'utilisation de ces unités va lui permettre de noter des petites variations d'angle qui vont se révéler très importantes pour la compréhension des phénomènes astronomiques. 'abord, il établit l'inégalité des saisons. Le Soleil ne "tourne" pas toute l'année avec la même vitesse et, pour rendre compte de ces variations, il propose de placer hors de la Terre le centre de l'orbite solaire. Cette intuition d'excentricité est la première "ébauche d'esquisse" des ellipses de Kepler - à condition, bien sûr, de changer de repère et de placer hors du Soleil le centre de l'orbite terrestre. Quand on sait à quel point l'orbite terrestre diffère peu d'un cercle, cette remarque en dit long sur la précision de ses mesures. Ensuite, et toujours à propos du système Terre-Soleil, il découvre la précession des équinoxes. Or, il s'agit là d'un "petit phénomène" : un lent mouve- D 2 ment conique de l'axe de rotation terrestre, qui fait un tour de ciel en 26 000 ans. Il n'y a guère de quoi donner le vertige. En outre, Hipparque ne se contente pas de découvrir le phénomène. Il parvient à estimer la valeur de cette précession, en ne se trompant que de 20 %. satellite européen qui a cartographié le ciel durant trois ans. Un engin précis entre tous et baptisé, comme de juste, Hipparcos par ses concepteurs. Jean Pierre Maury Ciel & Esapce, février 1999 (1) Cela est dû à une propriété de l'œil humain : celui-ci présente une sensibilité logarithmique aux excitations es observations du Système solaire vont jouer un rôle durable dans l'histoire des théories astronomiques, et Ptolémée tentera de les intégrer à sa description. De même, les successeurs d'Hipparque reprendront, en le perfectionnant, l'astrolabe dont on lui attribue l'invention. Mais sa contribution la plus durable est sans aucun doute son catalogue d'étoiles (le premier du genre si on excepte la carte du ciel comptant 25 étoiles brillantes dressée deux siècles plus tôt par Eudoxe) que Ptolémée augmentera à peine avant de le transmettre aux astronomes arabes du Moyen Âge. Ce catalogue recense un millier d'étoiles, dûment accompagnées de leurs positions. Pour rendre compte de leurs différences d'éclat apparent, Hipparque introduit en outre la notion de grandeur. Il les classe en six familles, des plus brillantes (grandeur 1) aux plus faibles visibles à l'œil nu (grandeur 6). Lorsqu'au xixe siècle, les astronomes seront capables de mesurer la luminosité des étoiles, ils constateront qu'entre deux grandeurs successives, l'éclat est divisé par 2,5, autrement dit qu'il s'agit d'une échelle logarithmique (1). Étendue, affinée, la classification d'Hipparque deviendra notre échelle actuelle de magnitudes. S qu'il subit. De la Terre au Soleil Sur le papier, la méthode d'Aristarque pour évaluer la distance Terre-Soleil est aussi belle que celle de la détermination des dimensions lunaires. Quand la Lune est exactement au Quartier, dit-il, la direction Soleil-Lune est perpendiculaire à la direction Lune-Terre. Il suffit donc de mesurer à cet instant l'angle que font l'axe Terre-Soleil et l'axe Terre-Lune pour connaître les sommets du triangle formé par les trois corps. Dès lors, connaissant l'un des Côtés (la distance Terre-Lune), on calcule les deux autres, et en particulier la distance TerreSoleil. Aristarque trouve pour l'angle cherché une valeur de 87° et en déduit que le Soleil est à peu près trente fois plus éloigné que la Lune. C'est beaucoup moins que la valeur réelle (environ 400 fois), pour des raisons qu'Hipparque précisera quand il tentera de refaire la mesure : on ne peut pas avec assez de précision estimer l'instant où la Lune est exactement au Quartier, ni pointer le centre de chacun des deux astres, car l'angle cherché est bien plus proche de 90° que ne le pensait Aristarque. Si proche même que la différence, es catalogues stellaires ont évidemment beaucoup progressé depuis Hipparque. Le dernier en date comprend 1 548 cartes et répertorie plus d'un million d'étoiles, dont 100 000 repérées à un millionième de degré près. On y trouve 8 000 étoiles variables nouvelles, 3 000 nouveaux couples stellaires, etc. Il est le fruit du travail d'un L qu'il s'agit de mesurer, est beaucoup plus faible que les inévitables erreurs de pointé. Ce "je ne sais pas" - étayé par une solide estimation des erreurs de mesure - n'est pas le moindre des titres de gloire d'Hipparque. On retrouvera la même prudence et la même honnêteté chez Galilée, quand il essaiera de mesurer avec des lanternes à volet la vitesse de la lumière.