Communication courte Médecine et Santé Tropicales 2014 ; 24 : 105-106 Quel antivenin pour les envenimations par les vipères du genre Cerastes ? Which antivenom for Cerastes envenoming? Mion G.1, Larréché S.2 1 Hôpital Cochin, service d’anesthésie, 27 rue du Faubourg Saint-Jacques, 75379 Paris Hôpital d’instruction des armées du Val-de-Grâce, laboratoire de biologie médicale, 74 boulevard de Port Royal, 75230 Paris Cedex 05 2 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. Article accepté le 17/7/2013 Résumé. Lors d’une envenimation par une vipère Echis, l’administration d’une seule ampoule de l’antivenin FAV-Afrique1 permet généralement de corriger les troubles de l’hémostase en moins de 12 h. L’observation, dans un cas d’envenimation par Cerastes, d’une correction de l’hémostase après 36 h par quatre ampoules de FAV-Afrique1 n’est donc pas en faveur d’une utilisation de cet antivenin pour cette espèce. La mortalité par envenimation vipérine en Afrique est élevée, mais plus de 90 % des patients empoisonnés survivent malgré le manque d’antivenin approprié. La gravité de l’envenimation dépend de plusieurs variables : l’âge et l’état de santé du patient, le site de la morsure, la composition chimique et la quantité de l’envenimation ainsi que le temps avant la prise en charge. La survie n’est donc pas une preuve de l’efficacité du traitement antivenin. Les venins de Cerastes contiennent beaucoup d’enzymes perturbant les différentes étapes de l’hémostase. Il reste à prouver que le FAV-Afrique1, un antivenin polyvalent adapté aux principales espèces incriminées dans les envenimations en Afrique subsaharienne (Bitis, Echis, Naja et Dendroaspis), a la capacité de neutraliser ces protéines particulières. L’approche la plus logique pour une envenimation par Cerastes reste l’administration d’un antivenin adapté aux espèces trouvées en Afrique du Nord (Maghreb), tel que le Favirept1 (Sanofi Pasteur), un antivenin polyvalent conçu pour les venins de C. cerastes, de Bitis arietans, d’Echis leucogaster, de Macrovipera deserti, de Naja haje et de N. nigricollis. Abstract. During Echis viper envenoming, the administration of a single FAV-Afrique1 antivenin vial generally corrects hemostasis disorders in less than twelve hours. The correction of hemostasis after 36 hours by 4 vials of FAV-Afrique1 is thus not in favor of the usefulness of this antivenin for Cerastes envenoming . Mortality due to viper envenoming in Africa is high, but more than 90 % of poisoned patients survive despite the absence of appropriate antivenom. The severity of poisoning depends on several factors: age and condition of the patient, location of the bite, composition and amount of injected venom, management delay, and therefore, survival is not necessarily synonymous of effectiveness of antivenom treatment. Cerastes venoms contain many enzymes that disrupt various stages of hemostasis. It remains to prove that FAV-Afrique1, a polyvalent antivenom adapted to venom of the main species responsible for envenoming in sub-Saharan Africa, (Bitis, Echis, Naja and Dendroaspis), is able to neutralize these specific proteins. The most logical approach of Cerastes envenoming is the administration of an antivenin adapted to species found in North Africa: Favirept1 (Sanofi Pasteur) is a polyvalent antivenom adapted to the venoms of C. cerastes, Bitis arietans, Echis leucogaster, Macrovipera deserti, Naja haje and Naja nigricollis. Key words: envenimation, Cerastes, antivenin, paraspecificity. Mots clés : envenimation, Cerastes, sérum antivenimeux, paraspécificité. doi: 10.1684/mst.2013.0268 Correspondance : Mion G <[email protected]> A issaoui et al. viennent de décrire un très beau cas clinique d’envenimation par la vipère à cornes Cerastes cerastes [1]. Les auteurs ont eu la bienveillance de nous citer, et nous souhaiterions apporter quelques précisions à l’intéressante discussion de leur article. Il est notoire que les vipères du genre Echis, responsables d’une très importante mortalité en Afrique (potentiellement 20 000 décès annuels), provoquent une défibrination qui peut durer plus de huit jours en l’absence de traitement antivenimeux. Toutefois, l’administration d’une seule ampoule Pour citer cet article : Mion G, Larréché S. Quel antivenin pour les envenimations par les vipères du genre Cerastes ?. Med Sante Trop 2014 ; 24 : 105-106. doi : 10.1684/ mst.2013.0268 105 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. G. MION, S. LARRÉCHÉ d’antivenin FAV-Afrique1 corrige en général les troubles de l’hémostase en moins de 12 h et une à deux ampoules les corrigent dans tous les cas en moins de 24 h [2]. Les données de l’observation de Aissaoui et al. ne sont ainsi pas véritablement en faveur d’un traitement efficace de leur patient par cet antivenin, non adapté au genre Cerastes. En effet, l’hémostase du patient ne s’est normalisée qu’au bout de 36 h, ce qui reste compatible avec l’évolution spontanée de certaines envenimations par Echis, qui reste en l’occurrence le seul modèle utilisable en l’absence de séries de données publiées sur l’envenimation par Cerastes. Comme le soulignent les auteurs, la mortalité des envenimations vipérines en Afrique est élevée, mais plus de 90 % des patients envenimés survivent malgré l’absence d’antivenin adapté et, par ailleurs, les observations d’envenimation par C. cerastes sont rarement fatales [3]. La sévérité de l’envenimation est conditionnée par plusieurs facteurs : âge et terrain du patient, localisation de la morsure, composition et quantité de venin injecté, délai de prise en charge. . . C’est pourquoi une évolution favorable n’est pas forcément synonyme d’efficacité du traitement antivenimeux. Les venins de Cerastes contiennent de nombreuses enzymes qui perturbent les différentes phases de l’hémostase : hémorragines, qui altèrent l’endothélium vasculaire, désintégrines, qui inhibent l’agrégation et l’adhésion plaquettaire, afaâcytine, responsable de coagulopathie de consommation par activation du facteur X, cérastocytine et cérastobine, qui possèdent des propriétés thrombine-like, cérastase, cérastatine, cérastine et cérastotine, qui provoquent des hypofibrinogénémies et des thrombopénies – et cette liste n’est pas exhaustive [4]. Il reste donc à prouver que le FAV-Afrique1, antivenin polyvalent adapté aux venins des principales espèces responsables d’envenimations en Afrique subsaharienne, appartenant aux genres Bitis, Echis, Naja et 1. Aissaoui Y, Kichna H, Boughalem M, Drissi Kamili N. La paraspécificité des antivenins : exemple d’une envenimation grave par la vipère à cornes du Sahara (Cerastes cerastes) traitée par un antivenin polyvalent non spécifique. Med Sante Trop 2013 ; 23 : 100-3. 2. Mion G, Larréché S, Puidupin M. Traitement des envenimations ophidiennes. In : Aspects cliniques et thérapeutiques des envenimations graves. Georges Mion, Sébastien Larréché & Max Goyffon éditeurs. Editions Urgence pratique ; Ganges, 2010: 140-63. 3. Chani M, Abouzahir A, Haimeur C, Kamili ND, Mion G. Ischaemic stroke secondary to viper envenomation in Morocco in the absence of adequate antivenom. Ann Fr Anesth Reanim 2012 ; 31 : 82-5. 4. Larréché S, Mion G, Goyffon M. Troubles de l’hémostase induits par les venins de serpents. Ann Fr Anesth Reanim 2008 ; 27 : 302-9. 5. Wolf A, Mazenot C, Spadoni S, Calvet F, Demoncheaux JP. FAV-Afrique : un sérum antivenimeux polyvalent employé en Afrique et en Europe. Med Trop 2011 ; 71 : 537-40. 106 Médecine et Santé Tropicales, Vol. 24, N8 1 - janvier-février-mars 2014 Dendroaspis [5], est apte à neutraliser ces protéines spécifiques isolées dans le venin des Cerastes présents en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Il est bien entendu licite de tenter le seul traitement disponible quand l’antivenin adapté n’est pas dispensé par la pharmacie hospitalière. Cependant, comme le déplorent Aissaoui et al., le traitement par FAV-Afrique1 reste très onéreux, particulièrement pour ce patient qui en a reçu quatre ampoules. L’attitude la plus logique est finalement celle choisie par les auteurs, d’adresser une requête aux autorités sanitaires, pour disposer d’un antivenin adapté aux espèces présentes en Afrique du Nord : Favirept1 (Sanofi Pasteur), antivenin polyvalent composé de fragments F(ab)’2 d’immunoglobulines spécifiques des venins de C. cerastes, de Bitis arietans, d’Echis leucogaster, de Macrovipera deserti, de Naja haje et de N. nigricollis. Conflits d’intérêt : aucun. Références