LA NOUVELLE DAME NATURE ET NOS ÉCOSYSTÈMES

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Sandra Gravel
photo : Sarah Pannell
DOSSIER
La nouvelle dame Nature et nos
écosystèmes aquatiques
On fait grand cas du réchauffement planétaire en parlant des événements climatiques inhabituels, des saisons
perturbées, de la neige au sud. Mais, qu’en est-il des précieux milieux comme les écosystèmes aquatiques qui sont,
pourtant, la base de la chaîne alimentaire?
ous sommes heureux d’avoir une province si généreusement
garnie de lacs, de rivières et d’un magnifique fleuve. Nous
avons une idée, vague peut-être, de la vie qui bat dans ces
zones aquatiques. Les poissons, les algues, les grenouilles,
ça nous dit quelque chose. Mais, il y a plus! Et nous oublions
parfois que les écosystèmes aquatiques, en plus d’embellir notre paysage,
nous offrent plusieurs « écoservices ». Ils sont de véritables filtres pour l’air
que nous respirons. Ils nous approvisionnent en eau. Ils nous permettent
de tenir des activités culturelles, touristiques, économiques et sportives
dont on ne voudrait plus se passer. Et ils sont, pour terminer la liste, une
source alimentaire pour bien des espèces vivantes.
L’équilibre des écosystèmes est toutefois sensible à certaines activités
humaines, comme le développement urbain, qui viennent perturber leur
stabilité naturelle. Mais voilà qu’un nouveau stress fait aussi pression sur
eux : les changements climatiques.
QUELLE PRESSION?
Avant d’aller voir ce qui se passe sous l’eau, tentons de comprendre ce qui
se passe en général au Québec en matière de changements climatiques. On
a d’abord remarqué une hausse progressive des températures, de l’ordre
de 0,2 °C à 0,4 °C par décennie, sur l’ensemble du territoire québécois,
toutefois plus notable au nord qu’au sud et plus marquée en hiver qu’en
été. Il y a aussi des changements dans les précipitations : moins de neige
accumulée au sol, au sud, et plus de neige, au nord ou, encore, des pluies
abondantes et soudaines en été. Selon le groupe Ouranos , bon an mal
an, le nord pourrait recevoir jusqu’à 29,4 % de neige supplémentaire
vers 2050. Tout cela modifie le régime des crues : leur débit, leur durée
et leur fréquence.
On peut déjà entrevoir que ces modifications ont une influence sur la vie
d’un écosystème aquatique. L’augmentation des températures diminue
la saison de gel et allonge la saison chaude. Bien sûr, certains profitent de
ces nouveaux étés prolongés, mais les poissons d’eau froide en souffrent
au point d’être en péril dans certaines zones du Québec. Le saumon des
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LE COUVERT BORÉAL | Printemps 2011 |
rivières comme l’omble de l’Arctique et le touladi se développent et se
reproduisent mieux en eau froide. Et quelques degrés de trop suffisent
pour que l’oxygène leur manque!
Afin de se maintenir dans des eaux confortables, les saumons se réfugient
dans des refuges thermiques : de mystérieuses zones où l’eau reste plus
fraîche. Ces sites épars près des rives seraient alimentés par les tronçons
des rivières ou par les eaux souterraines, dont la température se maintient
autour de 8 °C. En s’infiltrant dans les rivières, elles créent des genres
d’oasis dans le désert dont profitent surtout les poissons juvéniles. Les
adultes trouvent plutôt refuge dans les zones plus profondes. Normand
Bergeron du CIRSA examine les particularités de ces refuges thermiques,
qui semblent tenir un rôle important dans la survie des jeunes générations.
Comme exemple, il cite Rivière-Ouelle de la MRC de Kamouraska. La
température de l’eau de la rivière peut s’élever jusqu’à 30 °C et, pourtant,
la population de saumon se maintient. Cela s’explique peut-être par le
fait que la zec y pompe les eaux souterraines pour rafraîchir l’eau de la
rivière. Intéressante initiative!
L’omble de l’Arctique pourrait être affecté par un réchauffement du
climat, puisqu’il se reproduit en eau froide
photo : Sarah Pannell
Les experts s’entendent pour dire que le niveau
des mers continuera à monter pour plusieurs
raisons et que l’on peut s’attendre à une
régression des côtes à long terme. Il en serait
de même pour les berges du Saint-Laurent, dont
l’érosion serait le résultat d’une combinaison
de facteurs parmi lesquels les changements
climatiques peuvent constituer un facteur
aggravant.
MAIS, À PART LES POISSONS?
Apparemment, les poissons d’eau froide sont
les premières espèces à réagir au réchauffement
de l’eau. Du moins sont-ils les plus visibles! Pour
Isabelle Laurion de l’INRS-ÉTÉ , les microbes
seraient les vrais premiers à répondre aux
changements climatiques et à influencer
l’équilibre physique et chimique d’un écosystème
aquatique. Et, ils sont la base de la chaîne
alimentaire!
Avec la fonte des glaces plus précoce, les
périodes d’éclairement des lacs et des rivières
sont plus longues, ce qui s’ajoute à la hausse
de la température de l’eau. On croirait que cela
fait le bonheur des plantes aquatiques, qui en
profitent pour se développer plus rapidement.
Le problème, c’est que les nutriments qui
permettent leur croissance n’évoluent pas
entièrement sur les mêmes bases. Ils dépendent
des processus de dégradation des végétaux par
les champignons et les bactéries dans le sol
des bassins versants. Ces nutriments, grâce aux
précipitations, sont ensuite transportés jusqu’aux
lacs et rivières. Mais, si les précipitations sont
faibles ou trop faibles, cette nourriture reste sur
place, et la chaîne alimentaire de l’écosystème
aquatique peut ainsi être rompue. Les
conséquences des changements climatiques
dépendent donc aussi largement du régime
des précipitations.
pergélisol plus en profondeur. Les nutriments
ainsi libérés peuvent avoir un effet positif en
allant nourrir les plantes terrestres qui sont, elles,
capteurs de carbone. Toutes ces données sur la
base de la chaîne alimentaire viennent enrichir
la compréhension globale des changements
à venir.
À VENIR OU AVENIR?
Pour les plus optimistes, un léger réchauffement
planétaire en douceur aurait peu d’impact
au Québec et pourra même être positif dans
certaines régions du sud, pour l’agriculture
par exemple. Mais, pour les zones aquatiques,
les impacts sont déjà visibles et ne sont pas
nécessairement positifs. Pour les uns, le danger le
plus évident reste la fragilité des populations de
poissons d’eau froide des régions les plus au sud
du Québec. Pour d’autres, ce sont la possibilité
d’augmentation de la fréquence d’événements
climatiques extrêmes (ouragans, tsunamis) et le
risque plus élevé d’érosion des zones côtières qui
semblent les plus inquiétants. C’est d’ailleurs le
constat que fait le consortium Ouranos dans son
dernier rapport de mai 2010 : Savoir s’adapter aux
changements climatiques http://www.ouranos.
ca/fr/publications/ouvrages-generaux.php.
ÉVÉNEMENTS CLIMATIQUES EXTRÊMES?
Les marées du 6 décembre dernier, on s’en
souvient tous, nous ont surpris par leur violence
et leur ampleur. On a vu disparaître une partie de
la fierté de Sainte-Luce et de Sainte-Flavie dans
la région du Bas-Saint-Laurent. Les vagues ont
aussi emporté plusieurs de leurs infrastructures
côtières. Malgré une augmentation possible
de la fréquence des événements de ce type,
le lien entre ces marées et les changements
climatiques est impossible à démontrer pour
le moment. Comme les recherches s’appuient
sur des observations à long terme et tiennent
compte de l’influence de plusieurs variables,
il n’existe pas, à l’heure actuelle, de recul
historique suffisant pour établir si cela fait
partie d’un nouveau régime. Le doute persiste
donc…
Bien que nos regards soient plus souvent
tournés vers des événements ou des situations
qui touchent plutôt le sud du Québec, il n’en
demeure pas moins que c’est le nord qui serait
le plus affecté par le réchauffement climatique.
La recherche a permis d’en prévoir les impacts
et continue de le faire. Elle a aussi établi de
nombreuses pistes de solutions réalistes qui
n’attendent que la collaboration de tous pour
adapter la vie humaine, animale et marine aux
changements qu’entraîne cette nouvelle dame
Nature.
Mais, il y a plus encore, et surtout au nord,
dans les zones arctiques et subarctiques, où le
pergélisol commence à dégeler. Par la fonte des
glaces, un réservoir de carbone, qui joue un peu
le rôle de piège à carbone, devient disponible
pour les bactéries et, si l’eau s’accumule pour
créer de nouvelles mares, il y a aussi création
de nouvelles sources de carbone. Plus au sud,
dans les zones subarctiques, la fonte atteint le
photo : Jack674
Par ailleurs, tout n’est pas uniquement une
question de croissance stimulée ou réduite, mais
bien aussi de compétition entre les différentes
espèces qui composent la communauté à la
base de la chaîne alimentaire. On peut imaginer
jusque sur les poissons d’eau douce les effets à
long terme de ce déséquilibre.
Les violentes marées du 6 décembre ont fait beaucoup de ravages à Ste-Luce, dans le Bas-duFleuve
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