Psychopathologies rencontrées sur l`île de Mayotte entre 1998 et

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L’Encéphale (2008) 34, 123—131
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
MÉMOIRE ORIGINAL
Psychopathologies rencontrées sur l’île de
Mayotte entre 1998 et 2004
Psychopathologies encountered on the island of
Mayotte between 1998 and 2004
C. Charbonnier a, C. Massoubre b,∗, D. Szekely a, R. Airault a, F. Lang c
a
Centre de santé mentale, 94, rue du Commerce, 97600 Mamoudzou, Mayotte
Service des urgences psychiatriques, hôpital Bellevue, 25, boulevard Pasteur, 42100 Saint-Étienne, France
c
Département hospitalo-universitaire de psychiatrie, hôpital Bellevue, 25, boulevard Pasteur, 42100 Saint-Étienne, France
b
Reçu le 6 décembre 2005 ; accepté le 26 décembre 2006
Disponible sur Internet le 24 octobre 2007
MOTS CLÉS
Mayotte ;
Psychiatrie ;
Ethnopsychiatrie ;
CIM 10 ;
Afrique
∗
Résumé Avant 2001, les soins psychiatriques sur l’île de Mayotte étaient assurés par des missions venant de la Réunion. Depuis cette date, une organisation de la santé mentale a été
mise en place progressivement, même si la culture mahoraise, mêlant pratiques musulmanes
et traditions animistes, laisse encore une large place aux tradipraticiens. Il s’agit ici d’une
étude rétrospective portant sur 1212 dossiers de psychiatrie visant à répertorier les différentes psychopathologies sur l’île de Mayotte entre 1998 et 2004 selon la CIM 10. Ont été
comparés les dossiers avant et après l’ouverture du centre de santé mentale ainsi que les diagnostics psychiatriques des Comoriens et des expatriés. Les résultats montrent une évolution
des pathologies rencontrées entre 1998 et 2004. Il convient de noter un nombre de tentatives
de suicide beaucoup plus faible que dans les pays occidentalisés. Les particularités culturelles
sont également prises en compte dans la discussion de ces résultats. Les résultats de cette
étude confortent les impressions ressenties par les praticiens et montrent les effets de la politique de santé mentale sur l’île tout en pointant les axes de développement possibles dans ce
domaine.
© L’Encéphale, Paris, 2008.
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (C. Massoubre).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2008.
doi:10.1016/j.encep.2006.12.004
124
KEYWORDS
Mayotte Island;
Psychiatry;
Ethnopsychiatry;
ICD 10;
Africa
C. Charbonnier et al.
Summary Before 2001, psychiatric care on the island of Mayotte was ensured by missionaries
from the Reunion Island. A mental health system has since been gradually installed, although
the culture in Mayotte, mixing practicing Muslim women and traditional animists, still leaves a
broad place for traditional healers. This paper presents a retrospective study of 1212 psychiatric
case reports, aimed at indexing the various psychopathologies according to the CIM 10, on the
island of Mayotte between 1998 and 2004. The files, before and after the opening of the mental
health centre, were compared with those of the psychiatric diagnoses of the Comorians.
The results show an evolution in the chronic pathologies treated in the Comorians: delirious
disorders, and the organic, major, mental disorders in the first psychiatric files have given
way to depressive episodes and somatoform disorders. Nevertheless, an underlying prevalence
of depression and addiction persist. It is interesting to note the reduced number of suicide
attempts, far lower than in western countries: one suicide attempt per annum for 375 inhabitants in metropolitan France, whereas, in this study, one suicide attempt in Mayotte was
reported for 2504 inhabitants.
The cultural characteristics are also taken into account in the discussion of these results.
Thus, if there are more demonstrations with somatic expression in the Comorians, related to
a stronger implication of the body in situations of psychological faintness: 1.75% of hysterical
conversion in the Comorians versus 0.99% in Mayotte, this does not mean a more histrionic
personality in this population: 1.8% of Comorians, against 1.98% in Mayotte.
The results of this study consolidate the impressions felt by the experts and show the effects
of the mental health policy on the island. Thus, the assumption of responsibility of chronic
psychotics made it possible to improve their quality of life, and to decrease the number of
medical evacuations that decreased from 17 to three, between 2001 and 2004. However, this
study also underlined the possible axes of development in this field, namely the assumption
of responsibility of psychiatric emergencies with a crisis centre, and the development of a
specialized pedopsychiatric assumption of responsibility. Indeed, in the first six months of 2004,
35% of the patients were 0—20 year-old.
© L’Encéphale, Paris, 2008.
Introduction
Mayotte est une île de 374 km2 située au nord-ouest de Madagascar. Elle appartient à l’archipel des Comores qui inclut
également la Grande-Comore, Anjouan et Mohéli. Malgré son
statut actuel de collectivité départementale française, il a
fallu attendre 2001 pour qu’une structure de prise en charge
psychiatrique y soit créée. Les seules informations disponibles à ce sujet concernent une étude de 1993 portant sur
58 cas, effectuée lors d’une mission psychiatrique venant de
la Réunion [16], donc antérieure à la mise en place d’une
organisation de la santé mentale sur l’île.
La population mahoraise prend ses origines du peuple
bantou ayant émigré de la côte orientale de l’Afrique. Par
la suite, les populations islamisées venues de Perse vont instaurer un système de sultanat. Cette population mahoraise
est essentiellement musulmane ; bien que disposant d’une
culture qui lui est propre, son mode de vie est très influencé
par l’Afrique orientale, les autres îles des Comores et l’île
de Madagascar géographiquement proche. Une vision traditionnelle de la maladie y est encore très présente. Ainsi, les
cérémonies de possession à but thérapeutique, en particulier les patrosi mahorais et les trumba malgaches, sont une
pratique très courante sur l’île [13].
L’utilisation d’une classification internationale telle que
la CIM 10 [7], dénuée de critères ethnologiques [8], doit
être vue comme un outil d’aide au repérage de la psychopathologie qui doit ensuite faire l’objet d’une analyse tenant
compte des particularismes culturels. L’ethnopsychiatrie a
souvent recours à des cas cliniques pour illustrer son propos.
Nous avons voulu ici utiliser « cet ailleurs », africain par son
mode de vie et français par son administration, pour faire
se rencontrer deux concepts parfois considérés comme antinomiques : la psychiatrie transculturelle et les statistiques.
Cela dans le but de faire ressortir des caractéristiques globales correspondant à une pratique locale de la psychiatrie.
Population et médecine à Mayotte
Mayotte comptait 160 265 habitants au dernier recensement
de juillet 2002. Les Mahorais de souche, dont 98 % sont des
musulmans [11], balancent entre un islam très présent dans
sa pratique quotidienne et des croyances animistes venant
d’Afrique et de Madagascar reposant sur des traditions
orales [9]. Les deux se mélangent tout comme se mélangent,
dans un autre domaine, la pratique des médecines traditionnelle ancestrale et occidentale plus récemment.
La conception traditionnelle de la maladie à
Mayotte
Il faut voir la maladie comme un modèle explicatif culturellement construit, c’est-à-dire un concept et non une
chose [20]. L’individualisme et le dualisme corps/esprit,
naturel/surnaturel, visible/invisible ne font pas référence
ici [12]. La maladie n’est pas systématisée par la conception organique du corps humain. La médecine traditionnelle
Psychopathologies rencontrées sur l’ı̂le de Mayotte entre 1998 et 2004
prend tout problème, physique, mental ou familial, dans
son ensemble et se concentre sur l’origine extérieure de
ce désordre [2]. Cette origine peut être liée à Dieu, aux
sorts, aux esprits ou au mauvais œil, la jalousie collective
engendrant le mal [14].
Le parcours thérapeutique est alors jalonné par différents thérapeutes traditionnels, appelés fundis « ceux qui
savent » en shimaoré. Le fundi mwalimu (maître guérisseur)
identifie l’origine du mal. S’il s’agit d’une maladie de Dieu,
inscrite dans le parcours de vie, il donnera un traitement
pour les symptômes à base de plantes et amènera parfois
les patients à consulter la médecine occidentale. S’il pense
qu’il s’agit du mauvais œil, ou d’un mauvais sort jeté sur
la personne, il conseillera de consulter un fundi wa shioni
(maître coranique) qui soigne avec des sourates, élaborera
des amulettes et des contre sorts afin de stopper le mal.
Dans le cas d’une possession, il orientera plutôt vers un fundi
wa djini (maître des esprits) qui déterminera l’origine de
l’esprit en question et proposera des cérémonies à effectuer
pour faire alliance avec l’esprit (adorcisme) ou éventuellement le faire sortir du corps du malade (exorcisme)
[6].
De cette présentation très schématique, il faut ainsi garder à l’esprit qu’un tiers des femmes adultes sont un jour
ou l’autre considérées comme possédées à Mayotte [5].
La médecine occidentale à Mayotte
La densité médicale était de 56 médecins pour 100 000 habitants en 2002, contre 154 à la Réunion et 202 en métropole
[11]. Il y a deux hôpitaux à Mayotte, auquel on peut ajouter
l’ouverture d’un hôpital sud en mai 2005. Il y a un scanner,
pas d’IRM et certaines spécialités telles que la neurologie
ne sont pas présentes sur l’île. Par ailleurs, un réseau de 19
dispensaires et 13 maternités, sous la responsabilité d’un ou
plusieurs médecins généralistes, est réparti dans l’île.
Mayotte et la psychiatrie
Les prémisses
Il faudra attendre 1984 pour voir la première mission psychiatrique venant de la Réunion poser le pied à Mayotte.
Cette mission de quinze jours, composée de deux psychiatres, une psychologue et un infirmier, concluait dans une
note succincte qu’il fallait redouter la création d’une unité
de type non traditionnelle de prise en charge de la santé
mentale à Mayotte.
Il en ressortait une volonté de considérer les pratiques
traditionnelles à part entière dans la prise en charge psychiatrique, ce qui est effectivement nécessaire, mais non
suffisant dans un cadre plus général de santé publique.
En 1993, sous l’impulsion des Dr Reverzy et Mauvisseau,
est rédigé un rapport de mission de 360 pages faisant suite
à une mission psychiatrique de quinze jours à Mayotte [16].
Les conclusions de ce rapport envisagent, cette fois, la
création d’un dispositif de santé mentale publique conçu
avec les logiques étiologiques et thérapeutiques de la
culture mahoraise, communautaire, pluridisciplinaire, en
articulation cohérente avec les tradipraticiens.En 1995, le
Dr Ramlati, médecin généraliste mahoraise ayant fait un
stage de psychiatrie à Saint-Paul sur l’île de la Réunion, est
125
affectée à la prise en charge des patients psychiatriques
de l’île. Devant l’ampleur de la tâche et le manque de
moyens, elle démissionne en 1997. Par la suite, elle participera à une certaine médiatisation de l’enfermement
des patients psychiatriques via ,entre autres, un reportage
télévisé diffusé sur la chaîne locale. Cela influera sur la
décision politique de création d’une structure psychiatrique
locale.
Cette problématique de maltraitance des patients
psychiatriques était déjà pointée par le rapport cité
précédemment, insistant sur la persistance de conduites
archaïques d’exclusion et d’enfermement à domicile. Elle
représente aujourd’hui un phénomène marginal à Mayotte
[14,16], mais encore très courant dans les autres îles des
Comores.
Entre 1997 et 1998, trois missions ont été effectuées.
La constitution de dossiers médicaux contenant des observations psychiatriques est alors mise en place. La première
série de la présente étude débute à partir de ces données.
La mise en place d’un centre psychiatrique à Mayotte
C’est en septembre 2001 que le Dr Airault, psychiatre praticien hospitalier, est recruté comme chef de service pour
organiser une politique de santé mentale cohérente sur l’île.
Très rapidement, une équipe se met en place. Tout d’abord,
un Mahorais est engagé comme traducteur en novembre de
la même année, suivi en janvier 2002, d’une psychologue,
d’une infirmière et d’une secrétaire. En juin 2002, le centre
de santé mentale s’installe dans ses locaux actuels, rue du
Commerce, au centre de Mamoudzou, en dehors des murs
de l’hôpital général. Un Shidjabou, cérémonie de protection musulmane, y est effectué le 22 septembre 2002 par
quatre religieux. L’équipe s’étoffe encore avec l’arrivée
d’un deuxième médecin sur un poste d’assistant en août
2002, puis de deux infirmières, ainsi que deux traductrices
supplémentaires en juillet 2003. En octobre de la même
année, un deuxième psychologue est recruté. En novembre
2004, le premier interne vient renforcer cet effectif, alors
composé de trois postes de médecin, deux praticiens hospitaliers et un assistant.
L’organisation de la santé mentale
Dès le début, l’accent est mis sur la constitution d’un réseau
avec la création de consultations de liaison psychiatrique
dans les hôpitaux de Mamoudzou, où se trouve aujourd’hui
le centre de santé mentale et de Dzaoudzi sur Petite terre.
Par la suite, des visites hebdomadaires de détenus à la
maison d’arrêt de Majicavo s’organisent. À cela s’ajoutent
des consultations dans les dispensaires et des visites à
domicile, afin de faire le point avec les médecins généralistes sur les patients psychiatriques les plus lourds, dans
le but de prévenir les rechutes. De manière plus générale,
l’existence de soins psychiatriques gratuits au sein d’une
structure sociale africaine n’est pas une chose très commune, car comme dans tous les pays pauvres, on privilégie
souvent les soins dits primaires dans les sociétés africaines
[10].
Le lien avec les structures traditionnelles existantes [4]
Nous ne ferons ici qu’effleurer cette question récurrente
à tous les ouvrages traitant d’ethnologie et de médecine.
126
L’idée directrice est la suivante : mieux se connaître pour
comprendre l’intérêt de travailler vers un but commun, mais
où chacun reste dans son rôle.
Cela passe tout d’abord par la mise en place d’un réseau,
ce qui signifie connaître certains tradipraticiens, aller les
voir travailler, assister à des traitements et à des cérémonies
de possessions. Parallèlement, cela signifie faire venir des
tradipraticiens pour leur faire découvrir notre lieu de travail
et notre façon de travailler.
En effet, la vision qu’ont les Mahorais de la psychiatrie
est tout aussi fantasmatique que celle que nous avons, nous,
des pratiques traditionnelles et des cérémonies de possession. Elle est parfois aussi vécue comme la faillite des modes
traditionnels de prise en charge [18].
Considérons ainsi la mise en place chez un patient
d’un traitement antipsychotique sans tenir compte de
l’environnement social de la maladie : aux yeux de la
communauté, le patient restera possédé par un esprit mauvais tant qu’une cérémonie n’aura pas eu lieu. Le patient
se verra alors renvoyer l’image de sa propre « folie » par la
communauté, d’autant plus fortement qu’il n’aura pas eu de
traitement traditionnel. Cela constituera un frein important
à l’amélioration clinique du patient [19].
Gardons à l’esprit que les pratiques traditionnelles sont
en place depuis plusieurs siècles sur l’île de Mayotte, alors
que la médecine psychiatrique, elle, y est présente depuis
moins de dix ans. Le rôle du psychiatre consistera à donner
un accord tacite pour ce genre de pratiques, les démarches
étant entamées dans le même temps que la prise en charge
psychiatrique. Ces démarches sont laissées le plus souvent à
l’initiative de la famille, les tradipraticiens étant connus de
tous. Cependant, le médecin peut parfois être à l’initiative
de l’intervention d’un ou plusieurs tradipraticiens. Cela
avait été évoqué dans le cadre de crises de possessions
répétées chez des jeunes dont le lycée était construit sur
l’emplacement d’un village d’esprits.
En outre, si la psychiatrie est pour l’instant gratuite à
Mayotte, ces pratiques traditionnelles ont un coût. Il faut
en tenir compte pour ne pas orienter des patients vers des
soins qu’ils ne pourraient pas assumer financièrement.
L’intervention des tradipraticiens apporte donc une dynamique positive dans la prise en charge sociale et familiale
de la maladie, que ce soit dans un cadre névrotique,
mais également, comme nous l’avons vu précédemment,
pour certaines psychoses. Inversement, pour des patients
psychotiques aux pathologies bruyantes, certains tradipraticiens demandent aux familles de faire appel à la
médecine occidentale, ce qui constitue alors une alternative aux pratiques d’enfermement qui existaient par le
passé.
En résumé, la connaissance de la culture, voire de la
langue mahoraise, représente toujours un atout dans la prise
en charge psychiatrique, mais aussi somatique, des patients.
Les traducteurs mahorais jouent ici un rôle essentiel, et ces
liens que nous décrivons existent déjà, mais pourraient être
renforcés par des rencontres dans les cas les plus problématiques. Par ailleurs, s’il s’agit d’une aide précieuse à
la compréhension des mécanismes de la maladie et à leur
prise en charge, elle doit être considérée comme complémentaire de notre pratique médicale qui reste, elle, sur
des schémas de fonctionnement psychique et somatique à
l’occidentale.
C. Charbonnier et al.
Population et méthode
Population : deux séries ont été étudiées
La première série
Elle contient les dossiers numérotés de 1 à 612, couvrant
une période allant de janvier 1998 à mars 2002. Parmi ces
dossiers, douze étaient inexploitables.
Elle correspond aux premiers dossiers élaborés lors du
passage des missions psychiatriques venant de la Réunion et
à ceux créés après l’instauration de la psychiatrie à Mayotte,
en septembre 2001, mais avant l’ouverture du centre de
santé mentale qui interviendra le 1er juin 2002.
La deuxième série
Elle contient les dossiers numérotés de 2232 à 2832, soit 600
dossiers ayant été créés dans la période allant du 1er janvier
2004 au 30 juin 2004 et recouvrant six mois d’activité du
service.
La psychiatrie est alors présente de manière permanente
depuis plus de deux ans à Mayotte et dispose de locaux de
consultations sous la forme d’un centre de santé mentale
depuis un an et demi.
Méthode
Il s’agit d’une étude descriptive rétrospective menée sur
deux échantillons de même taille, étudiés à deux périodes
différentes.
Nous avons effectué le recueil de données à l’aide des
dossiers papier entrés dans un logiciel mis au point par le
service informatique de l’hôpital de Mamoudzou à Mayotte.
Ces données ont ensuite été exploitées avec le logiciel Excel.
Pour chaque dossier traité, les données suivantes ont été
entrées dans le logiciel :
Date de naissance
Classement par tranche d’âge des patients.
Sexe
Proportion homme/femme : ratio.
Pays d’origine
La première source d’immigration à Mayotte est représentée
par les Comoriens des îles voisines appartenant à la Fédération islamique des Comores. Nous avons voulu savoir dans
quelle proportion cette population consulte le centre de
santé mentale. La nationalité française regroupe les Mahorais de souche et les métropolitains expatriés.
Par ailleurs, les termes comoriens et expatriés employés
dans cette étude vont, eux, concerner un autre type de
répartition, plus culturel : sont ici considérés comme Comoriens les Mahorais français, ainsi que les Comoriens non
français pouvant tous deux s’identifier en terme d’état civil
par rapport au prénom du père qui remplace le nom de
famille. Le groupe des expatriés regroupe les métropolitains, les Réunionnais et les autres étrangers occidentalisés
pour la plupart, identifiés par le nom de famille. Il s’agit
donc des expatriés non comoriens.
Psychopathologies rencontrées sur l’ı̂le de Mayotte entre 1998 et 2004
Étiologie traditionnelle des troubles
Ce n’est pas l’existence d’un lien dans l’esprit du patient
entre sa pathologie et les croyances locales qui est étudiée
ici, mais bien son évocation face à un médecin, étranger à
cette culture, et le fait que ce dernier en fasse mention dans
le dossier médical.
Les tentatives de suicide
Nous avons complété les données de l’étude par des données
annuelles.
Les évacuations sanitaires vers la Réunion
Les chiffres des trois dernières années sont mentionnés ici.
Diagnostics CIM 10 [7]
L’absence de diagnostic psychiatrique concerne les patients
pour lesquels il n’y a pas eu de traitement ou de prise en
charge psychothérapique suite à la première consultation.
Tableau 2
nationalité.
127
Pourcentage
de
consultants
selon
leur
Nationalité
Pourcentage de
consultants (%)
Française
Comorienne autre que française
Étrangères autres
Inconnue
64
35
5
1
Étiologie traditionnelle des troubles
Elle est retrouvée chez 9,5 % des patients (sur l’ensemble
des patients des deux séries). Ce chiffre monte à 13 % si on
exclut les métropolitains et les étrangers non comoriens.
Les tentatives de suicide
On dénombre 86 tentatives de suicide entre septembre 2001
et septembre 2002, 48 l’année suivante et 26 sur les six
premiers mois de l’année 2004.
Résultats
Sexe
Le ratio homme/femme est de 1,15 dans la première série
et passe à 0,89 dans la deuxième. Soit une légère prédominance masculine (53,5 %) dans la première série, qui
s’inverse dans la deuxième (52,9 % de femmes).
Les évacuations sanitaires
De septembre à septembre, il y a eu 17 évacuations sanitaires pour l’année 2001—2002, huit pour la même période
en 2002—2003 et trois entre 2003 et 2004.
Répartition par classe d’âge
Les diagnostics
Le Tableau 1 montre les données relatives à la répartition
par classe d’âge.
Le Tableau 3 indique les différents diagnostics rencontrés et
le Tableau 4 montre les trois diagnostics les plus fréquents.
Répartition par pays d’origine
Analyse, discussion
Les données de la première série, étant incomplètes, n’ont
pas pu être exploitées. Le Tableau 2 donne le pourcentage
de consultants selon leur nationalité.
En utilisant le mode de répartition décrit dans le paragraphe « pays d’origine », les Comoriens représentent 83,9 %
des patients et les expatriés représentent ici 16, 1 % des
consultants.
Date de naissance
Tableau 1 Pourcentage de consultants par classe d’âge
dans les deux séries.
Classe d’âge (ans)
1re série :
1998—2002 (%)
2e série :
janvier—juin 2004 (%)
0—10
11—20
21—30
31—40
41—50
51—60
61—70
71—80
81—90
1,64
13,46
33,33
27,25
12
8,37
2,95
0,5
0,5
6,3
29,09
28,53
17,76
9,79
5,73
1,68
0,56
0,56
Dans la première série, on note 60 % de patients entre 20 et
30 ans.
Dans la deuxième série, on note que 35 % des patients ont
entre zéro et vingt ans.
Dans les deux séries, la prévalence des personnes âgées
reste faible : moins de 4 % des patients dans les deux séries
ont 61 ans et plus.
Une prise en charge pédopsychiatrique spécialisée, souvent absente dans les pays pauvres [15], devra donc être un
des axes prioritaires du développement de la santé mentale
à Mayotte.
Sexe
Majoritaires dans la première série, les hommes deviennent
minoritaires dans la seconde. On peut relier ces chiffres
aux diagnostics qui, pour la première série, comportaient
une majorité de pathologies psychotiques, à prédominance
masculine, alors que dans la deuxième série, les troubles
anxieux et dépressifs, à prédominance féminine, devenaient
majoritaires.
128
Tableau 3
C. Charbonnier et al.
Diagnostics CIM 10 regroupés des Comoriens et expatriés pour les deux séries.
1998—2001
Comoriens (%)
Expatriés (%)
Comoriens (%)
Expatriés (%)
5,9
5,1
18,1
25
15,7
9
10,1
11,3
6,9
2,6
12
37,2
15,9
2,7
1,8
31,9
10,5
10,8
24,6
—
28,1
10,1
15,7
—
17,6
5,4
4,8
13,4
36,3
3,5
3,5
4,4
Conduites addictives F10 ; F12 ; F19
Troubles de la personnalité F60.0 ; F60.1 ; F60.3 ; F60.4
Pathologies déficitaires F03 ; F06 ; F79 ; F84
Troubles anxieux et troubles somatoformes F40 ; F41 ;
F42 ; F43 ; F44 ; F45
Dépression F32 ; F32, 3 ; F33
Épisodes psychotiques aigus F23 ; F30
Psychoses chroniques F20 ; F22 ; F31 ; F53
Pas de diagnostic psychiatrique
Pays d’origine
Parmi les 160 265 habitants de Mayotte en 2002, on comptait
52 851 habitants originaires des autres îles des Comores, soit
33 % de la population. Les métropolitains étaient au nombre
de 6323, soit 3,9 %. Les étrangers non comoriens, essentiellement originaires de l’île de Madagascar, représentaient
3,25 % de la population avec 5216 habitants [11]. Il faut ajouter les réfugiés du Rwanda et du Burundi, qui nécessitent
souvent un suivi au centre de santé mentale pour syndrome
post-traumatique.
Trente-cinq pour cent des consultants sont des Comoriens
non mahorais alors qu’ils représentent officiellement 33 % de
la population (il est cependant probable que cette estimation ne recense pas la totalité des Comoriens en situation
irrégulière) et 52 % sont des Mahorais, alors qu’ils représentent 60,1 % de la population. On note que 16,1 % des
consultants sont des expatriés, alors qu’ils ne représentent
que 7,15 % de la population.
Les métropolitains et les étrangers non comoriens
consultent donc proportionnellement deux fois plus au
centre de santé mentale.
On peut formuler plusieurs hypothèses explicatives
devant ces chiffres : tout d’abord, les Comoriens ont pour
la plupart une vision floue de la psychiatrie occidentale.
En revanche, il règne une grande tolérance personnelle
et familiale vis-à-vis de la maladie. Elle est certes vécue
avec une certaine impuissance liée au manque de moyen,
mais aussi avec un certain fatalisme insufflé par la religion : on se doit d’accepter son destin, tel que Dieu nous
l’impose.
Il faut également tenir compte de la représentation traditionnelle des troubles mentaux avec la notion que rien n’est
anodin, les événements du présent étant reliés aux actes
passés et pouvant influer sur l’avenir.
Tableau 4
Janvier à juin 2004
D’où le recours aux médecines traditionnelles qui correspondent mieux à ce mode de pensée, mais qui ont aussi leurs
limites.
Par ailleurs, dans les autres îles des Comores, la médecine
étant payante, des patients viennent des îles voisines dans
le but de bénéficier d’une prise en charge psychiatrique,
pour l’instant gratuite. Il peut s’agir aussi bien de troubles
de l’humeur ou de troubles anxieux que de psychoses chroniques.
Enfin, concernant les expatriés, ils ne cherchent pas,
sauf exception, de premier recours d’ordre traditionnel et
consultent le psychiatre en première intention, particulièrement pour les métropolitains.
Étiologie traditionnelle des troubles
Cela concerne plus d’un patient sur dix, ce qui souligne,
entre autres, la grande liberté de parole des Comoriens face
à ce sujet. Cependant, si le chiffre de 9,5 % inclut les métropolitains, le chiffre de 13 % exclut les malgaches qui, eux,
peuvent évoquer ce type d’étiologie. En effet, il ne faut
pas non plus sous-estimer la réelle volonté de nombreux
patients à ne pas vouloir relier leur problème psychiatrique
à des éléments d’ordre culturel. Car l’occidentalisation de
la population est une réalité à laquelle Mayotte n’échappe
pas : on peut parler ici d’un phénomène d’acculturation
lié au contact d’un modèle culturel occidental qui devient
dominant, comme le témoigne l’ouverture d’un cinéma à
Mayotte en juin 2005. Une des façons d’appréhender la question peut être de demander s’il y a des « djinns » dans la
famille, ce qui signifie, y a-t-il des membres de la famille
qui ont été possédés par des esprits. La réponse à cette question permet de se faire une première idée de l’implication
familiale et personnelle vis-à-vis de ces croyances.
Les trois diagnostics les plus fréquents.
1er diagnostic CIM10
2e diagnostic CIM10
3e diagnostic CIM10
Comoriens 1998—2001
Expatriés 1998—2001
Troubles délirants persistants
Épisodes dépressifs
Troubles mentaux organiques
Conduites addictives
Schizophrénie
—
Comoriens 2004
Expatriés 2004
Épisodes dépressifs
Épisodes dépressifs
Troubles somatoformes
Conduites addictives
Troubles anxieux autres que phobiques
Troubles anxieux autres que phobiques
Psychopathologies rencontrées sur l’ı̂le de Mayotte entre 1998 et 2004
D’autres variantes sont aussi possibles. Ainsi, nous avons
été amenés à suivre une jeune fille lycéenne mahoraise
habillée à l’européenne nous tenant un discours où les
croyances étaient reniées et qui a fait devant nous une crise
qui comportait tous les éléments d’une crise de possession
par un esprit. Cet entre-deux culturel, inclus dans l’entredeux de l’adolescence, est une entité que l’on retrouve
fréquemment chez les jeunes Mahorais. Il en résulte des
réactions de clivage face à deux mondes représentationnels,
chez des adolescents déjà en situation de conflit dans leur
famille.
Les tentatives de suicide
Les tentatives de suicide sont certainement sous-estimées :
les patients, arrivant le plus souvent par les urgences, ne
peuvent pas tous être vus secondairement, et ce, en raison
de l’effectif médical insuffisant dans le centre.
Cependant, ce recours à la tentative de suicide semble
quand même beaucoup moins fréquent que dans nos sociétés occidentales. En métropole, les tentatives de suicide
sont estimées à 160 000 par an, soit une tentative de suicide par an pour 375 habitants, alors que, dans cette étude,
on dénombre à Mayotte une tentative de suicide pour 2504
habitants (moyenne des données du paragraphe « tentatives
de suicide »).
À titre d’exemple, les deux décès par suicide qui nous ont
été rapportés, pendant la période novembre 2004 à fin juin
2005, concernaient des personnes originaires de la métropole. Le lien familial, avec un mode de vie communautaire,
et la religion, avec le sentiment très présent que tous les
événements de la vie dépendent de Dieu, peuvent apporter
un début d’explication à ces chiffres. Plusieurs études ont
montré que les taux de suicide les plus bas de la planète se
situaient dans les pays sub-sahariens et que, d’un point de
vue culturel, ces taux étaient plus faibles dans les pays à
forte tradition musulmane [17].
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Comoriens (15,8 % contre 5,5 % en additionnant les deux
séries). Ces chiffres peuvent s’expliquer par l’expatriation
et la religion. L’expatriation dans un milieu où nos propres
repères culturels sont absents entraîne plus fréquemment
des crises identitaires avec repli de la personne, pouvant
conduire à un alcoolisme chronique ou de la toxicomanie.
Concernant les Comoriens, l’interdit culturel lié à la religion musulmane joue ici un rôle important. En revanche, la
consommation de marijuana, appelée ici banghé chez les
jeunes Comoriens, explique en grande partie les chiffres
retrouvés dans cette population.
Chez les populations expatriées d’origine métropolitaine,
l’alcoolisme chronique est très présent et la prise en charge
au long cours de ces patients pose un véritable problème.
Un début de suivi est possible sur place. Mais concernant
le sevrage alcoolique qui s’effectue sur l’île de la Réunion, le
plus souvent, la couverture sociale ne permet pas de prendre
en charge le billet d’avion, et ces dossiers ne sont pas non
plus considérés comme relevant d’une évacuation sanitaire.
Ces situations mènent le thérapeute et le patient dans une
impasse.
Les troubles spécifiques de la personnalité
La prévalence est faible, car un trouble spécifique de la
personnalité selon la CIM 10 nécessite de bien connaître le
patient et ses antécédents.
On dénombre dans cette étude plus de personnalités
pathologiques retrouvées chez les expatriés (5,85 %) que
chez les Comoriens (3,85 %). Cependant des biais de compréhensions liés à la première série peuvent être évoqués, ces
chiffres s’équilibrant dans la deuxième série (2,7 % contre
2,6 %). Concernant les troubles de la personnalité de type
histrionique, on retrouve aussi peu de différences : 1,98 %
chez les expatriés, contre 1,8 % chez les Comoriens.
Les diagnostics
Les pathologies déficitaires et les troubles du
développement
Dans les deux populations, ce chiffre baisse considérablement entre les deux séries.
Ces chiffres sont toujours plus bas chez les patients expatriés.
En effet, il est rare de voir une famille ayant un enfant
avec un retard mental important, choisir de venir à Mayotte,
où la prise en charge et le suivi de ces pathologies restent
très insuffisants. Concernant le dépistage des pathologies
lourdes regroupées ici, type épilepsie sévère, débilité légère
et profonde, d’origine génétique, ou congénitale le plus
souvent, mais aussi les psychoses infantiles, il est logique
que les premières missions psychiatriques aient été plus
confrontées à ce type de demande de prise en charge. Nous
en profitons pour citer l’association « Toioussi » qui s’est
spécialisée dans la prise en charge de ce type d’enfants,
mais qui ne dispose pas de moyens suffisants pour pouvoir répondre à la demande. L’absence de neurologue sur
l’île, ainsi que la présence d’un unique électroencéphalogramme, dont l’utilisation est réservée aux nourrissons et
aux enfants, sont également à souligner.
Les conduites addictives
On note trois fois plus de conduites addictives chez les
métropolitains et les étrangers non comoriens que chez les
Les troubles anxieux et somatoformes
Ce type de pathologies, contrairement aux pathologies
chroniques très invalidantes et faciles à repérer, est en
Évacuations sanitaires
On note une très nette diminution des évacuations sanitaires psychiatriques sur la Réunion qui passent de 17 par
an à trois par an entre 2001 et 2004. Il n’y a pas d’unité
d’hospitalisation psychiatrique à Mayotte et il existe seulement deux chambres d’isolement pouvant accueillir, pour
une durée courte, les patients en période d’agitation ou de
risque suicidaire majeur. Une est située sur « Petite terre » et
l’autre sur « Grande terre ». Elles sont toutes deux annexées
au service de médecine.
Cette baisse est l’aboutissement d’une politique de santé
mentale qui privilégie une action en aval, dans les dispensaires ou à domicile, en étroite collaboration avec les
familles, de manière à éviter autant que possible les hospitalisations au long cours.
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augmentation dans la deuxième série. Il s’agit, dans les deux
séries, des pathologies les plus souvent rencontrées chez les
Comoriens. Ainsi, nous retrouvons plus de troubles somatoformes chez les Comoriens (10,18 % contre 4,45 % chez les
expatriés).
En d’autres termes, il y a plus de manifestations à expression somatique chez les Comoriens, ce qui peut être lié à une
implication plus forte du corps dans les situations de malaise
psychologique.
La dépression
Si l’on peut dire que, statistiquement, les pathologies dominantes dans cette étude (après regroupement des deux
séries) sont les pathologies en rapport avec la dépression
chez les expatriés, et celles en rapport avec les troubles
anxieux et somatoformes chez les Comoriens, on ne doit pas
s’arrêter là.
L’item « épisode dépressif » est le plus fréquent dans
les deux populations de la deuxième série. Il ne faut
donc pas sous-estimer la dépression chez les Comoriens. Et
d’autre part, en tenant compte du filtre culturel, on pourrait envisager qu’un même mal de vivre ait une expression
différente.
D’un côté, chez les Comoriens, les idées de suicide,
contraires à la religion, se retrouvent plus rarement et l’idée
de tristesse, l’expression de sentiments, sont parfois difficiles à mettre en évidence. Les peurs plus concrètes, en
rapport avec le réel ou avec l’idée d’être la victime d’un
sort ou d’une possession, sont, elles, mieux exprimées. Ce
sont les signes somatiques de la dépression (troubles du sommeil et de l’appétit, baisse de la libido) qui orientent ici le
médecin.
Chez les métropolitains, on a souvent la tendance inverse
qui est de tout ramener à la dépression. Les patients se
disent eux-mêmes dépressifs, alors qu’il s’agit parfois de
réactions de tristesse adaptées et transitoires face à des
difficultés de vie bien réelles telles que, par exemple, la
perte d’un proche ou une rupture amoureuse.
Les épisodes psychotiques aigus
Il apparaît nettement que la série de 2004 a moins été
confrontée à ce type de pathologie.
Là encore, la première série concernait une population
ne bénéficiant d’aucun suivi psychiatrique auparavant.
Les chiffres sont légèrement plus élevés dans les deux
séries chez les Comoriens. Malgré l’expérience de l’équipe,
il est parfois extrêmement difficile de différencier en phase
aiguë un épisode psychotique classique tel que la bouffée
délirante aiguë d’avec une possession par un esprit, ou une
pathologie anxieuse ou dépressive associée à des éléments
culturels [3].
N’oublions pas non plus que les populations expatriées ne
constituent pas un échantillon comparable à une population
vivant en métropole. La moitié [11] exerce une activité professionnelle qualifiée dans la fonction publique, voire des
entreprises privées, où une bonne stabilité psychologique
joue un rôle dans le recrutement.
Les épisodes psychotiques chroniques
Les psychotiques chroniques sont plus nombreux chez les
Comoriens car les expatriés présents à Mayotte le sont en
C. Charbonnier et al.
général dans le cadre d’une activité professionnelle. Bien
que pouvant présenter des épisodes psychotiques aigus, il
est quand même plus rare de rencontrer un psychotique
chronique venant de métropole à Mayotte.
Concernant les chiffres de la première série qui sont
plus élevés, on se place encore une fois dans le cadre de
l’évaluation et de la prise en charge de situations psychiatriques jusqu’alors délaissées.
L’absence de diagnostic psychiatrique
L’absence de diagnostic psychiatrique est plus élevée dans
les populations comoriennes.
Cela peut être lié à une connaissance moindre dans ces
populations de ce qu’est la psychiatrie et du type d’aide
qu’elle peut apporter.
En pratique, il s’agit de patients qui, à l’issue de la
consultation, et en accord avec le médecin, ne souhaitent ni
un traitement, ni un suivi en psychothérapie. Ces personnes
viennent déposer une parole pour être rassurées, plus que
par volonté d’un suivi psychologique ou psychiatrique.
Conclusion
Loin de s’écarter de la démarche ethnologique qui veut
qu’avant d’être attesté, un élément soit confirmé par un
maximum de sources convergentes, cette étude, bien que
contenant des biais qui ont été évoqués, nous a permis,
par l’intermédiaire d’un outil statistique simple, rétrospectif et descriptif, et sur un nombre conséquent de données,
de pouvoir confirmer des impressions perçues sur le terrain. Elle ouvre aussi la voie pour des études ultérieures.
Les chiffres obtenus soulignent les progrès faits en l’espace
de deux ans et quatre mois, tout en pointant les manques les
plus urgents. Ainsi, la prise en charge des psychotiques chroniques a permis, outre la baisse des évacuations sanitaires,
d’améliorer la qualité de vie de ces patients, jusqu’alors
souvent laissés à l’abandon ou enfermés dans des conditions
inhumaines.
En revanche, l’absence d’une prise en charge pédopsychiatrique spécifique, pour une population de consultants
dont plus d’un tiers a aujourd’hui entre zéro et vingt ans,
est un réel problème de santé publique : il faudra tout faire
pour corriger ce manque dans les années à venir.
Concernant les urgences, un centre de crise pourrait
constituer une alternative à un hôpital psychiatrique, qui
excluerait le rôle thérapeutique du lien familial [1].
Mais si l’exploitation de ces données objectives a
confirmé des notions pressenties dans la pratique quotidienne de la psychiatrie à Mayotte, celle-ci passe avant
tout par l’acceptation de la pratique psychiatrique par les
populations locales, en complément d’une prise en charge
traditionnelle, voire parfois en collaboration avec cette
prise en charge. C’est pourquoi cet exercice reste intimement lié à un contexte démographique, politique et social,
mais aussi à des facteurs culturels qui, loin de devoir être
niés, doivent être connus, respectés et intégrés pour les
équipes travaillant sur place.
Enfin, et à plus long terme, pouvoir instaurer ce type de
prise en charge dans les autres îles des Comores et Madagascar reste un des objectifs du service de santé mentale de
Mayotte.
Psychopathologies rencontrées sur l’ı̂le de Mayotte entre 1998 et 2004
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