Informations Cycle avortement Ruminants : La Fièvre Q Un avortement est une expulsion avant terme d’un fœtus mort ou décédant dans les 24 premières heures après mise-bas. De nombreux facteurs peuvent en être à l’origine : bousculades ou manipulations des animaux dans les premiers et derniers mois de gestation, erreurs alimentaires, stress, infections diverses principalement bactériennes (listériose, salmonellose, chlamydiose, fièvre Q...), virales (Border disease, Schmallenberg...) ou parasitaires (toxoplasmose)..... Parmi ces causes infectieuses, la Fièvre Q a longtemps été sous-estimée mais, en regard de sa détection de plus en plus fréquente dans les causes d’avortements ou de troubles de la reproduction chez les ruminants, elle fait l’objet ces dernières années d’une attention particulière. La fièvre Q est due à Coxiella burnetti, très petite bactérie se développant à l’intérieur des cellules, et à répartition quasi mondiale. Elle touche 2 de nombreuses espèces animales domestiques ou sauvages (ruminants, carnivores, oiseaux...) et peut également se transmettre à l’homme, on parle alors de zoonose. Rôle important des ruminants et excrétion variable selon les espèces... Les réservoirs de la bactérie sont les ruminants domestiques : bovins, ovins, caprins... Lorsqu’ils sont porteurs, ils excrètent la bactérie avec le placenta, le mucus vaginal, mais également les selles, l’urine, le lait, le sperme, etc... Alors que moins de 10 unités bactériennes sont nécessaires pour infecter l’animal ou l’homme, des milliards de bactéries (1 milliard de bactéries par gramme de placenta infecté) sont mises en suspension dans l’environnement par les animaux excréteurs, notamment lors des mises-bas, normales ou pas. Des études ont montré que chez les bovins, l’excrétion de la bactérie se fait principalement par le lait et peut persister de manière parfois continue pendant près de 2 ans. Septembre 2012 Bulletin Alliance Pastorale N°825 Chez les caprins, l’excrétion est aussi majoritaire dans le lait mais sur une période plus courte (jusqu’à 3 mois) et de façon intermittente et peut également se faire dans une moindre mesure par la voie fécale (débutant 3 à 4 semaines après l’infection) et les sécrétions vaginales. Chez les ovins, l’excrétion se fait quant à elle plutôt via les matières fécales et le mucus vaginal, ce qui est à l’origine d’une forte contamination des litières. Il est à noter également que, chez les oiseaux, la bactérie a là-aussi été détectée dans les fientes, avec une persistance de plus de 40 jours après l’infection, participant ainsi à la dissémination de la bactérie dans l’environnement. Une voie de contamination principalement aérienne... Sa petite taille et sa forte résistance en milieu extérieur permettent à cette bactérie d’être disséminée par le vent sur de grandes distances, provoquant parfois des contaminations au sein Santé animale Chez les caprins, comme chez les bovins, l’excrétion de la bactérie est majoritaire dans le lait par le vent permet de toucher également des populations plus éloignées. En milieu agricole, cette maladie est d’ailleurs reconnue comme maladie professionnelle. Plus rarement, la voie digestive a été incriminée chez l’homme, avec la consommation de produits laitiers à base de lait cru mais le nombre de bactéries à ingérer pour induire une infection semble être extrêmement élevé. Par précaution et en attendant d’en connaître davantage sur cette pathologie, la vente de lait cru destiné à la consommation est interdite 1 an après l’ap- Voies de transmission de la fièvre Q de populations humaines citadines n’ayant aucun contact avec des animaux infectés. Très résistante à la dessiccation, elle peut survivre jusqu’à 2 ans dans les litières. Les animaux se contaminent le plus souvent par inhalation de poussières contaminées par les bactéries en suspension dans l’air, ou suite au léchage ou à l’ingestion d’aliments contaminés. Les carnivores et les oiseaux peuvent également ingérer la bactérie avec la consommation de morceaux de placentas oubliés dans des pâtures ou à l’entrée des bâtiments d’élevage. La transmission entre ruminants suite à des piqûres de différentes espèces de tiques a aussi été démontrée. Enfin, la bac- térie ayant été retrouvée dans du sperme de taureaux infectés, la voie sexuelle reste également possible mais ne semble pas avoir une incidence importante dans la transmission de la maladie. Chez l’homme, l’infection se transmet la plupart du temps par voie aérienne, suite à l’inhalation de bactéries en suspension dans l’air, notamment lors de la manipulation de placentas infectés, du déplacement de fumiers ou lisiers contaminés ou lors de grands vents. Les populations en contact direct avec les animaux (éleveurs, personnels de laboratoires ou d’abattoirs, vétérinaires...) sont les plus à risques, notamment en périodes de mise-bas, même si la dissémination parition d’un cas de fièvre Q et pour la fabrication des fromages au lait cru, le lait des animaux ayant avorté ne doit pas être utilisé et celui des autres animaux qu’après pasteurisation à 72°C pendant 15 secondes (ou traitement équivalent). Une maladie souvent discrète mais parfois à l’origine d’avortements ou de troubles de la reproduction chez les ruminants.... Le plus souvent, la fièvre Q n’entraîne aucun symptôme, que ce soit Septembre 2012 Bulletin Alliance Pastorale N°825 3 Informations chez l’homme ou chez l’animal. Cependant, elle peut engendrer chez les petits ruminants des avortements plutôt en fin de gestation ainsi que des mises-bas de jeunes mort-nés, prématurés ou chétifs. Le nombre d’avortements peut être très variable d’un cheptel à l’autre, parfois en quantité trop réduite pour alerter l’éleveur, parfois de façon beaucoup plus spectaculaire en particulier chez les caprins. Les avortons sont en général normaux, seul un épaississement des cotylédons du placenta (= zones «d’attaches» du placenta à l’utérus) est parfois visible. Après un épisode d’avortements, les gestations suivantes sont en général à nouveau normales, seuls les animaux «naïfs» (jeunes animaux, nouveaux animaux introduits...) restent sensibles. Les bovins par contre présentent plus fréquemment des métrites difficiles à traiter ou des problèmes d’infertilité. Chez tous - ovins, caprins, bovins - des troubles pulmonaires de type bronchopneumonies avec toux, associés à un petit épisode de fièvre sans gravité, peuvent être présents en raison notamment de la contamination prépondérante par voie respiratoire. Des conjonctivites et des arthrites y sont parfois associées. Chez l’homme, attention aux personnes atteintes d’une pathologie valvulaire cardiaque et aux femmes enceintes... et surtout chez les personnes présentant des troubles au niveau des valvules cardiaques, une forme chronique beaucoup plus grave peut être présente avec apparition de fièvres prolongées ou d’une endocardite (atteinte au niveau cardiaque), mortelle sans traitement, en général des antibiotiques pendant 18 mois voire plus. Chez les femmes enceintes, des accouchements prématurés, des avortements à répétition ou des baisses de poids du fœtus sont également décrits. Plusieurs prélèvements nécessaires pour établir un diagnostic... Le diagnostic de la fièvre Q soulève quelques difficultés : signes cliniques parfois discrets, excrétions de la bactérie par différentes voies (lait, fèces, mucus vaginal...) selon les espèces de ruminants et avec une intensité et une durée variable, culture bactérienne délicate en raison des caractéristiques de la bactérie et de son risque de transmission à l’homme (nécessité d’un laboratoire sécurisé), etc... Des animaux sans aucun symptôme clinique peuvent excréter la bactérie dans les produits de la Dans 60 % des cas, aucun symptôme n’est décelé chez l’homme après une infection par la fièvre Q. Dans près de 40% des infections, un simple rhume ou syndrome pseudo-grippal (avec maux de tête, fièvre et toux) sans gravité peut se manifester, parfois accompagné d’une atteinte du foie ou hépatite, fréquente en France, mais ne nécessitant une hospitalisation ou un traitement que dans 2% des cas. Par contre, chez les individus immunodéprimés (sida, cancer...) 4 Septembre 2012 Bulletin Alliance Pastorale N°825 parturition (placenta, mucus vaginal) de façon parfois importante et à l’inverse des animaux ayant présenté des avortements ou des troubles de la fertilité peuvent ne pas être excréteurs. Le diagnostic passe donc obligatoirement par des examens de laboratoire et fait appel à 2 types de techniques : - des analyses sérologiques (le plus souvent selon une technique dite ELISA) à partir de prises de sang réalisées sur au moins une dizaine d’animaux après mises-bas ou avortements : elles permettent de détecter les cheptels infectés ou ayant été infectés par mise en évidence des anticorps dans le sang, mais ne peuvent pas être utilisées pour détecter les animaux en cours d’infection et les animaux excrétant la bactérie au moment de l’examen. L’évolution des anticorps au cours du temps (cinétique) peut parfois être objectivée grâce à un deuxième prélèvement sanguin 15 jours plus tard ; - des analyses PCR - ou parfois PCR en temps réel plus précise (détectant et amplifiant la présence de gènes bactériens), réalisables sur différents prélèvements : placenta, lait, selles, urine, écouvillon vaginal, etc... Santé animale La technique PCR permet de mettre en évidence la présence de la bactérie mais ne donne par contre aucune information quant à son pouvoir d’infection. Le choix du prélèvement à réaliser se fera en fonction de ce qui est recherché ou de l’espèce concernée : par exemple, pour les animaux laitiers (caprins, bovins) et en dehors de la période des mises-bas, une PCR sur le lait de tank est possible et chez les ovins, une PCR sur les matières fécales est recommandée, étant donné la prépondérance de cette voie d’excrétion de la bactérie chez cette espèce Ces différentes techniques d’analyses sont donc intéressantes pour savoir si le troupeau ou l’animal a été ou non en contact avec la maladie, si la bactérie est présente ou pas au moment de l’analyse, ou si elle circule toujours parmi les animaux... Mais l’interprétation quant à la circulation et à l’excrétion de la bactérie reste encore très complexe et devra toujours être réalisée en fonction du résultat des PCR, des analyses sérologiques et du contexte clinique (tableau 1). Prévention de la fièvre Q : importance de la vaccination... La prévention contre la fièvre Q repose en premier lieu sur des mesures classiques d’hygiène en élevage : l introduction dans un troupeau de nouveaux individus issus uniquement de cheptels connus, l séparation des femelles en fin de gestation du reste du cheptel et destruction rapide des avortons et placentas, l stockage des fumiers loin des habitations ou sous une bâche, l enfouissement des fumiers et des Tableau 1 : Exemples de démarche diagnostique en fonction du contexte d’élevage Diagnostic individuel lors d’avortement isolé - PCR sur placenta ou écouvillon vaginal - PCR sur placenta ou écouvillon vaginal Diagnostic de troupeau lors - Sérologie sur une dizaine d’animaux (surde séries d’avortements tout ceux ayant présentés avortements et troubles de la reproduction) - Sérologie sur une dizaine d’animaux (représentant toutes les classes d’âge si possible) ou éventuellement cinétique Diagnostic de circulation de la bactérie dans un troupeau - PCR sur lait de tank pour les laitiers bovins/caprins et sur les matières fécales pour les ovins lisiers lors de l’épandage et traitement possible des lisiers avec du cyanamide calcique (0,6% pendant 1 semaine).... Mais compte tenu de la grande résistance de la bactérie et de sa dissémination sur de grandes distances grâce au vent, ces mesures ne sont pas toujours suffisantes. Les traitements antibiotiques à base d’oxytétracycline retard réalisés parfois en urgence lors de série d’avortements (à raison d’1 injection tous les 10-15 jours sur les femelles n’ayant pas encore mis-bas dans le lot atteint) semblent diminuer légèrement le nombre d’avortements, mais de façon beaucoup moins efficace que dans le cas de la chlamydiose. Ils ne paraissent pas par contre empêcher l’excrétion de la bactérie et donc la contamination du milieu. Seule la vaccination serait un bon moyen de gestion de la fièvre Q en élevage. Deux vaccins sont actuellement disponibles en France : Chlamyvax FQND (contenant des bactéries inactivées dites en phase 2, avec autorisation pour les ovins et les caprins) et CoxevacND (contenant des bactéries inactivées dites en phase 1, avec autorisation pour les bovins et les caprins). Chlamyvax FQND réduirait les avortements mais ne supprimerait pas l’excrétion de la bactérie. Par contre, CoxevacND semblerait à ce jour le plus efficace pour diminuer les signes cliniques de la maladie et l’excrétion de la bactérie. Dans les cheptels ou chez les animaux encore indemnes de fièvre Q, ce dernier vaccin permettrait de réduire significativement les risques pour les animaux de devenir excréteurs de la bactérie. Chez les animaux déjà infectés au moment de la vaccination, une excrétion peut encore être présente mais compte tenu du coût des analyses permettant d’identifier les individus infectés et les non-infectés, il peut être plus intéressant de vacciner malgré tout la totalité du cheptel. Lorsqu’une forte contamination par la fièvre Q est suspectée, la vaccination uniquement des jeunes animaux plus réceptifs peut s’avérer une bonne alternative, dans l’attente de nouveaux moyens de diagnostics plus rapides et précis et d’une meilleure connaissance de la bactérie... Laurence Kimmel Dr Vétérinaire au Pôle Santé Animale de l’Alliance Pastorale Septembre 2012 Bulletin Alliance Pastorale N°825 5