Le capitalisme a t-il changé de nature depuis la fin du XIX° siècle

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Le capitalisme a t-il changé de nature depuis la fin du XIX° siècle ?
Eléments de corrigé
Introduction :
Le capitalisme s’est progressivement développé depuis cinq cents ans. Les sociétés
préindustrielles, avant tout dominé par l’autoproduction, comprenaient néanmoins des
« poches de capitalisme », selon les termes de F Braudel. Ses premières formes ont été
marchandes et ont connu un certain essor depuis la Renaissance, conforté par la doctrine
mercantiliste. A compter du XVI° siècle, la révolution agricole anglaise est allée de pair avec
l’affirmation d’un capitalisme agraire lié à la définition de « droits de propriétés » dont
Douglass North a souligné l’importance. L’activité manufacturière a connu dans les mêmes
temps une longue mutation passant du domestic system au factory system. C’est avec la RI
que l’entreprise, ce « microcosme du capitalisme » dont parlait François Perroux, s’est
imposée comme structure productive centrale, mobilisant capitaux, machines et salariés, et
tendue vers l’objectif de recherche de profit. Avec elle, s’est affirmé le mode de production
capitaliste comme système dominant. Cette « grande transformation » selon Karl Polanyi
(1944) a alors fait basculer les sociétés occidentales dans la logique univoque de l’ordre
marchand.
La capitalisme s’est imposé comme une « économie-monde » étendant sa logique à al fin du
XIX° siècle aux pays anciennement socialistes. Ses formes ont toutefois évolué à travers le
temps et les espaces qu’il a conquis .Traversant l’histoire, la géographie, les cultures et les
valeurs, ce système d’organisation économique et sociale aurai-il changé de nature, ou au
moins pris des formes originales et nouvelles depuis son avènement dans l’Occident du XIX°
siècle ?
L’analyse ne peut être que réductrice face à ce vaste sujet mais trois champs de
questionnement paraissent toutefois pouvoir être questionnés. Si l’on s’appuie sur les travaux
de l’école de la Régulation (M Aglietta, R Boyer) le capitalisme aurait évolué entre le XIX°
et le XX° siècle, d’un mode de régulation « concurrentiel » vers un mode de régulation
« fordiste et monopoliste » ? S’écartant du modèle idéal typique de la CPP, le capitalisme
s’est incarné dans la concurrence imparfaite, la grande entreprise et la production de masse.
L’intervention des Etats, qui s’impose à partir de la crise des années 30, a par ailleurs modifié
la configuration du système. IL s’agira analyser ce changement de nature du système dans un
premier point. Nous montrerons dans une deuxième partie que les modèles nationaux de
capitalisme ont été dès l’origine assez différents. Au delà du modèle de Rostow et de
l’expérience britannique, chaque pays a en fait suivi une trajectoire de croissance qui lui était
propre comme l’a montré Alexandre Gerschenkron. Dans la seconde moitié du XX° siècle
et au début de ce siècle. Dans la seconde moitié du XX° siècle jusqu’à aujourd’hui, cette
diversité est patente. Modèle anglo-saxon contre modèle rhénan (Michel Albert) , pluralité
des modèles selon Bruno Amable , voir affrontement des capitalismes demain ( Patrick
Artus). Ces différences nationales dans les formes et la nature du capitalisme seront donc
abordées dans une deuxième partie. Enfin, l’époque contemporaine est porteuse de mutations
profondes touchant ce système sous l’influence respective de la mondialisation, de la
financiarisation des économies et de la dérèglementation libérale depuis les années 80. Dans
ce nouvel âge d’un capitalisme mondialisé, financiarisé et dérégulé, les diversités nationales
tendent à s’estomper face à la force hégémonique du modèle libéral.
L’exposé s’efforcera de décrire synthétiquement ces trois grands axes de mutation.
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I) l’altération du modèle concurrentiel et le passage à un mode de régulation
« monopoliste et fordiste » au cours du XX siècle.
A. Un capitalisme de plus en plus concentré à la fin du XIX° siècle
1) fin du XIX°, apparition des firmes géantes. La concentration des firmes est une loi
d’évolution du système. La course aux profits est une course à la taille et le principe de la
concurrence, théorisé par la théorie néo-classique tue la concurrence.
Le capitalisme se construit en partie contre l’économie de marché, comme Fernand Braudel
l’avait magistralement démontré dans la dynamique du capitalisme. (Polycop distribué en
cours)
2) Analyse de Schumpeter qui avait souligné la tendance naturelle de ce système au
monopole. La concurrence pousse toujours à innover et l’innovation confère une position
monopolistique. Cas de nombreuses entreprises dans le capitalisme contemporain :
informatique (Microsoft), automobile (concentration récente), etc.
B. Un capitalisme alliant consommation de masse et nouvelle gestion des firmes
1) Dans ce « Nouvel Etat industriel » (JK Galbraith, 1976) les grandes entreprises imposent
leurs produits aux consommateurs. C’est la « filière inversée », par rapport à la séquence
classique stipulée par la théorie libérale. L’offre détermine la demande et la société de
consommation de masse s’emboîte dans le productivisme capitaliste permis par le fordisme.
2) Au XIX° siècle, le capitalisme « entrepreneurial » s’efface derrière un capitalisme
« managérial ». Bearl et Means (1932) ont décrit l’avènement des managers à la tête des
grandes entreprises, face à un actionnariat dispersé. Cette « révolution managériale »
consacre la rupture entre propriété et pouvoir. Dans une société technicienne, le savoir devient
la clé du pouvoir. La technostructure (expression de Galbraith) prend le pas sur les
capitalistes. L’augmentation de la taille des firmes impose par ailleurs leur restructuration.
C’est le passage de la firme en U (unitaire) à la firme en M (multidivisionnelle) décrit par
Alfred Chandler dans « la Main visible des managers ». (Voir d’autres auteurs dans le cours,
chapitre 4 tel James Burnham)
C) Un capitalisme régulé et administré à partir des années 30
1) l’intervention des Etats dans la vie économique s’impose à partir du New Deal (grande
dépression) et après 1945 (période de reconstruction). Le marché et l’Etat se partagent la
régulation du système. Dans la plupart des pays à économie de marché, les Etats remplissent
des fonctions d’allocation, de régulation (politiques conjoncturelles contra cycliques) et de
redistribution (Naissance de l’Etat providence) Cf. documentaire d’Anne Kunvari et dossier
IC. Le capitalisme est régulé par l’Etat et ses politiques économiques et sociales.
2) Le fonctionnement du marché du travail connaît de même des altérations majeures. Les
relations de travail sont « institutionnalisées » à travers les avancées du droit du travail et les
conventions collectives. C’est la naissance progressive de l’emploi et du salariat. Cf. dossier
2A : « travail, emploi et société ». Emploi et salaire deviennent garantis (indexation des
salaires sur les prix, SMIG puis SMIC) et les systèmes de sécurité sociale protègent contre les
différents risques sociaux.
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II. Le capitalisme s’est diversifié depuis la révolution industrielle en prenant des formes
différentes
A. Dès la RI, le capitalisme a pris des formes originales dans les différentes nations
1) Dans « Les étapes de la croissance économique » (1960) W Rostow expliquait que tous les
pays devaient suivre les mêmes étapes du développement, avec des caractéristiques proches
du modèle anglais, pays pionnier. Le cadre libéral qui avait bien réussi à la révolution
industrielle anglaise, devait partout être respecté.
2) critiquant « l’anglo-centrisme » de Rostow, A Gerschenkron a au contraire insisté sur
l’originalité des trajectoires suivies. Les Etats on été amenés à jouer un rôle clé dans les pays
d’industrialisation tardive. Ce fut le cas au XIX° siècle en Allemagne, au Japon et en Russie.
Pour A Maddison les pays pionniers (first comers) et les pays suiveurs (late comers) ont
connu des modalités de développement extrêmement distinctes, bien qu’ayant tous adopté
globalement une organisation capitaliste. On pourra évoquer l’originalité du modèle français :
absence de take-off et de rupture avec les systèmes anciens de production. « Un capitalisme
sans capitalistes » où a persisté la proto-industrialisation dans la plus grande partie du XIX°
siècle. Pays de la petite entreprise et du capitalisme familial.
B. « Capitalisme contre capitalisme » ou l’opposition entre un modèle anglo-saxon et un
modèle rhénan dans les années 90
1) si le capitalisme est devenu universel après l’effondrement du système communiste, deux
grandes variantes tendent à le traverser. Modèle rhénan et anglo-saxon s’opposent sur le plan
de l’entreprise, de son management. Rôle plus important des syndicats dans la négociation
dans l’entreprise. Ils s’opposent ensuite en ce qui concerne la place du « social » et son degré
« d’encastrement » dans l’économie. Capitalisme de marché et économie sociale de marché
accordent une valeur différente à la place du social dans la société globale.
2) Toutefois, le modèle rhénan connait des difficultés : la cohésion sociale est menacée et la
volonté de réduire les inégalités n’est plus générale (< montée de l’individualisme et remise
en cause partielle de l’Etat providence)
La lutte entre les deux formes de capitalisme tourne à l’avantage du moins performant, le
capitalisme nord-américain : la crise des idéologies et la montée de l’individualisme sont
propices à la diffusion de message du capitalisme américain : « un maximum de profit tout de
suite ». Ainsi, le capitalisme français au cours des années 80 a dérivé vers le modèle anglosaxon.
C. De « cinq capitalismes » aujourd’hui à leur affrontement demain ?
1) Mot d’ordre actuel dans le débat public : nécessité pour les économies de s’adapter.
S’adapter à quoi ? Pour aller où ? Le discours néo-libéral édicte une norme vers laquelle les
économies devraient converger : le modèle du libre marché, peu ou prou celui des économies
anglo saxonnes. Dans les 5 capitalismes, Bruno Amable, prend cette vision à contre-pied.
Non seulement, on obtient aucun processus de convergence des économies mais il n’y a pour
lui aucune raison de le regretter. Car le capitalisme est compatible avec une grande variété de
configurations institutionnelles qui empruntent des caractéristiques communes. Il propose une
typologie élargie pour comprendre la diversité des formes institutionnelles en les classant
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selon 5 critères : concurrence sur le marché des biens, rapport salarial, secteur financier,
protection sociale et éducation)
Marché fondé sur le marché (EU, Australie, Canada, Royaume Uni) /Modèle social
démocrate (Danemark, Finlande, Suède) /Modèle européen occidental (France, Allemagne,
Pays-Bas, Belgique, Autriche, Norvège) / Modèle méditerranéen (Grèce, Italie, Portugal,
Espagne) / Modèle asiatique (Japon, Corée)
2) L’affrontement des capitalismes demain
Les pays émergents s’invitent de plus en plus au capital d’entreprises occidentales. Cette
irruption suscite des craintes. Là où certains voulaient voir la mondialisation comme un
mouvement de convergence vers le modèle anglo-saxon, d’autres plus pessimistes discernent
plutôt la montée en puissance de nouvelles variétés de capitalismes (familial, étatique,…)
avec ce que cela comporte de risques de frottement, voire d’affrontements. La domination du
capitalisme anglo-saxon est de plus challengée mais c’est probablement une pluralité de
capitalismes qui s’imposera avec des valeurs différentes. (Voir le papier de Patrick Artus)
III. Les trois mutations du capitalisme à la fin du XIX° siècle
A. Un capitalisme mondialisé
1) Si la tendance du capitalisme à s’internationaliser a toujours été un trait constitutif de sa
nature, ce degré d’internationalisation a fait un bond en avant à la fin du XIX° siècle. Alors
que les protections douanières ont été largement démantelées, la multinationalisation des
firmes s’est nettement accentuée, faisant émerger une nouvelle DIT, tandis que de nouveaux
pays industrialisés participent de plus en plus activement à la production et à l’échange
international. Le capitalisme organise la production à l’échelle mondiale et chaque nation
s’insère dans un vaste mouvement de DIPP (cf. chapitre 1 de micro)
2) La mondialisation du capitalisme, théoriquement porteuse à terme d’une meilleure
allocation des ressources à l’échelle internationale, bouscule pour l’heure les appareils
productifs nationaux, renforçant les secteurs compétitifs, condamnant les autres. Si elle tend à
réduire les écarts de développement entre les nations, elle semble en revanche générer un
creusement des disparités économiques et sociales au sein de chacune. La mondialisation est
ainsi accusée d’être responsable d’une montée des inégalités et d’une paupérisation d’une
large fraction de la population.
Pour cette partie, revoir l’article distribué en cours de Bruno Amable « capitalisme et
mondialisation : un convergence des modèles » Cahier français n° 349
B. Un capitalisme financiarisé
1) la montée en puissance des fonds d’investissement dans le capital des grandes firmes a
entraîné depuis les années 80 une mutation de la gouvernance des entreprises. Même si les
managers conservent une grande partie du pouvoir, le contrôle des actionnaires s’est renforcé
dans le cadre de la corporate governance. L’école de la régulation a étudié le passage à ce
nouveau mode de régulation en le nommant « capitalisme actionnarial ». L’objectif de ce
capitalisme est de créer de la valeur pour l’actionnaire (Return on equity d’au moins 15%) cf.
le documentaire « Ma mondialisation » de Gilles Perret.
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2) Les marchés financiers représentent désormais l’institution centrale de régulation de ce
« néocapitalisme » actionnarial et financiarisé. La généralisation d’une « économie de
marchés financiers » rend les grandes entreprises cotées très dépendantes à leur égard. La
gestion doit plaire au marché et le cours de bourse devient un objectif de gestion. D’autant
plus que la rémunération des dirigeants se fait largement en stock-options. (cf. le livre
« Obscène » de Philippe Steiner sur les rémunérations les plus hautes, évoqué en cours plus
le dossier sur les inégalités)
C. Un capitalisme dérégulé
1) Les trente dernières années ont amené la crise d’un certain nombre de « modèles »
nationaux. Ce qui avait fonctionné ne fonctionne plus. La crise du fordisme à partir des
années 70 est aussi celle du capitalisme américain. Triomphant dans les années 70-80, le
modèle japonais combinant fort interventionnisme de l’Etat et flexibilité organisationnelle du
toyotisme est entré dans une crise profonde. Le social-colbertisme qui a accompagné en
France la période des trente glorieuses est remis en cause depuis les années 80 car le
consensus social permis par la période fordiste au cœur de l’économie sociale de marché est
fragilisé.
2) Cette crise des modèles s’explique par la poussée depuis les années 80 du modèle libéral.
Se sont succédé le démantèlement progressif des secteurs publics, les vagues de
privatisations, la dérèglementation (telle la loi bancaire de 1984 en France), l’abandon des
politiques structurelles et en partie des politiques conjoncturelles avec l’indépendance et le
changement de doctrine des banques centrales et enfin la remis en cause des systèmes de
protection sociale. La diversité des capitalismes décrit par B Amable pourrait peut être à
terme être remise en question .Puisque ce dont il s’agit aujourd’hui, c’est d’aller pus loin dans
l’adaptation des économies aux exigences de la mondialisation libérale. Comme le disait
Lionel Stoléru il y a quelques années « aujourd’hui, l’international commande, le national
suit »
Conclusion :
1) résumé des trois parties et des problématiques
2) Ouverture : réforme de la libéralisation financière évoquée dans le débat présidentiel en
France /
Réflexions théoriques sur les critiques contemporaines du capitalisme :
anthropologique, sociale, morale et écologique (cf. conclusion du chapitre 4)
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