L`irrigation entre dans l`ère

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zoom sur...
Gestion de l'eau
Titre - N°0 - Jeudi 2012
L'irrigation entre dans l'ère
«
Depuis 2000,
la réglementation
sur l'eau fait peser
plus de contraintes
sur l'agriculture.
Ceci explique
certainement
que les surfaces
irriguées aient cessé
de croître pour
se stabiliser autour
de 6 % de la SAU.
De nouvelles
stratégies
d'irrigation
voient le jour
accompagnées
par de nouvelles
techniques.
»
D
epuis 12 ans, l'expansion de l'irrigation s'est arrêtée. Du jamais
vu depuis l'essor de l'irrigation
dans les années 70. L'irrigation s'est
d'abord développée dans les régions
sèches du Sud la France, puis elle s'est
progressivement étendue sur l'ensemble du territoire et sur de nombreux
types de cultures. Alors qu'entre 1970
et 2000, les surfaces équipées pour l'irrigation sont passées de 760 000 ha à
2,6 millions ha, elles ont diminué de
12 % entre 2000 et 2010 d'après les chiffres du recensement agricole de 2010.
Aujourd'hui, 9 % de la SAU française est
équipée pour l'irrigation. Même si les
terres irrigables baissent, la part des surfaces irriguées est, quant à elle, restée
stable et représente 6 % de la SAU.
En 2010, un agriculteur sur 10 a eu recours à l'irrigation ce qui représente
74 000 exploitations et 1 575 000 ha irrigués.
Cette baisse des surfaces irrigables est
imputable à l'évolution du contexte réglementaire et à des choix économiques
fait par les agriculteurs dans une période marquée par la volatilité rendant
difficile les investissements sur le long
terme. Ainsi, la mise en place au niveau
européen de la directive cadre sur l'eau
en 2000, puis sa mise en oeuvre dans la
législation française par la loi sur l'eau
et les milieux aquatiques en 2006 a fortement modifié les contraintes pesant sur
l'irrigation. Avec la mise en place de restrictions des prélèvements d'eau l'été
par exemple, les agriculteurs ont été
poussés à repenser leur stratégie de culture et d'irrigation. Parallèlement, alors
que la Pac en 1992 encourageait les agriculteurs à se tourner vers les cultures
irriguées par des aides liées à la production, ce n'est plus le cas depuis 2006 et
le découplage des aides à la production.
De nouvelles stratégies
d'irrigation
Pour les agriculteurs ayant recours à
l'irrigation aujourd'hui, la nouvelle logique de répartition de l'eau entre les
usages les pousse vers une irrigation
plus rationnalisée.
L’irrigation est un choix stratégique de
l’agriculteur. Tout en maîtrisant ses coûts
de production, il doit évaluer le potentiel de la plus-value qualitative et quantitative d’une irrigation en anticipant sur
les diverses contraintes climatiques,
économiques, réglementaires susceptibles de lui être imposées. Il est ainsi
notable de constater que le maïs qui représente près de 50 % des surfaces irriguées en France a vu sa superficie irriguée reculer de 138 000 hectares entre
2000 et 2010. Cette baisse de 17 % en
dix ans s'explique d'abord par la baisse
de 8 % des surfaces de maïs cultivées
entre 2000 et 2010 notamment dans les
régions du Sud de la France où l'irrigation était plus fréquente.
Mais c'est aussi la conséquence des nouvelles contraintes qui poussent les agriculteurs à modifier leur assolement en
réduisant les cultures à irriguer en période estivale, là où la contrainte en eau
est la plus forte, pour aller vers des cultures de printemps ou d'hiver. C'est ainsi
qu'en dix ans, les surfaces irriguées en
blé ont été multipliées par un peu moins
de 7, passant de 30 000 ha en 2000 à 200
000 ha en 2010. Le blé représente aujourd'hui la deuxième culture irriguée
avec 13 % des surfaces irriguées contre
En une décennie, poussés par des réglementations plus contraignantes, les
agriculteurs ont modifié leur stratégie d'irrigation pour aller vers plus
d'économie et de rationalisation.
2 % en 2000. Le blé peut se satisfaire
d’une irrigation d’appoint permettant à
l’agriculteur de s’adapter plus aisément
à la disponibilité de la ressource en eau.
Dans une moindre mesure, on constate
également une hausse de l'irrigation sur
tournesol dont les surfaces irriguées
sont passées de 11 000 ha à 26 000 ha.
Vers une irrigation
de précision
Plusieurs techniques existent pour amener l’eau aux différentes parcelles à irriguer. La plus traditionnelle et la plus
dispendieuse en eau est l’irrigation par
gravité. Ce mode d'irrigation a fortement
reculé au cours des dernières décennies. Aujourd'hui, la technique la plus répandue est l'aspersion puisque 80 % des
agriculteurs irrigant la pratiquent. As-
sociés à des outils de pilotage de l'irrigation comme la télédétection, les sondes
tensiométriques, etc., l'irrigation gagne
en précision.
La technique demain pourrait bien être
le goutte-à-goutte ou micro-irrigation.
Ce système répond bien aux contraintes
qui pèsent sur l'agriculture : économiser la ressource et les intrants. Aujourd'hui, 5 % des surfaces irriguées
sont en goutte-à-goutte. D'après le RGA
2010, un irrigant sur quatre en est équipé
contre 3 % en 1979. Très présent en cultures spécialisées (maraîchage, horticulture, verger), le goutte-à-goutte demande cependant un investissement
financier plus lourd et du temps de maind'oeuvre conséquent, sauf dans le cas
du goutte-à-goutte enterré.■
Camille Peyrache
GOUTTE-À-GOUTTE / Sur grandes cultures, entre irrigation par aspersion et goutte-à-goutte, presque tous les paramètres sont
favorables au second. Mais en France, le goutte-à-goutte enterré est préféré au goutte-à-goutte déployé en surface. Question de
main d’œuvre, disent les irrigants.
“ L’avenir de l’irrigation est au goutte-à-goutte ”
L
e goutte-à-goutte est né en 1965
dans un kibboutz d’Israël. Depuis,
la technique n’a cessé de se développer et de s’améliorer. Aux ÉtatsUnis, depuis plus de vingt ans, les producteurs de grandes cultures ont adopté
la technique. Chez nous, en France, elle
s’adresse surtout aux productions maraîchères, horticoles, arboricoles. Faiblement à la viticulture, « alors que tous
les vignobles du monde y ont recours »,
rapporte Shavit Dahan, l’un des responsables en Israël de la société Nétafim,
leader mondial du goutte-à-goutte.
« L’installation du goutte-à-goutte déployé en surface est répandue sur culture
de melon mais a du mal à percer en
grandes cultures », explique Fabrice Montbarbon, le directeur commercial de Nétafim France. Une réticence qui tient selon lui « au coût de la main d’œuvre
nécessaire à l’installation puis au démontage du système entre deux cultures. »
Aussi, Nétafim mise sur le goutte-àgoutte enterré. Une fois enfouie à 30
centimètres sous terre, l’installation à
« une durée de vie de 15 ans », rapporte
sans exagérer Fabrice Montbarbon. En
effet, aux États-Unis, les premiers
goutte-à-goutte enterrés dans les sols
d’une université du Kansas l’ont été il y
a 22 ans. Ils sont encore aujourd’hui opérationnels. Seul frein au développement
de la technique : son coût. Compter environ 3 500 euros/ha pour le matériel et
entre 500 et 1000 euros/ha pour l'installation.
Un travail du sol
superficiel
La contrainte de la technique du goutteà-goutte enterré tient à la nature du sol
qui ne doit pas être trop filtrant et à la
nécessité d’adapter son travail à une
profondeur qui ne viendra pas endommager le réseau des tuyaux enterrés. Il
faut s’en tenir à un travail du sol superficiel ou adopter le semis direct, recommandent les ingénieurs de Nétafim. Pour
autant, les avantages du goutte-à-goutte
par rapport à l’irrigation par aspersion
sont nombreux. « C’est 15 % de rendement en plus. Sur une culture de maïs,
comptez une tonne de plus de production
à l’hectare qu’en irrigation classique. C’est
25 à 30 % d’économie d’eau. Plus de prise
au vent ni d’évaporation et c’est encore la
consommation de 2 à 3 fois moins d’énergie car 5 bars à la borne suffissent pour
faire fonctionner le dispositif du goutteà-goutte contre 14 bars en irrigation par
aspersion », précise Fabrice Montbarbon.
Et puis, une fois le réseau installé, c’est
la fin de la corvée des incessants changements de position des enrouleurs.
C’est enfin un meilleur contrôle des adventices et les agriculteurs qui ont adopté
le goutte-à-goutte se félicitent d’avoir
« des parcelles propres ».
Allier irrigation
et fertilisation
L’autre avantage du goutte-à-goutte,
c’est sa capacité à gérer une fertilisation ajustée. L’eau est distribuée au cœur
du profil racinaire ce qui permet au producteur d’entrer en contact direct avec
le réacteur de la plante. Pas de surdosage, pas de perte. « Le goutte-à-goutte,
c’est l’optimisation de l’apport à la plante
de ses besoins en eau et en nutriments »,
explique Fabrice Montbarbon. Les principes agronomiques se marient à la technique et la rotation des cultures sur les
parcelles équipées d’un goutte-à-goutte
enterré reste possible. Il suffira d’adapter les apports en eau et en fertilisants
aux besoins et au calendrier végétatif
de la culture en place.
Mais la technique du goutte-à-goutte
peut aussi intéresser les éleveurs. Né-
L’enfouissement du dispositif du goutte-à-goutte se réalise à 30 centimètres de
profondeur pour permettre un travail du sol normal.
tafim travaille à des solutions permettant d’épandre les eaux et les lisiers décantés issus d’élevages. L’époque est
aux économies de la ressource en eau,
à la diminution de la consommation
d’énergie, à la réduction de l’usage des
fertilisants et des produits phytosani-
taires. Le goutte-à-goutte, en raison de
sa sobriété et de sa précision chirurgicale peut, à lui seul, répondre à ces exigences. Et par dessus tous ces avantages, il fait progresser les rendements !
Qui dit mieux ? ■
Serge Berra
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Titre - N°0 - Jeudi 2012
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de la précision
Selon le RGA de 2010, en dix ans,
contrairement à une idée reçue
véhiculée par les adversaires de
l’irrigation, les surfaces irrigables
en France ont diminué de 12 % !
GOUTTE-À-GOUTTE ✓
Une solution aux
critiques de la société
L’irrigation gravitaire, la plus
ancienne des techniques est aussi
la plus dispendieuse en eau.
J
Après ces quelques mois, quel bilan tirez-vous ?
J-Y B. : « Nous avons constaté que l'économie d'eau
annoncée est facilement atteignable et que l'on doit
pouvoir faire plus. Le système permet de se soustraire au problème posé par le vent. Et puis, nous
avons constaté un faible salissement de la culture
certainement grâce au fait de ne pas amener d'eau
en surface. Il y a donc beaucoup moins de levées
d'adventices. » ■
ean-Paul Renoux, le Monsieur maïs
de l’AGPM, reconnaît l’intérêt du
goutte-à-goutte sur grandes cultures : « Plutôt dans sa configuration
enterrée pour éviter la lourde main d’œuvre que suppose un réseau de surface »
précise-t-il. Mais, selon lui, les gains
en économies d’eau comme en rendements restent chez nous à la limite de
l’intérêt économique pour amortir une
technique réputée « encore coûteuse ».
Pourtant, l’AGPM relance ses recherches sur le goutte-à-goutte pour
tester « de nouveaux matériels plus robustes, plus précis et plus fiables ».
L’AGPM travaille aussi avec les instituts de recherche espagnols où le
goutte-à-goutte est adapté aux conditions climatiques de la péninsule ibérique comme à la rareté de sa ressource en eau. « Une situation comparable à celle rencontrée dans le SudOuest », estime Jean-Paul Renoux. Car
ailleurs, dans le Sud-Est notamment,
l’eau venue de l’arc alpin est abondante
et les conditions climatiques sont encore tempérées... Mais l’AGPM veut se
forger un argumentaire, « car le goutteà-goutte est en vogue et les agriculteurs
nous interrogent beaucoup sur son intérêt et toutes les études sur l’usage de
l’eau en agriculture mettent en avant
l’irrigation de précision » explique-t’il.
En effet, l’attente de l’opinion publique
vis-à-vis de l’irrigation et les polémiques qui en découlent poussent les
irrigants à chercher des solutions alternatives à l’aspersion pourtant reconnue « souple, mobile, robuste et dotée d’un ratio eau utilisée sur rendement
parmi les meilleurs au monde », estime
Jean-Paul Renoux. Selon ce spécialiste du maïs, « le goutte-à-goutte répond aujourd’hui plus à cette exigence
sociétale qu’elle ne présente d’intérêt
économique sous nos climats tempérés.
D’autant plus que les techniques de l’irrigation classique, de type aspersion, ont
considérablement évolué et lorsque chez
nous on apporte 1800 à 2 000 mètres
cubes d’eau à l’hectare, l’Espagne en
consomme trois fois plus et l’Afrique cinq
fois plus ! ». Autre constat récemment
confirmé par le dernier recensement
agricole, la surface irriguée en France
entre 2 000 et 2010 est en recul de 12 %.
Un chiffre qui s’explique par une moindre sole en maïs et l’abandon de l’irrigation sur des terres que de trop faibles ressources en eau ne permettent
pas ou plus d’irriguer. On le voit, les adversaires de l’irrigation utilisent souvent des arguments de café du commerce pour s’opposer à l’utilisation de
l’eau en agriculture. Une pratique qui
pourtant a traversé les millénaires et
a largement contribué au développement des civilisations. ■
Propos recueillis par Camille Peyrache
S.B
NOUVEAUTÉ / Un des premiers systèmes de goutte-à-goutte enterré en grandes cultures de France a
été installé chez un céréalier de l'Est lyonnais. Jean-Yves Barge revient sur ce qui l'a poussé à
choisir ce mode d'irrigation.
“ Nous gagnons du temps au quotidien ”
Vous avez installé au printemps 2012 un système
d'irrigation en goutte-à-goutte enterré sur 4,5 ha
dans l'Est lyonnais. Pourquoi avoir fait le choix du
goutte-à-goutte enterré ?
Jean-Yves Barge :« Nous avions déjà utilisé le goutteà-goutte sur des cultures légumières de surface.
Nous connaissions la précision et les avantages en
termes de consommation d'eau. Le fabricant annonce 20 % d'économie d'eau par rapport à l'aspersion. En revanche, sur les grandes cultures, l'aspect enterré était intéressant pour ne pas avoir à
enlever les tuyaux chaque année ce qui est très
gourmand en temps et pour ne pas être gêné lorsque
nous travaillons dans la parcelle. Nous avons choisi
cette parcelle car elle était compliquée à irriguer
par aspersion du fait de sa forme triangulaire et de
la piste cyclable qui l'a longe.»
Quels calculs économiques avez-vous fait ?
J-Y B. : « En soi, l'économie d'eau offert par ce dispositif ne permet pas d'amortir la différence avec
un enrouleur. Mais nous espérons aussi faire des
économies d'intrants grâce à la nutrigation [NDLR :
les fertilisants sont mélangés à l'eau d'irrigation directement distribué à proximité du système racinaire]. Comme il n'y a pas grand monde qui a expérimenté ce système sur grandes cultures, nous
allons tâtonner pendant les premières années pour
faire les bons ajustements en intrants. Normalement, nous devrions économiser beaucoup de temps
par rapport à un système d'aspersion concernant
la mise en route et le suivi quotidien. Tout est au-
ser les remontées capillaires. Avec le goutte-àgoutte enterré, l'eau remonte dans le sol par capillarité d'où un besoin de garder un sol vivant et décompacté. Sur cette parcelle, nous sommes donc
passés en technique strip-till, sachant que toute
l'exploitation est déjà en non labour depuis plusieurs années. Autre contrainte, il faut faire très attention lors de la récolte à ne pas compacter les
sols d'où l'utilisation de pneus basse pression sur
la moissonneuse et l'absence de remorque dans la
parcelle. »
Jean-Yves Barge, agriculteur à Genas (69), a fait
le choix du goutte-à-goutte enterré sur 4,5 ha.
tomatisable et pilotable à distance, même si aujourd'hui nous n'avons pas fait ce choix car nous
avons besoin d'observer comment ça se passe. Cependant, ce genre d'installation est généralisable
uniquement si nous sommes aidés financièrement
par l'agence de l'eau par exemple.»
Travaillez-vous différemment sur cette parcelle ? Quelles sont les contraintes ?
J-Y B. : « Seul le travail superficiel du sol est possible afin de ne pas accrocher les tuyaux situés entre 30 et 40 cm de profondeur et pour ne pas cas-
C'est aussi un moyen d'irriguer sans être montré du doigt, non ?
J-Y B. : « Nous sommes en zone périurbaine donc
nous sommes toujours sous le regard d'autrui. Dans
la tête de beaucoup de gens, l'irrigation par aspersion rime avec eau gaspillée alors que personne ne
reproche à un horticulteur ou un maraîcher d'irriguer. Le fait d'irriguer sans être vu est un plus pour
la tranquillité et l'image que nous renvoyons.»
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