TRIBUNALDE GRANDE INSTANCEDEPARIS JUGEMENT rendu le

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TRIBUNAL
D E GRANDE
INSTANCE
DE PARIS1

9ème chambre
1ère section
N° RG : 10/03746
N° MINUTE :
JUGEMENT
rendu le 28 Janvier 2014
Assignation du :
24 Février 2010
DEMANDERESSE
E.P.C.I LILLE MÉTROPOLE COMMUNAUTÉ URBAINE
(LMCU)
1 rue du Ballon
BP n°749
59034 LILLE CEDEX
représentée par Maître Audrey PAROT, avocat au barreau de PARIS,
vestiaire #E0690
DÉFENDERESSE
THE ROYAL BANK OF SCOTLAND PLC (RBS)
ayant son siège social : 36 St Andrew Square
EDIMBOURG
ROYAUME UNI EH2 2YB
ayant sa succursale : 94 boulevard Haussmann
75008 PARIS
représentée par Maître Jean-Etienne GIAMARCHI, avocat au barreau
de PARIS, vestiaire #D0805, assisté de Maître Jean-Pierre
GRANDJEAN membre de CLIFFORD CHANCE EUROPE LLP,
avocats au barreau de PARIS, #K0112, et de Maître Fabrice ARMAND
membre de la DLA PIPER UK LLP (UK), avocats au barreau de
PARIS R235
Expéditions
exécutoires
délivrées le :
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Décision du 28 Janvier 2014
9ème chambre 1ère section
N° RG : 10/03746
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Bénédicte FARTHOUAT-DANON, Premier Vice Président adjoint
Vincent BRAUD, Vice-Président
Catherine RAYNOUARD, Juge
assistés de Séria BEN ZINA, Greffier,
DÉBATS
A l’audience collégiale du 03 décembre 2013 tenue en audience
publique, avis a été donné aux Conseils des parties que le jugement
serait rendu par mise à disposition au greffe le 28 janvier 2014.
JUGEMENT
Rendu publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort
EXPOSÉ DU LITIGE :
Lille Métropole Communauté Urbaine a conclu :
- le 28 avril 1995 un contrat de prêt n°96401 de
400 000 000 francs auprès notamment de l’établissement Depfa Bank
et du Comptoir des entrepreneurs, moyennant un taux d’intérêt
annuel égal au TIOP franc (Pibor francs) majoré de 0,22%, avec option
de modification de taux, afin de financer le métro devant rallier Lille à
Roubaix Tourcoing,
- le 10 janvier 2001 un contrat de prêt n° 22401 “Euro
Swissy”auprès de l’établissement bancaire Dexia pour un montant de
183 111 918,65 euros moyennant un taux d’intérêt annuel de
6,04 % ; ce prêt était destiné à refinancer les capitaux restant dus au
titre d’un certain nombre de prêts ; il présentait la particularité qu’il
pouvait se transformer au 1er février 2009 en emprunt en francs suisses,
avec très forte majoration du capital à rembourser, si, à la date du 1er
décembre 2008, le cours de change de l’euro en francs suisses était
inférieur à 1,5152 francs suisses pour 1 euro,
- le 12 décembre 2002 un prêt n° 23013 de 32 000 000 euros
auprès de l’établissement bancaire Crédit Agricole du Nord moyennant
un taux d’intérêt annuel égal à Euribor 3 mois + 0,075%.
Désirant couvrir les risques de taux sur ces emprunts, Lille
Métropole Communauté Urbaine (LMCU) a conclu avec la société
Royal Bank of Scotland (la société RBS) entre les mois de juin et
septembre 2007 trois contrats d’échange de taux (swaps) :
1) S’agissant de l’emprunt 22401 du 10 janvier 2001, qui avait
déjà fait l’objet depuis sa conclusion de 6 swaps, avec différents
établissements financiers, une opération de restructuration d’un
précédent swap existant déjà entre les parties a été conclue en juillet
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N° RG : 10/03746
2007 , selon la séquence suivante : ordre ferme de LMCU du 12 juillet
2007, pré confirmation du 13 juillet 2007, confirmation n° 10466998
du 9 août 2007.
Dans le cadre de cet échange :
- RBS paie à LMCU un taux fixe de 6,04 % x N/365, N étant
le nombre de jours où le taux de change EUR/CHF est supérieur ou égal
à 1,4725 et où le taux Euribor 3 mois est inférieur ou égal à 5,50 %,
- LMCU paie pour sa part le taux variable suivant :
. pour la moitié du nominal, Euribor 12 mois – 0,30 % – 3 x
(CMS 20 ans EUR – CMS 1 an EUR – 1 %) ; il s’agit donc d’un taux
fonction du différentiel entre le CMS (Constant Maturity Swap) 20 ans
et le CMS 1 an,
. pour l’autre moitié du nominal, du 1er février 2009 au 1er
février 2011 : 3,5 % et du 1er février 2011 au 1er février 2022:
3,50 % + 100% x (1,0795 / (USD/CHF) -1) ; il s’agit donc pour cette
deuxième partie d’une indexation sur le cours du dollar en francs
suisses.
Cette indexation est par ailleurs supprimée si le cours atteint
1,2550.
2) En ce qui concerne le prêt Crédit Agricole du Nord n°23013,
a été conclu un contrat d’échange de taux selon la séquence suivante :
ordre ferme du 15 juin 2007, pré confirmation du 15 juin 2007,
confirmation n°3589553 du 20 juillet 2007.
Dans le cadre de cet échange:
- RBS paie à LMCU le taux variable suivant: Euribor 3 mois
préfixé,
- LMCU paie à RBS :
du 15 juin 2007 au 15 décembre 2008 , un taux fixe de 1,87 %,
du 15 décembre 2008 au 15 décembre 2022, un taux de 1,99%
tant que le différentiel (EUR/USD – EUR/CHF) est inférieur à 0,
sinon, un taux de 1,99 % + 100% x (EUR/USD – EUR /
CHF) .
Il est de plus prévu que, si le différentiel (EUR/USD –
EUR/CHF) est inférieur ou égal à -0,325 l’indexation disparaît et le
taux est de 1,99% jusqu’au terme du contrat.
3) Concernant le prêt Depfa Bank n°96401, a été conclu un
contrat d’échange de taux n°18483608 selon la séquence suivante:
demande de mise en place du 13 septembre 2007, pré confirmation du
14 septembre 2007, confirmation du 31 octobre 2007.
Dans le cadre de cet échange :
- RBS paie à LMCU le taux variable Euribor 12 mois + 0,05%,
- LMCU paie à RBS, du 28 février 2007 au 28 février 2008,
3,20%, puis, du 28 février 2008 au 28 février 2015, un taux variable
égal à 5,90%-5(inflation européenne moins inflation française), avec
un taux minimum de 0% et un taux maximum de 8%.
Le 27 novembre 2007, une nouvelle convention cadre, destinée
à régir l’ensemble des transactions conclues entre elles, a été signée
entre LMCU et la société RBS. Elle a vocation à s’appliquer aux
contrats en cours.
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LMCU a souhaité après la crise financière de l’automne 2008
réduire son exposition au risque et des négociations ont eu lieu entre les
parties, qui ont permis le réaménagement de certains contrats, mais pas
celui des trois swaps litigieux, dont les valorisations étaient très
négatives à l’automne 2009, et les soultes à payer pour les résilier
importantes.
C’est dans ces conditions que LMCU a, par acte d’huissier de
justice du 25 février 2010, assigné la société RBS devant ce tribunal
afin d’obtenir, à titre principal, l’annulation des contrats de swaps, à
titre subsidiaire, leur résiliation judiciaire, et en tout état de cause,
l’allocation de dommages-intérêts.
LMCU demande au tribunal dans ses dernières conclusions
notifiées par voie électronique le 23 septembre 2013 de :
- constater que l’établissement RBS a manqué à ses obligations
d’information, de conseil et de mise en garde lors de la conclusion des
contrats de swap n°10466998, n°3589553 et n°18483608,
- constater que ces manquements sont constitutifs d’un dol
ayant vicié son consentement,
- constater, à tout le moins, que ces manquements ont provoqué
une erreur ayant vicié son consentement,
- constater que les contrats de swap n°10466998, n°3589553 et
n°18483608 sont des opérations spéculatives contraires aux
prescriptions de la circulaire du 15 septembre 1992,
- constater que ni l’établissement public LMCU ni ses
représentants n’avaient la capacité ni le pouvoir de conclure ces contrats
de swap,
- constater que ces contrats contreviennent à des lois qui
intéressent l’ordre public,
- constater qu’ils présentent une cause et un objet illicite,
- constater que l’établissement bancaire RBS a conclu et
exécuté de mauvaise foi les contrats de swap,
- constater qu’il a mis en oeuvre des pratiques commerciales
trompeuses,
En conséquence,
A titre principal :
- prononcer l’annulation des trois contrats suivants :
. contrat d’échange de taux en date du 09 août 2007
n°10466998,
. contrat d’échange de taux en date du 20 juillet 2007
n°3589553,
. contrat d’échange de taux en date du 31 octobre 2007
n°18483608,
aucune restitution ne devant être ordonnée dans la mesure où les
flux effectivement échangés représentent une somme totale égale à zéro
euro,
A titre subsidiaire :
- prononcer la résolution de ces trois contrats,
aucune restitution ne devant être ordonnée dans la mesure où les
flux effectivement échangés représentent une somme totale égale à zéro
euro,
En tout état de cause :
- nommer tel expert qu’il plaira au tribunal à l’effet de
déterminer la valeur de remplacement à la date du jugement à
intervenir,
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- ramener à 1 euro la valeur de remplacement ainsi déterminée,
cette valeur étant instituée en application d’une clause pénale dont les
conditions sont manifestement excessives,
- condamner l’établissement bancaire RBS à lui verser, à titre
de dommages-intérêts, la somme correspondant à la valeur de
remplacement calculée à dire d’expert à la date du jugement à
intervenir, après diminution par le tribunal,
- débouter l’établissement bancaire RBS de l’ensemble de ses
demandes,
- ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir,
-condamner le défendeur à lui verser la somme de
180.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code
de procédure civile,
- condamner le défendeur aux entiers dépens.
LMCU soutient en substance que :
- les contrats en cause ne sont pas des opérations de couverture ;
en effet, pour prétendre à cette qualification, les contrats d’échange de
taux doivent minorer l’exposition au risque de taux, ce que ne font pas
les contrats litigieux : le taux reçu en exécution du swap ne correspond
pas au taux payé en exécution du contrat sous-jacent, et le taux payé en
exécution du swap expose à des risques, notamment de change, ne
préexistant pas au contrat, et dépourvus de corrélation économique avec
les taux des sous-jacents, de manière illimitée pour deux d’entre eux;
les cinq critères cumulatifs d’une opération de couverture, au sens de
la circulaire du 15 septembre 1992, ne sont pas réunis,
- ces contrats sont des opérations spéculatives ; le risque de taux
auquel LMCU était exposé s’est trouvé amplifié, et est indexé sur des
indices étrangers à la gestion des affaires de la communauté urbaine,
LMCU ayant parié que les taux ne franchiraient pas les barrières
indiquées dans les contrats, et ayant été conduite à vendre des options
à la banque ; les indices juridiques de la spéculation, se retrouvent
également dans le fait que la structure des taux était particulièrement
complexe, ne permettait pas de connaître la charge maximale d’intérêts
à supporter, et que les taux des swaps 1 et 2 n’étaient pas capés, cette
analyse étant confortée par les termes des circulaires des 15 septembre
1992 et 25 juin 2010, par le rapport de la chambre régionale des
comptes et le rapport de la Cour des comptes de juillet 2011 ; la
qualification donnée par la banque ne lie pas le juge,
- les moyens financiers et humains des deux parties n’étaient
pas égaux ; au sein de LMCU, les services dédiés à la gestion de la dette
comptaient seulement deux agents de catégorie A, qui avaient en outre
d’autres fonctions ; ils recouraient au soutien logistique du cabinet
Finance Active, qui leur fournissait seulement une plate forme
numérique de gestion de la dette ; ils ne disposaient pas des logiciels et
bases de données, ni des connaissances financières nécessaires pour
appréhender les risques encourus.
Elle en déduit,
- à titre principal, que les contrats doivent être annulés :
<pour dol, la banque lui ayant menti en lui certifiant que les
produits proposés constituaient des opérations de couverture entrant
dans les prévisions de la circulaire de 1992, lui ayant menti sur l’effort
financier à sa charge, prétendant que les contrats seraient à coût nul, et
sur les conditions juridiques de la négociation, en substituant à la
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convention cadre ISDA de 2001, rédigée en anglais et donc inopposable
à la communauté une nouvelle convention cadre en français ;
< pour erreur sur les caractéristiques essentielles des contrats,
qu’elle pensait de couverture, et sur les conditions de la négociation,
dont elle pensait qu’elle se faisait à coût nul ; l’aléa constituant la cause
objective des contrats, l’erreur sur l’aléa doit entraîner l’annulation sur
le double fondement de l’erreur et de l’absence de cause,
< en raison de la violation de l’article L 5215-18 du code
général des collectivités territoriales et de l’absence de capacité de
LMCU pour conclure de tels contrats ; les swaps ont été conclus en
violation du principe de spécialité, qui n’autorisait pas une activité pour
compte propre de spéculation ; ils procurent à LMCU des ressources,
les instruments financiers à terme, non autorisées par la loi ; le conseil
de communauté n’avait autorisé la conclusion des contrats qu’à
condition qu’il s’agisse d’instruments de couverture conformes à la
circulaire du 15 septembre 1992, ce qui n’est pas le cas ; cette
contrariété n’a pas été comprise par les agents de LMCU ;
< les contrats présentent une cause et un objet illicite et
contreviennent à l’article 6 du code civil, leur objet consistant à
spéculer sur les marchés dérivés de taux et de change.
- à titre subsidiaire, que la résolution des contrats doit être
prononcée :
< la banque a manqué aux obligations d’information, de conseil
et de mise en garde qui lui incombaient, et a violé les dispositions des
articles 1147 du code civil et L 533-4 du code monétaire et financier :
la banque s’est de facto positionnée comme conseil de LMCU, elle était
de plus tenue d’un devoir de mise en garde, les opérations étant
spéculatives et LMCU n’étant pas un opérateur averti ; s’agissant de
l’information, la valorisation de chacune des propositions n’a
notamment pas été communiquée ; par ailleurs, pour le swap n° 1, les
“forwards sur le change USD/CHF n’ont pas été communiqués” ; en
outre, aucune soulte apparente n’a été versée, de sorte que la charge
financière des contrats a échappé aux agents de LMCU,
. les clauses d’exonération et d’information figurant aux
contrats sont inopérantes, dès lors qu’elles visent à affranchir la banque
de ses obligations substantielles, elles sont inopposables, mais révèlent
les manoeuvres déployées par la banque,
<la banque a fait preuve de mauvaise foi dans la conclusion et
l’exécution des contrats,
. elle a trompé LMCU sur la nature des contrats,
. elle a dupé LMCU en lui faisant conclure la convention cadre
du 27 novembre 2007,
. elle a réalisé une activité de contrepartie lors de la conclusion
des swaps, elle a fourni à la fois un service de négociation pour compte
propre et un service d’exécution pour compte de tiers, il existait une
situation de conflit d’intérêts entre LMCU et la banque, qui aurait dû
mettre en place des mesures de gestion du problème, et a minima,
révéler la valorisation des swaps, et la relation de cause à effet entre
cette valorisation et le montant des marges susceptibles d’être réalisées,
qui ont été cachées,
.elle a fait preuve de mauvaise foi dans les négociations de
réaménagements,
ces éléments justifiant la résolution des contrats,
- que, en manquant à ses obligations contractuelles, aux règles
de bonne conduite découlant de l’article L 533-4 du code monétaire et
financier, et en déployant des pratiques commerciales trompeuses, la
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banque a engagé sa responsabilité et fait perdre à la communauté une
chance d’éviter la conclusion des contrats litigieux, ou, à tout le moins,
de les négocier dans d’autres termes, cette perte de chance devant être
évaluée à la valeur de remplacement, laquelle devra être fixée à dire
d’expert ; ces valeurs constituent en tout état de cause une clause pénale
que le juge peut modifier.
La société RBS demande au tribunal dans ses dernières
conclusions signifiées le 30 octobre 2013 de :
- dire et juger que LMCU n'a été victime d'aucune erreur sur un
élément déterminant de son consentement lors de la conclusion des trois
opérations querellées,
- dire et juger que, si elle avait néanmoins commis une erreur,
une telle erreur serait inexcusable au regard des compétences
techniques de ses agents,
- débouter par conséquent LMCU de sa demande d'annulation
des trois opérations sur le fondement de l'erreur,
- dire et juger qu’elle n'a commis aucun dol et débouter par
conséquent LMCU de sa demande d'annulation des trois opérations sur
le fondement du dol,
- débouter LMCU de la demande visant à annuler les opérations
sur le fondement des règles encadrant la capacité et le pouvoir des
communautés urbaines, et à titre subsidiaire, saisir les juridictions de
l'ordre administratif de la question de la validité de la décision de
LMCU de conclure ces opérations ainsi que de celle de la validité de la
délibération du Conseil de Communauté de LMCU du 17 novembre
2006 qui autorise leur conclusion, et surseoir à statuer dans l'attente de
la décision des juridictions de l'ordre administratif,
- dire et juger qu’elle n'était pas le conseil de LMCU et ne
saurait donc se voir reprocher de quelconques manquements à une
obligation de conseil à son égard,
- dire et juger que LMCU est un opérateur averti de sorte
qu’elle n'avait aucune obligation de mise en garde spécifique à son
égard,
- dire et juger qu'elle ne peut se voir reprocher de manquement
à son obligation d'information,
- dire et juger qu’elle n'a manqué à aucune de ses obligations,
et débouter LMCU de l'ensemble de ses demandes fondées sur de
prétendus manquements à ses obligations de conseil, d'information ou
de mise en garde,
- débouter LMCU de sa demande d’annulation sur le fondement
de l’illicéité de la cause et de l’objet,
- débouter LMCU de sa demande de dommages-intérêts pour
pratiques commerciales trompeuses,
- débouter LMCU de sa demande de réduction de la valeur de
remplacement des swaps,
- à titre subsidiaire, dire et juger qu'un manquement à des
obligations de conseil, d'information ou de mise en garde engage la
responsabilité civile de son auteur et débouter LMCU de sa demande
de résolution des trois opérations,
- dire et juger que le préjudice dont LMCU fait état est
inexistant,
- débouter LMCU de l'ensemble de ses demandes,
- condamner LMCU à respecter les termes des trois opérations,
- condamner en conséquence LMCU à lui payer la somme de
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21 863 877,58 euros correspondant au montant des échéances
impayées, avec intérêts de retard au taux prévu par la convention cadre
FBF,
- ordonner l’exécution provisoire de cette condamnation,
- lui donner acte de ce qu'elle se réserve de demander réparation
de l’action abusivement introduite à son encontre,
- condamner LMCU à lui verser la somme de 150.000 euros au
titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner LMCU aux entiers dépens dont distraction au
profit de Maître Jean-Etienne Giamarchi, conformément aux
dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
La société RBS fait valoir essentiellement que :
- LMCU a mis en place sa première opération de swap dès 1991
et avait, au 1er janvier 2007, 48 opérations de couverture contractées
auprès de 13 salles de marché, représentant un montant notionnel de
882 millions d’euros, soit 58% du montant de sa dette ; elle consacre
d’importants moyens à ces opérations qui sont pilotées par une
direction composée d’experts placés sous l’autorité d’élus compétents,
travaillant en étroit partenariat avec la société de conseil Finance
Active,
- la demande d’annulation fondée sur l’erreur doit être rejetée :
<en droit, l’aléa chasse l’erreur,
<en fait, LMCU avait parfaitement compris la nature aléatoire
par nature des swaps souscrits et les risques en résultant,
< la notion de couverture, telle qu’employée dans la circulaire
du 15 septembre 1992, ne renvoie pas à l’absence d’aléa, mais à
l’existence d’une opération sous jacente, ce qui est bien le cas des
contrats en cause, qui sont adossés à des emprunts particuliers,
dissociés de ces emprunts, et qui génèrent des mouvements financiers
représentant des différentiels d’intérêts ; ils ont été conclus dans le
cadre de la politique de gestion active du risque de taux mis en oeuvre
pendant plusieurs années par LMCU, qui a confirmé que ces opérations
constituaient des opérations de couverture ; la fourniture de la
valorisation des contrats n’a jamais été sollicitée,
<LMCU savait que la banque percevait une rémunération dont
le montant n’était nullement déterminant de son consentement ; LMCU
savait également que les swaps conclus dans le cadre d’une
restructuration d’opérations antérieures intégraient des soultes,
<LMCU invoque en réalité une erreur sur la valeur,
<si elle avait été victime d’une erreur sur les qualités
essentielles des swaps querellés, cette erreur serait inexcusable, les
risques inhérents aux swaps étant connus de tous les acteurs locaux, et
LMCU étant un acteur expérimenté et averti,
- elle n’a à aucun moment trompé la demanderesse sur la nature
des swaps en cause, et la demande d’annulation pour dol doit être
rejetée,
- la circulaire de 1992, dépourvue de valeur normative, ne peut
fonder l’annulation d’un contrat ; les swaps sont bien des swaps de
taux, autorisés par les délibérations, ils ne contreviennent pas au
principe de spécialité posé par l’article L5215-19 du CGCT, ni à
l’intérêt public local,
-à supposer que la décision de conclure les swaps soit illégale,
une telle illégalité serait inopposable à RBS, eu égard à l’exigence de
loyauté des relations contractuelles et de l’exécution du contrat pendant
plusieurs années, en application de la jurisprudence du Conseil d’Etat,
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- les demandes fondées sur un manquement à un devoir de
conseil, d’information ou de mise en garde doivent être rejetées :
<elle n’a pas agi en tant que conseil mais s’est toujours
présentée comme un négociateur pour compte propre, contrepartiste de
chacun des swaps querellés ; elle n’a pas fourni de service d’exécution
d’ordre pour compte de tiers ; elle était en tout état de cause tenue d’un
devoir de non immixtion,
<elle a rempli son devoir d’information ; le seul élément dont
la collectivité n’a pas été informée est la valorisation des contrats
litigieux, élément qui n’avait en réalité pas d’importance,
<elle n’était tenue à aucune obligation de mise en garde
renforcée, LMCU a été parfaitement informée des avantages et des
inconvénients de chaque opération, des aléas, et des risques encourus,
- le résultat financier ne sera connu qu’à l’échéance, de sorte
que LMCU n’a subi aucun préjudice ; en tout état de cause, la
résiliation des contrats d’échange de taux, si elle était prononcée,
n’entraînerait pas celle de la convention cadre ; la valeur de
remplacement ne constitue pas une clause pénale.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est
expressément référé aux conclusions susvisées pour l'exposé détaillé
des moyens des parties.
MOTIFS :
I SUR
CONTRATS
LA
DEMANDE
D’ANNULATION
DES
1) Sur la demande d’annulation pour dol et erreur :
Aux termes de l’article 1116 du code civil, le dol est une cause
de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par une
partie sont telles qu’il est évident que, sans ces manoeuvres, l’autre
n’aurait pas contracté. Il ne se présume pas, et doit être prouvé. Il ne
peut être retenu que si les manoeuvres ont provoqué une erreur
déterminante du consentement.
Selon l’article 1110 du code civil, l’erreur n’est une cause de
nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même
de la chose qui en est l’objet.
Il convient donc de rechercher si le consentement de LMCU a
été vicié par une erreur en ce qui concerne la conformité des contrats à
la circulaire du 15 septembre 1992, l’effort financier à sa charge, et les
conditions juridiques de la négociation, étant précisé qu’un
manquement à une obligation d’information ou de conseil ne suffit pas
à caractériser l’erreur ou le dol.
1- Sur le dol et l’erreur à raison de la non conformité des
contrats à la circulaire de 1992 :
- Sur le swap n° 1 :
Dans le cadre de cet échange :
- RBS paie à LMCU un taux fixe de 6,04 % x N/365, N étant
le nombre de jours où le taux de change EUR/CHF est supérieur ou égal
à 1,4725 et où le taux Euribor 3 mois est inférieur ou égal à 5,50 %,
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- LMCU paie le taux variable suivant :
. pour la moitié du nominal, Euribor 12 mois – 0,30 % – 3 x
(CMS 20 ans EUR – CMS 1 an EUR – 1 %),
. pour l’autre moitié du nominal, du 1er février 2009 au 1er
février 2011: 3,5 % et du 1er février 2011 au 1er février 2022: 3,50 %
+ 100% x (1,0795 / (USD/CHF) -1).
Ce contrat d’échange de taux a été précédé de la communication
d’un document intitulé “proposition commerciale”, élaboré en mai
2007, dans lequel la banque rappelle la position du swap existant déjà,
et fait ensuite 3 propositions. La proposition n° 2 est identique dans sa
structure au contrat qui sera finalement conclu. Il est indiqué, dans une
partie intitulée “avantages et inconvénients”, que l’exposition sur le
risque euro francs suisse est maintenue ; que sur la première moitié du
nominal (indexée sur la pente des taux), la formule est couverte par un
swap externe avec Calyon ; que la structure à payer est donc
conditionnée au “fixing du USD/CHF” ; que le taux payé n’est pas
protégé à la hausse. Une simulation du taux à payer en fonction de
l’évolution de la parité dollar franc suisse est jointe. Elle fait apparaître,
sous forme de graphique et de tableau, le taux à payer selon l’évolution
des cours. Cette simulation montre que le taux à payer peut atteindre
28,71%.
L’ordre ferme du 12 juillet 2007 reprend, au titre des
inconvénients, l’indication selon laquelle le taux n’est pas protégé à la
hausse, et précise que les coûts de retournement peuvent être
importants ; il comporte à nouveau une simulation du taux, en fonction
du cours du dollar en francs suisse, qui montre que le taux peut
atteindre 24,36%.
La préconfirmation du 13 juillet 2007 fixe les termes de
l’échange de taux.
Il résulte de ces éléments que LMCU savait qu’elle souscrivait
un produit dans lequel :
- le taux reçu dépendait de la parité euro franc suisse, avec le
risque, apparaissant à la seule lecture de la formule, de ne rien recevoir,
notamment si l’euro se dépréciait fortement par rapport au franc suisse,
- le taux payé dépendait, pour la moitié du nominal, du cours du
dollar en francs suisses: il était inférieur ou égal à 3,50% tant que ce
cours se maintenait à un certain niveau ; il augmentait si la barrière était
franchie, sans limitation à la hausse, les simulations faisant apparaître
que le taux payé pouvait être proche de 25%.
Elle était donc informée de l’existence d’un aléa, lequel est
exclusif de l’erreur, et du risque encouru de payer un taux sans limite
à la hausse.
Sachant par ailleurs que le taux du contrat principal était de
6,04%, elle disposait des éléments lui permettant d’apprécier si les
conditions fixées par la circulaire du 15 septembre 1992, dont elle
connaissait les termes, étaient remplies, et ce quelles que soient les
déclarations faites par son cocontractant quant à la conformité des
propositions à ladite circulaire.
- Sur le swap n° 2 :
Dans le cadre de cet échange:
- RBS paie à LMCU le taux Euribor 3 mois préfixé,
- LMCU paie à RBS :
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Décision du 28 Janvier 2014
9ème chambre 1ère section
N° RG : 10/03746
du 15 juin 2007 au 15 décembre 2008 , un taux fixe de 1,87 %,
du 15 décembre 2008 au 15 décembre 2022, un taux de 1,99%
tant que le différentiel (EUR/USD – EUR/CHF) est inférieur à 0,
sinon, un taux de 1,99 % + 100% x (EUR/USD – EUR / CHF).
Il est de plus prévu que, si le différentiel EUR/USD –
EUR/CHF est inférieur ou égal à -0,325 l’indexation change disparaît
et le taux est de 1,99% jusqu’au terme du contrat.
L’ordre ferme du 15 juin 2007 présente les avantages et les
inconvénients du contrat. Il est rappelé, au titre des inconvénients, qu’il
s’agit d’une indexation “sur le différentiel entre l’EUR/USD et
l’EUR/CHF”, que l’opération peut potentiellement surexposer la
communauté si on assiste à une inversion de l’écart entre ces parités,
que la collectivité peut être amenée à subir 100% de l’évolution de
l’écart entre ces parités, si le différentiel est supérieur à 0, et que le taux
à payer n’est pas protégé à la hausse. Est joint un graphique montrant
l’évolution historique des cours de l’euro en dollar américain et de
l’euro en franc suisse, leurs cours à terme, et une simulation des taux à
payer selon différentes hypothèses, simulation montrant que le taux
peut progresser rapidement ; il passe ainsi à 10,49% si l’écart est de
0,085, et peut atteindre 18,49%.
La pré-confirmation du 16 juin 2007 fixe les termes de
l’échange.
Il résulte de ces éléments que LMCU savait qu’elle souscrivait
un produit dans lequel :
- le taux payé était de 1,99% tant que la différence entre les
cours de l’euro en dollar américain et de l’euro en franc suisse était
négative,
- il était indexé sur cette différence si elle devenait positive,
sans limitation à la hausse, les simulations faisaient apparaître qu’il
pouvait atteindre 18%.
Elle était donc informée de l’existence d’un aléa, lequel est
exclusif de l’erreur, et du risque encouru de payer un taux sans
limitation à la hausse.
Sachant par ailleurs que le taux du contrat principal était égal
à Euribor 3 mois + 0,075%, elle disposait des éléments lui permettant
d’apprécier si les conditions fixées par la circulaire du 15 septembre
1992, dont elle connaissait les termes, étaient réunies.
- Sur le swap n° 3 :
Le taux payé par LMCU est de 3,20% pendant un an, puis est
ensuite égal à 5,90% - 5 (inflation européenne - inflation française),
avec un taux maximum de 8%.
Un document présentant des dossiers historiques sur ces
différentiels d’inflation et des analyses économiques avait été adressé
à LMCU en juin 2007.
LMCU était donc informée de l’existence d’un aléa, lequel est
exclusif de l’erreur, et informée du risque encouru.
LMCU, qui savait que le taux du contrat principal était Euribor
3 mois + 0,05%, tandis que le taux qu’elle payait dans le cadre du swap
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Décision du 28 Janvier 2014
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était fonction du différentiel entre l’inflation française et l’inflation
européenne, disposait des éléments lui permettant d’apprécier si les
conditions fixées par la circulaire du 15 septembre 1992, dont elle
connaissait les termes, étaient réunies.
LMCU n’établit donc pas avoir été trompée par son
cocontractant, ni avoir commis une erreur déterminante sur la substance
des contrats d’échange de taux.
2- Sur le dol et l’erreur à raison des conditions financières de la
négociation :
S’agissant du coût des swaps, il ne résulte pas des pièces
produites que la société RBS aurait indiqué, pour les 3 contrats
litigieux, préalablement à leur conclusion, que les contrats seraient
conclus à coût nul, le document produit à cet égard étant une
proposition de 2002, ne concernant pas les contrats d’échange objets
du litige.
RBS a en revanche reconnu dans un courriel du 2 décembre
2011 qu’il n’y avait pas “de coûts de transaction lors de la conclusion
des swaps”, ce qui ne signifie pas qu’elle ne percevait pas de
rémunération, sous forme de marge.
L’existence d’une erreur ou d’un dol, n’est, sur ce point, pas
établie.
3- Sur le dol et l’erreur à raison des conditions juridiques de la
négociation :
Les confirmations du 9 août 2007, du 20 juillet 2007 et du 31
octobre 2007 mentionnent que les transactions sont soumises aux
stipulations de la convention relative aux opérations sur instruments
financiers à terme telle que publiée par la Fédération bancaire française
en août/septembre 2001, qui sera signée par les parties au plus tard le
15 septembre 2007. RBS a fait parvenir cette convention à LMCU le
31 juillet 2007, et les termes en ont été discutés par les parties, qui ont
souhaité que certains points soient précisés, compte tenu des pratiques
passées, ainsi que le montre l’échange de courriels versés aux débats.
Le fait que cette convention soit venue remplacer une
précédente convention conclue en langue anglaise ne constitue pas une
manoeuvre dolosive.
LMCU ne rapporte donc la preuve ni d’un dol, ni d’une erreur
déterminante de son consentement, et la demande d’annulation des
contrats sur ces fondements sera rejetée.
2) Sur la demande d’annulation pour violation de l’article
L 5215-19 du code général des collectivités territoriales et défaut de
capacité de LMCU :
1- Sur la violation du principe de spécialité :
Aux termes de l’article L 5215-19 du code général des
collectivités territoriales, le conseil de la communauté urbaine règle par
ses délibérations les affaires qui sont de la compétence de la
communauté urbaine.
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Décision du 28 Janvier 2014
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Il n’est pas contesté par LMCU que le financement des missions
de service public dont elle a la charge participe de sa mission, et que la
conclusion de contrats d’échange de taux, afin de couvrir les risques des
emprunts existants, répond à des motifs d’intérêt général.
En l’espèce la conclusion des contrats d’échange de taux
critiqués ne s’inscrit pas, comme le soutient la Communauté, dans le
cadre “d’une activité pour compte propre de spéculation sur instruments
dérivés de taux et de change”, mais dans le cadre d’une politique de
gestion active de la dette de la collectivité, visant à prévenir les
évolutions de taux qui lui seraient défavorables, afin de limiter la charge
financière qu’elle supporte. Cette politique de gestion active a été
revendiquée par M. Dominique Baert, premier vice-président chargé des
finances, qui a souligné dans un rapport au Conseil de communautés du
2 octobre 2009 que “l’optimisation de la gestion de la dette a été durant
toutes ces années un objectif pour Lille Métropole”, qu’elle avait suscité
des réaménagements de prêt et la mise en place d’instruments financiers
comme les swaps, ce qui avait permis de minimiser les frais financiers,
que le taux d’intérêt moyen après swap était de 4,03% fin 2007, 3,63%
fin 2008, et 2,30% en juin 2009, et que c’est “cette gestion, qui
combinée à la réduction de l’encours, [avait permis] de garantir des
marges de manoeuvre budgétaire en fonctionnement”, et ce au moment
même où il fallait faire face à l’effet conjugué d’une stagnation des
recettes et du dynamisme des dépenses de gestion. L’utilité d’une
politique de gestion active de la dette est d’ailleurs reconnue, tant par
les circulaires de 1992 et 2010, que par le rapport de la commission
d’enquête parlementaire, qui précise notamment que s’ils sont
suffisamment maîtrisés, les emprunts structurés permettent de financer
des projets qui n’auraient pas vu le jour sans eux. Ce sont bien en
l’espèce des motifs d’intérêt général qui ont présidé à la conclusion des
contrats, qui étaient adossés et dimensionnés sur des contrats de dette
précisément identifiés, l’objectif poursuivi étant de réduire le taux
finalement à la charge de la collectivité.
2- Sur le fait que les swaps procurent des ressources non
autorisées :
Les recettes du budget de la communauté comprennent, aux
termes de l’article L 5214-23 du code général des collectivités
territoriales, le produit des emprunts. Les instruments financiers à
termes que constituent les swaps litigieux n’ont pas pour objet de
procurer des ressources à la collectivité. Le moyen tiré de ce que des
recettes illicites seraient procurées sera donc écarté.
3- Sur la délibération du 17 novembre 2006 et la violation de la
circulaire du 15 septembre 1992 :
Il résulte des pièces produites, que, lors du vote de la
délibération du 17 novembre 2006, la Communauté avait déjà conclu
depuis plusieurs années des swaps structurés. Ainsi, le rapport financier
de LMCU pour l’année 2004 mentionne 20 opérations de couverture
réalisées sur des produits dérivés, et indique, parmi les opérations de
couverture de risque de taux, que trois d’entre elles transforment un
taux fixe élevé en taux bonifié, grâce à une indexation sur une structure
de pente ou une parité de change. Le rapport financier pour l’année
2005 indique, sous le titre “produits dérivés”, que la gestion active de
la dette passe par la mise en place de produits de couverture de taux et
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Décision du 28 Janvier 2014
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de change, et qu’en 2005 LMCU a réalisé 12 opérations sur des produits
dérivés, dont 5 restructurations de swaps, qui ont permis notamment “de
sécuriser les flux futurs en ajustant les barrières en fonction de
l’évolution des marchés financiers”, et 7 mises en place de couverture
de taux, dont deux “payeurs d’un taux fixe structuré”. Le rapport sur la
structure de la dette au 1er janvier 2005 fait également état de la
conclusion de swaps indexés sur une structure de pente ou une parité de
change. Les swaps structurés formaient 64,5% du portefeuille de swaps
au 1er janvier 2007, selon le rapport sur le pilotage et la gestion de la
dette au 1er janvier 2007, 23,06% de ce portefeuille étant constitué de
swaps structurés à risque non plafonné, avec indexation sur “la pente”,
sur un différentiel de change, avec “accumulateur pente” ou
“accumulateur autre”.
Dans ce contexte, la délibération du Conseil de Communautés
du 17 novembre 2006 rappelle que “le recours aux instruments de
couverture constitue un complément indispensable aux arbitrages
opérés lors de la contractualisation des emprunts, ainsi qu’aux
opérations de réaménagement visant à optimiser la gestion financière”.
Elle indique que les nouveaux emprunts et les nouvelles couvertures
auront “pour but de minimiser les charges financières futures, en
fonction des anticipations, tout en maintenant un équilibre entre la
proportion de taux flottants et de taux fixes dans le portefeuille de la
Communauté urbaine”. Le Conseil de Communautés décide en
conséquence, dans le souci d’optimiser la gestion de sa dette et dans le
cadre des dispositions des circulaires interministérielles du 15
septembre 1992 et du 4 avril 2003, de recourir à des opérations de
couverture des risques de taux et de change, “le cas échéant en utilisant
les instruments cités au paragraphe 1 ou toutes autres opérations de
marché (opérations dérivées ou structurées)”. Il autorise ces opérations
sur les contrats d’emprunts constitutifs du stock de dette existant au 31
décembre 2006, et sur les contrats nouveaux, et précise “qu’en toute
hypothèse les opérations de couverture sont toujours adossées aux
emprunts constitutifs de la dette et le montant de l’encours de la dette
sur laquelle portent les opérations de couverture ne peut excéder
l’encours global de la dette de Lille métropole” et que “la durée des
contrats de couverture ne peut être supérieure à la durée résiduelle des
emprunts auxquels les opérations sont adossées”. Parmi les index de
référence visés figurent les écarts sur CMS et tout autre index parmi
ceux communément utilisés sur les marchés concernés.
Il appartient à LMCU, qui soutient que les trois contrats
méconnaîtraient les termes de l’autorisation du 17 novembre 2006, d’en
rapporter la preuve, et d’établir notamment la non conformité des
contrats à la circulaire interministérielle du 15 septembre 1992, en ellemême dépourvue de valeur normative.
Cette circulaire est adressée aux préfets et aux trésoriers payeurs
généraux. Elle a pour objet “les contrats de couverture du risque de
taux d’intérêt offerts aux collectivités locales et aux établissements
publics locaux”, et tend à préciser la notion de risque de taux d’intérêt,
ainsi que les modalités d’insertion de ces contrats dans le régime
budgétaire et comptable applicable aux collectivités. Elle rappelle que
la liberté contractuelle de droit commun en vigueur en matière
d’emprunts des collectivités locales, a été étendue aux contrats de
couverture des risques financiers. Elle explique que ces contrats ont
notamment pour objet de réaliser des échanges de taux dont les résultats
dépendent des variations futures des taux de référence, et peuvent se
traduire, soit par un gain financier, soit par une charge financière
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Décision du 28 Janvier 2014
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supplémentaire, les résultats financiers de ces contrats étant par nature
aléatoires et imprévisibles. Elle souligne qu’en cas de mauvaise
anticipation sur l’évolution de taux d’intérêts, ces opérations peuvent
engendrer des pertes conséquentes. Elle expose que les collectivités
locales ne peuvent agir que pour des motifs d’intérêt général présentant
un caractère local, et que l’engagement des finances des collectivités
locales dans des opérations de nature spéculative ne relève ni des
compétences qui leur sont reconnues par la loi, ni de l’intérêt général
précité ; qu’en revanche les opérations de couverture des risques
financiers répondent à des motifs d’intérêt général, même si elles
présentent un aléa inhérent aux instruments de couverture eux-mêmes.
Elle précise à cet effet les critères comptables auxquels doivent
répondre les opérations pour être qualifiées d’opérations de couverture :
le contrat doit avoir pour effet de réduire le risque de variation de valeur
de l’élément couvert (les frais financiers d’un emprunt déterminé) ou un
ensemble d’éléments homogènes, l’identification du risque à couvrir
doit être faite en tenant compte de l’ensemble des créances et dettes
financières de la collectivité locale, une corrélation doit être établie
entre les variations de valeur de l’élément couvert et celles du contrat
de couverture puisque la neutralisation de ce risque doit résulter d’une
neutralisation totale ou partielle, recherchée a priori entre les pertes
éventuelles sur l’élément couvert et les gains attendus sur le contrat de
couverture, les éléments qualifiés de couverture sont identifiés en tant
que tels dès leur origine et conservent cette qualité jusqu’à leur
échéance sauf si l’élément couvert disparaissait avant cette échéance ou
si la corrélation cessait d’être vérifiée, la qualification de couverture ne
peut être appliquée qu’à des ensembles homogènes d’actifs, de passifs
ou d’engagements pour lesquels la corrélation visée peut être établie.
Elle conclut, après avoir énuméré ces cinq critères, que “chaque contrat
de couverture doit donc être adossé et dimensionné à tout moment sur
un ou plusieurs contrats de dette précisément identifiés”, que “en
conséquence, le montant total des dettes de référence servant de base de
calcul des intérêts échangés ou garantis par les contrats de couverture
ne peut en aucun cas pour une même collectivité et tous contrats de
couverture confondus, excéder le montant total de la dette existante” et
que “les contrats ne répondant pas aux critères de la couverture de
risque de taux définis ci dessus, notamment si leur assiette excède
l’encours réel de la dette, constituent des opérations spéculatives
n’entrant pas dans les attributions traditionnelles des collectivités
locales; qu’ils seraient contraires à l’intérêt général et devraient être
déférés par le préfet devant le tribunal administratif pour annulation”.
S’il résulte ainsi clairement de cette circulaire que les
opérations purement spéculatives, notamment celles dont le montant
excéderait la dette sous-jacente, sont contraires à l’intérêt général, et,
partant, interdites aux collectivités territoriales, il ne peut pour autant en
être déduit que tout contrat d’échange de taux ne remplissant pas la
totalité des critères comptables qu’elle énonce serait contraire à l’intérêt
général.
Par ailleurs, la circulaire ne donne pas de précision particulière
sur la mise en oeuvre de ces critères, qui sont repris d’un avis du
Conseil national de la comptabilité, qu’elle adapte, et dont l’application
s’avère délicate.
Ainsi, s’agissant du critère de la corrélation (critère n° 3), la
compagnie nationale des commissaires aux comptes indique, dans une
lettre aux commissaires aux comptes du 21 mai 2007 afférente à
l’inscription en comptabilité des contrats souscrits par les organismes
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HLM, annexée à la note de M. Lay produite par LMCU, que, pour les
contrats de swaps incorporant la vente d’options, il apparaît possible
d’évaluer la probabilité de leur activation pour admettre ou non
l’existence de la corrélation visée par le plan comptable général, et
propose, si la probabilité est considérée comme très faible d’atteindre
les barrières activantes de l’option incorporée, d’admettre que les
critères de la couverture sont respectés, cette analyse devant faire l’objet
d’un reéxamen à chaque clôture.
S’agissant du critère n° 1, “le contrat doit avoir pour effet de
réduire le risque de variation de valeur de l’élément couvert (les frais
financiers d’un emprunt déterminé)”, les spécialistes consultés par
LMCU n’en ont pas exactement la même interprétation. M. Lay
considère dans une note produite par LMCU que, pour les swaps n° 2
et 3, “la valeur de l’emprunt ne varie pas” et “le swap ne réduit donc
rien”, le risque de variation de valeur des éléments couverts étant
inexistant lorsque les emprunts sont à taux variable. La circulaire
envisage cependant expressément, dans ses annexes, la possibilité pour
une collectivité endettée à taux variable, qui redoute une hausse des
taux, de conclure un contrat d’échange de taux à titre d’instrument de
couverture. La société Ester précise pour sa part dans une expertise
amiable versée aux débats par LMCU qu’il convient préalablement de
définir ce que recouvre le vocable “frais financiers d’un emprunt
déterminé”; elle indique que “dans le cas des collectivités locales, dans
la mesure où elles ne comptabilisent que les intérêts courus, et non la
valeur de marché de leurs emprunts, on a tendance à considérer que la
couverture doit permettre de réduire la variabilité des charges d’intérêt
subies”.
Il apparaît que cette condition est remplie pour le swap n° 3 qui
fixe une limite au taux variable. Pour le swap n° 2, il résulte de
l’analyse de la société Ester, que, pour que le taux payé par LMCU
reste bas, il fallait que le cours du dollar en francs suisses soit supérieur
à 1. Il n’est pas contesté que cela a toujours été le cas entre 1971 et
2007, et la méthodologie utilisée par la société Ester, qui affirme que
l’on pouvait déduire de l’analyse historique, dès 2007, que le swap
augmentait la variabilité des taux payés, est contestée par les
spécialistes consultés par la société RBS.
Le swap n°1 restructure un précédent swap ; le taux reçu est
identique à celui qui était fixé dans le précédent swap, dont la validité
n’a pas été contestée, et dont le Conseil de Communauté avait, selon les
délibérations, été tenu informé ; pour la moitié du nominal, le taux payé
par LMCU est, selon le document de mai 2007, couvert par un swap
externe ; pour l’autre moitié du nominal, le taux payé est de 3,50%,
indexé sur le cours de change du dollar américain en franc suisse, et la
technique de “backtesting” utilisée par la société Ester est, là encore,
contestée.
Il ressort de l’ensemble de ces éléments que LMCU ne rapporte
pas la preuve, qui lui incombe, que les termes de la délibération du 17
novembre 2006, qui sont larges, et qui fait expressément référence à des
opérations dérivées et structurées, n’auraient pas été respectés, étant
précisé en outre que :
- elle a elle-même garanti, dans la confirmation du 20 juillet
2007 (swap n° 2) et dans celle du 31 octobre 2007 (swap n° 3) que les
transactions n’avaient pas été réalisées dans un but spéculatif mais
comme un instrument de couverture, et a également, dans la convention
cadre conclue le 27 novembre 2007, applicable aux contrats litigieux,
affirmé que chaque transaction ne contrevenait pas “aux dispositions
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qui lui sont applicables en particulier celles contenues dans la circulaire
interministérielle du 15 septembre 1992" et était conclue “non pas dans
un but spéculatif, mais aux fins d’établir un instrument de couverture,
contracté pour des motifs d’intérêt général pour la contrepartie, contre
des fluctuations de taux de change ou d’intérêt susceptibles d’affecter
des engagements antérieurs ou simultanés légalement contractés...”,
- aucun des trois contrats en cause n’a été déféré par le préfet
devant le tribunal,
- les contrats ont été exécutés pendant plusieurs années sans
aucune contestation de la part de LMCU.
Le moyen, tiré du défaut de capacité de LMCU pour conclure
ces contrats, sera en conséquence rejeté.
3) Sur la demande d’annulation des contrats pour cause et
objet illicite :
L’article 6 du code civil dispose qu’on ne peut déroger, par des
conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les
bonnes moeurs.
En l’espèce ni la cause, ni l’objet des contrats ne sont illicites.
Les contrats ne contreviennent par ailleurs pas à l’ordre public ni aux
bonnes moeurs. La demande d’annulation sur ce fondement sera en
conséquence rejetée.
II SUR LA DEMANDE DE RESOLUTION JUDICIAIRE
DES CONTRATS
1) Sur les manquements aux devoirs d’information, de
conseil et de mise en garde :
L’article 1184 du code civil dispose que : “La condition
résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats
synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera
point à son engagement.”
Il résulte de ces dispositions que le contrat peut être résolu
judiciairement en cas d’inexécution d’une obligation contractuelle.
En l’espèce les manquements aux devoirs d’information, de
conseil et de mise en garde invoqués sont des manquements à des
obligations pré-contractuelles, ainsi que l’admet expressément LMCU
dans ses écritures ; ils ne peuvent en conséquence avoir pour
conséquence la résolution de ces contrats.
2) Sur la mauvaise foi invoquée dans la conclusion et
l’exécution des contrats :
LMCU n’invoque aucun manquement spécifique lors de
l’exécution des contrats, de nature à justifier leur résolution, et se borne
à soutenir que “la mauvaise foi dont a fait preuve RBS lors de la
conclusion des contrats - en n’évoquant même pas leur valeur négative
à initiation- et donc lors de leur exécution, justifie leur résolution”.
S’agissant de l’information sur la valorisation des contrats lors
de leur conclusion, le reproche qui est fait à RBS est là encore d’avoir
manqué à une obligation d’information, la privant d’un élément selon
elle pertinent pour prendre sa décision. Il s’agit d’un manquement à une
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obligation pré-contractuelle, qui n’est pas de nature à justifier la
résolution du contrat, en application de l’article 1184 susvisé.
Les propositions qui ont été faites par RBS, en réponse à la
demande de LMCU tendant au réaménagement des contrats, ne peuvent
davantage fonder la résolution de ces contrats.
En l’absence de tout manquement démontré de RBS dans
l’exécution de ses obligations contractuelles, la demande de résolution
judiciaire sera rejetée.
III SUR LES DEMANDES DE DOMMAGES-INTÉRÊTS :
1) Sur les manquements allégués aux devoirs d'information,
de conseil et de mise en garde :
Sur les obligations :
La société RBS a fourni le service de négociation pour compte
propre, lequel est, aux termes de l’article L 321-1 du code monétaire et
financier, un service d’investissement.
Elle était tenue, en qualité de prestataire de service
d’investissement, de respecter les règles de bonne conduite définies par
l’article L 533-4 du code monétaire et financier, dans sa version
applicable à la date des faits, en particulier de se comporter avec
loyauté, d’agir avec équité au mieux de l'intégrité du marché, d’exercer
son activité avec compétence, soin et diligence, de s’enquérir de la
situation de son client, et de ses objectifs, et de lui communiquer de
manière appropriée les informations utiles dans le cadre des
négociations.
Elle devait, en application de l’article 321-46 du règlement
général de l’Autorité des marchés financiers, dans sa rédaction
applicable, informer de manière adaptée son client des caractéristiques
des instruments financiers envisagés et des risques qu’ils comportaient.
Ces textes ne mettent pas à la charge du prestataire de services
d’investissement une obligation générale de conseil, et il convient donc
de rechercher si au cas d’espèce, une telle obligation a été contractée.
Il convient de relever que la souscription des contrats en cause
s’inscrit dans le cadre d’une relation personnalisée entre la société RBS
et LMCU. Les produits proposés sont destinés à couvrir les risques
d’emprunts précis, et sont en outre structurés pour répondre à ces
objectifs. Ils sont présentés comme adaptés à la situation particulière de
LMCU.
Le swap n° 1 restructure un précédent contrat d’échange
existant entre les mêmes parties . La société RBS a adressé à cet égard
à LMCU un document intitulé “proposition commerciale”, au mois de
mai 2007, dans laquelle elle formule trois propositions. Ces
propositions, personnalisées, présentent les avantages et les
inconvénients de chaque structure. La banque y indique notamment que
“sur la jambe receveuse, les barrières Euro CHF et Euribor 3 M,
éloignées aussi bien des niveaux actuels que des moyennes historiques,
assurent une zone de confort permettant de profiter d’un taux attractif
de 6,04%”, émettant par là même une appréciation sur l’opportunité de
conserver, pour le taux reçu, la formule du précédent swap.
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En ce qui concerne le prêt Crédit agricole 23013, qui donnera
finalement lieu à la conclusion du swap n° 2, une “présentation d’une
solution de différentiel inflation” , qui n’a finalement pas été retenue,
a été adressée par RBS à LMCU le 6 juin 2007. La société RBS y
mentionne que les objectifs sont “- réduire la charge de la dette - tout
en protégeant le taux à payer par un cap - pour cela une indexation
inflation est utilisée”, puis, après des commentaires sur l’évolution des
taux d’inflation, indique “nous vous proposons de tirer parti de manière
simple de cette situation”. La société RBS oriente donc bien LMCU
vers une solution qu’elle présente comme adaptée à sa situation,
solution qui ne sera finalement pas retenue pour le swap n° 2, mais dont
la formule du swap n° 3 s’inspirera.
Il résulte de ces éléments que la souscription des produits s’est
bien accompagnée de conseils, et que la société RBS était débitrice,
envers LMCU, d’une obligation de conseil. Il importe peu que les
contrats contiennent des clauses générales l’exonérant d’une telle
obligation, dès lors que celle-ci se déduit de l’économie des
conventions, la clause d’exonération prévoyant au surplus qu’elle ne
s’applique qu’en l’absence de convention écrite entre les parties
imposant des obligations positives contraires. Il est également
indifférent qu’aucune rémunération spécifique ait été prévue.
Le prestataire de services d'investissement n'est tenu d'un devoir
de mise en garde qu'à l'égard de l'opérateur non averti. LMCU avait au
31 décembre 2005, au vu des rapports produits, un encours de dette de
plus de un milliard et demi d'euros. Elle comportait, au sein de la
direction des finances et de la programmation, un service dédié à la
gestion financière, et, au sein de celui-ci, une unité dédiée à la gestion
de la dette et de la trésorerie, dotée d'un personnel peu nombreux, mais
expérimenté, qui organisait des "rendez vous salle des marchés" et
disposait de l'assistance de la société Finance Active. Elle menait une
politique de gestion active de sa dette, revendiquée dans les rapports
financiers et présentations susvisés, M. Baert indiquant encore le 27
novembre 2008 : "si nous pratiquons une gestion active de la dette, avec
notre équipe de techniciens connus et réputés, c'est pour faire faire des
économies à notre communauté, et ça marche". Elle avait déjà conclu
depuis plusieurs années des swaps structurés. Si ses moyens n'étaient
certes pas comparables à ceux de la société RBS, elle peut néanmoins
être considérée comme un opérateur averti, de sorte que la société RBS
n'était pas tenue de lui délivrer, en sus de l'information et du conseil
rappelés ci-dessus, une mise en garde spécifique.
Sur les manquements :
Sur le devoir d’information :
Il n’est en premier lieu pas contesté par la société RBS qu’elle
n’a pas communiqué la valorisation des swaps à la date de leur
conclusion. Cette valorisation, était, contrairement aux affirmations de
la société RBS, un élément d’information important et pertinent. La
Cour des comptes souligne dans son rapport annuel 2009 que la
valorisation des instruments de couverture constitue le seul moyen de
comparer les offres bancaires au moment de leur souscription, et qu’elle
permet de corriger un taux en apparence bonifié en tenant compte des
anticipations du marché concernant l’évolution variable de l’indexation
sur la durée totale de l’opération. Cette valorisation est également,
selon la Cour des comptes, le seul moyen d’apprécier les conditions
auxquelles la collectivité peut réaménager ou couvrir une position
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d’emprunteur devenue défavorable, et “permet de rétablir la symétrie de
l’information entre le prêteur et l’emprunteur”. La société RBS s’est
d’ailleurs engagée dans le contrat à fournir une valorisation, au 30 juin
et au 31 décembre de chaque année, et était donc consciente de
l’importance de cet élément. En ne communiquant pas la valorisation
des swaps à la date de leur conclusion, la société RBS a manqué à son
obligation d’information.
En second lieu, s’agissant plus particulièrement du swap n° 1,
il consistait en un réaménagement d’un précédent swap ; ce
réaménagement a consisté essentiellement, selon le rapport de la
chambre régionale des comptes, à ajouter, du côté de la “jambe
payeuse”, à un produit de pente une transaction indexée sur le cours du
dollar en francs suisses. Alors que l’emprunt principal était exposé à un
risque de conversion, en cas d’appréciation du franc suisse, et que le
taux reçu dépendait également du cours de l’euro contre le franc suisse,
le taux payé était, pour moitié, indexé sur le cours de change entre le
dollar et le franc suisse.
Or il résulte des pièces versées aux débats que :
- il n’a pas été communiqué de comparaison entre la
valorisation du swap avant réaménagement et celle du swap après
réaménagement,
- s’agissant du cours du dollar en francs suisses, si l’historique
est produit, et si est également produite une simulation du taux à payer,
en fonction des évolutions de ce cours, il n’est pas contesté par la
société RBS que les “forwards” ou cours à terme n’ont pas été
communiqués à LMCU ; il s’agit incontestablement d’une information
pertinente, que la banque aurait dû fournir à son cocontractant.
La société RBS a en conséquence manqué à son obligation
d’information.
Sur le devoir de conseil :
Le devoir de conseil obligeait la société RBS à proposer des
produits adaptés à la situation de LMCU.
Le swap n° 3 était d’une durée limitée; il tendait à réduire la
charge d’intérêts à payer, au moyen d’un taux indexé sur un différentiel
d’inflation, tout en prévoyant un cap. LMCU ne démontre pas qu’il était
inadapté aux objectifs qu’elle recherchait.
S’agissant du swap n° 2, il résulte des pièces produites que la
société RBS a d’abord proposé le 6 juin 2007 pour le contrat Crédit
agricole une “solution de différentiel d’inflation”, avec un cap.
M. Morice, directeur du service de la gestion financière de LMCU, a
demandé à Mme Toubiana, de la société RBS, dans un courriel du 13
juin 2007, “quel serait le niveau d’un swap receveur d’Euribor 3 et
payeur de: 2007 à 2008: taux fixe garanti, 2009 à 2022: formule taux
fixe + Max(EUR/USD-EUR/CHF ; 0)” , indiquant n’être “pas emballé
par la cotation sur le différentiel d’inflation”. Mme Toubiana lui a
adressé les éléments demandés le 14 juin 2007. M. Morice lui a indiqué
le 15 juin suivant :“je souhaite réaliser cette opération ce matin, je n’ai
pas de souci par rapport au fait qu’elle n’est pas capée”. L’ordre
mentionne, au titre des inconvénients, que l’opération peut
“potentiellement surexposer LMCU si on assistait à une inversion de
l’écart” entre les deux parités de change, “scénario décrit par les cours
à terme à l’horizon de la dixième année”, et que “le taux d’intérêt
protégé n’est pas protégé à la hausse”.
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Il ressort de ces éléments que la société RBS avait préconisé une
solution basée sur un différentiel d’inflation, avec un cap, et que c’est
à la demande de LMCU qu’une structure indexée sur un différentiel de
change a été adoptée. Si LMCU indique que M. Morice a repris une
formule proposée par un autre établissement, ce qui n’est pas contesté,
il demeure que la banque a bien souligné les inconvénients de cette
solution, qu’elle n’a pas préconisée, LMCU ayant indiqué pour sa part
n’avoir “pas de souci” par rapport au fait que l’opération n’était pas
capée.
Le manquement de la société RBS à son devoir de conseil n’est,
pour cette opération, pas démontré.
En ce qui concerne le swap n° 1, il porte sur un notionnel très
important; il est d’une durée de treize ans, et présente la particularité
d’être décalé dans le temps, ce qui, comme le souligne la chambre
régionale des comptes, augmentait la difficulté de la prévision. Il
comporte, du côté du taux reçu, le risque de ne rien recevoir en cas
d’appréciation de l’euro par rapport au franc suisse, ce qui, selon la
chambre régionale des comptes, suffit à rendre l’échange défavorable.
Le taux payé, qui est, pour moitié, indexé sur le cours du dollar en
francs suisses, augmente le risque pris du côté du taux reçu, les
anticipations allant dans le même sens d’une baisse du franc suisse. Ce
contrat présente, d’après la chambre régionale des comptes, le risque le
plus important jamais pris par LMCU dans la gestion de sa dette
financière. La société RBS, si elle a, dans la proposition de mai 2007,
mentionné au titre des inconvénients que le taux protégé n’était pas
protégé à la hausse, et que la structure était conditionnée au “fixing du
USD/CHF”, avec des simulations, n’a à aucun moment indiqué quel
était l’intérêt pour LMCU, par rapport au contrat de couverture existant
déjà entre les parties, de l’ajout de cette indexation.
Il s’ensuit qu’en proposant à LMCU la conclusion d’un tel
contrat, la société RBS a manqué à son devoir de conseil.
2) Sur le préjudice :
Le préjudice résultant des manquements aux devoirs
d’information et de conseil ne peut être égal à la valeur de
remplacement des contrats, mais consiste dans la chance qu’a perdue
LMCU de conclure des contrats d’échange de taux à de meilleures
conditions, si elle avait été mieux informée, et, pour le swap n° 1,
mieux conseillée.
Ces contrats sont à ce jour toujours en cours, la durée restant à
courir étant encore longue pour deux d’entre eux, et il n’est pas prévu
la possibilité d’y mettre fin de manière anticipée, en dehors des cas de
défaut et de circonstances nouvelles.
Il apparaît dans ces conditions qu’une tierce personne pourrait
être désignée, afin d’entendre les parties et confronter leurs points de
vue, pour trouver une solution, sur les points restant à trancher, au
conflit.
Il y a lieu en conséquence, avant dire droit sur l’évaluation du
préjudice, et sur le surplus des demandes des parties, d’inviter les
parties, en application de l’article 131-1 du code de procédure civile, à
donner leur avis sur l’organisation d’une mesure de médiation
judiciaire.
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PAR CES MOTIFS :
Le tribunal, statuant par jugement rendu publiquement par mise
à disposition au greffe, contradictoire, et en premier ressort :
Déboute Lille Métropole Communauté Urbaine de ses
demandes d’annulation des trois contrats d’échange de taux ;
Déboute Lille Métropole Communauté Urbaine de ses
demandes de résolution des trois contrats d’échange de taux ;
Dit que la société RBS a manqué à son obligation
d’information, lors de la conclusion des trois contrats, et à son
obligation de conseil, lors de la conclusion du swap n° 1 ;
Avant dire droit sur l’évaluation du préjudice de Lille Métropole
Communauté Urbaine, et sur le surplus des demandes des parties, invite
les parties à donner leur avis sur l’organisation d’une mesure de
médiation judiciaire ;
Renvoie l’affaire à l’audience de mise en état du 4 mars 2014
à 9 heures en salle d’audience de la 6ème chambre ;
Réserve l’article 700 du code de procédure civile et la demande
de condamnation aux dépens.
Fait et jugé à Paris le 28 Janvier 2014
Le Greffier
Le Président
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