Le « Socle universel de protection sociale » Un concept novateur qui est en train de faire la différence C’est parce que le monde, tel qu’il est aujourd’hui avec toute la richesse qui existe cohabitant avec une exclusion sociale inacceptable et des inégalités croissantes, est devenu moralement insoutenable que les Nations Unies ont lancé l’initiative mondiale en faveur d’un socle de protection sociale (SPS-I). C’est dans cette dynamique qu’il faut comprendre toute l’importance du nouveau consensus international tripartite en matière de sécurité sociale approuvé par la Conférence internationale du Travail (CIT) en juin 2001. Il y est réaffirmé que l’accès à la sécurité sociale est un droit humain fondamental et un instrument pertinent et irremplaçable pour le vingt-et-unième siècle. La Conférence a également constaté que moins de 20% de la population mondiale bénéficiaient d’une couverture correcte. Face à ce déficit dramatique, elle a été demandé au BIT de lancer une « Campagne mondiale sur la Sécurité sociale et la couverture pour tous ». Cette Campagne a été officiellement lancée à Genève en juin 2003. La Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation, instituée par l'Organisation internationale du Travail (OIT) en février 2002, a renforcé cette analyse en affirmant « qu’une action internationale est nécessaire pour appuyer les systèmes nationaux de protection sociale de telle sorte qu’il y ait un niveau minimum de protection sociale dans l’économie mondiale ». Elle a ainsi lancé l’idée qu’il était possible d’envisager une couverture universelle mondiale sur la base d’un socle minimum de protection sociale. Le BIT a dès lors testé et affiné systématiquement ce nouveau concept de « Socle universel de protection sociale ». La crise mondiale actuelle est venue rappeler avec force et brutalité que la protection sociale est non seulement un besoin essentiel pour chaque individu, mais aussi une nécessité économique pour le développement durable et équitable de chaque société et chaque pays. Investir dans un socle de protection sociale, c’est investir dans la justice sociale, le capital humain et le développement économique. La protection sociale contribue à la croissance économique en améliorant la productivité du travail et en participant à la stabilité sociale. A cet égard, le Professeur et prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz a déclaré à Genève en mars 2009 qu’en temps de crise, un socle de protection sociale agit comme un stabilisateur automatique de l'économie en soutenant la demande intérieure. Garantir un socle de protection sociale à la population mondiale représente certes un défi considérable. Cependant, les études chiffrées menées par le BIT montrent que c’est financièrement abordable, quel que soit le niveau de développement d'un pays, même si le financement n'est pas encore disponible partout. Son coût est estimé entre 3 et 5% du PIB. De plus, de nombreuses expériences de grande ampleur testées avec succès ces dernières années, en particulier en Amérique latine, ont confirmé la faisabilité technique de l’approche et constituent un capital précieux de connaissances en matière de conception et de mise en oeuvre des mécanismes du Socle universel de protection sociale. Elles ont démontré qu’avec une volonté politique claire et un minimum de consensus national, il est possible d’obtenir une couverture universelle de base assez rapidement. Ce n’est donc plus une utopie ! C’est pourquoi, reconnaissant l’importance stratégique et la nécessité d’une protection sociale universelle, le Comité de haut niveau sur les programmes du Conseil des Chefs de Secrétariat du Système des Nations Unies a adopté en avril 2009 "l'Initiative mondiale d’un Socle universel de protection sociale" (SPS-I) comme l’une de ses neuf grandes priorités pour lutter contre les conséquences de la crise mondiale actuelle. Cette initiative mondiale est fondée sur une approche holistique novatrice agissant de façon coordonnée sur l’offre et la demande. Elle est basée sur un ensemble cohérent et articulé de transferts sociaux essentiels et de services sociaux fondamentaux auxquels tous les citoyens devraient avoir accès. Il s’agit de garantir : 1. la disponibilité, la continuité et l'accès géographique et financier aux services sociaux essentiels, tels que l’éducation et la formation professionnelle, la santé, la sécurité alimentaire, l'eau potable et l'assainissement, le logement, les services de l’emploi,… ; 2. un ensemble de transferts sociaux essentiels, en espèces ou en nature, en faveur des personnes pauvres et vulnérables pour leur assurer un revenu minimum, des moyens de subsistance décents et les moyens de financer l’accès aux services essentiels. Le socle inclut des transferts sociaux en faveur des enfants, aux personnes actives ne disposant pas de revenus minimums et aux personnes âgées ou handicapées. Le BIT et l’OMS ont été désignés pour mener cette initiative mondiale SPS-I. Pour en assurer une mise en oeuvre rapide et efficace, une coalition internationale a été crée avec 15 autres agences des Nations Unies, dont le FMI, la Banque mondiale, l’UNICEF, le PNUD, l’UN-DESA, l’UNESCO, la FAO, le PAM, le FNUAP, l’ONUSIDA, etc. ; de grands donateurs bilatéraux comme l’Allemagne, le Royaume-Uni (DFID), la Finlande, le Portugal, la Belgique, la France, l’OCDE (POVNET), etc.; de grandes ONG internationales comme HelpAge International, Save the Children, l’AISS, l’Alliance internationale pour l’extension de la protection sociale, l’Internationale de l’Education (IE), le réseau RES (Education et Solidarité), etc. L’initiative SPS-I appuie directement les efforts d’un nombre croissant de pays qui s’engagent résolument dans la mise en place d’un socle universel de protection sociale. Certains, comme le Mexique, le Brésil, l’Uruguay, le Chili, l’Afrique du Sud, la Thaïlande, ont d’ores et déjà un socle assez complet en place. D’autres, comme la Chine, l’Inde, l’Argentine, la Colombie, la Bolivie, le Rwanda, ont établi des éléments importants du socle en matière d’allocations familiales, de protection des enfants, d’accès à la santé de base, de pensions minimums, etc.; d’autres pays moins avancés enfin ont décidé plus récemment de lancer le processus comme le Cambodge, l’Equateur, le Burkina Faso, le Togo, etc. Cette initiative mondiale effectue également un travail actif de plaidoyer, de capitalisation et de gestion des connaissances (en particulier à travers la plateforme Internet interactive GESS), d’échanges Sud-Sud, de formation et de renforcement des capacités nationales, de développement d’outils méthodologiques adaptés (SPER, Budget social, modèles actuariels, etc.), de mobilisation de ressources et d’appui technique. Le 20 avril 2010 à Washington DC, les ministres du travail du G20 se sont réunis pour la première fois. Ils ont renforcé l’initiative en recommandant explicitement que « tous les pays établissent des systèmes de protection sociale adéquats, afin de garantir à tous les ménages une sécurité suffisante pour qu’ils puissent tirer pleinement parti des opportunités économiques ». Le G20 a confirmé à cette occasion la reconnaissance internationale croissante de la nécessité d’un Socle universel de protection sociale pour toutes les personnes vulnérables. Le définissant comme un ensemble cohérent de mesures, adapté au niveau de développement de chaque pays, de soutien aux revenus par des transferts sociaux monétaires, d’assistance alimentaire, d’accès subventionné aux services de santé de base, d’assistance au logement et de protection des enfants, des handicapés et des personnes âgées. Ce socle est nécessaire pour briser le cercle vicieux de la pauvreté qui empêche les personnes vulnérables de profiter des opportunités économiques et d’améliorer leurs compétences et leur productivité, et cela tant que leurs besoins essentiels ne sont pas assurés. Le socle de protection sociale est aussi considéré comme un instrument décisif pour couvrir les travailleurs de l’économie informelle qui sont exclus des systèmes formels de protection sociale. Le G20 a enfin invité les banques multilatérales de développement à soutenir l’extension des systèmes de protection sociale dans le monde et l’initiative SPS-I à assister techniquement les pays dans la conception et la mise en place de tels systèmes. En conclusion, la crise mondiale actuelle a mis en évidence que la protection sociale est non seulement un droit et un besoin fondamentaux de tout être humain, mais aussi une nécessité économique et politique pour chaque pays et pour le monde dans son ensemble. La protection sociale est un instrument irremplaçable pour réduire les inégalités et la pauvreté, atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement, prévenir les catastrophes sanitaires et les pandémies, stabiliser l’économie, stimuler la demande intérieure et la croissance, renforcer le capital humain et la productivité, et assurer la justice et la paix sociales. Il est par conséquent un indicateur essentiel pour le développement durable. Si la crise peut générer un large consensus international sur le fait qu’il n’y aura pas de mondialisation durable et équitable tant que chaque être humain, à commencer par les plus vulnérables, n’a pas droit à un niveau élémentaire de protection sociale et que cela est aujourd’hui financièrement possible et techniquement réalisable, alors cette crise ne sera pas survenue en pure perte. M. Christian Jacquier Département de la Sécurité sociale Bureau international du Travail, Genève L'ONU appelle le G20 à instaurer un socle de protection sociale mondial Le Secrétaire général Ban Ki-moon (au centre) avec le chef de l'OIT, Juan Somavia (à gauche) et la chef de l'ONU-Femmes, Michelle Bachelet. 27 octobre 2011 – Dans un nouveau rapport qui plaide en faveur de l'instauration dans tous les pays d'un socle de protection sociale, un groupe de haut-niveau des Nations Unies a lancé jeudi un appel aux dirigeants du G20 afin qu'ils envisagent de mettre en œuvre un plan d'action pour renforcer les filets de protection sociale face à la crise économique et sociale. « C'est un rapport crucial qui vient à un moment critique. Partout les peuples sont anxieux pour leur avenir, frustrés sur l'économie, et énervés contre les dirigeants politiques. Réaliser la protection sociale pour tous devient critique pour construire des sociétés plus justes, plus ouvertes à tous et équitables », a déclaré le Secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, qui a reçu ce rapport jeudi à New York par ce groupe consultatif de haut niveau présidé par la Directrice exécutive de l'ONU-Femmes, Michelle Bachelet. Investir dans des mesures minimales de protection sociale, c'est investir dans la justice sociale et le développement économique, estime le rapport intitulé « Un socle de protection sociale pour une globalisation juste et ouverte à tous » et publié à l'approche du prochain sommet des 20 plus grandes puissances économiques (G20) qui se tiendra à Cannes, en France, les 3 et 4 novembre. « Etendre la protection sociale est un investissement gagnant-gagnant qui donnera des résultats sur le court-terme, en fonction des effets de stabilisation macro-économiques, mais également sur le long terme, grâce à l'impact sur le développement humain et la productivité », a dit Michelle Bachelet. Selon le rapport du groupe de haut-niveau, environ 5,1 milliards de personnes n'ont pas de sécurité et de protection sociale dans le monde. Seulement un peu plus de 15% des chômeurs du monde entier perçoivent une aide. Les régimes de protection sociale sont des outils importants pour réduire la pauvreté et l'inégalité. Ils contribuent non seulement à empêcher que les individus et leurs familles ne basculent ou restent dans la pauvreté, mais ils contribuent également à la croissance économique en augmentant la productivité du travail et en renforçant la cohésion et la stabilité sociale. La crise financière et économique mondiale a démontré que le socle de protection sociale est un outil important, qui peut agir comme stabilisateur automatique de l'économie, ont expliqué les auteurs du rapport. « Des socles de protection sociale sont nécessaires, faisables et efficaces », a souligné le Directeur de l'Organisation internationale du travail (OIT), Juan Somavia. « Couper dans les programmes de protection sociale comme faisant partie du paquet de consolidation fiscale va affaiblir le rétablissement ». Selon l'OIT, environ 40% de la population mondiale vit aujourd'hui sous le seuil de pauvreté international fixé à 2 dollars par jour soit 1,4 euro. Par conséquent, 40% de la population ne bénéficie pas d'une protection sociale de base. Plateforme pour la protection sociale en Afrique - APSP La Plateforme pour la protection sociale en Afrique (APSP), créée en septembre 2008, se veut un réseau d’organisations et d’individus opérant aux niveaux sous-national, national et régional ayant pour vocation de promouvoir et de renforcer le contrat social entre les États et leurs citoyens. La Plateforme encourage la participation active de la société civile africaine dans l’élaboration des politiques, programmes et pratiques de protection sociale dans 25 États du continent. La Plateforme effectue un travail de plaidoyer à tous les niveaux de pouvoir dans le double but d’encourager les organisations de la société civile à participer à la définition et à la mise en œuvre des politiques et des programmes de protection sociale et de promouvoir sa vision à long terme de la protection sociale en Afrique. Cette vision se fonde sur le principe fondamental d’une appropriation locale et de partenaires de développement respectueux des approches choisies par chaque pays et des priorités politiques nationales. Pour l’APSP, tout programme doit être conçu à partir des structures existantes, y compris les systèmes classiques de protection sociale. En parallèle, la Plateforme insiste sur le fait que les défis de l’intégration régionale et notamment ceux liés à la portabilité des droits sociaux ne pourront être surmontés qu’à la condition que l’évaluation des réalités et opinions locales et nationales s’accompagne d’approches régionales et continentales élaborées au niveau des Commissions économiques régionales (CER) et de l’Union africaine. Au-delà du simple plaidoyer, l’APSP met en œuvre des actions de renforcement des capacités dans le domaine de la protection sociale et des techniques d’engagement politique, de collecte de données, de documentation et de diffusion au bénéfice de ses membres (qui forment à ce jour quinze plateformes nationales). Elle crée aussi des outils d’inventaire tels qu’un diagnostic annuel des tendances et du statut de la protection sociale sur le continent, et des programmes d’échange entre les différentes plateformes régionales africaines afin de susciter des enseignements et stimuler l’échange d’expériences. Pour 2011, les activités incluent une consultation de la société civile sur la stratégie de protection sociale de la Banque mondiale pour l'Afrique (2011-2020); la révision du projet de stratégie de la Banque africaine de développement sur la protection sociale ; des visites de soutien à diverses plateformes nationales ; et un projet de participation des enfants et de non-discrimination. En outre des conférences de protection sociale regroupant les représentants des gouvernements, des organisations internationales et de la société civile ont été organisées en Afrique centrale (Cameroun, 12-13 juillet 2011), en Afrique de l'Est (Kenya 5-7 septembre 2011), en Afrique australe (Zambie, 5-7 octobre 2011), et en Afrique de l'Ouest (Ghana, 17-19 Octobre 2011). APSP dans son contexte : la dynamique de la protection sociale en Afrique La problématique de la protection sociale en Afrique connaît ces dernières années une véritable dynamique avec l’adoption de plusieurs déclarations et instruments politiques en commençant par la « Déclaration et Plan d’action de Ouagadougou » (2004) et les « Appels de Livingstone et de Yaoundé » (2006) pour aboutir au « Cadre de politique sociale pour l’Afrique de l’Union africaine » (AU-SPF) (2008) et enfin à la « Déclaration de Khartoum des ministres des Affaires sociales sur le renforcement des mesures de politique sociale en faveur de l’inclusion sociale » (2010), un document qui plaide pour une « mise en œuvre accélérée des mesures de protection sociale nécessaires à l’amélioration directe du bien-être des familles en Afrique ». Au niveau mondial, l’adoption de l’« Initiative des Nations Unies pour un socle de protection sociale » en 2009 témoigne elle aussi de l’intérêt grandissant pour la thématique dans l’agenda du développement. Tandis que le « Consensus de Séoul pour le développement » adopté par le G20 en 2010 met l’accent sur « des mécanismes de protection sociale propices à une croissance résiliente et inclusive ». Cette prise de conscience croissante du rôle crucial de la protection sociale dans la concrétisation des OMD se reflète dans le Partenariat Afrique-UE MME et son dernier Plan d’action (2011-2013) qui donne à ces aspects une place prépondérante. Dans le même temps, le Rapport européen sur le développement 2010 intitulé « La protection sociale pour un développement inclusif – Une nouvelle perspective dans la coopération de l’Union européenne avec l’Afrique » présente « les arguments en faveur d’une protection sociale » en Afrique subsaharienne. Se fondant sur les résultats d’expériences menées sur et hors du continent, le rapport soutient que l’existence d’une protection sociale est « possible et faisable » même dans les pays à faible revenu d’Afrique subsaharienne pour autant que certaines conditions préalables soient réunies. Parmi celles-ci figure l’existence d’un large consensus social requis avant tout parce que l’accessibilité financière dépend en grande partie de la volonté des sociétés à financer de telles politiques. C’est là qu’entrent en jeu les organisations de la société civile.