Veuvage précoce et différences de genre

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Veuvage précoce et différences de genre
Isabelle Delaunay-Berdaï
E
n France, chaque année, environ 24 000 femmes de moins de 55 ans perdent leur conjoint
par décès, contre 6 000 hommes. De manière
générale, le veuvage précoce concerne 360 000
personnes, parmi lesquelles on dénombre près
de 80 % de femmes. Ces chiffres traduisent un
phénomène important, dans lequel existe une
forte composante sexuée. Pourtant, si la surmortalité masculine est bien connue des démographes
et des épidémiologistes, le veuvage précoce reste
un phénomène mal connu, voire oublié. Or, cet
oubli pose question. En effet, en oubliant le
veuvage précoce, on fait disparaître du champ
d’interrogation sociologique un questionnement
sur la dimension du genre qui lui est étroitement
lié : à savoir, les inégalités entre les hommes et les
femmes apparaissant lors d’un veuvage précoce.
Dans cet article, l’auteure se livre donc à une
lecture sexuée du phénomène pour comprendre
en quoi le veuvage précoce peut être révélateur,
voire créateur, de différences profondes, sinon
d’inégalités entre hommes et femmes.
En matière de veuvage, la France est terre d’extrêmes et de paradoxes. D’extrêmes, à plusieurs
titres : d’abord parce que les femmes y bénéficient
de l’espérance de vie à la naissance la plus élevée
au monde après les Japonaises (Pison, 2003).
Ensuite, parce que l’écart de l’espérance de vie
entre hommes et femmes est le plus important
d’Europe. À cela, deux facteurs : non seulement,
en France, les femmes vivent en moyenne plus
longtemps qu’ailleurs, mais le risque de mourir
avant de vieillir est encore très présent. En effet, la
surmortalité des hommes avant 65 ans est la plus
élevée d’Europe. Elle place même la France au
trente-deuxième rang mondial pour ce qui est de
l’espérance de vie des hommes avant 65 ans, loin
derrière des pays tels que l’Australie, les pays du
Golfe persique, Cuba ou le Chili.
Cette surmortalité masculine prématurée engendre un important phénomène de veuvage précoce,
de veuvage précoce féminin notamment : selon
l’enquête Étude de l’histoire familiale (EHF99)
Recherches et Prévisions
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Doctorante à l’École des hautes études en sciences
sociales, sous la direction scientifique d’Irène Théry.
menée par l’Institut national des études démographiques en 1999, en France, 360 000 personnes
veuves sont âgées de moins de 55 ans. Parmi elles,
290 000 sont des femmes, ce qui signifie que
près de 80 % des jeunes veufs sont en fait de
jeunes veuves. À tous âges, ce constat se vérifie et
s’accentue même chez les 25-30 ans : on compte
neuf jeunes veuves pour un jeune veuf.
Un phénomène de grande ampleur mais
mal connu
Chaque année, environ 24 000 femmes de moins
de 55 ans perdent leur conjoint par décès, contre
6 000 hommes. Ces chiffres révèlent un phénomène de grande ampleur et traduisent que l’un
des « attributs » majeurs du veuvage précoce est,
pour reprendre Philippe Alonzo (2005), le « sexe
féminin ». Pourtant, et là réside le paradoxe
français, si la surmortalité masculine est bien
connue des démographes (Monteil et RobertBobée, 2005) et des épidémiologistes (Bovet et al.,
2003 ; Organisation mondiale de la Santé, 2000),
le veuvage précoce reste un phénomène mal
connu, voire oublié. Or, cet oubli pose question.
En effet, on part de l’idée qu’en oubliant le veuvage précoce on fait disparaître du champ d’interrogation sociologique un questionnement sur la
dimension du genre qui lui est étroitement lié : à
savoir, les inégalités entre les hommes et les femmes
qui apparaissent lors d’un veuvage précoce.
Dans cet article, il s’agit donc de se livrer à une
lecture sexuée du phénomène pour comprendre
en quoi le veuvage précoce peut être révélateur,
voire créateur, de différences profondes, sinon
d’inégalités entre hommes et femmes. Mais, avant
de répondre à ces questions, on s’intéressera à la
façon dont se pose la question du veuvage
précoce : au centre de beaucoup d’idées reçues
sur le veuvage précoce, figure sa régression
spectaculaire. Or, les chiffres cités supra infirment
ce jugement. On fait l’hypothèse que l’oubli et
l’effacement du veuvage précoce résultent de la
n° 85 - septembre 2006
Modes de vie
non-modernisation des catégories statistiques
« veuvage » et « veuf-veuve » (Delaunay-Berdaï,
2004). On reviendra donc sur cette notion de
« veuvage » ainsi que sur le seuil conventionnel
que l’on a retenu pour établir la précocité. À ce
titre, cet article reprend certains des développements d’une précédente publication réalisée grâce
à l’INED sur le thème du veuvage précoce
(Delaunay-Berdaï et Théry (dir.), 2005).
Interroger la catégorie « veuvage »
On s’intéressera ensuite à ce que le veuvage précoce révèle du traitement de la distinction de sexe
et des différences. Les différences entre veuvage
précoce féminin et masculin seront alors examinées. En effet, introduire la question du veuvage
précoce dans le cadre d’une analyse des rapports
sociaux de sexe revient à se demander si deux
groupes différenciés en fonction du sexe se départagent en termes de situation familiale (parcours
biographique, remise en couple ou non, nombre
d’enfants, nombre de beaux-enfants), de situation
professionnelle (emploi ou chômage, appartenance sociale) et de situation économique. Cet
éclairage est rendu possible par l’exploitation de
l’enquête EHF99 appariée au recensement de la
population de 1999. L’EHF99 permet, en effet, une
approche fondée sur une « sociologie de la dimension sexuée de la vie sociale » (Théry, 2005) en
interrogeant pour la première fois des hommes et
des femmes : la variable du sexe se révèle essentielle en matière de veuvage précoce tant la
surmortalité aux âges jeunes affecte d’abord les
hommes.
Depuis 1968, les différents recensements réalisés établissent des statistiques portant sur le veuvage en se fondant sur l’état civil : pour qu’une
personne soit considérée comme « veuve », il
faut qu’elle ait été mariée. Cette approche
ignore les ruptures par décès de couples non
mariés : dans les statistiques, elles sont assimilées à des situations de célibat (éventuellement
avec enfants à charge). Les anciens concubins
dont le conjoint est décédé disparaissent ainsi
dans la catégorie des célibataires. Étant donné la
fréquence du concubinage dans les nouvelles
générations, ce traitement statistique a minoré
inévitablement les veuvages précoces et a contribué à donner une image du veuvage en décalage
avec la réalité contemporaine. En outre, pour
qu’un individu soit considéré comme veuf au
regard de l’état civil, il faut également qu’il ne
soit pas remarié. S’il y a remariage, l’expérience
du veuvage est « oubliée » par les études statistiques qui suivent cette définition. En revanche,
en cas de concubinage après un veuvage, ces
mêmes études, à l’instar de l’état civil, consi-
Recherches et Prévisions
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dèrent toujours la personne comme veuve sans
tenir compte de sa remise en couple. Or, la
probabilité de remariage est d’autant plus grande
que le survivant est jeune : cette définition du
« veuf » minore également, indirectement, l’événement biographique qu’est la perte précoce
d’un conjoint, « effacée » par le remariage
ultérieur.
Par ailleurs, l’émergence de la catégorie nouvelle
des « familles monoparentales » – source incontestable de progrès de l’analyse sociodémographique – a aussi indirectement contribué à
minorer le phénomène du veuvage précoce. En
effet, plus les familles monoparentales ont augmenté en raison des divorces et des séparations,
plus le veuvage précoce a diminué fortement en
proportions, ne représentant qu’une part désormais mineure de l’origine des familles monoparentales (Algava, 2003). Or, cette régression en
pourcentage contraste avec les chiffres de la
surmortalité précoce, qui sont restés stables
(Bovet et al., 2003). Contrairement à une idée
largement répandue, on peut donc supposer que
le veuvage – en chiffres absolus – n’a pas régressé
fortement comme facteur de monoparentalité.
Cette absence de modernisation de la catégorie
« veuvage » est paradoxale alors que les catégories
statistiques et de l’analyse sociodémographique
ont évolué pour s’adapter aux transformations du
couple contemporain.
Une catégorie restée hors du temps
Les chercheurs ont ainsi élargi la notion de
« couple » aux situations de fait (concubinage,
voire couples non cohabitants), créant de nouvelles catégories de pensée et d’analyse pour
rendre compte de différents phénomènes : qu’il
s’agisse de la complexité des évolutions du lien
familial, des transformations du couple (Léridon
et Villeneuve-Gokalp, 1994 ; Toulemon, 1996 ;
Prioux, 1994), et des transformations du droit
du concubinage et de la famille naturelle
(Dekeuwer-Defossez 1999), de ses deux formes
de ruptures (par divorce ou séparation de fait)
avec l’essor du démariage (Théry, 1996) et des
familles recomposées par remariage ou reconcubinage (Théry, 1987 ; Meulders-Klein et Théry,
1995 ; Legall et Martin, 1987 ; Valetas, 2001).
Or, cet effort de modernisation reste encore à
accomplir quand le couple est rompu par décès.
Tout se passe comme si le veuvage était resté
hors du temps, sans liens et causes avec le
couple. En effet, dans le cas du veuvage, la prévalence des catégories de l’état civil est entière et
les enquêtes quantitatives ne saisissent le veuvage que comme un état supposant à la fois un
mariage antérieur et l’absence de remariage.
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Modes de vie
Mesurer la rupture du couple par décès dans le
contexte d’une évolution majeure des comportements conjugaux et familiaux et, au-delà, analyser
la spécificité du veuvage précoce au plan démographique et sociologique supposent d’élaborer de
nouvelles catégories d’appréhension du phénomène de perte d’un conjoint. Ainsi, on propose
d’élargir la catégorie du « veuvage » à toutes les
situations de rupture du couple par décès, qu’il
s’agisse d’un couple de personnes mariées ou de
cohabitants. Le terme de « veuvage » se voit donc
appliquer la logique qui a présidé à l’emploi actuel
des mots « couple » et « conjoints ». Auparavant
utilisés pour désigner les seules personnes mariées,
ils ont vu leur acception s’étendre aux autres
formes de conjugalité. À l’intérieur de la catégorie
générale du « couple », on distingue aujourd’hui le
« couple marié » et le « couple cohabitant ».
Cette catégorie devrait inclure également les nouveaux « couples non cohabitants » et les couples
pacsés ainsi que les couples de même sexe cohabitants, non cohabitants et pacsés, que l’enquête
EHF99 ne permet pas de repérer (Toulemon et al.,
2005).
Par ailleurs, cette approche plus large conduit à
distinguer désormais le veuvage comme événement biographique et la situation issue de cet
événement. On propose donc de définir l’expérience du veuvage comme « l’événement biographique qu’est pour un individu le décès de son
conjoint, marié ou non ». Cette définition permet,
comme on le fait pour les divorces et les séparations, de comptabiliser les veufs, indépendamment
de leur situation ultérieure. Quant à la situation
issue de cet événement, on propose de l’appréhender à travers la catégorie générique de « veufveuve » désignant : « toute personne ayant perdu
un conjoint » (comme on nomme, dans certaines
enquêtes, « divorcé » toute personne ayant fait
l’expérience du divorce).
Ne pas considérer le veuvage précoce
comme une catégorie d’état civil
Chacun sent qu’il est très différent de perdre son
conjoint à 30, 50, 70 ou 90 ans. Pourtant,
aujourd’hui, il n’existe pas de catégorie « veuvage précoce ». En considérant le veuvage
comme une expérience biographique et non plus
comme une catégorie d’état civil, la précocité
sera définie en référence à un seuil d’âge conven-
tionnel du survivant au moment du décès de son
conjoint. À l’instar de la définition conventionnelle du décès précoce et de la mortalité prématurée utilisée par l’Organisation mondiale de la
Santé (2000) et l’INSERM (Bovet et al, 2003), il est
nécessaire d’avoir d’une définition conventionnelle du veuvage précoce pour identifier une réalité sociodémographique et pouvoir également
envisager ses problématiques propres. Plusieurs
seuils peuvent être envisagés, la précocité n’existant pas « en soi ». L’approche visant avant tout à
proposer une définition qui puisse être utile et
pertinente pour l’analyse des problèmes sociaux
posés par le décès prématuré au conjoint survivant, on fixe à 55 ans l’âge en deçà duquel on
qualifie le veuvage de « précoce ». Cette approche peut paraître limitative au regard du seuil de
surmortalité prématurée (65 ans). Cependant, elle
a l’intérêt de correspondre à une donnée essentielle des politiques sociales en matière de droits
à réversion (1). Les systèmes sociaux construisent
la précocité par différence avec le veuvage « normal »
(normalement pris en compte) : l’analyse de cette
construction et de ses effets paraît centrale
aujourd’hui.
La question des droits sociaux dérivés se
pose
Dans le cas du veuvage de personnes âgées de
moins de 55 ans, les systèmes de protection
sociale obligatoire, de base et complémentaires,
sont très restrictifs pour les veufs et les veuves de
salariés (les régimes spéciaux sont volontairement exclus de cette analyse). Le veuvage avant
55 ans pose très concrètement la question des
droits sociaux dérivés auxquels les conjoints
survivants peuvent recourir pour faire face financièrement : ceux pour lesquels leur propre
conjoint décédé a cotisé précisément au cas où il
mourrait prématurément, à savoir avant l’âge de
la retraite et l’entrée en jouissance de ses droits à
pension.
Alors que les veufs et veuves âgés de plus de
55 ans peuvent percevoir une retraite personnelle,
cumulée ou non avec une retraite de réversion de
la Sécurité sociale (CNAV) et/ou une pension de
réversion des régimes de retraite complémentaires
[60 ans pour l’AGIRC à taux plein (2), 55 ans pour
l’ARRCO], la situation des jeunes veufs et des
jeunes veuves est différente. S’ils peuvent désormais
(1) La réforme des droits à réversion intervenue en 2004 ne concerne que le régime général. Dans les régimes de retraites
complémentaires dont relèvent les salariés du secteur privé, soit 68 % des actifs, la limite d’âge de 55 ans en cas de réversion
existe toujours actuellement.
(2) Dans le régime de l’Agirc, les conjoints survivants ont droit à une allocation de réversion à l’âge 60 ans. S’il leur est
également possible de demander la réversion dès 55 ans, celle-ci est minorée excepté si l’intéressé(e) bénéficie de la pension
de réversion du régime de base de la sécurité sociale, ou du régime agricole ou du régime minier.
Recherches et Prévisions
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n° 85 - septembre 2006
Modes de vie
percevoir une retraite de réversion du régime de
base, en revanche, l’octroi des pensions de réversion des régimes de retraite complémentaires est
réservé uniquement aux jeunes veufs ayant au
moins deux enfants à charge au moment du décès.
Or, si ces veufs avaient vécu leur veuvage après
l’âge de 55 ans, ces conditions ne leur auraient
pas été appliquées. Par ailleurs, tous ces droits
sont refusés aux veufs ayant perdu un conjoint
avec lequel ils n’étaient pas mariés (y compris
dans le régime général).
Une nouvelle visibilité pour un
phénomène ancien et oublié
Cette nouvelle catégorie de « veuvage » a pour
fonction de rendre visible une grande proportion
de veufs habituellement oubliés des statistiques.
Ainsi, en 1999, 3,8 millions de personnes sont
considérées comme veuves au sens de l’état civil.
Or, ce chiffre ne rend pas compte du nombre de
personnes qui ont fait l’expérience du veuvage au
cours de leur vie, autrement dit qui ont perdu un
conjoint, que celui-ci ait été un époux ou un
concubin, et ce quelle que soit la vie ultérieure du
survivant (solitude ou remise en couple) : le nombre effectif de veufs et de veuves en France s’établit en réalité à 4,68 millions. Ainsi, 23,1 % des
ruptures du couple par décès n’apparaissent pas
dans les statistiques habituelles, soit 880 000 personnes. Combien les jeunes veufs sont-ils dans cet
ensemble ? En se limitant à la définition du
veuvage au sens de l’état civil, on comptabiliserait 240 000 jeunes veufs âgés de moins de
55 ans en 1999. La catégorie modernisée de veuvage fait apparaître 120 000 personnes supplémentaires, soit 33 % du total réel des jeunes
veufs : 360 000 personnes. Parmi ces 120 000 personnes, 67 % ont perdu un concubin et 33 % se
sont (re)mariées.
Cette nouvelle catégorie permet donc de prendre
la mesure des évolutions de la conjugalité avec
l’essor du concubinage et du démariage. À ce
titre, le veuvage précoce agit comme un révélateur des évolutions sociologiques en France. Elle
souligne l’importance de l’union libre et le fait
que désormais « la famille cesse de se confondre
avec la famille mariage » (Théry, 2005). En effet,
plus d’un jeune veuf sur cinq vivait en concubinage au moment du décès. Supérieure à celle
habituellement constatée parmi les couples (soit
un sur six : 17,6 %) (Mazuy et Toulemon, 2001),
cette proportion s’explique notamment par le fait
que les jeunes veufs appartiennent aux classes
d’âges marquées par la cohabitation hors
mariage. En règle générale, plus les conjoints survivants étaient jeunes lors du décès, plus la proportion de concubins est élevée (tableau 1). Ces
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Tableau 1
Nombres et proportions de jeunes veufs en
concubinage ou mariés avec le conjoint décédé
Âge du jeune veuf
au décès
du conjoint
En concubinage
Mariés avec le avec le conjoint
conjoint décédé
décédé
Effectifs
%
Effectifs
%
2 600
66,6
1 300
33,3
20-24 ans
21 500
69,6
9 400
30,4
25-29 ans
33 900
70,7
14 000
29,3
30-34 ans
47 100
78,9
12 600
21,1
35-39 ans
53 600
81,6
12 100
18,4
40-44 ans
54 800
84
10 500
16
45-49 ans
53 200
83,1
10 800
16,9
50-54 ans
18 200
78,1
5 100
21,9
284 000
78,9
76 000
21,1
Moins de 20 ans
Total
Source : INSEE – Enquête Étude de l’histoire familiale, 1999.
Exploitation : Isabelle Delaunay-Berdaï
Champ : jeunes veufs.
chiffres ne sont pas surprenants : l’union libre
est plus fréquente aux âges jeunes et dans les
nouvelles générations (Mazuy et Toulemon,
2001).
Le veuvage précoce a donc suivi les transformations de la conjugalité. Ces évolutions sont
symétriques pour les hommes et les femmes.
On dénombre, en effet, des pourcentages de
concubins (21 %) et de gens (re)mariés (79 %)
équivalents chez les jeunes veufs dans les deux
sexes. Cette nouvelle catégorie de « veuvage »
fait également apparaître l’importance numérique des jeunes veuves. En 1999, la France a
compté 290 000 femmes veuves âgées de
moins de 55 ans. Ce chiffre graviterait autour
de 200 000 selon les statistiques fondées sur
l’état civil. Le veuvage précoce féminin apparaît
comme un phénomène majeur et les jeunes
veuves comme une population importante
numériquement parlant. Cette catégorie de veuvage ouvre donc des perspectives d’analyse :
elle donne des outils pour « penser la différence » (Héritier, 1996) en étudiant le traitement de la distinction de sexe dans la société
contemporaine française.
Les résultats de l’EHF99 montrent que le veuvage
précoce intervient dans les couples à un moment
où la division traditionnelle des rôles sexués est
fortement marquée en raison de la fondation de
la famille et de la naissance des enfants. Parmi
les jeunes veufs, 90 % ont eu des enfants avec le
décédé. Le veuvage précoce frappe des couples
de personnes jeunes. Près du quart des veuvages
est intervenu alors que le survivant était âgé de
moins de 30 ans, 16,5 % alors qu’il avait entre
n° 85 - septembre 2006
Modes de vie
30 et 35 ans. Autrement dit, quatre personnes
sur dix avaient moins de 35 ans au moment du
décès. Dans les tranches d’âges suivantes,
18,2 % des conjoints survivants avaient entre
35 ans et 39 ans au décès et 17,9 % entre
40 ans et 45 ans. Ainsi, les trois quarts des
veufs âgés de moins de 55 ans en 1999 le sont
devenus alors qu’ils avaient moins de 45 ans
(tableau 2) (3). Le veuvage précoce intervient
également au sein de couples avec enfants. Les
jeunes veufs ont fréquemment eu des enfants
avec leur conjoint décédé : c’est le cas de neuf
sur dix d’entre eux. Beaucoup de ces enfants
ont vécu le décès de leur parent alors qu’ils
étaient très jeunes : plus de 40 % étaient âgés
de moins de 3 ans.
Le veuvage précoce révèle
des différences de genre importantes
L’hypothèse est donc que le veuvage précoce qui
intervient dans les couples aux âges jeunes
révèle des différences de genres d’autant plus
importantes qu’il se produit alors que les
rapports de couple sont fondés sur une asymétrie
des rôles, et ce contrairement au veuvage du
troisième et du quatrième âge qui survient alors
qu’on constate une relative « indifférenciation
des sexes à la vieillesse » (Attias-Donfut, 2001).
En effet, « les contraintes sociales qui façonnent
les comportements féminins ou masculins se
desserrent dans le contexte de la retraite ». Cela
ne signifie pas une uniformisation des comportements des veufs et des veuves âgé(e)s. Simplement,
Tableau 2
Âge au décès des jeunes veufs
Âge au décès
du jeune veuf
Moins de 20 ans
Effectifs
des jeunes veufs
3 900
20-24 ans
30 900
25-29 ans
47 900
30-34 ans
59 700
35-39 ans
65 700
40-44 ans
65 300
45-49 ans
64 000
50-54 ans
23 300
Total
360 000
Source : INSEE – Enquête Étude de l’histoire familiale, 1999.
Exploitation : Isabelle Delaunay-Berdaï
Champ : jeunes veufs.
une plus grande liberté peut favoriser une « hétérogénéité interindividuelle des comportements et
des types de personnalités » (Attias-Donfut,
2001). Par ailleurs, le rapprochement des genres
à la vieillesse peut également être attribué à une
plus grande disponibilité des hommes et à une
nouvelle répartition des tâches les impliquant
davantage dans la vie domestique (Caradec,
1996). En outre, le veuvage précoce peut également agir comme un révélateur des rapports inégalitaires que continuent d’entretenir de nombreux couples, y compris envers et contre
eux-mêmes. Une forte différenciation sexuée
gouverne au sein des couples les relations matérielles et financières (Singly, 2002). La spécialisation des rôles et l’inégal partage des tâches
s’aggravent avec l’arrivée des enfants. La présence d’enfants modifie aussi les comportements
d’activité professionnelle dans un sens inverse
pour les hommes et pour les femmes : la présence de jeunes enfants se traduit par une augmentation du temps de travail professionnel (et
non du travail domestique) chez les pères et par
une diminution de celui de la mère (Puech,
2005). L’exploitation de l’enquête EHF99 fait
apparaître une asymétrie très nette des temps de
travail des hommes et des femmes : parmi ceux
qui occupent un emploi, 94,4 % des hommes
âgés de moins de 55 ans travaillent à temps
complet. Et, en cas de présence d’enfants, cette
fréquence augmente pour concerner 96,7 % des
hommes. À l’inverse, le travail à temps partiel est
beaucoup plus fréquent chez les femmes âgées
de moins de 55 ans : il concerne 31,5 % de celles
qui ont un emploi. On constate également qu’en
cas de présence d’enfants, la fréquence des
temps partiels chez les femmes augmente de 3 %.
Ces chiffres traduisent une économie des rapports
domestiques qui n’a pas forcément été transformée en profondeur par l’amélioration de la
position sociale des femmes dans le couple
(Blöss, 2001). Les mères de famille cumulent très
fréquemment activité professionnelle et activité
familiale. Cette superposition des rôles, avec les
multiples injonctions contradictoires qu’elle
nourrit, génère une moindre possibilité d’implication professionnelle qui se cumule aux nombreuses difficultés que les femmes rencontrent
dans le monde du travail (Daune-Richard, 2001).
Par ailleurs, certains facteurs contribuent à rendre
le partage des tâches inégalitaires en minorant le
pouvoir de négociation des femmes : statut de
non-salarié, absence d’activité professionnelle,
faible niveau d’étude (Brousse, 1999).
(3) Calculés selon l’âge du survivant lors du décès, ces effectifs de jeunes veufs reflètent l’ampleur du veuvage précoce dans
les jeunes générations. Mais ils se font également l’écho de la taille différentielle des générations : si on constate un nombre
beaucoup moins élevé de jeunes veufs nés avant 1950, c’est aussi parce que ces générations sont moins nombreuses que les
suivantes, les générations nombreuses du baby-boom.
Recherches et Prévisions
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n° 85 - septembre 2006
Modes de vie
Des itinéraires biographiques
très différenciés en fonction des sexes
Alors que les comportements et les trajectoires des
hommes et des femmes tendent à se rapprocher, le
veuvage précoce révèle, au contraire, des itinéraires biographiques très différenciés en fonction
des sexes et une accentuation des inégalités entre
hommes et femmes. Les disparités sociales entre
les sexes s’expriment à travers les inégalités de
conditions d’activité et de formes d’emploi. Ainsi,
les jeunes veuves sont beaucoup plus souvent que
les jeunes veufs en contrats aidés, reflétant ainsi
des différences constatées entre hommes et
femmes en France en général. Mais la comparaison entre jeunes veufs/jeunes veuves et population
masculine/population féminine du même âge
(18 ans/55 ans) laisse apparaître que les jeunes
veuves sont également, plus souvent que les femmes
de leur âge, dans des situations d’emploi précaire
(contrats emploi solidarité, contrats aidés). On
constate également que les différences en termes
d’activité et de temps de travail sont accentuées
lorsqu’il y a présence d’enfants. Or, les jeunes veuves ont eu plus fréquemment que les hommes des
enfants avec leur conjoint décédé : elles sont
93,6 % dans ce cas, contre 83,6 % des hommes.
Elles assument également plus souvent des familles
nombreuses (trois enfants et plus). Contrairement
aux femmes du même âge avec enfants, les jeunes
veuves mères de famille en activité travaillent moins
souvent à temps partiel (28,1 % contre 31,5 %), et
beaucoup plus fréquemment à temps complet :
elles sont 71,9 % dans ce dernier cas de figure
contre 65 % des femmes du même âge. Cette distorsion dans les tendances face au temps de travail,
en revanche, ne se retrouve pas chez les hommes
en activité, très majoritairement occupés à temps
complet, quelle que soit leur situation familiale,
avec ou sans veuvage.
Ces résultats montrent à quel point les situations
respectives des hommes et des femmes sont
aujourd’hui très différentes, en particulier lorsque
le veuvage touche des personnes en situation de
vulnérabilité sociale et/ou fait basculer le(la) survivant(e) dans une véritable précarité. En effet, les
familles monoparentales-femmes résultant d’un
veuvage précoce sont nombreuses (90 000 familles).
Vivre au sein d’une famille monoparentale est
davantage le fait des femmes (88,7 %) que des
hommes (11,3 %). D’une part, les femmes ont eu
davantage que les hommes des enfants avec le
conjoint décédé et, d’autre part, elles se remettent
moins souvent en couple après le décès de leur
conjoint. Les hommes constituent plus fréquem-
ment une nouvelle union : 40 % des remises en
couple sont le fait de jeunes veufs alors qu’ils ne
représentent que 19 % des cas de veuvage précoce. Cette tendance est également constatée au
sein des autres familles recomposées (Barre,
2003). En outre, au-delà de 45 ans, les hommes
vivent plus souvent en couple avec des enfants. Ils
fondent une famille plus tardivement et, en cas de
rupture, ils reprennent plus rapidement une vie en
couple (Djider, 2002). Ainsi, les jeunes veufs sont
plus souvent beaux-parents que les jeunes veuves.
La dimension sociale du veuvage
précoce à travers l’étude des catégories
socioprofessionnelles
La dimension du genre peut également se mesurer
à travers l’étude des catégories socioprofessionnelles. Ainsi, dans un récent article, Philippe
Alonzo fait valoir que les « catégories du salariat
et de l’exécution » possèdent chacune un « attribut
central » : le sexe masculin lorsqu’il s’agit des
ouvriers et le sexe féminin pour les employés
(Alonzo, 2005). En effet, la catégorie des ouvriers
est constituée à 80 % d’hommes et celle des
employés à 60 % de femmes. Cette analyse rejoint
celle d’autres sociologues pour lesquels cette
construction des catégories socioprofessionnelles
autour du genre est également centrale : par
exemple, lorsqu’il s’agit de souligner que le plafond de verre structure toujours l’accession des
femmes aux responsabilités dans l’entreprise. En
témoigne la faible proportion de femmes, 6 %,
accédant aux postes de cadres et des cadres supérieurs (Bertin-Mourot, 1997, Daune-Richard, 2001).
De manière plus générale, le contraste entre la
« dynamique égalitaire et la persistance d’inégalités sexuées dans le travail et l’emploi » (Laufer,
2001) est mis en évidence à travers différents indicateurs : accès aux fonctions hiérarchiques, niveaux
de qualification. En 1999, 61 % des femmes
étaient employées ou ouvrières contre 51 % des
hommes [Daune-Richard, 2000 ; Blöss (dir.), 2001] :
écarts de salaire de 12 % en moyenne au détriment des femmes, part de travail à temps partiel
subie dans 65 % des cas pour les femmes et 40 %
pour les hommes (Meurs et Ponthieux, 1999).
Le propos est ici de savoir dans quelle mesure le
veuvage précoce révèle ou non la production et la
reproduction d’inégalités entre hommes et femmes
dans la sphère professionnelle en se centrant sur
l’appartenance aux catégories socioprofessionnelles (4). S’il touche toutes les catégories socioprofessionnelles, certaines sont particulièrement
(4) L’EHF99 et le Recensement de la population de 1999 ne permettent pas de disposer de la catégorie socioprofessionnelle
des personnes au moment où le veuvage est intervenu. En revanche, on peut la connaître à la date de l’enquête.
Recherches et Prévisions
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n° 85 - septembre 2006
Modes de vie
affectées. Quel que soit leur sexe, les jeunes veufs
appartiennent à toutes les catégories sociales. En
revanche, certaines sont moins affectées que
d’autres : les cadres ou les professions intellectuelles supérieures. Chez les femmes, on constate
une surreprésentation des employées : 51 % des
cas. Cependant, les employées ne représentent que
45 % des femmes du même âge (c’est-à-dire âgées
de 18 ans à 55 ans). La proportion des ouvrières
est de 14,2 % alors qu’elles ne représentent que
10,2 % des femmes du même âge. Ainsi, en terme
de qualification, les jeunes veuves se retrouvent
davantage dans les niveaux de qualification inférieurs que les femmes du même âge : 65,2 % sont
employées ou ouvrières contre 55,2 % des femmes
de moins de 55 ans.
Le veuvage précoce : révélateur
des disparités entre hommes et femmes
Chez les hommes, jeunes veufs, toutes les catégories socioprofessionnelles sont concernées sans
nette disproportion, à l’exception toutefois des
professions indépendantes et des employés. En
effet, les hommes jeunes veufs sont moins
concentrés que les femmes dans les niveaux de
qualification inférieurs : 51,4 % d’entre eux sont
employés ou ouvriers (49 % pour les hommes âgés
de moins de 55 ans). Cette inégalité entre hommes
et femmes dans le veuvage précoce peut être
formulée de la manière suivante : alors que les
femmes représentent 78 % des jeunes veufs, elles
constituent 91,9 % des jeunes veufs « employés ».
Catégories socioprofessionnelles des jeunes veuves et des jeunes veufs
Catégories socioprofessionnelles des jeunes veuves
Catégories socioprofessionnelles des jeunes veufs
40%
60%
35%
50%
30%
40%
25%
20%
30%
15%
10%
20%
5%
10%
Hommes jeunes veufs
Femmes jeunes veuves
Hommes population recensée 18-54 ans
Sans activité
Ouvriers
Employés
Professions
intermédiaires
Cadres
supérieurs
Agriculteurs
Professions
indépendantes
0%
Sans activité
Ouvriers
Employés
Professions
intermédiaires
Cadres
supérieurs
Professions
indépendantes
Agriculteurs
0%
Femmes population recensée 18-54 ans
Catégories socioprofessionnelles des jeunes veuves et des jeunes veufs,
et des hommes et des femmes âgés de 18 à 55 ans
Proportions de jeunes veuves et de jeunes veufs
dans chaque catégorie socioprofessionnelle
Proportions de femmes et d’hommes
dans chaque catégorie socioprofessionnelle
Ouvriers
Sans profession
Ouvriers
Employé(e)s
Employé(e)s
Professions
intermédiaires
Professions
intermédiaires
Cadres
Cadres
Indépendants
Indépendants
Ag riculteurs
Ag riculteurs
0
10
20
Jeunes veuves
30
40
50
60
70
80
Jeunes veufs
0
10
20
Femmes 18-55 ans
Source : INSEE, enquête Étude de l’histoire familiale, 1999. Exploitation : Isabelle Delaunay-Berdaï.
Champ : population en France en 1999 âgée de moins de 55 ans.
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30
40
50
60
70
Hommes 18-55 ans
80
90 100
Ces données soulignent des inégalités plus importantes que celles observées habituellement entre
hommes et femmes en France. Le veuvage précoce
agit comme un révélateur des disparités entre
hommes et femmes, d’une part, en matière de qualification et, d’autre part, en matière de surmortalité.
Les femmes jeunes veuves sont surreprésentées dans
la catégorie sociale « employés ». À cela, une double
raison. En premier lieu, l’asymétrie en matière de
surmortalité prématurée génère une asymétrie en
matière de veuvage précoce : majoritairement féminine, la catégorie des employés est, par conséquent,
davantage exposée à un risque de veuvage précoce
puisque les femmes sont plus souvent concernées
que les hommes. La seconde raison réside dans
l’endogamie sociale : les femmes employées vivent
très souvent en couple avec des ouvriers, catégorie
masculine particulièrement exposée à la surmortalité prématurée. En effet, le taux de mortalité prématurée des ouvriers et des employés est de 2,7 fois
plus élevé que celui des cadres supérieurs et professions libérales et 1,8 fois plus élevé que celui des
cadres moyens et commerçants (Michel, Jougla et
Hatton, 1996 ; Mejer et Robbert-Bobée, 2003).
Ce phénomène d’endogamie sociale n’est pas surprenant. Ainsi, Louis-André Vallet (Vallet, 2001) observe
que, dans un couple, lorsque l’homme est ouvrier, sa
conjointe est le plus souvent employée, ouvrière ou
inactive. Un constat confirmé par Christian Baudelot
et Roger Establet (Baudelot et Establet, 2001) : le
couple ouvrier-employée est la situation la plus rencontrée en France. Une réalité qui ne saurait être mise
en doute en cas de veuvage précoce. Enfin, à ce stade
d’analyse, il n’est pas inutile de souligner que, de
surcroît, le veuvage précoce révèle la plus grande
vulnérabilité face au décès prématuré des catégories
les moins qualifiées. Parmi les jeunes veuves, ces
disparités sociales existent : les femmes cadres et
exerçant des professions intermédiaires sont moins
touchées que les autres par le veuvage précoce.
De faibles taux d’inactivité
parmi les jeunes veufs
Un autre indicateur permet de révéler de profondes
différences entre les hommes et les femmes : il
s’agit du taux d’activité et d’inactivité. La catégorie
« inactif-inactive » renvoie au travail domestique.
Aussi, des écarts significatifs sont observés entre les
jeunes veufs et les jeunes veuves. Ces écarts
peuvent s’expliquer, d’une part, par un taux
d’inactivité des hommes insuffisamment significatif
pour être exprimé en pourcentage et, d’autre part,
des jeunes veuves sous-représentées au sein des
inactives. En effet, elles ne sont que 5 % contre
12 % pour les femmes du même âge. Le veuvage
précoce atteste donc à la fois de taux d’inactivité
beaucoup plus bas parmi les jeunes veufs que
Recherches et Prévisions
36
parmi la population adulte âgée de moins de
55 ans, ainsi que des différences sexuées. Mais,
au-delà, les taux d’inactivité plus faibles dans la
population du même âge retiennent l’attention car
ces proportions, quasiment nulles pour les hommes
mais importantes pour les femmes, sont sans doute
un effet du veuvage précoce lui-même. Elles
semblent témoigner d’une obligation à travailler
avec rémunération, surtout pour les femmes qui
sont davantage en situation de monoparentalité.
Ces taux d’inactivité faibles reflètent-ils un libre
choix de la part des jeunes veuves de s’investir davantage que les autres femmes dans la vie professionnelle ou, au contraire, sont-ils l’expression d’une
obligation alimentaire ? La question reste ouverte.
Ces données montrent que, dans une situation où la
valeur d’égalité des sexes (Théry, 2005) est devenue
une valeur majeure de nos démocraties, on ne peut
être indifférent non seulement au veuvage précoce
mais également à sa dimension spécifiquement
féminine. Les asymétries constatées incitent à poser
un regard attentif sur la conjugaison de multiples
facteurs concourant à la vulnérabilité spécifique
des jeunes veuves et, en particulier, de celles qui ne
fondent pas de nouvelle union après le décès de
leur conjoint. Le veuvage précoce est, en effet, à
l’origine de 90 000 familles monoparentales. Les
politiques sociales ne peuvent donc ignorer cette
réalité, que celle-ci revête les traits d’une conjugalité fondée sur les liens du mariage ou non.
Alors que le modèle matrimonial renvoie à une asymétrie du couple, l’évolution vers une symétrie des
rôles et une égalité des droits des hommes et des
femmes construit le paradoxe de l’inégalité économique causée par le décès précoce. En effet, l’égalité des droits entre hommes et femmes en cas de
veuvage est acquise pour les salariés dans le cadre
des régimes de retraite complémentaires depuis
1993 par suite d’un arrêt de la Cour de Justice des
Communautés européennes, mais cette égalité
continue de rencontrer une asymétrie très forte des
risques de surmortalité selon le sexe. On comprend
alors d’autant mieux l’intérêt porté aux différences
entre hommes et femmes lors d’un veuvage
précoce et, en particulier, quand ce veuvage a pour
conséquence des situations de précarité. En effet,
s’il existe des tendances à la convergence entre les
situations des hommes et des femmes, il demeure
des différences significatives que le veuvage précoce révèle : différences en termes de mortalité
prématurée, différences en termes d’appartenance
sociale des survivants, différences en termes biographiques (remise en couple, nombre d’enfants) et,
également, différences en termes de pauvreté et de
vulnérabilité. C’est à ce titre que le veuvage précoce,
désormais visible dans les chiffres, gagnerait à
devenir un phénomène connu, pour être réinvesti
au sein du débat social et de l’action politique.
n° 85 - septembre 2006
Modes de vie
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