TERRE• 21 Climat:Allègrepartencourbes - Paris

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TERRE
Climat:Allègrepartencourbes
LIBÉRATION MARDI 23 MARS 2010
•
21
Dans son livre «l’Imposture climatique», l’ancien ministre détourne une publication scientique.
Indigné, son auteur, Hakan Grudd, a fait parvenir à «Libération» la preuve de la falsification.
ÉTRANGE. La seconde? Claude Allègre a dessiné une courbe très différente de celle de Grudd pour les
années post 1900. Alors que celle
de Grudd remonte très vite et sans
jamais retomber, celle qu’Allègre a
publiée monte bien plus lentement,
puis retombe d’une manière doublement étrange. Soit l’on considère que la fin de la courbe est datée d’aujourd’hui, et alors elle
prétend qu’il n’a jamais fait aussi
froid depuis près de 1 500 ans. Ce
qui fait éclater de rire n’importe
quel climatologue. Soit on considère que l’échelle de temps de la fin
du graphique est correcte, et alors
Allègre nous fait une prédiction
toute personnelle du climat jusqu’en 2100 !
L’étrangeté ne s’arrête pas là. La
courbe de teneur en gaz carbonique
de l’air, qui n’existe pas sur le graphique de Grudd, ne correspond
lègre nous a répondu que «toutes les
courbes de l’ouvrage sont redessinées. Il y a donc des inexactitudes ou
même des exagérations par rapport
aux originaux. Ceci signifie que les
courbes ne sont que les supports illus-
Grudd». Il affirme n’avoir jamais
«dit qu’il s’agissait là d’une température moyenne du globe»… mais son
«extrapolation» – le mot fait sourire– le prétend puisqu’elle n’a rien
à voir avec les températures locales
étudiées par Grudd.
Le débat scientifique
«Toutes les courbes de l’ouvrage
porte d’ailleurs sur ce
sont redessinées. Il y a donc
point : les épisodes
des inexactitudes ou même
chauds enregistrés en
des exagérations par rapport
Eurasie autour de l’an
1000 sont-ils globaux
aux originaux.»
ou non ? Allègre préClaude Allègre répondant à «Libération»
tend que oui, sans artratifs du raisonnement écrit. Certes, guments scientifiques précis.
la partie dépassant l’an 2000 est une Grudd estime que non. Ce spécia“extrapolation” qui ne devrait pas liste de dendrochronologie
exister puisque les courbes de Grudd – l’étude du climat passé à l’aide
s’arrêtent à 2000!» Le livre précise des cernes des arbres– est présenté
pourtant «la courbe […] établie par par Claude Allègre comme un cliGrudd» et non un vague «d’après mato-sceptique, dont le travail
Dans son livre, Claude Allègre reproduit des schémas à la main.
Problème, l'un d'eux est désavoué par son auteur original
Teneur de
l'air en
CO2 en
parties par
million
(ppm)
Zone où les courbes de Grudd
et d'Allègre diffèrent
Courbe
originale
de Grudd
(en rouge)
Courbe redessinée
par Claude Allègre
(en noir)
CLIMAT LE GRAPHIQUE DE TEMPÉRATURES, AVANT/APRÈS
Ce graphique a été fourni à Libération par Hakan Grudd, paléo­climatologue à l’université de Stockholm. Il
comporte une reproduction exacte (en noir) du graphique publié par Claude Allègre, à la page 48 de son
livre. En rouge, Hakan Grudd a ajouté sa courbe, publiée dans Climate Dynamics, 2008, des températures
estivales de la région de Tornetrask (nord de la Suède). On voit qu’à partir de 1900 Claude Allègre a falsi­
fié la courbe de Grudd alors qu’il précise dans la légende de son livre «courbe établie par Grudd».
REPÈRES
Hakan Grudd est paléo­
climatologue à l’université
de Stockholm, spécialiste
des glaciers de montagne
et des cernes d’arbres
pour reconstituer les tem­
pératures passées. Il pro­
teste contre la falsification
de son travail.
AFP
«M
isleading (trompeur) et «unethical» (contraire à
l’éthique). Ces
deux mots, sévères, sont issus d’un
courriel reçu la semaine dernière au
service sciences de Libération. Un
mail de Hakan Grudd, paléo-climatologue suédois de l’université
de Stockholm,
ENQUÊTE qui proteste
ainsi contre une
falsification de données climatiques, publiée page 48 du livre de
Claude Allègre, L’imposture climatique, ou la fausse écologie, paru chez
Plon.
Cette falsification, dont les victimes
premières sont les lecteurs de
Claude Allègre, touche directement
Hakan Grudd, puisque la courbe de
température lui est attribuée par la
mention «Grudd, 2008» (1). On y
voit des températures qui, depuis
l’an 500, sont presque toujours plus
élevées qu’aujourd’hui et une chute
finale après l’an 2000.
Si Mr. Grudd a bien reconnu son
travail pour les années 500 à 1900,
il relève deux falsifications. La première ? La légende présente cette
courbe comme «la température»,
sans précision de lieu. En langage
scientifique, cela désigne une
courbe de températures globales.
Or, note Grudd, cette courbe réalisée à partir des cernes d’arbres de
la région de Tornetrask (dans l’extrême nord de la Suède) représente
uniquement les températures estivales de la région. Cette «reconstruction ne doit pas être utilisée par
erreur comme une représentation des
températures globales», accuse t-il.
pas aux valeurs connues. Si l’on
suit l’échelle de temps, Allègre prétend que cette teneur se situe près
de 300 parties par million (ppm) en
l’an 2000, alors qu’elle était de
370 ppm selon les observations.
Quant à la fin de la courbe, elle défie toute logique. Si l’échelle de
temps est conservée, on se trouverait alors en l’an 2100, avec une teneur en CO2 de 380 ppm… valeur
relevée en 2007. Si l’échelle n’est
pas conservée, pourquoi ne pas
l’avoir indiqué ?
La colère de Hakan Grudd s’explique. Falsifier des données constitue
une fraude que le monde scientifique combat vigoureusement. Un
chercheur du CNRS risquerait le licenciement pour faute s’il s’y
adonnait dans une publication
scientifique. Interrogé, Claude Al-
ORASIS FOTO
Par SYLVESTRE HUET
Claude Allègre, ancien
ministre et géochimiste,
vient de publier L’impos­
ture climatique (Plon) qui
est un succès de librairie. Il
accuse les climatologues
d’avoir «comploté» et ins­
tauré un «système
mafieux».
aurait contredit toutes les reconstitutions antérieures car lui seul
aurait tenu compte «de la compaction des cernes» en étudiant leur
densité. C’est faux: ce phénomène
connu depuis des décennies est pris
en compte par les spécialistes auxquels Allègre oppose Grudd, alors
qu’ils travaillent ensemble. Le Suédois n’a pas apprécié son enrôlement forcé dans le camp des climato-sceptiques.
«MAFIEUX». Ce graphique est présenté par Allègre comme une
preuve de «l’imposture» des climatologues –«des scientifiques dévoyés
ambitionnant l’argent et la gloire»–
auxquels il reproche de s’être imposés par «un système totalitaire» et
«mafieux». Dans son livre, il fournit un exemple de ce système dit
mafieux : «Et le malheureux chercheur qui avait fait cette découverte
essentielle a été versé dans le corps
des techniciens.» La découverte ?
«La température a augmenté à peu
près huit cents ans avant le CO2. C’est
donc la température qui est le facteur
déclenchant» (2) du réchauffement
survenu il y a 245 000 ans. Allègre
prétend que cette découverte contredit les climatologues, dont Jean
Jouzel (directeur de recherche au
CEA), qui proclament que «le CO2
est bien la cause première de la variation du climat» dans le passé. Du
coup, le «malheureux chercheur»
aurait été dégradé au rang de technicien par Jouzel pour le punir.
Il s’agit de Nicolas Caillon du Laboratoire des sciences du climat et de
l’environnement à Saclay. Voici sa
réaction: «C’est dégueulasse. Je n’ai
jamais été versé dans le corps des
techniciens. Je suis ingénieur de recherche au CNRS, à la suite d’un concours de recrutement que j’ai réussi
en 2003, après ma thèse passée sous
la direction de Jean Jouzel, qui est un
ami.» Quant à la présentation que
Claude Allègre fait de ses travaux,
il répond: «C’est un manque d’honnêteté intellectuelle flagrant. Jamais
les paléo-climatologues n’ont affirmé
que les transitions glaciaires/interglaciaires depuis un million d’années
étaient déclenchées par les gaz à effet
de serre. Donc, la découverte du déphasage de 800 années entre le début
d’un réchauffement survenu il y a
245 000 ans et l’augmentation de la
teneur en CO2 de l’atmosphère n’est
pas une surprise, c’est une quantification d’un phénomène attendu.»
Claude Allègre présente son texte
comme «un livre politique avant
tout !» Sur ce point, on le croit. •
(1) Climate Dynamics, (2008)
(2) N. Caillon et al, Nature et
Libération du 14 mars 2003.
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