Utilisation d`antithrombine humaine (Aclotine

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ARTICLE ORIGINAL
ORIGINAL ARTICLE
J Pharm Clin 2005 ; 24 (2) : 70-6
Utilisation d’antithrombine humaine (Aclotine®) dans les déficits
acquis en antithrombine après une chirurgie cardiovasculaire :
étude rétrospective
Antithrombin concentrate (Aclotine®) for the treatment of antithrombin deficiency
after cardiac surgery: a retrospective study
S. PELTIER1, C. DOMRAULT1, J.-C. MAUPETIT1*, I. FURIC1, Y. BLANLOEIL2
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Service pharmacie, CHU Nantes Laënnec, Nantes
<[email protected]>
Service réanimation de chirurgie thoracique et cardiovasculaire, CHU Nantes Laënnec, Nantes
Résumé. Les déficits acquis en antithrombine peuvent être responsables d’une diminution de l’efficacité de l’héparine
après une chirurgie cardiaque avec circulation extracorporelle. La résistance à l’héparine a déjà été évaluée pendant
la circulation extracorporelle mais pas pendant la période postopératoire. Notre travail a consisté à réaliser une étude
rétrospective d’une année portant sur les patients traités par antithrombine humaine pour un déficit acquis en
antithrombine dans un contexte d’héparinothérapie curative, en effectuant un recueil des données cliniques et
biologiques. Parmi les 20 patients traités au cours d’une héparinothérapie curative, tous présentaient un déficit en
antithrombine (taux d’antithrombine inférieur à 70 %), et 84 % de ces patients avaient un taux d’antithrombine
inférieur à 60 %. Aucun patient ne présentait une héparinémie thérapeutique malgré une posologie quotidienne
moyenne d’héparine de 312 ± 135 UI/kg. Après administration d’antithrombine humaine (Aclotine®) à la posologie
moyenne de 11,6 ± 7,0 UI/kg, l’augmentation du taux d’antithrombine est significative (p < 0,01) et pour 56 % des
patients une normalisation de leur taux d’antithrombine est obtenue. De plus, on observe une augmentation
significative des taux d’héparinémie suite à l’administration d’antithrombine humaine. Ces résultats montrent que
l’administration d’antithrombine humaine peut permettre de corriger le déficit acquis en antithrombine et de restaurer
l’efficacité de l’héparine. Cependant, les doses utilisées dans cette étude sont faibles. Ces résultats ont permis la mise en
place d’un nouveau protocole de prise en charge des défauts d’activité de l’héparine lors des déficits acquis en
antithrombine au sein du service.
Mots clés : antithrombine, déficit acquis, héparine, résistance à l’héparine, circulation extracorporelle, utilisation
thérapeutique
Abstract. Acquired antithrombin deficiency may decrease heparin’s efficiency after cardiac surgery with cardiopulmonary bypass. Heparin resistance has been evaluated during cardiopulmonary bypass but not during the
postoperative period. The aim of this retrospective study was to evaluate during one year the practice of antithrombin
supplementation after cardiopulmonary bypass in the department of cardiac surgery. Clinical and biological data
were collected from patient records. Twenty patients which were treated with heparin at therapeutic doses have
received antithrombin concentrate. For all of these patients, antithrombin level was below 70 % and 84 % of them had
an antithrombin rate under 60 %. No patient had a therapeutic level of anti-Xa activity despite a mean dose of heparin
of 312 ± 135 UI/kg. After administration of 11.6 ± 7.0 UI/kg of antithrombin concentrate (Aclotine®), antithrombin
concentration is increased significantly (p < 0,01) and 56 % of treated patients have had a normalization of
antithrombin concentration (antithrombin rate above 60 %). Anti-Xa activity is increased significantly after treatment
with antithrombin concentrate. In conclusion, antithrombin supplementation may correct acquired antithrombin
deficiency and may increase anti-Xa activity. However, low doses of antithrombin concentrate have been used. After
these results, a new protocol of antithrombin supplementation in case of reduction of heparin’s efficiency after
cardiopulmonary bypass has been established in the department.
Key words: antithrombin, acquired deficiency, heparin, heparin resistance, cardiopulmonary bypass, therapeutic use
* Correspondance et tirés à part : J.-C. Maupetit
70
J Pharm Clin, vol. 24, n° 2, juin 2005
Utilisation de l’antithrombine après une chirurgie cardiaque
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Action physiologique de l'antithrombine
L’antithrombine III ou antithrombine (AT) est une glycoprotéine plasmatique constituée de 432 acides aminés dont
le poids moléculaire est de 58 200 Da [1]. Elle est
essentiellement synthétisée par les hépatocytes ainsi que
par les cellules endothéliales [2]. Sa demi-vie biologique
est de 60 à 70 heures et sa concentration plasmatique
chez le sujet sain est de l’ordre de 2,5 lmol/L (soit 150
mg/L) [2, 3]. En clinique, on évalue plutôt l’activité
plasmatique de l’antithrombine III (en pourcentage par
rapport à celle d’un pool de donneurs sains : 100 %
équivalent à une unité d’antithrombine dans 1 mL du
plasma de référence), les taux normaux variant de 80 % à
120 % [4]. Il s’agit de la principale enzyme inhibitrice des
sérines-protéases générées lors des différentes phases du
processus de coagulation. En effet, elle inhibe principalement la thrombine (facteur IIa) et le facteur Xa, mais
également les facteurs IXa, XIa, XIIa, la trypsine, la plasmine et la kallikréine, mais pas le facteur VIIa ni la
protéine C activée [1, 2]. Cette inhibition s’effectue par la
formation d’un complexe stœchiométrique 1:1 inactif
entre la protéase et l’antithrombine [1, 2]. L’antithrombine
joue donc un rôle essentiel dans le maintien de l’équilibre
de l’hémostase.
Interaction avec l'héparine
La formation du complexe antithrombine/sérine-protéase
est fortement accélérée en présence d’héparine (de 1 000
à 2 000 fois pour la neutralisation du facteur IIa) [5, 6].
L’héparine, en se liant à l’antithrombine, entraîne une
modification conformationnelle du site actif de l’antithrombine ce qui produit une accélération de l’activité inhibitrice de l’antithrombine [6, 7]. L’antithrombine est liée de
façon covalente à la sérine-protéase mais l’héparine,
après action, se dissocie du complexe ternaire et peut être
réutilisée [7, 8].
Déficits acquis en antithrombine
Il existe des situations de déficits en antithrombine qui sont
de deux types : les déficits congénitaux et les déficits
acquis. Leurs manifestations cliniques sont celles des
thromboses et embolies du système veineux. Les vaisseaux
habituellement atteints sont les veines superficielles ou
profondes : veines iléo-fémorales, veine cave, veines rénales, veines axillaires et veines de la rétine [9]. Cependant,
l’estimation du risque thromboembolique est mal connue
[10].
Les déficits acquis en antithrombine (DAAT) sont considérés comme sévères lorsque le taux d’antithrombine est
inférieur à 60 % [4]. Ils peuvent résulter de quatre principaux mécanismes [10] :
– diminution de la synthèse hépatique, notamment dans la
cirrhose [11] ;
– augmentation des pertes, notamment au cours des syndromes néphrotiques, des pertes protéiques digestives
majeures [9] ;
– taux plasmatique diminué par certains médicaments
(L-asparaginase, œstrogènes) [9] ;
– augmentation de la consommation d’antithrombine, notamment au cours des coagulations intravasculaires disséJ Pharm Clin, vol. 24, n° 2, juin 2005
minés (CIVD), en période péri-opératoire, au cours des
traitements par héparine, dans la prééclampsie, au cours
de la circulation extracorporelle (CEC) [9]. Ce mécanisme
de consommation est le mécanisme le plus commun et
fréquemment le plus sévère [9].
Au cours de la CEC, les troubles de la coagulation
observés se traduisent par une génération importante de
thrombine et une diminution des taux circulants de l’antithrombine [12, 13]. Cette diminution est la conséquence
de l’hémodilution ainsi que de la consommation d’antithrombine accrue par la production de thrombine et
accélérée en présence d’héparine, administrée pour prévenir l’apparition de thromboses pendant la CEC. La
synthèse d’antithrombine semble également perturbée par
la CEC. L’activité de l’antithrombine ne revient à la
normale qu’après 24 heures [14].
Résistance à l'héparine
L’héparinothérapie augmente le turn over de l’antithrombine entraînant une diminution de 17 à 33 % des taux
plasmatiques d’antithrombine dans les 12 à 24 premières
heures de traitement [15, 16]. Le pic de cette diminution
survient après deux à quatre jours et le taux d’antithrombine se normalise à l’arrêt du traitement par héparine
[15]. Le taux d’antithrombine en-dessous duquel il n’y a
plus d’interaction possible avec l’héparine est estimé de
façon variable selon les auteurs de 60 à 25-30 % [11].
Ce mécanisme pourrait expliquer le phénomène d’héparinorésistance. Au cours d’une chirurgie cardiaque avec
CEC, la résistance à l’héparine a été définie, de façon
uniquement biologique, comme un allongement insuffisant
de l’ACT (activated clotting time ou temps de coagulation
activée) après l’injection d’une dose donnée d’héparine
non fractionnée. Les valeurs d’ACT et les doses d’héparine
sont variables suivant les auteurs [17]. Les causes possibles sont le déficit relatif en antithrombine, l’hyperfibrinémie, les variations individuelles, la sécrétion de PF4...
[17]. L’héparinorésistance est également évoquée dans
un contexte de thrombose veineuse et est alors définie par
un accroissement progressif des doses d’héparine, supérieures à 35 000 UI/24 h, pour le maintien d’une efficacité [18].
Traitement des déficits en antithrombine
par antithrombine humaine
En cas de déficit en antithrombine, de l’antithrombine peut
être apportée par l’intermédiaire du plasma frais congelé
(PFC) ou sous forme d’antithrombine humaine purifiée
(Aclotine® 100 UI/mL injectable – Laboratoire français du
fractionnement et des biotechnologies). La demi-vie de
55 ± 14 heures peut être diminuée lors d’un traitement
concomitant par l’héparine. L’antithrombine humaine a
obtenu l’AMM dans les indications thérapeutiques suivantes : déficits constitutionnels (en curatif et préventif) et
déficits acquis sévères (< 60 %) en antithrombine dans les
CIVD et les états septiques graves [4]. L’antithrombine
humaine est également parfois utilisée hors AMM dans les
déficits acquis en AT au cours d’héparinothérapie curative, dans le but de lutter contre le phénomène d’héparinorésistance.
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S. Peltier, et al.
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La pharmacie de l’hôpital Laënnec du CHU de Nantes a
réalisé une enquête rétrospective de l’utilisation de l’antithrombine (Aclotine®) afin d’identifier les indications, les
critères de prescription, ainsi que les posologies utilisées.
La forte proportion de prescriptions du service de réanimation de chirurgie thoracique et cardiovasculaire (CTCV)
– 81 % des patients traités par l’antithrombine humaine à
l’hôpital Laënnec sont en CTCV – ainsi que les particularités des déficits acquis d’antithrombine dans un contexte
d’héparinothérapie curative nous ont conduits à mener
notre étude dans ce service. Ce bilan permettra d’évaluer
l’homogénéité des pratiques, d’étudier l’intérêt de l’AT
dans le cadre d’une héparinothérapie curative post-CEC
avec héparinorésistance et d’envisager la mise en place
de recommandations internes afin d’harmoniser les modalités de l’utilisation de l’antithrombine humaine (Aclotine®)
et de favoriser son bon usage.
Matériels et méthodes
Population étudiée
La pharmacie a réalisé un suivi rétrospectif des prescriptions d’antithrombine humaine 100 UI/mL (Aclotine®,
Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies, courtabœuf, France) au cours de l’année 2002 dans
le service de réanimation CTCV. Durant cette période, 31
patients ont été traités par antithrombine (Aclotine®) à
l’hôpital Laënnec du CHU de Nantes dont 25 patients en
réanimation CTCV, soit 81 % des patients traités. Parmi
ces 25 patients, nous avons pu recueillir les données
nécessaires pour 24 d’entre eux. Tous ces patients sont
admis de manière programmée ou en urgence afin de
subir une intervention chirurgicale sous circulation extracorporelle (CEC). Quelques heures après la fin de la CEC,
une héparinothérapie est instaurée avec des objectifs
d’héparinémie différents en fonction du contexte clinique
motivant la prescription d’héparine. Un seul patient n’a
pas subi d’intervention sous CEC : il a été admis en
urgence pour un infarctus du myocarde qui a été suivi par
un choc cardiogénique ; ce patient a été dialysé.
Tous les patients traités par antithrombine humaine présentent une chute du taux d’antithrombine, avec un taux
d’antithrombine inférieur à 70 %, mais dans des contextes cliniques différents. Trois patients reçoivent de l’antithrombine au cours d’une hémorragie thrombotique et un
patient lors d’une coagulation intravasculaire disséminée.
La majorité des patients, soit 20 patients sur les 24
étudiés, sont traités dans le cadre d’une héparinothérapie
curative. Les paramètres biologiques explorés pour chacune de ces indications étant différents, l’étude s’est
ensuite limitée aux 20 patients présentant une diminution
du taux d’antithrombine dans le cadre d’une héparinothérapie curative, qui représente l’indication la plus fréquemment retrouvée.
Méthodes d'analyse
Recueil des données
Le recueil des données a été effectué à partir des dossiers
médicaux des patients par une interne en pharmacie. Les
paramètres étudiés ont été relevés à partir de la fin de la
CEC (retour du bloc et entrée en service de réanimation
CTCV) et jusqu’à 24 heures après la dernière administration d’antithrombine humaine (Aclotine®).
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Paramètres étudiés
Afin de comprendre les critères conduisant à la prescription d’antithrombine humaine, nous avons étudié différents paramètres. Une fiche de recueil a été élaborée afin
de rassembler les informations suivantes :
– l’identification, le sexe, l’âge et le poids du patient ;
– le type d’héparine administrée et les doses quotidiennes, afin de suivre l’évolution dans le temps des doses
d’héparine ;
– le taux d’UI anti-Xa : celui-ci reflète l’héparinémie. En
fonction du contexte clinique, le clinicien fixe des objectifs
d’héparinémie. En fonction du résultat de l’héparinémie, il
pourra procéder à l’ajustement de la posologie d’héparine afin de maintenir un taux dans la fourchette thérapeutique fixée. Afin de pouvoir effectuer des calculs, une
héparinémie rendue par le laboratoire < 0,1 UI anti-Xa
a été considérée arbitrairement comme égale à zéro ;
– le contexte clinique motivant la prescription d’héparine
car il conditionne les objectifs d’héparinémie ;
– le taux d’antithrombine afin d’objectiver un éventuel
déficit et de suivre l’évolution du taux d’antithrombine
après administration d’antithrombine humaine ;
– la posologie d’antithrombine humaine (Aclotine®) afin
de voir s’il existe une homogénéité de pratique ;
– le délai entre la fin de la CEC et la première administration d’antithrombine ;
– le nombre d’administrations d’antithrombine.
Analyse des résultats
L’analyse statistique des résultats est réalisée avec un test
t de Student pour séries appariées, sauf lors de la comparaison du taux moyen d’antithrombine initial chez les
patients corrigés et non corrigés (test t de Student de
comparaison de moyenne).
Résultats
Description de la population étudiée
La moyenne d’âge de la population étudiée est de
59 ± 15 ans (de 23 à 79 ans) et il y a 80 % d’hommes.
Le poids moyen des patients est de 72 ± 16 kg. Les
différents contextes cliniques motivant la prescription d’héparine à dose curative sont présentés dans le tableau 1.
Suivi du traitement par héparine
Tous les patients sont traités par une héparine non fractionnée.
Tableau 1. Situations cliniques des patients recevant de l’héparine à doses curatives.
Situation clinique
Assistance circulatoire
Valve aortique
(2 valves mécaniques, 3 bioprothèses)
Valve mitrale
(2 valves mécaniques, 1 bioprothèse, 1 annuloplastie)
Triple pontage
Prothèse aortique
Dialyse et infarctus du myocarde suivi d’un choc cardiogénique
Total
Nombre de
patients
7
5
4
2
1
1
20
J Pharm Clin, vol. 24, n° 2, juin 2005
Utilisation de l’antithrombine après une chirurgie cardiaque
Taux d'antithrombine plasmatique
Le taux d’antithrombine précédant la première administration d’antithrombine humaine (Aclotine®) est de
48,6 ± 11,2 % (n = 19). Pour trois patients (soit 16 %
des patients), le taux d’antithrombine est supérieur à 60 %
mais inférieur à 70 %.
Le taux d’antithrombine suivant la première injection d’antithrombine humaine (Aclotine®) est de 59,1 ± 12,3 %
(n = 18).
La figure 4 permet de comparer pour chaque patient le
taux d’antithrombine plasmatique avant et après adminisJ Pharm Clin, vol. 24, n° 2, juin 2005
500
400
300
200
100
0
J0
J1
J2
J3
J4
J5
J6
J7
Temps post-CEC (jours)
Figure 1. Doses moyennes d’héparine administrées par jour
post-CEC jusqu’au lendemain de la 1re administration d’antithrombine. (j8 et j9 non représentés car n = 1).
Nombre de patients
6
2
19
321
8
16
919
4
14
516
12
114
6
-1
20
97
73
-9
2
7
6
5
4
3
2
1
0
8
Le délai s’écoulant entre la fin de la CEC et la première
administration d’antithrombine humaine est présenté dans
la figure 2. Le traitement par antithrombine intervient au
cours des troisième et quatrième jours post-CEC pour la
majorité des patients (58 % des patients). Un seul patient,
parmi les 20 traités dans un contexte d’héparinothérapie
curative, n’a pas eu de CEC et n’apparaît donc pas sur la
figure 2.
Les doses d’antithrombine humaine (Aclotine®) administrées lors du premier traitement sont présentées dans la
figure 3. La dose moyenne utilisée est de 11,6 ± 7,0
UI/kg. La dose totale moyenne d’antithrombine administrée est de 823 ± 546 UI.
Lorsque l’on relie la dose d’antithrombine humaine utilisée
à l’augmentation du taux plasmatique d’antithrombine,
on constate qu’une unité d’antithrombine humaine par
kilogramme administrée augmente en moyenne le taux
d’antithrombine de 0,92 ± 0,80 %. C’est-à-dire que pour
augmenter le taux d’antithrombine de 1 %, on a administré en moyenne 1,2 ± 1,0 UI/kg.
On peut noter que 60 % des patients sont traités par une
administration unique d’antithrombine humaine (n = 12) ;
30 % des patients en reçoivent deux injections (n = 6) et
10 % des patients reçoivent plus de deux administrations
(n = 2).
600
49
-7
Traitement par antithrombine humaine (Aclotine®)
Dose quotidienne
d'héparine (UI/kg)
25
-4
Suivi du taux d'UI anti-Xa plasmatique
Avant la première administration d’antithrombine (Aclotine®), l’héparinémie est de 0,072 ± 0,096 UI anti-Xa
(n = 19) et aucun patient ne présente un taux thérapeutique. Après la première administration d’antithrombine
(Aclotine®), l’héparinémie est de 0,18 ± 0,12 UI anti-Xa
(n = 19). La différence par patient entre le taux d’UI
anti-Xa avant injection et celui obtenu après injection
d’antithrombine humaine est statistiquement significative
(p < 0,01 – test de Student pour séries appariées).
Parmi les neuf patients porteurs de valve, 33 % obtiennent
une anti-Xa thérapeutique après la première administration d’antithrombine humaine (Aclotine®).
tration d’antithrombine humaine. On constate que pour
13 patients, le taux d’antithrombine après administration
d’antithrombine humaine (Aclotine®) est supérieur à celui
précédant l’injection. Cette différence du taux d’antithrombine avant et après administration d’antithrombine
humaine est significative (p < 0,01 – test de Student pour
séries appariées).
Exception faite des trois patients présentant un taux d’antithrombine initial supérieur à 60 %, le taux d’antithrombine devient supérieur à 60 % pour dix patients sur 18,
soit 56 % des patients déficitaires. Cependant, seulement
trois patients atteignent un taux d’antithrombine d’au
moins 70 %. Les 18 patients corrigés présentaient, en
moyenne, un taux d’antithrombine initial plus élevé
(AT = 49,6 ± 11,0 % en moyenne) que les patients non
corrigés (AT = 41,3 ± 8,2 % en moyenne) mais la
024
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Suivi des doses d'héparine administrées
Les doses par kilogramme d’héparine administrées augmentent au cours du temps (figure 1). Avant la première
administration d’antithrombine humaine (Aclotine®), la
dose quotidienne d’héparine est de 312 ± 135 UI/kg.
Après la première administration d’antithrombine (Aclotine®), la dose quotidienne d’héparine est de 333 ± 133
UI/kg. La différence par patient entre la dose quotidienne
d’héparine avant et après administration d’antithrombine
n’est pas significative (test de Student pour séries appariées).
Délai avant la 1re administration d'antithrombine (heures post-CEC)
Figure 2. Délai entre la fin de la CEC et la 1re administration
d’antithrombine.
Nombre de patients
12
10
8
6
4
2
0
0-5
5-10
10-15
15-20
20-25
25-30
30-35
Dose d'Aclotine® administrée (UI/kg)
Figure 3. Dose d’antithrombine humaine administrée lors de
la 1re injection.
73
S. Peltier, et al.
tré d’antithrombine humaine (Aclotine®). Ainsi, l’ajout
d’antithrombine chez des patients en situation d’héparinorésistance au cours d’une CEC a effectivement permis
d’augmenter l’ACT à un niveau thérapeutique [19]. Par
contre, il n’y avait aucune différence observée sur le
devenir clinique des patients complémentés ou non en
antithrombine [19]. Dans leur étude, Bastien et al. ont
effectué une recherche systématique pendant un an en
post-opératoire de chirurgie cardiaque et ont complémenté en antithrombine les 25 patients de leur étude
présentant un déficit acquis en antithrombine contrôlé à
deux reprises [20]. Ils n’ont pas précisé les doses d’héparine qui étaient utilisées chez ces patients avant administration d’antithrombine, mais ont décrit une restauration
d’efficacité de l’héparine par l’antithrombine sans complication chez 68 % des patients [20]. Dans les autres
situations de déficit acquis en antithrombine, telles qu’en
chirurgie orthopédique, en obstétrique ou les CIVD, les
critères d’instauration d’un traitement par antithrombine
sont différents [2, 10, 21]. De plus, dans ces autres
situations de déficits, une restauration d’efficacité d’une
héparinothérapie curative comme en post-CEC n’est pas
recherchée.
Au cours de notre étude, nous constatons que l’administration d’antithrombine est réalisée au cours des troisième et
quatrième jours post-CEC pour plus de la moitié des
patients (58 %), c’est-à-dire au cours de la période durant
laquelle on augmente les doses d’héparine pour obtenir
des taux thérapeutiques. On peut noter que trois patients
ont reçu de l’antithrombine au cours des premières
24 heures suivant la CEC. Or, la synthèse d’antithrombine
est perturbée au cours de la CEC et l’activité de l’antithrombine ne revient à la normale qu’après 24 heures
[14]. On peut donc supposer que les déficits constatés
pour ces trois patients auraient pu être transitoires et ne
pas se prolonger au-delà de 24 heures. En effet, dans la
période du début de l’instauration du traitement par
héparine, il semble normal que les objectifs thérapeutiques ne soient pas encore atteints et il conviendrait donc
de différer le recours à l’antithrombine.
différence n’est pas statistiquement significative du fait des
écarts importants entre les taux des patients (test de
Student de comparaison de moyennes).
Discussion
Critères de mise sous traitement
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Les patients étudiés présentent tous un déficit acquis en
antithrombine dans le cadre d’une héparinothérapie curative postopératoire de chirurgie cardiaque. Le déficit en
antithrombine est objectivé par un taux d’antithrombine
inférieur à 70 % et 84 % des patients présentent un déficit
acquis sévère (AT < 60 %). Ce déficit peut s’expliquer par
une consommation accrue de l’antithrombine circulante
due à la présence de doses curatives d’héparine [9]. De
plus, l’héparine ne disposant plus de quantité suffisante en
cofacteur est moins efficace. En effet, le taux d’UI anti-Xa
moyen avant administration d’antithrombine humaine
(Aclotine®) est inférieur à 0,10 UI anti-Xa et n’est donc pas
dans la fourchette thérapeutique à atteindre, en dépit
d’une dose quotidienne moyenne d’héparine de
312 ± 135 UI/kg. Aucun patient ne présente un taux
d’héparinémie thérapeutique avant traitement par antithrombine.
Ces patients sont donc en situation d’héparinorésistance.
En effet, l’héparinorésistance est définie de façon générale comme l’absence de réponse adéquate à une héparinothérapie menée à des doses standards thérapeutiques
[16]. Par ailleurs, dans le traitement des thromboses
veineuses, les doses rapportées dans la littérature pour
définir l’héparinorésistance sont de 500 UI/kg (pour un
patient de 70 kg) et sont supérieures à celles de cette
étude (312 UI/kg) [18]. Pour combattre l’héparinorésistance, la pratique la plus courante est l’augmentation des
doses d’héparine afin d’obtenir une anticoagulation thérapeutique. Néanmoins, ce résultat n’est pas toujours
atteint [16]. De plus, un phénomène de rebond peut
survenir et entraîner une hémorragie. C’est pourquoi, en
pratique, l’augmentation des doses au-delà de 300 UI/kg
doit être conduite avec précaution et est à éviter lorsque le
risque hémorragique est important. Une autre alternative
peut consister en l’apport exogène d’antithrombine, par
l’intermédiaire de plasma frais congelé ou par un concen-
Modalités de mise en œuvre du traitement
Les doses d’antithrombine humaine (Aclotine®) administrées sont assez hétérogènes. Ces doses sont nettement
Taux d'AT plasmatique (%)
100
90
80
70
avant
administration
d'antithrombine
60
50
après
administration
d'antithrombine
40
30
20
10
0
A
B
C
D
E
F
G
H
I
J
K
L
M
O
P
Q
R
S
T
U
Patients
Figure 4. Taux d’antithrombine plasmatique par patient avant et après administration d’antithrombine.
74
J Pharm Clin, vol. 24, n° 2, juin 2005
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Utilisation de l’antithrombine après une chirurgie cardiaque
inférieures aux données de la littérature. En effet, les doses
moyennes administrées sont de 11,6 ± 7,0 UI/kg, alors
que dans l’étude réalisée par Bastien et al. portant sur 25
patients présentant un déficit acquis en antithrombine
après une chirurgie cardiaque, les doses sont de 27 ± 12
UI/kg, soit environ le double [20]. De plus, les doses
proposées dans les recommandations d’utilisation de l’antithrombine humaine (Aclotine®) sont de 40 à 50 UI/kg
[4]. Les faibles doses utilisées peuvent être dues au manque de données actuelles sur les déficits en antithrombine
au cours des héparinothérapies curatives et sur leur traitement, ainsi qu’au coût élevé du produit (0,47 5 TTC/UI).
D’autre part, il est recommandé d’adapter les doses à la
profondeur du déficit. D’après les données du fabricant,
l’administration d’1 UI/kg d’antithrombine humaine augmente le taux circulant d’environ 2 % dans les déficits
constitutionnels. Cette donnée ne semble pas transposable aux déficits acquis en antithrombine dans le cadre
d’une héparinothérapie curative puisque, dans notre
étude, l’administration d’1 UI/Kg d’antithrombine humaine augmente le taux circulant d’environ 1,2 ± 1,0
UI/kg seulement. Ces résultats concordent avec l’étude de
Bastien et al. car le taux d’antithrombine circulant passe
de 47 ± 10 à 75 % avec 27 ± 12 UI/kg, c’est-à-dire que
1 UI/kg a augmenté en moyenne le taux de 1,0 % [20].
Conséquences du traitement
Suite à l’administration d’antithrombine, 56 % des patients ne sont plus en situation de déficit sévère en antithrombine. Cependant, seulement 16 % des patients sont
complètement corrigés avec un taux supérieur ou égal à
70 %, alors que le taux d’antithrombine est restauré chez
60 % des patients dans une étude similaire [20]. Ces
résultats confirment que les doses administrées sont probablement insuffisantes.
Parmi les patients porteurs de valve, seulement 33 %
d’entre eux obtiennent une héparinémie thérapeutique
après la première administration d’antithrombine humaine. Dans l’étude de Bastien et al. une activité anti-Xa
thérapeutique était obtenue chez 12 % avant et 80 %
après correction par antithrombine [20]. Nos résultats
sont à pondérer par le fait que le taux d’héparinémie pris
en compte n’a pas été évalué au même temps postinjection pour tous les patients du fait qu’il s’agisse ici
d’une étude rétrospective. Toutefois, ceci renforce l’hypothèse de l’insuffisance des doses d’antithrombine humaine
administrées.
Conclusion
Les déficits acquis en antithrombine survenant au cours
des traitements par héparine sont encore mal connus,
aussi bien au niveau des conséquences cliniques que de
leur prise en charge. Notre étude a permis d’objectiver
l’existence d’un déficit en antithrombine au cours des
héparinothérapies curatives après chirurgie cardiaque et
la diminution d’efficacité de l’héparine qui peut en résulter. Nous avons pu évaluer l’utilisation qui était faite de
l’antithrombine humaine ainsi que les conséquences de ce
traitement. L’administration d’antithrombine humaine, si
elle est adaptée, peut permettre de restaurer les taux
d’antithrombine plasmatique afin d’obtenir des taux d’héparinémie efficaces permettant d’assurer une anticoagulaJ Pharm Clin, vol. 24, n° 2, juin 2005
tion de qualité. Cependant, cette efficacité n’a pas encore
été démontrée au cours d’études randomisées dans le
cadre de l’héparinothérapie curative. Ces résultats nous
ont permis de mettre en place un protocole d’utilisation de
l’antithrombine humaine au sein du service de réanimation cardiovasculaire. Celui-ci repose sur le suivi de l’héparinothérapie et le monitorage de l’héparinémie, et définit
les critères de prescription d’antithrombine humaine afin
de corriger les déficits acquis sévères diagnostiqués au
cours des héparinothérapies curatives. Il permet l’adaptation des doses administrées à l’importance du déficit et
définit un objectif d’antithrombine plasmatique cible. Cependant, cette pratique nécessite des évaluations complémentaires, notamment au niveau des doses à administrer.
La mise en place de ce nouveau protocole et son évaluation ultérieure nous permettront d’améliorer cette prise en
charge. ■
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