5 Recyclage entre lois du marché et impératifs environnementaux édito É conomie des ressources naturelles, création d’emplois, réduction des émissions polluantes et de la consommation d’énergie : le recyclage n’est qu’un élément de la réponse, mais il satisfait indiscutablement aux critères de l’équilibre économique, social et environnemental qu’il nous faut impérativement instaurer. Il représente aussi un défi industriel dans un marché mondialisé qui connaît une demande croissante. Beaucoup de déchets valorisables ne sont pas valorisés, et beaucoup de déchets valorisés sont traités dans des conditions insuffisamment encadrées quand elles ne sont pas tout simplement inacceptables. La compétitivité des matières premières secondaires et la sécurité des modes de traitement dépendent de la logistique et des outils que nous saurons mettre en œuvre. « Beaucoup de déchets valorisables ne sont pas valorisés » Depuis plusieurs années, Veolia Propreté s’y emploie avec une démarche de recherche et développement et une politique d’acquisitions qui répondent à plusieurs objectifs : concentrer des flux importants de déchets, couvrir le périmètre de toutes les filières, développer et intégrer les technologies d’identification et de valorisation des matières les plus performantes, exporter notre savoir-faire sur tous les continents. Cette évolution industrielle ouvre aussi de nouvelles perspectives sociales. Les créations d’emplois, moins pénibles et plus qualifiés, liées au développement de l’activité seront bien supérieures aux réductions qui résultent de la mécanisation. Il reste, partout, beaucoup à faire pour instaurer de bonnes pratiques, mais le potentiel de croissance des activités de recyclage est considérable. Pour les matières premières, comme pour l’énergie, nous n’avons pas d’autre choix que celui d’imaginer des solutions durables. C’est aussi une chance. Denis Gasquet Directeur général de Veolia Propreté 06 Une nouvelle gestion des ressources : alertes et stratégies 08Entretien avec Gérard Bertolini « Il faut passer d’une économie de cow-boy à une économie de cosmonaute » 11Entretien avec Dominique Bourg 20 La mondialisation du marché du recyclage 26Nord-Sud, Est-Ouest : 13Économies linéaire, circulaire et de fonctionnalité 14Un « professeur déchets » à l’université de Pékin 15Entretien avec Haiyun XU « Recyclage des déchets en Chine : du porte à porte aux solutions à grande échelle » 16Entretien avec Michel Ngapanoun ameroun : « Accéder à un autre niveau C d’expertise pour répondre à d’autres besoins » 18La leçon du professeur Babbage : réduction des coûts et économie des ressources 30Du déchet à la ressource : gisements et débouchés mondiaux des principales matières recyclées « Le principal défi que nous avons à relever s’adresse à notre imagination » la redistribution des cartes 31 La Chine, championne du papier recyclé 33Entretien avec Philippe Chalmin « Ce qu’il s’agit d’exporter, ce sont des matières premières secondaires » sommaire 34 Les règles du jeu : quels instruments pour quelle politique ? 37Entretien avec Matthieu Glachant « Responsabilité élargie du producteur : le succès en matière de recyclage, l’espoir pour la prévention » 39 Responsabilité intégrale ou responsabilité partielle : 48 Un paysage industriel en mutation 50Marges de progrès : des gisements inégalement exploités les modèles allemand et français 40 Entretien avec Adrian Poller « Produire mieux : une ambition industrielle et technologique, mais aussi un progrès humain » « Partenariat public-privé : l’exemple du modèle britannique dans le comté de Shropshire » 41La dynamique britannique : Comment passer de 85% des déchets municipaux mis en décharge en 2000 à 40% de déchets recyclés ou compostés en 2010 ? Norvège moteur du recyclage en Europe grâce à la mise en place dès 1981 du principe « pollueur-payeur » 46Entretien avec Lee Yuen Hee Singapour : « Nous avons un ensemble très complet et très strict de mesures liées à la protection de l’environnement » 56Entretien avec Dominique Maguin « Il faut que les standards de production, les normes des produits et les moyens de traçabilité soient renforcés » 43L’analyse du cycle de vie, 45Éclairage de Heidi Sorensen 55Collectes séparatives : à la recherche du meilleur compromis pivot incontournable de la prévention 53Entretien avec Olivier Doyen 58Déchets spéciaux : un modèle industriel 59Seaport, une police européenne des ports 61D3E : un sujet mondial, une filière en construction 62Ordinateurs personnels : beaucoup de matière pour un usage court 64Une réponse industrielle innovante : le site d’Angers de Veolia Propreté 65Piles usagées : l’exemple suisse Une nouvelle gestion des ressources : alertes et stratégies Le concept de développement durable marque une rupture avec la logique d’une croissance prédatrice à l’égard du milieu naturel. Il fait du recyclage l’un des instruments du nouvel équilibre économique, environnemental et social à établir. Si la plupart des pays du Nord remettent aujourd’hui en question leur modèle de développement, il leur reste à convaincre le reste du monde de l’intérêt à être vertueux. En 1864 – cinq ans après la parution de L’Origine des Espèces de Charles Darwin, et deux ans avant l’invention du mot « écologie » par le biologiste allemand Ernst Haeckel – George Perkins Marsh publie Man and Nature 1, ouvrage fondateur qui met en garde les gouvernants de la jeune république américaine contre la destruction des ressources naturelles. Marsh, alors ambassadeur des États-Unis en Italie, rappelle comment les civilisations méditerranéennes ont elles-mêmes contribué à leur déclin par la surex- ploitation de leur environnement. Sur le même thème, Jared Diamond publie un siècle et demi plus tard Effondrement 2, avec un sous-titre sans équivoque : Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie. Man and Nature, University of Washington Press, 2003 Collapse, Paperback, 2005 ; Effondrement, Gallimard, 2006, pour l’édition française 1 2 « Il faut passer d’une économie de cow-boy à une économie de cosmonaute » Entretien avec Gérard Bertolini, Directeur de recherche au CNRS, économiste et spécialiste de longue date de l’économie des déchets, Gérard Bertolini a publié de nombreux ouvrages, parmi lesquels Économie des déchets, aux Éditions Technip, qui constitue un ouvrage de référence. Le cas des plastiques et l’arbitrage entre leur recyclage et leur valorisation énergétique semble pourtant faire encore débat. Les plastiques de récupération peuvent en effet être directement utilisés comme combustibles en vertu d’un pouvoir calorifique indiscutable, mais sous réserve du contrôle de leurs composants polluants. Toutefois, si l’on compare les économies d’énergie respectives de leur recyclage et de leur incinération avec récupération d’énergie, le recyclage présente un bilan plus favorable, sauf cas particuliers où les conditions de collecte sont très pénalisantes. C’est pourquoi, avant d’en arriver Pouvez-vous illustrer ces principes ? à l’option possible de l’incinération, Le réemploi et la réutilisation sont au d’autres modes de valorisation sont à premier rang de la hiérarchie, parce qu’ils examiner. Ainsi, après le recyclage mécaconservent non seulement la matière, nique, le recyclage chimique, qui casse mais aussi la forme. Le recyclage en certaines liaisons moléculaires, permet Ce modèle est-il applicable à grande échelle ? boucle est au second rang. Il réintroduit une valorisation intéressante. la matière recyclée dans la fabrication du Le PET peut être décomposé en produits Même si les chiffres sont toujours sujets produit dont elle est issue. On fabrique intermédiaires qui entreront dans de à caution, il faut avoir à l’esprit que les ainsi par exemple de nouvelles bouteilles nouvelles fabrications en PET, ou dans la 20% les plus riches de la population fabrication de mousses en polyuréthane. mondiale consomment 80% de ce qui est en verre. Concernant le principe d’irréversibilité, on notera qu’il est possible De même, à partir des polyoléfines, c’estproduit. Donc, même avec un recyclage d’incorporer un certain pourcentage de à-dire le polypropylène et le polyéthylène, à 100%, qui reste une utopie, il ne sera on peut obtenir des cires et des paraffines pas possible de satisfaire tout le monde si papier journal dans la fabrication du carton mais que la réciproque n’est pas qui ont une valeur élevée. En dernier chacun prétend vivre comme un Amérivraie, de même pour le verre clair que lieu, il reste la solution d’un craquage cain d’aujourd’hui. Il existe par contre l’on peut foncer avec des oxydes tandis thermique qui permet d’obtenir un fuel, de vraies marges de manœuvre pour que le verre foncé ne peut être éclairci. mais son emploi supposera une éliminamieux valoriser la matière dans chacun Vient ensuite ce que j’appelle le recyclage tion de polluants, sans parler des coûts de ses états, depuis la matière première en cascade qui oriente la matière vers de commercialisation. jusqu’au déchet, selon un principe de d’autres débouchés. Parmi les plastiques, conservation qui était déjà le fait de Faut-il comprendre cette hiérarchie sociétés traditionnelles. Pour s’en tenir à le PET est ainsi recyclé sous forme de comme autant d’alternatives ? fibres utilisées dans la fabrication de des produits de base comme la laine, le On a tendance à raisonner ainsi mais, coton ou le cuir, le produit fini représente laines polaires, moquettes ou rembournotamment dans le cas des plastiques, moins de la moitié de la masse initiale, et rages. Pour rester dans le domaine des plastiques, plus complexe que d’autres, il est plus pertinent de conjuguer les mole bilan matière de beaucoup de fabricaces exemples relèvent d’un recyclage des : recycler la matière autant qu’il est tions de produits complexes est encore mécanique : la matière dont on a prépossible et, en bout de course, valoriser plus préoccupant. Prenons un exemple simple : pour produire des pruneaux secs servé les macromolécules va pouvoir être la capital énergétique qui lui ne s’est pas fondue pour être réutilisée. dégradé. n une usine opérait leur déshydratation et Vous utilisez parfois l’image selon laquelle il nous faut passer d’une économie de cow-boy à une économie de cosmonaute. Qu’est-ce que cela implique ? Par rapport à une économie extensive fondée sur une exploitation des ressources disponibles et sur la recherche de nouvelles ressources, l’économie de cosmonaute, pour un vol de longue durée, exige de limiter à leur minimum les quantités embarquées et de prolonger au maximum la durée d’autonomie. Pour cela, il faut recycler selon des circuits interconnectés qui concernent l’énergie, l’eau, l’air et éventuellement certaines matières. Nous sommes alors dans un système autonome, en boucle fermée à petite échelle. rejetait dans une rivière un jus polluant. Après traitement, ce jus entre aujourd’hui dans la préparation d’un aliment diététique qui a une valeur élevée. Par ailleurs, il existe une hiérarchie des modes de gestion des résidus fondée sur le concept d’entropie, qui répond au principe suivant : dégrader le moins possible la matière, et limiter ainsi le caractère irréversible de ses usages. En clair, il s’agit, autant qu’il est possible, de valoriser une matière selon ses propriétés spécifiques et non selon des propriétés communes à d’autres matériaux. Vers une conscience écologique mondiale De fait, la surexploitation des ressources a changé d’échelle avec la révolution thermo-industrielle. Des scientifiques de premier plan en analysent les conséquences dès le début du XXe siècle. Mais il faut attendre le lendemain de la 2nde Guerre mondiale pour que cette problématique entre pleinement dans le champ politique et économique. En 1952, une commission chargée d’anticiper les besoins en matières premières et en l’énergie souligne dans son rapport au président des États-Unis les menaces d’épuisement des ressources naturelles3. En 1957, l’économiste Bertrand de Jouvenel, affirme la nécessité du passage « de l’économie politique à l’écologie politique », en suivant une démarche dictée « par les données de la science écologique pour mesurer et réduire ou supprimer les conséquences négatives sur la Nature des activités industrielles4 ». Dès lors, le sujet commence à mobiliser l’opinion publique. En 1962, la publication du Printemps Silencieux de la biologiste américaine Rachel Carson signe l’acte de naissance du mouvement écologiste. Son premier combat aboutit à l’interdiction du DDT. Dix ans plus tard, le rapport The Limits to Growth, commandé par le Club de Rome à une équipe de chercheurs américains du Massachusetts Institute of Technology est publié en français sous un titre volontairement orienté : Halte à la croissance, fondé sur une modélisation mathématique, ce rapport fait grand bruit. La même année 1972, la création du Programme des Nations Unies pour l’Environnement signe la volonté de la communauté internationale d’appréhender les problèmes environnementaux à l’échelle planétaire. Au cœur du développement durable « Il est indispensable de modifier radicalement la façon dont les sociétés produisent et consomment si l’on veut assurer un développement durable » proclame en 2002, le rapport du Sommet mondial pour le développement durable de Johannesburg, dix ans après la conférence des Nations Unies sur l’environnement de Rio de Janeiro, trente ans après la Déclaration de Stockholm. En 2006, le rapport Stern, puis le prix Nobel de la paix décerné en 2007 à Al Gore et au GIEC 5 sont de nouve les preuves d’une conscience désormais globalisée de la nécessité d’agir. Modifier radicalement la façon dont les sociétés produisent et consomment 3 Jouvenel, pionnier méconnu de l’écologie politique, Ivo Rens, SEBES, 1996, www.unige.ch/sebes 4 Ibid 5 Groupe Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat Le concept de développement durable naît en 1987, avec le rapport Brundtland. Il est par la suite, repris par les Nations Unies au sommet de Rio. Ses principes, rappelés et développés dans le rapport du Sommet de Johannesburg, reposent notamment sur un découplage de la croissance économique et de la dégradation de l’environnement « au moyen d’une amélioration du rendement et de la viabilité de l’utilisation des ressources et des processus de production, et d’une réduction de la dégradation des ressources, de la pollution et du gaspillage » 6. Le recyclage se trouve ainsi désigné comme un instrument naturel de cette politique : il préserve le stock des ressources naturelles, ses process sont moins consommateurs d’énergie que ceux de l’exploitation de matières vierges et ils émettent donc moins de gaz à effet de serre, la réduction pouvant atteindre jusqu’à 80% dans le cas de l’aluminium. Le recyclage présente aussi, au plan social, un bilan et des perspectives bien plus favorables. Une communication de la Commission européenne indique en décembre 2005 que le recyclage de 10 000 tonnes de déchets peut impliquer jusqu’à 250 emplois, contre 20 à 40 pour un traitement par incinération et seulement 10 pour leur mise en décharge 7. Cette dimension sociale ne saurait toutefois se réduire à un critère quantitatif. Traditionnellement soumis à des conditions de travail difficiles, les métiers du recyclage, particulièrement les activités de tri, connaissent une évolution caractérisée par la création de grosses unités et une mécanisation qui réduit progressivement les interventions manuelles les plus pénibles. Les emplois créés par le développement du recyclage sont donc susceptibles d’être à la fois moins nombreux mais plus qualifiés, et, par là même, plus efficaces en termes d’insertion sociale. Dans ce domaine, toutefois, on ne saurait se contenter du seul modèle occidental. Le « recyclage sauvage » pratiqué dans les décharges dans de nombreux pays reste une réalité économique et sociale qui ne peut être brutalement bousculée et qui implique, de la part des grands opérateurs qui exportent leur savoir-faire, une approche respectueuse de tous les enjeux locaux (voir l’entretien avec Michel Ngapanoun). 250 emplois pour recycler 10000 tonnes de déchets Le recyclage se trouve aussi sommé de répondre à de nouvelles exigences. Fondamentalement défini et économiquement porté par sa capacité à approvisionner l’industrie en matières premières de seconde génération, il se trouve désormais au croisement de préoccupations qui transforment ses métiers. La protection de l’environnement et la prévention des risques sanitaires ont réorienté sa pratique via un cadre réglementaire dont l’Europe est la principale initiatrice. Ce cadre ouvre des champs nouveaux et assigne au recyclage, sur l’ensemble de ses process, une mission plus large que celle de rendre disponible des matières de récupération, notamment par l’exigence de garanties de dépollution. Les habits neufs du recyclage La notion de service, consacrée par des dispositions réglementaires substituant à la pure logique du marché celle de l’intérêt général et de la protection de l’environnement, est une autre dimension nouvelle. Le principe de la REP, la Responsabilité Élargie du Producteur, défini par l’OCDE en est la principale illustration. Grâce aux contributions des fabricants et des consommateurs, il permet le financement des filières – après celles des emballages, celles des produits en fin de vie comme les équipements électroniques. Ces extensions nécessitent d’importants développements technologiques qui stimulent la mutation industrielle du recyclage. La REP encourage aussi la réduction des déchets à la source et une éco-conception des produits qui facilite leur traitement. La vertu écologique rejoint ici l’intérêt industriel : mieux concevoir avec moins de matière, c’est, d’amont en aval, gagner en compétitivité sur les produits et sur les coûts de traitement. Les écoparcs industriels apparus dans les années 1960 s’inscrivaient déjà dans cette logique d’économie des ressources, le déchet d’une industrie devenant la matière première d’une autre. La Chine fait aujourd’hui de ce principe de l’économie circulaire un programme gouvernemental 8. 6 Rapport du Sommet mondial pour le développement durable de Johannesburg, Plan d’application, chapitre 3 7 Taking sustainable use of resources forward: A Thematic Strategy on the prevention and recycling of waste, http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/site/en/com/2005/com2005_0666en01.pdf 8 Cf. les ouvrages et articles de Dominique Bourg : Le développement durable, Gallimard, 2006 ; Environnement et Entreprises, Pearson, 2006 ; L’économie circulaire en Chine, Futuribles, 2007. « Le principal défi que nous avons à relever s’adresse à notre imagination » Entretien avec Dominique Bourg, Dominique Bourg est professeur à l’Université de Lausanne (UNIL) et membre du comité stratégique de la Fondation Nicolas Hulot. Il a été membre de la commission Coppens en charge du projet de Charte de l’environnement et vice-président de l’une des commissions du Grenelle de l’environnement. L’écologie est un thème consensuel et le développement durable une valeur très largement revendiquée. Comment analysez-vous cela ? La diffusion de l’information sur ces sujets et, par conséquent, la conscience du public ont indiscutablement franchi un seuil. Mais nous entrons dans une période critique qui va impliquer des contraintes et peut susciter des résistances. Ces résistances, qui émanent de différents groupes d’intérêts, s’appuient notamment sur les propos isolés de certains scientifiques qui, en dehors de leur domaine de compétence, prétendent par exemple contester le diagnostic émanant des experts du changement climatique réunis au sein du GIEC. Le consensus dont vous parlez sera-t-il suffisamment solide lorsqu’il conviendra d’adopter des mesures contraignantes ? Le recyclage, lui, a déjà fait ses preuves et son principe semble-t-il faire l’unanimité ? Il y a quelques décennies, les fermes étaient encore des lieux où tout déchet trouvait un usage. Mais, en quoi le recyclage modifie-t-il aujourd’hui la vie des consommateurs ? Il crée des obligations aux fabricants automobiles en raison de la directive européenne qui fixe à 90% le taux de recyclage d’un véhicule hors d’usage, mais c’est sans impact pour le consommateur, sinon qu’il peut être satisfait d’un achat « plus écologique ». La question du recyclage est à replacer, comme la question du climat, dans une problématique globale marquée par l’explosion de la consommation des ressources en progression véritablement exponentielle depuis cinquante ans. mais c’est la pièce ultime. L’objet support du service doit pouvoir intégrer des améliorations successives. Le développement durable appelle-t-il nécessairement des changements radicaux ? Il faut, selon moi réfléchir aux conditions d’une décroissance de la base matérielle de nos sociétés, comme on essaie de le faire pour le CO2, avec des instruments économiques et réglementaires. C’est une logique assez lourde qui conduira sans doute à des changements importants. Comment modifier cette tendance ? Mais c’est assez stimulant et j’observe La question de fond porte sur le que la réduction du carbone est créatrice découplage entre, d’une part, les flux de de beaucoup d’activités, notamment dans matières et d’énergie et, d’autre part, la le domaine de l’innovation. Le principal création de richesse. Une des hypothèses défi que nous avons à relever s’adresse à sur lesquelles nous travaillons aujourd’hui notre imagination. Imaginer de nouveaux est celle de l’économie de fonctionnalité. possibles, c’est à la fois une question L’usager est alors le locataire d’un bien de technique, de modèle d’organisation ou d’un service. On n’achète plus une et de régulation politique. Cette régulavoiture, mais des kilomètres. Dans ce cas tion suppose elle-même une approche de figure, la durée de vie de l’objet n’est globale. De ce point de vue, une directive plus un obstacle à l’enrichissement mais européenne sur les ressources couvrant au contraire sa condition. Tant qu’il fonc- tous les secteurs concernés me sembletionne, il génère du profit. Le recyclage rait fondamentalement plus intéressante est alors une des pièces du dispositif, que des directives juxtaposées. n Mieux qu’un miracle : un révélateur Marché mondial et gisements locaux, pratique ancestrale et défis technologiques, logique économique et impératifs environnementaux : le recyclage traduit le besoin d’une synthèse qu’il ne peut opérer seul. Inscrit presque depuis l’origine dans l’histoire de l’humanité, il est à la fois un instrument et un révélateur du rapport entre l’homme et son milieu. Le problème posé par le changement radical de ce rapport, depuis la révolution industrielle et le développement de la consommation de masse, a fait du recyclage un thème si consensuel qu’il pourrait apparaître comme la solution miracle. Or le recyclage ne peut évidemment répondre à lui seul aux besoins actuels de la production mondiale. En outre, toute matière n’est pas indéfiniment recyclable. L’entrée dans le XXIe siècle a accru la conscience des tensions pressenties ou observées depuis plusieurs décennies. La demande croissante en énergie et en matières premières est portée par le fort développement de pays comme la Chine, l’Inde ou le Brésil, tandis que la perspective d’une augmentation de 50% de la population mondiale au cours du siècle à venir pose la question de savoir comment la Terre pourra subvenir aux besoins de ses habitants. On mesure aussi la difficulté à établir un équilibre, à l’échelle mondiale du marché, entre des règles qui garantissent à la fois la sécurité environnementale et sanitaire, l’exercice d’une concurrence entre opérateurs nationaux et internationaux du recyclage non pénalisante pour les plus socialement responsables, et la facilité de circulation et d’usage des déchets dès lors qu’ils ont été traités pour être réutilisés. Inventer des futurs non prévisibles Vingt ans après le rapport The Limits to Growth dont elle avait été un des auteurs, Donatella Meadows renouvelle en 1992 dans Beyond the Limits l’alerte à la surexploitation des ressources et à l’accumulation croissante des déchets et polluants. Non sans évoquer, néanmoins, la possibilité d’un scénario optimiste : « Nous croyons que la transition vers un monde durable est techniquement et économiquement possible, mais nous savons que cette transition est psychologiquement et politiquement intimidante… »9 Envisagée à l’échelle planétaire, la conduite du changement porte en effet la complexité et les difficultés Économies linéaire, circulaire et de fonctionnalité L’économie linéaire est caractérisée, en amont par le prélèvement de ressources, en aval par l’accumulation de déchets. C’est une économie du « jetable ». L’économie circulaire s’inspire du fonctionnement quasi cyclique des écosystèmes naturels. Elle vise à convertir les déchets de certains industriels en ressources pour d’autres et, plus globalement, à systématiser la valorisation des biens à la fin de leur usage. L’économie de fonctionnalité vise à réduire la quantité de matière utilisée (moins de matière pour une même fonction). La vente d’un service substituée à la vente d’un bien est un prolongement possible de cette stratégie. Dans ce cas, l’industriel, qui vend un usage et une maintenance, est amené à concevoir des produits durables et modulables. Source : Le développement durable, Dominique Bourg, Gilles-Laurent Rayssac, Éd. Gallimard, 2006 au plus haut degré. Cependant, les instruments réglementaires, le progrès technique et les mécanismes économiques peuvent soutenir une même logique. Les programmes de réduction des émissions de CO2 en témoignent, qui stimulent la recherche et les études dans plusieurs secteurs d’activité (voir l’entretien avec Dominique Bourg). C’est un modèle applicable à la gestion des ressources. Il justifie qu’on attribue au développement durable sa dimension d’opportunité. René Dubos 10, auteur avec l’économiste britannique Barbara Ward, du rapport de la première conférence internationale sur l’environnement tenue à Stockholm en 1972, conclue ainsi une conférence donnée en 1978 11: « Des millénaires d’expérience montrent que, en entrant dans une symbiose mutuelle avec la Terre, le genre humain peut inventer et générer des futurs non prévisibles, à partir de l’ordre déterminé des choses, et peut ainsi s’engager dans un processus continu de création. » n La transition vers un monde durable est techniquement et économiquement possible 9 Cité par Hunter Lovins in Cinq défis et leurs solutions, adaptation française d’Andrée Mathieu, http://agora.qc.ca 10 Biochimiste américain d’origine française, il fut chercheur et professeur à l’Institut Rockefeller de New York. 11 La restauration des écosystèmes, conférence donnée à l’Université du Colorado, http://www.walloniebruxelles.org/mot.nsf/Dossiers/Rene_Dubos Un « Professeur Déchets » à l’université de Pékin Le Professeur Huanzheng Du, vice-président de l’université de Jiaxing, aime se présenter comme l’un des deux « Professeur déchets » de Chine… Il est à l’avantgarde du mouvement pour une économie circulaire dont le principe fait son chemin : « D’abord ce n’était qu’une théorie, et puis c’est devenu un concept, et c’est en train de devenir une loi-cadre ». Ce texte appelé « loi sur l’économie circulaire » est déjà passé en première lecture dans les instances législatives chinoises au mois de novembre 2007. Mais le Professeur Du situe aussi l’enjeu du recyclage dans le cadre des échanges internationaux en se fondant sur l’exemple de la province du Zhejiang (au sud de Shanghai) qui présente le paradoxe d’être l’une des provinces les plus démunies en matières premières mais qui dispose, après Pékin et Shanghai, du plus fort PNB par habitant du pays. Selon le Pr. Du, cette province est la preuve de la richesse que représentent les « déchets ». Il y a vingt ans, on collectait dans la rue, on recyclait à petite échelle et assez mal. Aujourd’hui on recycle non seulement les déchets de la rue, mais aussi et surtout les déchets Pour lui l’importation de matières premières de seconde génération est à encourager. L’équation d’ensemble fonctionne ainsi : la Chine étant l’usine du monde, son appétit en matières premières est insatiable. Les coûts de main-d’œuvre y sont nettement inférieurs ce qui rend la récupération de matières premières de seconde génération non seulement viable mais même profitable. L’importation en Chine des déchets occidentaux sert donc le double propos de contribuer à la protection de l’environnement au niveau mondial tout en alimentant la Chine en matières premières. « Pour une tonne de papier recyclé produite, 17 arbres sont sauvegardés » affirme-t-il. adaptées aux exigences du marché, voire d’une classification spécifique. De plus en plus d’entités, des ONG comme des États, commencent à accepter cette idée, mais l’appui des grandes sociétés internationales est également nécessaire pour faire avancer ce concept. « Il nous faut des règles qui facilitent les échanges de déchets tout en contrôlant de manière plus stricte les contenus et les destinations ». Il estime qu’il ne serait pas compliqué de « marquer » les déchets. On saurait ainsi que la carcasse d’une voiture en Allemagne est devenue un sac de petites billes métalliques en Chine lesquelles vont servir à la fabrication d’un nouvel objet. Il voudrait établir des zones internationales contrôlées de recyclage des déchets. Ainsi les problèmes d’hygiène et de sécurité seraient résolus et la qualité serait garantie. Ces zones spéciales, idéalement situées à proximité des ports, devraient êtres contrôlées par le gouvernement. Pour que les choses avances vraiment, le professeur Du pense que l’OMC doit faire évoluer son approche des transferts internationaux de déchets. Les déchets étant aussi des matières premières, ils devraient bénéficier de règles plus Car aujourd’hui beaucoup de choses passent par Hong Kong. C’est la plaque tournante des matières premières, notamment pour les plastiques. Les lois sont plus simples et une fois à Hong Kong, les produits rentrent plus facilement en Chine... industriels locaux et en provenance de l’étranger, on utilise des technologies avancées, et l’on est capable de sortir en fin de chaîne des produits dont les standards de qualité sont de niveau international. « Recyclage des déchets en Chine : du porte à porte aux solutions à grande échelle » Entretien avec Haiyun XU, Ingénieur en chef à l’institut de recherche et de design en construction urbaine de Chine. Cet institut d’État a été fondé en 1985. Il emploie 300 salariés et a un chiffre d’affaires de 80 millions de RMB. Il est à l’origine de la conception de plus de 10 centres de stockage des déchets en Chine et de plus de dix incinérateurs. Quelle est dans les grandes lignes la situation du traitement des déchets en Chine ? Nous avons en Chine 661 villes, qui produisent 155 millions de tonnes de déchets par an (chiffres 2005). On estime que 52% de ces déchets sont traités par stockage, incinération ou compostage. Donc 48% ne sont pas traités. Il faut en outre garder à l’esprit que nous avons énormément de « pilleurs de poubelles » qui font déjà la plus grosse partie du travail de recyclage en amont du ramassage et de la récupération des déchets. Nous n’avons pas de statistiques officielles sur cette activité, mais il est couramment estimé qu’au moins 30% des déchets sont récupérés par ces recycleurs individuels que l’on voit un peu partout dans la rue, traînant ou poussant des chariots de piles de vieux papiers, de planches de bois récupérées de chantiers, ou de bouteilles plastique… De nombreuses familles récupèrent également et vendent leurs vieux papiers et leurs emballages (plastiques, boîtes de conserve en acier et en aluminium,…). Les bouteilles en verre sont généralement consignées. Qu’en est-il de déchets plus difficiles comme les piles ? Il y a environ huit ans, plusieurs ONG ont fait savoir qu’il était très mauvais et dangereux pour l’environnement de jeter les piles avec le reste. Mais en 2004, la SEPA, notre agence d’État pour la protection de l’environnement a publié une règle disant qu’il n’y avait pas d’impact si l’on mettait les piles normales (alcalines par exemple) en décharge donc c’est ce qui se passe à présent. Il faudrait organiser des points de collecte, ce qui est assez simple car il s’agit de déchets secs et compacts mais pour le moment cela n’existe pas. Les fabricants de piles et batteries devraient se responsabiliser et contribuer à résoudre le problème de leur traitement. Si on pouvait créer une taxe à la source (quand la pile quitte l’usine) cet argent serait ensuite utilisé pour recycler ou traiter le produit en fin de cycle économique. Mais ceci n’est viable qu’à une certaine échelle. Le recyclage en Chine est-il perçu comme une opportunité économique ou un devoir écologique ? Suite au XVIIe congrès, une nouvelle loi va être mise en place pour le recyclage des produits électroniques, mais pour le reste il n’y a aucune loi particulière à ma connaissance. Néanmoins, en Chine, le recyclage a une vraie logique économique. Comme nous manquons cruellement de matières premières, nous considérons les déchets recyclables comme de véritables matières premières en attente d’une seconde vie. Pour la plupart des gens, le recyclage est une source de revenus. Source principale pour les « pilleurs de poubelles », complément de salaire non négligeable pour les familles qui vendent leurs vieux papiers et déchets d’emballages. On dit souvent de la Chine qu’elle est l’usine du monde. Certains prétendent aussi qu’elle pourrait devenir la poubelle du monde. Qu’en pensez-vous ? Nous ne voyons pas les choses comme cela. D’ailleurs la Chine interdit l’importation de déchets. En revanche, nous pouvons importer des matières premières secondaires. Notre coût de main-d’œuvre est plus bas que dans le monde occidental, nos demandes en matières premières sont énormes, nous n’avons plus de forêts… tout cela explique le flux de « ressources à recycler » qui arrivent en Chine. Où en est la Chine concernant les technologies de recyclage ? Pour ce qui est du papier, aucun problème technique. Nous avons les mêmes usines qu’en Europe. Pour les déchets électriques et électroniques en revanche, nous manquons d’expérience et d’expertise. Ce sont principalement des petites entreprises familiales. Les machines utilisées sont très artisanales. Ce secteur semble aujourd’hui trop éparpillé et décentralisé pour pouvoir être contrôlé de manière satisfaisante. D’ailleurs il ne me semble pas réaliste de vouloir centraliser cette activité. Certes ces activités polluent beaucoup, mais si nous les interdisons, les déchets iront en décharge et ce sera une double perte. Même si des lois strictes passaient dans ce secteur, elles seraient trop coûteuses à imposer sur le terrain. Et interdire ce recyclage à petite échelle des produits électroniques mettrait au chômage technique tous les petits opérateurs… Il faudra au moins cinq ou plutôt dix ans avant que les choses ne s’arrangent. C’est difficile à comprendre pour un occidental mais ici, si une famille met une vieille télévision dans la rue car elle s’en est acheté une nouvelle, tout le monde sait très bien qu’elle en attend une offre de celui qui voudra la ramasser… Comment résumeriez-vous les défis et les problèmes liés au recyclage des déchets ? En ce moment nous insistons sur l’économie circulaire ou cyclique, mais je pense que nous devrions insister sur l’aspect propre, « vert » du recyclage. Le plus gros problème, c’est le manque d’argent investi pour soutenir la collecte et le traitement des déchets et la prise en compte dans ce processus des questions d’environnement. Il faudrait vraiment que l’on passe du recyclage économique au recyclage écologique. Mais je pense que cet argent ne doit pas seulement provenir de l’État, il doit aussi venir des particuliers et des industries. n « Accéder à un autre niveau d’expertise pour répondre à d’autres besoins » Entretien avec Michel Ngapanoun, Directeur général de la société Hysacam (Hygiène et Salubrité du Cameroun) créée en 1969, principal opérateur dans les services de propreté au Cameroun. L’approche des déchets est culturellement différente selon les pays et les niveaux de développement. Quelle est la situation du Cameroun à cet égard ? La perception culturelle et la définition économique du déchet ne sont pas les mêmes partout dans le monde. Ce qui est un déchet dans un pays développé, parce que le produit a atteint un certain degré d’usure, ou parce que le contenant a été vidé de son contenu, conserve dans un pays comme le Cameroun une valeur d’usage. Par ailleurs, le Cameroun, comme tous les pays, connaît une urbanisation croissante qui induit d’autres comportements et d’autres modes de consommation lisibles dans l’évolution de la nature des déchets. Les papiers, cartons et plastiques sont en augmentation. Cela introduit une autre distinction quant à la perception des déchets, selon que le contexte est urbain ou rural. La ville a des contraintes d’espace qui rendent la question du déchet plus sensible, ce qui n’est pas le cas dans les villages, où les emballages sont quasiment absents et où les déchets sont presque exclusivement fermentescibles et peuvent finir au pied des bananiers et des caféiers. Nos priorités concernent donc évidemment l’espace urbain avec un enjeu qui est d’abord sanitaire. Une étude conduite à Yaoundé en 1999 a montré qu’un traitement satisfaisant des déchets pouvait réduire de près de 20% certaines affections comme le paludisme ou les maladies cutanées. Quel est le degré de sensibilisation collective par rapport à ces questions ? La prise de conscience est réelle et notre entreprise, qui a quarante ans d’existence, ne se serait pas développée si elle ne répondait pas à une demande. La collecte des ordures ménagères est d’ailleurs une obligation de service publique inscrite dans nos lois, mais les moyens des collectivités ne suivent pas forcément l’augmentation des besoins. Nous savons pourtant que ce doit être une priorité, et c’est un sujet récurrent dans notre dialogue avec les pouvoirs publics. En 1992, lorsque le Paris-Dakar est passé par Yaoundé, les médias ont donné de notre capitale une image qui n’était pas flatteuse, et chacun comprend que cette image n’est pas favorable au tourisme et au développement économique. Nous participons nous-mêmes à la sensibilisation de la population par une information de proximité. L’extension de notre présence sur le territoire camerounais est aussi un facteur incitatif, puisque nous intervenons aujourd’hui dans sept des villes principales du pays et que nous avons acquis une maîtrise dans la gestion de nos moyens qui nous permet de servir non seulement les centres-villes mais également les périphéries. Peu à peu progresse l’idée que la propreté est un droit pour tous autant qu’une nécessité qui implique la responsabilité de chacun. Nous promouvons l’idée d’une organisation des assises nationales camerounaises de déchets pour donner une plus grande ampleur à la question de la gestion des déchets et de la préservation de l’environnement urbain. Cependant, quel que soit le degré de sensibilisation et de volonté politique, il faut garder à l’esprit que le Cameroun est un pays en développement qui dispose donc de moyens limités, notamment pour ce qui concerne la gestion des déchets. Dans ce contexte, la question du recyclage, sur un mode formellement organisé, est-elle d’actualité ? Avec l’augmentation des volumes de déchets liée à l’urbanisation, sont apparus, comme c’est le cas dans de nombreuses régions du monde, des réseaux de récupération informelle des textiles, des plastiques et autres matériaux concentrés dans les décharges. Plutôt que de recyclage, il s’agit surtout de réutilisation. Cela concerne les métaux, mais aussi les emballages en verre et en plastique, qui vont trouver une seconde vie dans le conditionnement de productions artisanales, comme l’huile de palme qui est la plus consommée au Cameroun. Il y a quelques années, un programme de l’ONUDI, l’Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel, avait été mis à l’étude pour encadrer ces pratiques dans une filière organisée avec des industriels dont on aurait aidé les investissements dans des outils de transformation des déchets en matières semi-œuvrées susceptibles d’entrer dans leur production. Ce projet est malheureusement resté sans suite, mais il faut reconnaître la rareté des débouchés industriels pour des matières recyclées au Cameroun, or il ne sert à rien de produire une matière qui ne pourra trouver preneur. En Europe, vous avez notamment développé les déchèteries qui favorisent le recyclage des matières, mais cela suppose des investissements et des budgets de fonctionnement que nous n’avons pas. Cet axe de développement reste cependant pour nous à l’ordre du jour, comme en témoigne nos projets retenus au titre des Mécanismes de Développement Propre 12 (MDP). L’un de ces projets prévoit la mise en place d’unités de production de compost, ce qui valorisera la part fermentescible qui compte pour beaucoup dans nos déchets – elle est de l’ordre de 82 à 85%, ainsi que le captage du biogaz, ce qui répond à la volonté du président du Cameroun qui s’est engagé devant l’ONU pour une participation de notre pays à la lutte contre le réchauffement climatique. L’activité économique produit des flux de déchets homogènes qu’il est plus facile de capter à la source et dont la valorisation est potentiellement plus simple. Observez-vous cela au Cameroun, et votre entreprise intervient-elle aussi dans ce domaine ? Cette question recouvre beaucoup d’enjeux et, particulièrement, celui de l’équilibre entre développement industriel et respect de l’environnement. J’ai indiqué notre engagement dans les projets MDP, d’autres projets du même type se construisent autour des exploitations forestières et de l’agro-industrie avec des objectifs de valorisation énergétique des déchets et de captage du biogaz. Mais sur la question de la volonté des entreprises à maîtriser leurs déchets et à les valoriser, la réalité a deux visages. La réalisation de l’oléoduc entre le Tchad et notre ville côtière de Kribi a été un grand moment de mobilisation de nombreuses ONG soucieuses du respect de l’environnement. La forte visibilité de cette opération a obligé tous les acteurs, les groupes pétroliers comme les entreprises chargées des travaux, à des pratiques scrupuleuses en matière d’environnement. Mais tous les industriels étrangers qui s’implantent en Afrique ne se sentent pas tenus aux mêmes obligations environnementales que lorsqu’ils agissent dans leur cadre national. Pour certains, venir en Afrique c’est aussi s’affranchir de certaines contraintes, et leur imposer ces contraintes c’est courir le risque qu’ils aillent s’implanter ailleurs… Néanmoins, sur ce sujet aussi nous progressons. L’administration a mis en place des contrôles et des sanctions pour les entreprises qui ne gèrent pas correctement leurs déchets. Cette mesure porte déjà des fruits. Au sein de notre entreprise, nous pensons aussi que les déchets industriels représentent un potentiel de développement. Nous avons acquis une solide expérience – bientôt 40 ans de métier – grâce à laquelle nous avons construit une organisation adaptée au contexte camerounais, mais avec beaucoup de flexibilité. Nous ressentons la nécessité d’accéder à un autre niveau d’expertise pour répondre à d’autres besoins, notamment le traitement des déchets dangereux de l’industrie et des hôpitaux. Mais l’urgence est d’abord d’en assurer la collecte et de préserver l’environnement. n 12 Le Mécanisme de Développement Propre, ou MDP, encadré par les Nations Unies, concerne des projets réduisant les émissions de gaz à effet de serre dans les pays en développement. Il permet aux investisseurs des secteurs public ou privé de pays industrialisés d’acquérir des crédits d’émission certifiés correspondant aux réductions obtenues. Ci-dessus : Paris-La Plaine St Denis - Un atelier d’écornillage Ci-dessous : Déville-lès-Rouen - Classement des cornes À droite : Paris-Montreuil-sous-Bois - Emmagasinage des peaux classées La leçon du professeur Babbage : réduction des coûts et économie des ressources Mathématicien anglais, professeur à l’Université de Cambridge, Charles Babbage est considéré comme l’un des pères de l’informatique. Dans son ouvrage On the Economy Of Machinery And Manufactures, publié en 1832, il prend l’exemple d’une tannerie pour illustrer une parfaite exploitation de la matière première. Parmi les causes qui tendent à réduire le prix de production, et qui ne peuvent exister sans le concours d’un capital additionnel, on peut citer l’attention toute particulière qu’on met dans les grandes fabriques à ne rien laisser perdre des matières premières : cette attention engage souvent à réunir dans un même établissement deux genres d’industrie qui naturellement auraient dû être tout à fait séparés. Pour présenter un exemple frappant de ce genre d’économie, il me suffira de faire l’énumération des différents arts dans lesquels on se sert des bestiaux. Le tanneur qui achète les peaux en sépare les cornes, et les vend aux fabricants de peignes et de lanternes. La corne se compose de deux parties : d’une partie extérieure, qui est une espèce d’enveloppe en corne proprement dite, et d’une partie intérieure, formée d’une matière de forme conique, intermédiaire en quelque sorte entre les os et les cheveux durcis. La première opération consiste à séparer ces deux parties en frappant la corne contre un bloc de bois ; puis, au moyen d’une scie, on débite l’enveloppe de corne en trois parties. 1. La partie inférieure, qui est à la racine de la corne, subit diverses opérations qui ont pour but de l’aplatir, et elle est façonnée en forme de peignes. 2. La partie du milieu, aplatie à l’aide de la chaleur, et rendue plus transparente par l’immersion dans l’huile, est coupée par couches minces, et sous cette forme elle remplace le verre dans les lanternes communes. 3. Le bout de la corne sert à faire des manches de couteaux ou des toupies d’enfants, ou autres objets semblables. 4. L’intérieur ou le cœur de la corne est bouilli dans l’eau : beaucoup de graisse s’élève à la surface ; on la met de côté, et on la vend aux fabricants de savon commun. 5. Cette même eau s’emploie comme une sorte de colle ; elle est achetée par les apprêteurs pour gommer la toile ; 6. Les matières qui restent sont broyées sous une meule, et vendues aux fermiers comme engrais. En outre, les rognures que fait le fabricant de peignes sont vendues aussi comme engrais, au prix de 1 shilling le boisseau. Cet engrais produit peu d’effet l’année même où il est étendu sur la terre ; mais son influence est sensible sur les quatre ou cinq années suivantes. Les rebuts du fabricant de lanternes sont composés de morceaux beaucoup plus minces ; une partie est découpée en diverses figures qu’on peint, et qui servent de jouets aux enfants à cause de leur propriété hygrométrique qui les fait courber par la chaleur de la main ; mais la plus grande partie se vend aussi comme engrais, et étant sous une forme très mince et très divisée, elle produit son effet complet sur la première récolte. La mondialisation du marché du recyclage La part des matières premières secondaires ne cesse d’augmenter dans la production industrielle mondiale. Décollage des pays en développement, explosion de la demande et des prix des matières premières et risque de pénuries rendent le recyclage de plus en plus incontournable. Une tendance de fond que renforce encore la montée des réglementations sur la valorisation des déchets. Visiblement, l’économie du recyclage est en train de changer d’échelle, portée par le dynamisme de l’économie mondiale et l’envolée de la demande de matières premières. Grâce au développement accéléré des pays émergents, le PIB de la planète affiche en effet des records inégalés depuis la décennie 1960 : 4,4% de croissance moyenne annuelle entre 2001 et 2006 et plus de 5% en 2006. En tête du palmarès, les pays asiatiques, au premier rang desquels la Chine (de 10% à 10,7% de croissance annuelle entre 2003 et 2006), suivie de l’Inde (entre 7% et 9% de croissance par an depuis 2003), mais aussi les pays d’Europe centrale et orientale et la Turquie (+ 6,8%, en moyenne, en 2006). Traduction de cette vitalité, la production industrielle mondiale enregistre une progression soutenue et même exponentielle dans des pays comme la Chine, devenus les usines du globe. Entre 2001 et 2006, la production d’acier brut a crû de 47,5% dans le monde et de 194% en Chine ! En six ans, la production mondiale de papier a augmenté de 9%, celle de la Chine a doublé… Résultat : la demande de matières premières explose et, l’offre de ressources naturelles peinant à suivre, booste les marchés de matières premières secondaires. Depuis 2000, la capacité mondiale de production des fours électriques permettant de fabriquer de l’acier à partir de ferrailles a par exemple grimpé de plus d’un tiers. Aujourd’hui, la ferraille représente plus de 40% de la production d’acier en Europe et plus de 57% en Amérique du Nord. De même, la production européenne d’aluminium recyclé enregistre une croissance en flèche depuis la fin des années 1990 et a triplé en vingt ans. Quant aux fibres cellulosiques de récupération (FCR), leur part dans la production mondiale de papier neuf aura sans doute atteint le seuil symbolique des 50% en 2007. De 1970 à 2006, alors que la production de papier augmentait de 167%, la consommation de fibre vierge n’a d’ailleurs crû que de 96%, quand celle de papiers recyclés faisait un bond de 386% ! Les matières premières secondaires deviennent incontournables pour la fabrication d’un nombre croissant de produits, d’autant plus que les technologies de recyclage ont progressé et que le bilan économique de ces nouvelles ressources se révèle souvent très favorable. Non seulement les fibres cellulosiques de récupération coûtent moins cher que la pâte à papier vierge, mais fabriquer une tonne de papier neuf avec cette matière économise 67% d’énergie. Un four électrique nécessite un investissement nettement moindre qu’un haut fourneau et produire de l’acier à partir de ferraille plutôt que de minerai de fer et de coke consomme 85% d’énergie en moins… Autant d’arguments convaincants, surtout quand le prix de l’énergie s’envole. Les pays émergents s’industrialisent en s’approvisionnant dans les pays riches… Mondialisation des marchés Autre conséquence de cette nouvelle donne : les marchés du recyclage se mondialisent. En effet, si la demande émane de plus en plus des pays en développement, les gisements se situent pour l’essentiel dans les pays à fort niveau de vie, gros producteurs de déchets et, donc, de matières premières secondaires. Entre 1998 et 2006, les échanges mondiaux de ferraille ont par exemple augmenté de 65% en volume, la Turquie devenant le premier importateur au monde. De leur côté, les États-Unis ont augmenté leurs exportations de papier, métaux, plastiques, pneus et autres matériaux de récupération de 62% en cinq ans. Leurs principaux clients ? Des pays en développement ou nouvellement industrialisés, comme l’Inde, la Turquie, Taïwan, le Mexique, la Corée du Sud et, surtout, la Chine. En 2005, les matières premières secondaires constituaient même le second poste d’exportation américain dans ce pays, derrière l’aéronautique ! Une révolution emblématique du nouvel ordre économique mondial. Le Nord a bâti son développement en faisant appel aux matières premières du Sud. Aujourd’hui, ce sont les pays émergents qui s’industrialisent en s’approvisionnant dans les pays riches… Troisième conséquence du décollage des pays en développement (PED) et de leur pantagruélique appétit de matières premières : le recyclage gagne en rentabilité, ce qui devrait d’autant mieux favoriser son développement. Par la simple différence de coûts de main-d’œuvre entre les pays émergents et les pays les plus riches, de nouvelles filières voient le jour, des déchets (sans valeur d’échange) se transforment en ressources qui ont un prix. C’est le cas des films plastique en mélange collectés dans l’industrie ou la grande distribution. « En Europe, il n’est pas possible de les recycler, explique Jacques Musa, directeur du département Plastiques de Veolia Propreté France Recycling. Les trier par matériaux, les débarrasser des rubans adhésifs et des étiquettes coûterait trop cher. En revanche, dans les pays asiatiques l’opération est viable et, depuis cinq ans, la Chine en importe. Aujourd’hui, elle achète environ 40% des films collectés en Europe et l’Inde,10%. » Hausse des prix durable Mais, surtout, les prix des matériaux de récupération ont profité de la tendance haussière des matières premières, dont le baril de pétrole flirtant avec les 100 dollars n’est qu’une illustration. Le cours du minerai de fer a crû de 71,5% en 2005 et de 19,5% en 2006. Menace de raréfaction en raison de l’explosion des besoins et du retard de l’industrie minière à investir dans de nouvelles capacités de production, plus spéculation des fonds d’investissement : nombre de métaux non ferreux ont même vu leur cours flamber. En quatre ans, dopé par la demande croissante de batteries, celui du plomb a décuplé. En deux ans, le cours du nickel (qui sert notamment à la production d’acier inoxydable) a décollé de près de 150%, celui du cuivre (très utilisé dans les équipements électriques et électroniques), de 200%… Les prix des mitrailles de métaux non ferreux leur ont emboîté le pas, tout comme celui de la ferraille et, dans une moindre mesure, ceux du plastique et du papier recyclés. « La nouveauté, à l’aube du XXIe siècle, c’est qu’il semble s’agir d’une tendance de fond, souligne Taïsei Miura, directeur Marketing et Développement France de Veolia Propreté. Les marchés de matières premières et de matières recyclées ont toujours été volatils. Mais, désormais, même s’ils continuent à fluctuer, les prix devraient durablement rester sur une tendance haussière long terme. De ce fait, des schémas de valorisation qui n’étaient pas forcément viables hier le deviennent de plus en plus aujourd’hui. Dans l’Est de la France, une de nos filiales, SARP Industries, a par exemple mis en service une unité de récupération du nickel contenu dans des effluents industriels dont l’investissement se justifie pleinement avec les prix élevés rencontrés récemment sur le marché du nickel. Nos métiers avaient une faible intensité technologique, la montée du prix des matières recyclées change la donne. Désormais, nous avons une certaine visibilité et nous pouvons investir dans la R&D pour mettre au point des technologies de tri de plus en plus sophistiquées, qui permettront de recycler davantage de matières demain. » De fait, sauf crise économique ou géopolitique, la demande de matières premières promet de rester soutenue dans les décennies à venir. D’ici à 2025, la population mondiale, qui a déjà fait un bond de 46% en une génération (4,5 milliards de personnes en 1980, 6,5 milliards en 2005), s’enrichira encore de 1,3 milliard d’individus. Jusqu’en 2020, la Chine devrait afficher un taux de croissance économique annuel d’environ 6,6%, l’Inde de 5,5%. Et d’autres pays asiatiques ne demandent qu’à suivre : l’Indonésie (223 millions d’habitants et un taux de croissance d’environ 6% en 2006), le Viêt-nam (84,1 millions d’habitants, plus de 8% de croissance), les Philippines (84,6 millions d’habitants, plus de 5% de croissance) ou encore la Thaïlande (64 millions d’habitants, 5% de croissance). Les besoins vont donc continuer à croître et les ressources naturelles à se restreindre, en particulier le pétrole, mais aussi les métaux. Même si la découverte et l’ouverture de nouvelles mines peut détendre ponctuellement la situation, leur raréfaction est inévitable à long terme. Croissance des gisements de matières secondaires Thomas Graedel, professeur d’écologie industrielle à l’université de Yale (États-Unis), a par exemple calculé que si, en 2100, tous les pays du monde bénéficiaient du même niveau de vie et des mêmes technologies que les États-Unis, la planète aurait en permanence besoin de 1,7 milliard de tonnes de cuivre13. Or les réserves connues s’élèvent à 1,6 milliard de tonnes, dont seule une partie est exploitable en l’état actuel 13 Alternatives économiques N° 250, sept. 2006, p. 50, Métaux en fusion, Benjamin Barda. des technologies. Des pénuries de cuivre, mais également de zinc ou de platine, seraient donc possibles avant la fin du siècle… À l’inverse, les gisements de matières premières secondaires vont nécessairement s’accroître. « En Finlande, en France et en Allemagne, on observe certes un découplage entre les dépenses de consommation, qui continuent à augmenter, et la production de déchets, qui commence à baisser, note Bernard Lanfranchi, directeur des Marchés de Veolia Propreté. Mais si, dans certains pays comme l’Allemagne et l’Autriche, le taux de valorisation agronomique et matière des déchets municipaux avoisine ou dépasse les 60%, il n’est encore en moyenne que de 36% dans l’ensemble de l’Union européenne, ce qui laisse une marge de progrès importante. De plus, à mesure que leur niveau de vie augmentera, les pays en développement vont générer de plus en plus de déchets et donc de matières premières recyclables. » Ainsi, avec quelque 500 kg de déchets municipaux par habitant et par an, la Chine et la Turquie urbaines sont déjà en passe de rattraper les États-Unis, l’Europe de l’Ouest ou l’Australie (entre 600 kg et 700 kg). Outre les marchés, un autre facteur pousse de toute façon au développement des volumes de matières recyclées : la montée en puissance des réglementations incitant à la valorisation des déchets et, notamment, de la responsabilité élargie du producteur (REP), qui constitue l’autre grand moteur de l’économie du recyclage. En Europe, la REP a déjà fait décoller la collecte et la valorisation des emballages, des huiles automobiles usagées, des batteries, piles, pneus et véhicules hors d’usage. Elle est en train de faire émerger celles des déchets d’équipements électriques et électroniques (D3E). Les D3E représentent un gisement de matières premières secondaires encore difficile à estimer (jusqu’à présent, ils étaient pour beaucoup enfouis ou incinérés), mais certainement considérable. Dans un pays comme la France, les entreprises et les ménages en généreraient 1,7 à 2 millions de tonnes par an (environ 16 kg par habitant pour les seuls ménages), volumes en augmentation de 3% à 5% par an. Or ces déchets contiennent une quantité importante de matériaux recyclables : métaux (acier, aluminium, cuivre, plomb, zinc, silicium), verre, plastique, petits métaux précieux (or, palladium, platinium, argent). En moyenne, un ordinateur se compose ainsi de 22% de plastique, 20% d’acier, 14% d’aluminium, 7% de cuivre, 6% de plomb, 2% de zinc et l’on estime que 10 millions d’ordinateurs représenteraient 135 000 tonnes de matériaux valorisables. Diversification des filières « À l’avenir et c’est dans le sens de l’histoire, le concept de REP, c’est-à-dire du « pollueur-payeur », s’étendra sans doute à d’autres catégories de produits en fin de vie, note Taïsei Miura. La question se pose par exemple sur le sujet très médiatisé des navires en fin de vie. Ainsi, l’Organisation Maritime Internationale réfléchit notamment à la mise en œuvre de ce principe pour les navires commerciaux en fin de vie. » Les bateaux représentent en effet un enjeu considérable : entre 200 et 600 bâtiments de plus de 2 000 tonnes sont démantelés chaque année dans le monde et la demande devrait exploser en 2010, date à laquelle environ 800 des 1 300 pétroliers à simple coque à retirer de la circulation d’ici à 2015 arriveront en fin de vie. Mais la REP aurait surtout pour conséquence d’assainir ce marché, voire de le déplacer. Aujourd’hui, les deux tiers des navires hors d’usage sont démantelés en Asie du Sud, particulièrement au Bangladesh, où ils sont déjà, pour l’essentiel, valorisés (revente des pièces en état et recyclage des matériaux). De 80% à 90% de l’acier utilisé au Bangladesh provient ainsi de cette filière. En revanche, leur démantèlement s’effectue souvent dans des conditions sanitaires et environnementales effroyables. La REP pourrait donc donner naissance à des filières de recyclage des navires dans les pays développés ou permettre de développer des chantiers « verts » en Asie. Le concept pourrait également s’appliquer aux déchets textiles, aux meubles en fin de vie ou encore aux déchets du bâtiment. En France, par exemple, le volume des déchets de chantiers dépasse 30 millions de tonnes par an (25% de plus que celui des déchets ménagers), dont l’essentiel n’est pas recyclé. L’Europe s’est fixé pour objectif de valoriser 75% à 85% de ces déchets d’ici à 2012, sans toutefois imposer de réglementation contraignante. Mais la situation pourrait évoluer, d’autant que, là aussi, les ressources naturelles vont se raréfier. En région parisienne, par exemple, les carrières ne satisfont plus que 60% de la demande en granulats, constituant de base du béton, et il devient de plus en plus difficile d’en ouvrir de nouvelles en raison de la pression démographique, des contraintes écologiques et des réticences de l’opinion publique14. « Dans un monde fini, il n’y a pas de ressources infinies, rappelle Dominique Maguin, président du Bureau International du Recyclage. Nous ne pourrons pas indéfiniment piocher dans le ventre de la Terre pour assurer notre développement. Il va falloir apprendre à réutiliser les matières à notre portée. Aujourd’hui, nous sommes sans doute à un tournant : celui de la prise de conscience que cet effort devra maintenant devenir permanent. Le recyclage ne suffira certes pas à subvenir à tous les besoins de l’humanité, mais il sera nécessairement l’une des principales industries du XXIe siècle. » n La REP constitue l’autre grand moteur de l’économie du recyclage 14 La Recherche N° 412, oct. 2007, Construire demain, p. 46, La maison recyclée, Anne Le Duigou Nord-Sud, Est-Ouest : la redistribution des cartes La demande de matières premières secondaires se déplace de plus en plus vers l’Europe centrale et orientale, le Moyen-Orient et l’Asie. À mesure que ces régions se développeront, les principaux gisements de déchets, pour l’instant majoritairement situés à l’Ouest, suivront la même évolution. Le volume et la composition des déchets produits par les pays sont directement corrélés à leur niveau de vie. Un Américain du Nord ou un Européen de l’Ouest produisent 600 kg à 700 kg de déchets municipaux par an, un Indien seulement une centaine. Mais, de plus, leur poubelle contient nettement plus de déchets solides recyclables. Selon une étude réalisée par Veolia Propreté, les ordures ménagères ne contiennent en effet que 30% de matière organique dans les pays les plus développés, mais 75% dans les pays en développement. À l’inverse, la part de papier contenue dans les déchets ménagers et assimilés est plus élevée dans les pays industrialisés : de l’ordre de 30%, contre 17% dans les pays émergents et 10% dans les pays les moins avancés. Le verre, les métaux et le plastique suivent la même trajectoire, mais dans des proportions moindres. Aujourd’hui, ce sont donc très logiquement les pays développés qui possèdent les plus importants gisements de matières premières secondaires, même si tous sont encore loin d’exploiter pleinement ce potentiel de ressources. Les taux de recyclage varient en effet encore considérablement d’un pays à l’autre (voir carte). En Europe, par exemple, l’Autriche recycle ou composte plus de 60% de ses déchets municipaux, la Grèce, moins de 10%… Reste que le paysage mondial du recyclage est appelé à évoluer. À condition que la collecte des déchets s’y développe, les pays aujourd’hui émergents - et particulièrement les plus peuplés, ceux d’Asie détiendront demain les principales sources de matières secondaires. Le rééquilibrage est d’ores et déjà en marche. Pour preuve : en 2007, la consommation de papier d’un Chinois n’était encore que de 40 kg, contre plus de 300 kg pour un Américain du Nord et de 250 kg à 280 kg pour un Européen, mais elle avait déjà doublé par rapport à 2000. De la même manière, la consommation de plastique de l’Asie - en moyenne, 20 kg par habitant et par an - est bien loin d’égaler celle des États-Unis ou de l’Europe de l’Ouest : environ 100 kg. Mais elle a décuplé depuis 1980… Débouchés : la mondialisation tirée par l’Orient Certains marchés de matières recyclées demeurent avant tout nationaux, voire locaux (le verre, le compost provenant des déchets organiques, le bois…). Mais la plupart sont désormais mondiaux. C’est le cas pour les textiles récupérés dans les pays riches et notamment les vêtements, dont une bonne part est traditionnellement exportée en Afrique et en Asie, mais aussi pour le plastique, dont l’Asie se montre de plus en plus friande, et, surtout, pour le papier/ carton et les métaux, qui représentent les plus gros volumes échangés. Côté ferrailles, la mondialisation des marchés n’est pas nouvelle. Mais les flux s’accroissent et se déplacent à mesure que les pays émergents se développent. Aujourd’hui, le premier importateur mondial est de très loin la Turquie : 13,3 millions de tonnes en 2006. Non seulement, sa croissance économique rapide se traduit par un besoin accru d’acier, mais elle exporte une part de sa production dans les pays du Golfe, eux-mêmes en pleine expansion. Avec 422 millions de tonnes d’acier produites en 2006, la Chine est certes de très loin le champion mondial de la sidérurgie. Mais elle fabrique essentiellement de l’acier primaire et, quoique significatives, ses La valorisation des déchets municipaux dans le monde (Source : Elisabeth Lacoste, Philippe Chalmin, Panorama Mondial des déchets 2006, Economica) de 40% à plus de 60% de déchets municipaux recyclés ou compostés de 20% à 40% de déchets municipaux recyclés ou compostés moins de 20% de déchets municipaux recyclés ou compostés Composition des déchets ménagers et assimilés selon le niveau de vie (Source : Veolia Propreté) PNB / habitant < 7 000 $ 4% Métaux 5% Autres PNB / habitant < 30 000 $ 12% Autres 4% Verre 10% Métaux 12% Plastique 28% Déchets organiques 8% Verre 17% Papier 58% Déchets organiques 12% Plastique 30% Papier Les États-Unis lui ont donc ravi la place de numéro un mondial, avec 14 millions de tonnes de ferrailles exportées en 2006, contre 11,9 millions en 2004. Elle-même gros consommateur de ferrailles, l’Europe est le troisième exportateur mondial (9,9 millions de tonnes en 2006) et la Turquie est désormais son premier client, avec des importations en hausse de 60% en 2006. Papier/carton : la voracité asiatique importations de ferrailles demeurent sans comparaison avec celles de la Turquie : 5,4 millions de tonnes en 2006. Il faut cependant s’attendre à ce qu’elles grimpent. De 55 millions de tonnes en 2006, la capacité de production des fours électriques chinois devrait passer à plus de 80 millions en 2010. Une hausse de 45%, quand celle des capacités mondiales sera de 25%. La Russie détenait jusqu’à présent le titre de premier exportateur mondial de ferrailles. Mais ayant renoué avec une croissance économique soutenue, elle entend augmenter sa production d’acier (une douzaine de fours électriques mis en service entre 2005 et 2009) et taxe ses exportations de ferrailles, qui vont en déclinant : 12,8 millions de tonnes en 2004, 12,4 millions en 2005, 9,8 millions en 2006. L’internationalisation du marché du papier/carton recyclé est relativement récente, mais massive et avant tout tirée par les pays asiatiques. Tendance appelée à se confirmer dans les années à venir. La consommation de fibres cellulosiques de récupération devrait en effet croître de 33% dans le monde entre 2005 et 2012, mais de 62% en Asie : + 65,3 millions de tonnes, contre + 15,5 millions pour le reste de la planète. Désormais second pays producteur de papier au monde derrière les États-Unis, la Chine est aussi le premier importateur de fibres cellulosiques de récupération (FCR). À elle seule, elle a capté près de la moitié des 41 millions de tonnes de FCR échangées sur la planète en 2005 et, depuis, sa voracité s’est encore accrue. Mais l’Inde, l’Indonésie et la Thaïlande importent également des volumes de plus en plus significatifs de fibres recyclées. L’Inde, en particulier, devrait s’imposer peu à peu comme l’un des grands marchés mondiaux. En 2006, elle a acheté 1,2 million de tonnes de FCR à l’étranger, volume qui devrait tripler d’ici à 2010, pour atteindre 3,5 millions de tonnes15. Non seulement la population indienne croît très vite, mais son niveau de vie et d’éducation augmente, ce qui devrait se traduire par une explosion de sa consommation de papier. D’ici à 2020, la demande de papier de presse du pays devrait ainsi augmenter de 5,6% par an, alors qu’elle ne progressera que de 1,2% en Europe du Nord et qu’elle régressera en Amérique du Nord et au Japon. Ce dynamisme profite aux États-Unis, aujourd’hui premier exportateur mondial de FCR, mais aussi à l’Europe, dont l’Asie est de très loin le premier client sur ce marché : en 2005, sur les 7,4 millions de tonnes de papier recyclé qu’elle a exportées, 7 millions de tonnes l’ont été en Asie. n Recycling International, avril 2007 15 Principaux flux de ferraille dans le monde en 2006 (en millions de tonnes) (Source : Iron and Steel Statistics Bureau) 3 Canada 1,5 1 4,1 Russie 5,8 3,1 0,9 Europe 1,3 USA 1,1 Turquie Corée du Sud Chine 3,3 Japon 2,7 Egypte Taïwan Mexique 2,5 3,4 Échanges internationaux de papier recyclé en 2005 (Source : Jaakko Pöyry Consulting) (en millions de tonnes) 8 Chine 3 autre Asie 2,3 0,2 4,5 Chine 11 0,5 0,1 1,3 3 autre Asie 3,7 0,4 1,7 0,1 0,7 1,18 Du déchet à la ressource : gisements et débouchés mondiaux des principales matières recyclées Ferrailles Sources Les ferrailles récupérées proviennent principalement des véhicules hors d’usage, des biens de consommation en fin de vie (gros appareils électroménagers, boîtes de conserves…), des déchets de démolition des bâtiments et des chutes de fabrication des industriels. Applications L’acier se recycle sans altération de ses propriétés et peut donc être réutilisé dans ses usages habituels : automobile, électroménager, emballages… Volumes recyclés En 2005, la sidérurgie aurait recyclé quelque 434 millions de tonnes de ferrailles dans le monde. Environ 60% de l’acier est produit à partir de ferrailles aux États-Unis, plus de 50% en Europe et quelque 20% en Chine. Métaux non ferreux Sources Les principaux métaux non ferreux sont l’aluminium, le cuivre, le zinc, le plomb et le nickel. Les déchets récupérables proviennent des chutes de fabrication des industriels, des produits en fin de vie (automobiles, emballages, D3E, batteries, etc.) et des déchets du bâtiment. Applications Sous condition d’une certaine pureté, les métaux non ferreux peuvent se recycler sans perte de leurs qualités, dans les mêmes usages que les métaux primaires. Volumes recyclés Environ 60% du plomb, 40% du nickel, 30% du zinc, un tiers de l’aluminium et du cuivre dans le monde proviendraient du recyclage de métaux de récupération. Fibres cellulosiques de récupération Sources Les FCR proviennent en majeure partie des entreprises (chutes de fabrication des imprimeurs et des façonniers, déchets d’emballage du commerce et de l’industrie, papier de bureau…) et, pour le reste, des déchets collectés dans les circuits municipaux (emballages, journaux, livres et autres documents imprimés). Applications Elles sont utilisées pour la production de carton, de papier d’emballage et de papier d’impression de toutes qualités. Le papier se recycle environ cinq fois et les cartons, une dizaine de fois. Volumes recyclés Quelque 185 millions de tonnes de papier/carton ont été récupérées dans le monde en 2005, environ la moitié du papier/carton neuf est produite à partir de FCR. Matériaux plastiques Sources Une part importante des plastiques recyclés provient des déchets d’emballage du commerce, de l’industrie et des ménages. Le reste est issu des films agricoles usagés, des véhicules en fin de vie et des déchets de construction. La complexité des matériaux plastiques utilisés dans les équipements électriques et électroniques limite pour l’instant leur recyclage. Applications Majoritaires, les thermoplastiques (polystyrène, polyamides, polyéthylène, polypropylène, polychlorure de vinyle…) se recyclent plus facilement que les thermodurcissables, et dans des applications multiples : pièces automobiles n’ayant pas un caractère de sécurité (carters, panneaux de portes, tapis…), moniteurs d’ordinateurs, gaines pour câbles électriques, laine polaire, isolation dans le bâtiment, flaconnage… Volumes recyclés Seule une très faible part des quelque 230 millions de tonnes de matériaux plastiques produits dans le monde chaque année est valorisée. En Europe, par exemple, 4 millions de tonnes de déchets plastiques ont été recyclés en 2005 (18% des déchets de plastique collectés). Mais ce volume progresse environ de 10% par an. Sources : International Iron and Steel Institute, Centre d’information du Cuivre, European Copper Institute, Plastics Europe, International Zinc Association, Bureau International du Recyclage. La Chine, championne du papier recyclé Désormais second producteur mondial de papier derrière les États-Unis, la Chine est devenue le premier importateur de fibres cellulosiques de récupération de la planète. Et devrait encore augmenter fortement ses achats dans les années à venir. C’est une success story à la mesure de l’expansion chinoise : impressionnante ! À la fin des années 1980, Zhang Yin se lance dans le trading de papier recyclé importé des États-Unis pour alimenter les papeteries chinoises, qui, à l’époque, utilisent surtout de la fibre à base de paille. Vingt ans plus tard, elle est à la tête de la première fortune de Chine et du premier producteur de papier chinois, Nine Dragons. « Un groupe à la croissance fulgurante, dont il n’est pas interdit de penser qu’il figurera sur le podium des groupes papetiers mondiaux d’ici à 2010 », souligne Marc-Antoine Belthé, directeur général de Veolia Propreté France Recycling. Entre temps, l’économie chinoise a décollé, tout comme le niveau de vie de la population et, par contrecoup, sa consommation de papier. Mais, surtout, la Chine est devenue l’usine du monde : 50% de la production de chaussures, lecteurs DVD et appareils photo numériques de la planète, 70% de la production de jouets, etc. Autant de biens qu’elle exporte… dans des emballages en carton et papier. D’où son extraordinaire appétit de cellulose : depuis 2000, alors que l’industrie papetière occidentale traversait une crise conduisant à la fermeture d’une partie de ses capacités de fabrication, les Chinois ont doublé leur production (61 millions de tonnes en 2006). Et ont vu émerger quelques champions du papier pour ondulé (destiné à l’emballage), dont Nine Dragons (5 millions de tonnes de capacités de production fin 2007), mais aussi Lee & Man, second groupe papetier du pays (3,5 millions de tonnes). Et ce n’est pas fini. Désormais, deuxième fabricant mondial de papier derrière les États-Unis (102 millions de tonnes en 2006), la Chine entend porter sa production à 90 millions de tonnes dans les cinq à sept ans à venir. D’ici là, les douze premiers producteurs chinois devraient augmenter leur capa- cité de production de 17,2 millions de tonnes à 41,6 millions de tonnes, Nine Dragons ayant prévu de doubler la sienne à près de 10 millions de tonnes… Perspectives prometteuses pour les recycleurs Une aubaine pour l’industrie du recyclage, car, dans le sillage de Nine Dragons, les papetiers chinois recourent de plus en plus aux fibres cellulosiques de récupération. Celles-ci ne représentent encore que 31,6% de leur production, contre environ 50% pour la moyenne mondiale, mais, en six ans, cette part a déjà quasiment triplé. Et elle ne peut que continuer à augmenter. Manquant de forêts, la Chine produit en effet peu de fibre à base de bois. En outre, le gouvernement a pris des mesures drastiques contre la fabrication de pâte à base de paille, largement responsable de la pollution des cours d’eau. Le pays développe donc la collecte de papier, mais son potentiel demeure pour l’instant limité. Sa population est encore loin de consommer autant de papier que les Occidentaux et, surtout, l’essentiel du papier chinois est expédié dans les pays développés, puisqu’il sert à emballer les marchandises exportées. Les papetiers locaux n’ont donc guère d’autres choix que d’importer du papier recyclé. En six ans, leurs achats de fibres cellulosiques de récupération ont ainsi quintuplé pour atteindre 19,6 millions de tonnes en 2006 (et vraisemblablement 22 millions en 2007), ce qui les classent de très loin premiers importateurs mondiaux. Principaux bénéficiaires ? Les États-Unis (46,4% des importations chinoises en 2006), suivis des pays européens (28,1%), au premier La Chine est le deuxième fabricant mondial de papier après les États-Unis Comparatif de l’évolution de la production chinoise de papier à celle des importations de FCR du pays 58 61 5 49, 80 9 30, 3,9 2000 32 5,9 2001 Production de papier 37, 43 7,5 9,3 2002 2003 3 12, 2004 (en millions de tonnes) Importation de fibres cellulosiques de récupération Source : Recycling International, avril 2007. (en millions de tonnes) 17 2005 6 19, 2006 rang desquels le Royaume-Uni, la Hollande, l’Allemagne et la Belgique, mais aussi l’Asie (22,5%) et tout particulièrement le Japon. Désormais, les navires débarquant des cargaisons de vêtements, téléviseurs et autres produits made in China dans les ports occidentaux et japonais ne repartent plus à vide, mais chargés de balles de papier recyclé, qui voyagent ainsi à coût compétitif (le cours du fret est moins élevé au retour qu’à l’aller), tout en offrant l’avantage de lester les bateaux. Quant à Nine Dragons, il a ouvert un bureau commercial en Europe, où la consommation de papier continue de croître, pour y vendre du papier pour ondulé. Une première étape avant d’investir dans des capacités de production sur le vieux continent ? En attendant la réponse, les recompositions en cours sur le marché du papier sont en tout cas significatives de la redistribution de l’économie mondiale. Et sans doute d’autant plus emblématiques pour les Chinois, qui inventèrent le papier il y a plus de 2000 ans… n « Ce qu’il s’agit d’exporter, ce sont des matières premières secondaires » Entretien avec Philippe Chalmin, Professeur à l’université Paris-Dauphine, président-fondateur de Cyclope, institut de recherche sur les marchés de matières premières et de commodités, et co-auteur du Panorama mondial des déchets 2006 16 Membre du Conseil d’analyse économique, et consultant auprès de la Banque mondiale et de l’Union européenne. Quelle est votre analyse de l’évolution du marché du recyclage ? La grande nouveauté, c’est la flambée du prix des matières premières, la prise en compte plus grande de la rareté et le fait que les déchets apparaissent de plus en plus comme un gisement de ressources. En revanche, l’ambiguïté entre recyclage et valorisation subsiste. Doit-on être des idéologues du recyclage à tout prix ou faut-il être plus pragmatiques et chercher une valorisation intelligente ? Les jusqu’au-boutistes veulent tout recycler. C’est de l’utopie : dans certains cas, le coût de la collecte différenciée, du tri, etc., est un obstacle. On entre dans des équilibres financiers qui ne tiennent pas, admettons-le. Il y a un moment où il faut regarder les bilans — financiers, mais aussi énergétiques. Pour les plastiques, par exemple, le bilan énergétique du recyclage ne semble pas forcément positif. On ne peut donc pas tout recycler, mais, qu’il s’agisse de produire une nouvelle matière ou de l’énergie, on peut presque tout valoriser. L’important est donc de conjuguer au mieux valorisation énergétique et recyclage pour assurer le mix optimal entre environnement et coût du traitement des déchets. Quels peuvent être les freins au développement du recyclage ? Tout le problème est de savoir où finit le déchet et où commence la matière secondaire. Le déchet, en soi, n’a pas de valeur, la matière secondaire en a une. La rupture se situe là. Dès qu’il y a tri, nous entrons dans le champ de la valeur et nous sommes sur un vrai marché. Mais on a encore trop souvent le sentiment que les déchets, c’est mal, sale. Aujourd’hui, le commerce inter- national est un des éléments moteurs dans l’économie des matières premières secondaires. Il faut admettre qu’il est tout à fait légitime d’exporter des vieux papiers et de la ferraille dans des pays comme la Chine, car c’est là que se situe la demande. Des mouvements bien-pensants estiment que les pays du Nord ne doivent pas exporter leurs déchets, que c’est malsain, qu’ils doivent systématiquement les traiter chez eux. Mais, à ce moment-là, se posent des problèmes de débouchés et de marchés. Quand j’entends qu’il ne faut pas vendre de vieux papiers à la Chine parce qu’ils sont utilisés dans des usines où peuvent travailler des enfants, je dis qu’on mélange des problématiques très différentes. Il n’est évidemment pas question de faire travailler des enfants. De plus, les papeteries chinoises, ce n’est pas le XIXe siècle. La plupart sont ultramodernes, très automatisées. Il n’y a pas d’enfants, et même de moins en moins d’ouvriers… Ce type d’amalgame culpabilisant est un frein au développement du recyclage. Néanmoins, on ne peut nier les abus et la nécessité d’une réglementation... Qu’il faille effectuer des contrôles, lutter contre l’exportation de vieux ordinateurs soi-disant destinés à resservir, mais qui sont en fait des D3E, c’est une évidence. Là, nous pouvons parler de déchets dangereux, susceptibles de nuire à la santé et à l’environnement s’ils ne sont pas traités dans les règles de l’art. En revanche, les classifications des vieux papiers et des métaux de récupération sont relativement établies et les Chinois n’achètent pas n’importe quoi. On pense déchets, or il s’agit de matières premières secondaires. Sur ce point, il existe encore beaucoup de blocages, y compris psychologiques. On reste dans l’idée qu’il faut se débarrasser des déchets, sans voir leur côté positif : il s’agit d’un gisement de ressources. On parle toujours des déchets exportés dans les pays en développement. Mais ce qu’il s’agit d’exporter, ce sont des matières premières secondaires. Les mentalités ont du mal à évoluer. Nous sommes à mi-chemin d’une prise de conscience : la dimension environnementale du traitement des déchets n’est qu’une partie du problème. Il faut aussi admettre que les matières premières secondaires sont une ressource et un marché. n Du rare à l’infini. Panorama mondial des déchets 2006, Elisabeth Lacoste, Philippe Chalmin, Economica, 2006. 16 Les règles du jeu : quels instruments pour quelle politique ? Entre garanties sanitaires et environnementales et liberté nécessaire au commerce des matières, le développement du recyclage exige un cadre réglementaire adapté et appliqué au niveau international pour une concurrence non faussée. En dépit des disparités nationales qui demeurent, l’Europe trace la voie. Une conscience internationale se manifeste aussi par des actes sur tous les continents. Depuis le début des années 1990, les programmes nationaux des pays de l’OCDE et de l’Europe soutiennent activement le recyclage comme un moyen de réduire la pression exercée sur les ressources de la planète. Chaque pays, cependant, a fait des choix différents de mise en œuvre qu’il faut désormais harmoniser. Ainsi, le Royaume-Uni, qui en 1995 envoyait plus de 80% de ses déchets municipaux en décharge, fait des pas de géant dans la voie du recyclage et du compostage. Il utilise un sursis autorisé de 4 ans pour rattraper son retard et passer de 450 kg de déchets par personne et par an en 2000 à 225 kg en 2020. À l’inverse, en Autriche ou en Allemagne, les décharges ne peuvent accepter que les déchets prétraités, et tous les déchets d’emballages sont collectés et valorisés. Tout comme en Suisse, ou en Norvège où la fin de la mise en décharge est programmée. La situation est tout autre pour les derniers pays entrants de l’Union européenne qui devront fournir des efforts importants afin de mettre en œuvre l’acquis communautaire et passer d’une prépondérance de la décharge à la Société du recyclage que la Commission européenne entend promouvoir. Mais quelles que soient les différences, l’évolution du marché dégage des objectifs communs. Le diagnostic porté sur la raréfaction des ressources, comme le pétrole ou certains métaux, la forte demande des économies émergentes et les cours haussiers des matières sont autant d’arguments en faveur du recyclage. « Déchet » ou « non-déchet » … Cependant, matière première et matière recyclée n’ont pas le même statut. Aux yeux du législateur européen, toute matière première secondaire qui n’a pas été réutilisée conserve la qualification juridique de déchet. Cette distinction est au cœur d’un débat fondamental entre une politique d’encouragement au recyclage, qui doit aussi faciliter les échanges commerciaux des matières premières dites secondaires, et une politique de contrôle du traitement des déchets qui doit garantir la sécurité sanitaire et environnementale et peut impliquer des mesures restrictives à leur circulation. La Convention de Bâle a établi en 1989 des obligations pour le contrôle des mouvements transfrontaliers et de l’élimination des déchets dangereux. La Convention a été traduite dans les décisions du Conseil de l’OCDE17 dès 1992 et est entrée en vigueur dans l’Union européenne en 1994. En 2005, 167 pays en étaient signataires, mais les États-Unis ne l’ont toujours pas ratifiée (voir article sur les D3E). Souvent contournée – certains scandales sont dans toutes les mémoires, et les rapports de L’ONU et de plusieurs grandes ONG en témoignent – la Convention de Bâle n’est cependant jamais officiellement remise en cause dans son principe. Il n’en va pas de même pour le règlement européen18 qui, depuis juillet 2007, aligne le droit à l’exportation des déchets banals sur les règles applicables aux déchets dangereux. L’objectif de ce nouveau règlement est clair : garantir des transferts de déchets sans risque pour l’environnement et la santé et lutter contre les exportations Lutter contre les exportations illicites de déchets dangereux Décision du Conseil de l’OCDE C(92)39/Final révisée par C (2001°107 /Final, amendée par C (2004)20 – source : Panorama Mondial des Déchets, Cyclope, 2006. 18 Règlement CE 1013/2006 19 Un bordereau qui trace le parcours du déchet : son origine, son transporteur, sa destination 17 illicites de déchets dangereux. Mais plusieurs États européens ont d’ores et déjà protesté contre les modalités régissant l’exportation des déchets de la liste verte, qui, à l’heure où les marchés s’internationalisent, compliquent les échanges de matières secondaires et peuvent fausser la concurrence avec des pays où la réglementation est beaucoup plus souple, comme les États-Unis. « Des industriels, utilisateurs finaux de matières premières secondaires, ont également réagi contre l’obligation de signer le bordereau de réception19, note Pascal Genneviève, directeur général adjoint de Veolia Propreté France Recycling. Cela signifierait qu’ils fabriquent leurs produits à partir de déchets et non de matières premières secondaires, alors qu’ils n’ont pas les autorisations administratives pour traiter des déchets. » « Responsabilité élargie du producteur : le succès en matière de recyclage, l’espoir pour la prévention » Entretien avec Matthieu Glachant, Maître de Recherche au CERNA de l’École des Mines de Paris, économiste des politiques environnementales, il travaille régulièrement pour l’OCDE, la Commission européenne, le ministère de l’Environnement et l’ADEME sur les politiques de l’eau, des déchets ou sur le changement climatique. Matthieu Glachant, qu’est-ce que la REP ? Comme pour le principe pollueur-payeur, c’est à l’OCDE que l’on doit dans les années 80 d’avoir introduit le concept de Responsabilité Élargie du Producteur. La REP consiste à imputer la responsabilité de la fin de vie du produit à son producteur, et l’oblige à financer tout ou partie de ses coûts d’élimination. Dans l’esprit de ses concepteurs, elle devait d’abord inciter les producteurs à mieux produire selon une logique d’internalisation des coûts. Concrètement, les entreprises ont le choix de la mise en œuvre : elles peuvent exercer individuellement leur responsabilité en récupérant leurs productions arrivées en fin de vie. Mais ceci ne peut se concevoir que quand il existe un nombre limité d’acteurs. XEROX a fait ce choix pour ses photocopieurs, IBM pour ses serveurs. Mais les entreprises choisissent le plus souvent de se regrouper en adhérant à un organisme agréé par la puissance publique. Dans ce cas, cet éco-organisme, pour reprendre la terminologie française, organise la collecte et le traitement des déchets pour le compte de ses membres. Le plus souvent, il dédommage les infrastructures existantes des municipalités pour qu’elles opèrent la collecte sélective. Plus rarement, comme le fait DSD pour les déchets d’emballages en Allemagne, l’éco-organisme gère en direct sa propre infrastructure de collecte. La première mise en œuvre à grande échelle du principe de la REP en Europe est la directive sur les emballages et les déchets d’emballages de 1994, traduite en France notamment par « Eco-emballages » puis « Adelphe ». Sont venues ensuite d’autres directives sur les véhicules en fin de vie (2000), les D3E (2002)… La REP a-t-elle atteint ses objectifs de départ ? À l’origine, la REP avait pour but prioritaire de créer des incitations à l’écoconception, mais ce n’est pas du tout ce qui est arrivé dans la pratique. Elle a essentiellement été utilisée pour financer le développement du recyclage. Prenons l’exemple de l’emballage. La directive emballages contient ainsi des objectifs de recyclage et de valorisation, et le succès a été au rendez-vous sur cet aspect-là. En revanche, les observateurs s’accordent sur le constat d’un effet très limité sur la prévention. Il faut donc réfléchir aux moyens de renforcer le rôle de la REP dans la prévention des déchets. Cela concerne au premier chef les modalités de financement des éco-organismes par les producteurs. S’ils payent une somme forfaitaire par produit collecté, il n’existe pas d’incitation à l’éco-conception. Prenons l’exemple d’Alliapur, l’éco-organisme français qui recycle les pneus. Il demande au fabricant une somme identique par grandes catégories de pneus. Ce schéma ne prend ainsi pas en compte les caractéristiques spécifiques de chaque produit et n’incite nullement le fabricant à faire des efforts, à rendre son pneu plus facile à recycler, ou à y faire entrer des matériaux moins impactants pour l’environnement puisqu’il ne sera pas récompensé financièrement pour cela. Eco-emballages a adopté un système mixte avec barème producteurs différencié qui varie selon le poids de l’emballage et le type de matériau utilisé. Le coût de fin de vie des emballages entre dans son calcul, ce qui pourrait notamment entraîner des substitutions matériaux. Mais les critères sont uniquement économiques. Ils ne prennent pas en compte les conséquences environnementales de tel ou tel choix. En outre, le niveau global de la contribution influence évidemment les efforts d’éco-conception. Or, en France, les producteurs finançaient 43% des coûts de collecte et de traitement en 2004 d’après l’ADEME alors qu’en Allemagne les producteurs payent 100%. Mécaniquement, l’incitation est donc deux fois moindre en France. Que préconisez-vous ? En matière d’emballage, les effets environnementaux sont mal connus, ce qui empêche pour l’instant l’intégration de considérations environnementales dans le calcul du barème. La réalisation d’analyses de cycle de vie, notamment par matériau, me semble devoir être un objectif prioritaire pour l’avenir. Cela permettrait dans un second temps l’internalisation totale des coûts économiques ET environnementaux dans le barème. Elle créerait le signal économique permettant de susciter de leur part, et indirectement de la part des consommateurs à travers l’effet sur les prix, des efforts de prévention au niveau adéquat. Plus généralement, pour que la REP produise des effets sur la prévention, il faut aussi que les efforts individuels des producteurs soient récompensés financièrement, ce que permet l’usage de barèmes incitatifs. Des ONG comme Greenpeace estiment qu’il est nécessaire d’aller plus loin en interdisant le recours à des éco-organismes. Ils plaident pour la RIP plutôt que pour la REP, la Responsabilité Individuelle des Producteurs. Chacun serait redevable des coûts de collecte et de recyclage de ses produits en fin de vie, identifiables par leurs marques. Ce schéma sans éco-organisme peut convenir à certaines filières comme celle des Véhicules Hors d’Usage (VHU). Les constructeurs automobiles s’organisent ainsi individuellement pour financer les casseurs. Mais l’organisation de la collecte et du traitement des déchets par chaque producteur semble beaucoup trop complexe et trop coûteuse pour qu’elle soit généralisée à l’ensemble des produits. Enfin, si l’on souhaite réellement que les programmes de REP promeuvent la prévention, il faut leur fixer des objectifs quantifiés de prévention. Les éco-organismes les plus anciens ont très bien su respecter les objectifs de recyclage qui leur étaient imposés. Je leur fais confiance pour atteindre des objectifs de prévention, si l’on se donne la peine de leur en fixer. n Ressource recyclée : vers un statut intermédiaire ? Assouplissement de la réglementation qui reconnaîtrait qu’une balle de papiers de récupération, triés selon leur qualité et débarrassés de toute souillure, aurait bien la valeur de ressource que ses utilisateurs industriels lui reconnaissent ; ou bien rigueur nécessaire devant les abus si couramment constatés ? Pour Alain Geldron, chef du département organisation des filières et recyclage de l’ADEME, les réglementations ont des aspects normatifs plutôt positifs : « La traçabilité associée à la normalisation des matières permet d’envisager la sortie du statut de déchet, avec des contrôles qui doivent être importants tant sur le territoire qu’aux frontières, vers un statut de produit qui permet plus de fluidité dans le commerce. » Pour Dominique Maguin, président du Bureau international du Recyclage, une adaptation de la législation est nécessaire : « J’ai bon espoir dans notre capacité à réécrire des règles obsolètes, en partant du constat que certains produits ou marchandises sont composés majoritairement de matériaux recyclés. On ne pourra pas nous faire croire que tous ces produits ou marchandises sont eux-mêmes des déchets ! ». Faut-il dès lors concevoir un nouveau statut pour les matières secondaires ? La directive cadre actuelle- ment en révision pour l’Union européenne va introduire une procédure qui pourra permettre à certains déchets spécifiques respectant des critères de qualité, environnementaux et sanitaires de perdre le statut de déchet. Restrictive, cette procédure n’est actuellement à l’étude que pour quelques cas : compost, chutes de métaux et agrégats. Plus problématique et « incertaine » est l’introduction dans ce même texte de la notion de co-produit ou sous-produit, telle que dégagée par la jurisprudence de la CJCE20. Le co-produit doit être issu d’une unité de production qui dispose d’un débouché, il doit être directement utilisable sans nécessiter une transformation préalable ou une autorisation particulière. Les copeaux de bois issus d’une menuiserie pourraient par exemple avoir ce statut, dont le principe reste soumis à la garantie, une fois encore, qu’il ne sera pas utilisé pour déroger aux obligations de la réglementation sur des flux potentiellement dangereux. REACH et les matières premières secondaires Le glissement du statut de déchet à celui de produit ou matière se heurte à une autre réglementation, et pas des moindres : le règlement REACH21, adopté par la Parlement européen en décembre 2006, concernant l’enregistrement préalable à leur mise sur le marché de tous les produits chimiques ou contenant des produits chimiques. Le règlement entré en vigueur le 1er juin 2007 exclut de son champ les déchets, les médicaments et les biocides. Mais, lorsque les matières premières secondaires ne sont pas couvertes par la législation sur les déchets, elles sont soumises à la réglementation REACH. En d’autres termes, il faut alors, pour toute matière recyclée, pouvoir en indiquer précisément la composition. Plusieurs fédérations européennes – European Ferrous Recovery & Recycling Federation, European Metal Trade & Recycling Federation, European Recovered Paper Association – se sont exprimées d’une seule voix sur ce sujet 22. « Les principales substances contenues dans les agrégats récupérés/ valorisés provenant des déchets de construction et de démolition, le compost produit à partir de déchets biologiques collectés séparément, le métal de récupération provenant de véhicules ou d’équipements électroniques hors d’usage, ou le papier récupéré/ valorisé à partir de déchets d’emballage sont dans une large mesure connus. » Au-delà de ce constat qui porte sur des matières premières secondaires « produites pour répondre à des spécifications strictes en matière d’environnement et de valorisation »23 , les mêmes fédérations argumentent sur l’impossibilité de soumettre ces matières à la réglementation REACH : « En raison du faible pourcentage d’impuretés dont la composition doit être connue […], le règlement REACH est inapplicable pour ces matières. Elles sont produites en grandes quantités (certains producteurs en produisant plusieurs millions de tonnes), et les substances d’origine inconnue dépassant le seuil d’une tonne par an doivent être détectées dans ces millions de tonnes de matières à des concentrations inférieures à la limite de détection de toutes les méthodes d’analyse actuellement disponibles. »24 (Suite page 42) Cour de Justice des Communautés Européennes Registration, Evaluation, Authorisation and Restriction of Chemical substances / enRegistrement, Evaluation et Autorisation des substances CHimiques 22 Communiqué du 11 octobre 2006, REACH, matières premières secondaires et produits récupérés à partir de déchets - Analyse et recommandations suite au vote de la commission ENVI 23 Ibid. 24 Ibid. 20 21 Responsabilité intégrale ou responsabilité partielle : les modèles allemand et français On observe une grande disparité entre les deux barèmes « amont » mis en place par les deux éco-organismes allemands (DSD) et français chargés de collecter les déchets d’emballage (au 1er janvier 2005) : Matériau DSDEcoEmballages Verre 7,60 (en centimes d’euro par kilo) 0,36 Papiers-Cartons 20,60 12,21 Acier 28 2,26 Aluminium 75,6 4,53 Plastique 140,3 17,78 Cette grande différence – un coût de reprise jusqu’à 20 fois plus cher dans les cas de certains matériaux – ne s’explique que partiellement par le fait qu’en France s’ajoute une redevance forfaitaire par unité d’emballage (0,11 ct). En Allemagne, l’éco-organisme DSD gère la totalité des coûts de collecte et de recyclage au moyen de sa structure propre, le « Duales System Deutschland », qui est très onéreuse, alors qu’EcoEmballages s’appuie sur les systèmes de collecte existant des collectivités et ne paie que la moitié des coûts économiques du recyclage des emballages. Mais en contrepartie, l’éco-organisme allemand avance que de 1991 à 1994, la mise en place de DSD aurait permis de réduire de 14% la quantité d’emballage mis sur le marché. En France, les observateurs s’accordent à dire que les réductions induites ont été très faibles. Source Matthieu Glachant, CERNA, École des Mines de Paris « Partenariat public-privé : l’exemple du modèle britannique dans le comté de Shropshire » Entretien avec Adrian Poller, Directeur du Shropshire Waste Partnership depuis 2006, il a mené avec succès la mise en place du processus de PFI25. Il était préalablement en charge de la gestion des déchets du comté de Dorset, l’un des comtés les plus performants d’Angleterre en terme de taux de recyclage. Comment le Royaume-Uni, qui faisait encore récemment figure de mauvais élève en matière de gestion des déchets, ré-oriente-t-il sa politique de façon à promouvoir le recyclage ? Ces dernières années, les mentalités n’ont cessé d’évoluer au RoyaumeUni, car les gens ont peu à peu pris conscience du retard considérable que nous accusons par rapport aux autres pays européens dans les domaines du recyclage et du stockage des déchets. Cette évolution est due, en partie, aux campagnes d’information menées par les pouvoirs locaux et certaines associations telles que Friends of the Earth. La promotion du recyclage représente en effet un enjeu particulier pour les pouvoirs locaux, du fait des objectifs chiffrés de plus en plus stricts imposés par le pouvoir central avec, en arrière-plan, la Directive européenne relative à la mise en décharge des déchets. Je suis persuadé que le Royaume-Uni aurait de toute façon amélioré ses performances en la matière, mais il faut reconnaître que cette Directive a donné l’impulsion décisive en mettant en place des objectifs précis et des échéances, assortis de pénalités en cas de non-conformité. Pourriez-vous nous expliquer en quelques mots en quoi consiste le Shropshire Waste Partnership, et de quelle façon ce partenariat a influencé les décisions prises, jusqu’à présent, en matière de traitement des déchets ? Le Shropshire est un comté de superficie moyenne, mais sa population est si peu nombreuse qu’il s’agit en fait de l’un des comtés les moins peuplés d’Angleterre. Par ailleurs, le Shropshire ne compte pas de gros employeurs, à l’exception du County Council (c’est- à-dire le pouvoir local). Cela signifie que les salaires moyens sont bas, bien que le comté ne soit, dans l’ensemble, pas particulièrement touché par la misère. La délinquance et la peur de la délinquance y sont limitées. Du point de vue politique, le pouvoir est à l’heure actuelle exercé majoritairement par le parti conservateur, mais tous les principaux partis politiques ont exercé leur influence ces dernières années. Toutefois, la question de la gestion des déchets ne se trouve pas au centre des rivalités politiques, si bien que les changements de majorité n’entravent pas les efforts menés dans ce domaine. Par ailleurs, le comté du Shropshire regorge de paysages exceptionnels : ses habitants ont donc peut-être davantage conscience de la nécessité de protéger l’environnement, ce qui explique sans doute en partie les exigences accrues en faveur d’une amélioration des pratiques de gestion des déchets. Dans le cadre de votre appel d’offres, avez-vous dû réaliser une Analyse du cycle de vie (ACV) des systèmes de traitement des déchets que vous souhaitiez utiliser ? Nous n’avons pas procédé à une analyse approfondie du cycle de vie de ces systèmes pour choisir ceux que nous souhaitions utiliser. En revanche, nous nous sommes naturellement intéressés, dans le cadre du processus d’évaluation des offres, au caractère durable des solutions proposées. L’analyse du cycle de vie permet de définir le modèle théorique le plus adapté (bien que celui-ci soit lui-même fonction des hypothèses de départ) ; cependant, quel que soit le modèle proposé, il doit être faisable sur les plans technique et financier, et présenter un intérêt du point de vue environnemental. Nous avons donc décidé de ne pas réaliser d’analyse approfondie, et d’axer principalement notre évaluation sur l’étude des paramètres environnementaux au sens large. Pourquoi avoir opté pour une PFI25? Opter pour cette solution a été une décision simple du point de vue financier, car cela nous permettait de bénéficier d’une subvention de près de 90 millions GBP sur toute la durée du contrat (soit près de 41 millions GBP en termes courants). Or les autres options ne nous offraient pas les mêmes avantages. Sans cette subvention, le projet n’aurait pas été viable sur le plan financier, à moins de sacrifier certaines des améliorations clés apportées au service dans le cadre de ce contrat. Opter pour un mode de financement de type PFI nous a effectivement obligés à respecter à la lettre un processus de négociation des contrats clairement défini, offrant une flexibilité très limitée sur certains points stratégiques. Cependant, bien souvent, les problèmes auxquels nous avons dû faire face se seraient posés quel que soit le cadre de négociation du contrat. En outre, ce manque de flexibilité nous a en réalité permis, à certains moments, d’accélérer le processus, en évitant aux deux parties des négociations interminables sur des points sur lesquels ni l’une ni l’autre n’aurait été prête à céder. n 25 Initiative de Financement Privé (Private Finance Initiative, en anglais). La PFI ménage une grande flexibilité contractuelle entre les partenaires publics et privés, le principe sous-jacent étant que le partenaire privé assume la majeure partie des risques et des responsabilités. La dynamique britannique : comment passer de 85% des déchets municipaux mis en décharge en 2000 à 40% de déchets recyclés ou compostés en 2010 ? Afin de se conformer aux objectifs européens, le Royaume-Uni conduit une politique volontariste. Les objectifs nationaux de taux de recyclage ou de compostage des déchets municipaux ont été fixés à 40% pour 2010. En 2006, le taux de 30% a déjà été dépassé. Instrument de cette politique, la taxe de mise en décharge pour les déchets fermentescibles est passée de 3 à 18 livres la tonne en avril 2005. Elle doit progressivement être portée à 35 livres. Par ailleurs, le Waste and Emissions Trading Act de 2003 a institué un système de permis à la mise en décharge négociables, comparable au système mis en place pour le CO2 dans le cadre du Protocole de Kyoto. Les 121 autorités locales concernées peuvent ainsi vendre ou acheter ces permis. L’amende payable en cas de dépassement du quota autorisé est de plus de 150 livres la tonne, contre 30 livres pour un permis de mise en décharge acheté à une autre collectivité locale plus performante. L’introduction de Partenariat Public-Privé sur des durées de 30 ans a également permis de financer la gestion et la construction d’infrastructures conséquentes. Parallèlement, et toujours en partenariat avec le secteur privé, un programme d’action pour le développement de la réutilisation et du recyclage a été adopté - le WRAP (Waste and Ressources Action Programme). Il est soutenu par un ambitieux plan de communication auprès du grand public. La responsabilité du producteur Les débats sur le statut du déchet et des matières premières issues de leur traitement sont principalement animés par les grandes filières traditionnelles qui font valoir leur réponse aux besoins du marché avec des ressources dont la production contribue globalement au respect de l’environnement. Une tonne de papier recyclé, par exemple, fait économiser 3 tonnes de bois, 20 000 litres d’eau et 1 000 litres de pétrole. Par rapport à la production réalisée à partir de fibres vierges, elle diminue aussi de 35% la pollution de l’eau et réduit de 74% les émissions atmosphériques26. Si, pour ces filières, la réglementation crée de nouvelles contraintes, elle est au contraire, avec les instruments économiques incitatifs dont elle s’est dotée, la condition de l’émergence de nouvelles filières. Depuis les années 90, l’application du principe de la Responsabilité Élargie du Producteur, la REP (voir entretien avec Mathieu Glachant), a en effet permis l’organisation de filières que le marché n’aurait pas spontanément créées, ou imposé des conditions de traitement plus exigeantes, comme pour les véhicules hors d’usage. Cependant, un rapport de la Commission européenne indiquait en 2005 que « les directives existantes sur la responsabilité des producteurs en matière de flux de déchets, prises toutes ensemble, ne concernent que 7% du volume total des déchets. » Explication : ces directives ont été élaborées pour répondre à des problèmes particuliers et la question se pose de savoir si de nouvelles mesures du même type, c’est-à-dire la multiplication de filières spécifiques, sont la solution pour un effet plus général. Par ailleurs, le rôle des éco-organismes, chargés d’organiser le traitement des déchets pour le compte des entreprises qu’ils représentent, est parfois contesté tant du point de vue économique que pour son caractère insuffisamment incitatif en matière de prévention ou d’accroissement de la qualité des matières recyclées. Or, tel que défini à l’origine, le principe de la REP fixe plusieurs objectifs : réduire les déchets à la source, promouvoir l’éco-conception et contribuer à la fois à une meilleure gestion des ressources et au développement du recyclage. Dans les faits, c’est essentiellement ce dernier axe qui a prévalu. 26 Source : BIR L’Analyse du Cycle de Vie, pivot incontournable de la prévention L’analyse du cycle de vie est l’outil qui permet d’évaluer et de quantifier les impacts environnementaux des produits ou des services tout au long de leur durée de vie, du berceau jusqu’à la tombe, à l’aide d’une dizaine de critères. Aussi appelée éco-bilan dans les premières années de son existence, l’ACV est devenue une norme ISO sur laquelle peuvent se baser plusieurs types de démarches, comme les éco-labels ou l’éco-conception. L’ACV constitue une approche multicritères, à tous les stades : • extraction des matières premières ; • transport ; • fabrication et conditionnement ; • distribution et consommation ; • fin de vie et gestion des déchets. Elle est normalisée au niveau international (ISO 14040 à 14043). Une analyse comporte trois phases : • un bilan complet des consommations de ressources naturelles et d’énergie ainsi que des émissions dans l’environnement (air, eau, sols, déchets) de l’ensemble des procédés étudiés ; • une agrégation des flux de matières et d’énergie prélevés et rejetés dans l’environnement à chacune des étapes ; • une évaluation des indicateurs d’impacts sur l’environnement. Approche globale et analyse du cycle de vie Le 6e programme d’action communautaire pour l’environnement propose une approche globale avec une vision qui intègre les politiques en matière de ressources, de produits et de déchets. Outil commun de ces politiques, l’analyse du cycle de vie, ou ACV, permet une évaluation des impacts d’un produit ou d’un process sur l’environnement en couvrant l’ensemble d’un cycle « du berceau à la tombe ». Mise au service des stratégies pour l’utilisation durable des ressources naturelles et le recyclage des déchets, l’ACV permet d’agir à tous les niveaux, même si son caractère « scientifique » est relatif et si son paramétrage doit tenir compte de contextes différents : l’impact de la dépense énergétique, par exemple, diffère selon l’origine de l’énergie consommée et des émissions polluantes qui en résultent. Sujette à débat au moment de son apparition dans les années 1990, l’ACV est aujourd’hui considérée comme un réel outil d’aide à la décision. Au niveau industriel, elle participe aux démarches d’éco-conception qui visent non seulement à réduire à la source les impacts environnementaux de la fabrication des produits, de l’organisation des process et de la défini- L’approche ACV permet : • d’évaluer les effets quantifiables sur l’environnement d’un service ou d’un produit depuis l’extraction des ressources naturelles nécessaires à son élaboration jusqu’aux filières de traitement en fin de vie ; • d’identifier les éventuels déplacements de pollution d’un milieu naturel vers un autre ou d’une étape du cycle de vie vers une autre ; • de comparer le bilan environnemental de différentes situations sur la base d’un même service rendu (ex. traiter une tonne de déchets). tion des services, mais aussi à faciliter la réutilisation ou le recyclage des produits arrivés en fin de vie. Au niveau des politiques publiques, elle répond à un besoin de fonder les arbitrages entre les différents modes de valorisation. L’analyse du cycle de vie peut ainsi conduire à reconsidérer la hiérarchie du traitement qui privilégie a priori le recyclage par rapport aux autres formes de valorisation, lorsque les évaluations et les analyses de coûts-bénéfices « indiquent clairement qu’une autre possibilité de traitement offre un meilleur résultat pour un flux de déchet spécifique »27. Enfin, les opérateurs du traitement des déchets et du recyclage peuvent aussi recourir à l’ACV. Le groupe Veolia en a fait un principe appliqué à ses procédés industriels et aux produits utilisés, avec une prise en compte, d’amont en aval, de tous les impacts directs et indirects de son activité. Un besoin de fonder les arbitrages entre les modes de valorisation 27 Parlement européen, février 2007, P6_TA(2007)0029 et Rapport sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux déchets, décembre 2006 (COM(2005)0667 – C6-0009/2006 – 2005/0281(COD) Pour des règles communes et appliquées Le recyclage s’est depuis longtemps développé sur de grandes filières dont le principal moteur n’était pas la protection de l’environnement. Autour de cette préoccupation assez récente, un appareil législatif s’est construit. Il couvre aujourd’hui un vaste champ d’activités et de filières, mais se traduit par des déclinaisons variables d’un pays à l’autre. En Europe, ces différences découlent du principe de subsidiarité qui, comme l’a récemment souligné Pierre Rellet, président de la FNADE, « laisse toute latitude aux États membres pour la transcription des textes européens »28. Double conséquence rappelée par le président de la FNADE : la sécurité et la traçabilité ne sont pas assurées Développer des normes minimales communes pour favoriser le recyclage de manière uniforme et ce défaut d’harmonisation crée, sur les conditions de traitement des déchets dans les différents marchés nationaux, des distorsions de concurrence préjudiciables aux plans économique et environnemental. L’homogénéisation du cadre juridique et l’efficacité d’une police écologique internationale sont assurément la condition pour un développement du recyclage qui concilie la protection de l’environnement, les contraintes économiques et les capacités industrielles. Installations de traitement soumises aux mêmes contraintes, référentiel des matières solidement établi et sanctions immédiates pour les contrevenants permettraient d’assainir le marché et de libéraliser les échanges, dès lors que les garanties seront effectivement apportées dans la chaîne de valorisation. Veolia Propreté s’est notamment exprimé en ce sens29, et certaines initiatives européennes comme Seaport sur le contrôle des exportations traduisent une volonté commune qui trouve aussi des échos au niveau mondial, à l’exemple des mesures également prises pour les D3E au Japon, en Chine et aux États-Unis. En septembre 2007, le commissaire européen pour l’environnement Stavros DIMAS s’exprimait ainsi dans une interview : « Un cadre européen et des règles communes sont nécessaires pour que le recyclage et la valorisation des déchets soient favorisés. Une approche trop nationale de la réglementation du recyclage et de la valorisation aurait pour effet de morceler les marchés et de décourager le recyclage. D’un autre côté l’absence de normes environnementales claires pour les activités du recyclage et les matériaux recyclés engendre des risques d’atteinte à l’environnement. C’est pour ces raisons que la Commission présente comme meilleure approche pour l’Europe de développer les normes minimales communes qui permettront à ces marchés porteurs de progrès environnemental de prospérer. L’émergence d’un accord au niveau européen en multiplie les effets et produit des améliorations environnementales dépassant les frontières des États membres »30. n 9 e assises des déchets, La Baule, septembre 2007 7 propositions pour une gestion responsable des déchets 30 e 9 assises des déchets, La Baule, septembre 2007 28 29 Norvège moteur du recyclage en Europe grâce à la mise en place dès 1981 du principe « pollueur-payeur » Nouvelle Secrétaire d’État au Ministère norvégien de l’Environnement, Heidi Sorensen, porte-parole de la Gauche Socialiste (SV), ancienne militante environnementale et membre du Parlement, expose la culture et les politiques norvégiennes vis-à-vis du recyclage. En Norvège, le secteur de la gestion des déchets a connu une très forte croissance ces quinze dernières années. Cette évolution est liée à de nombreux facteurs. Une meilleure information sur les bienfaits du recyclage, et une sensibilisation à la nécessité de protéger l’environnement, notamment, ont permis d’améliorer l’efficacité du suivi des déchets et de diffuser les bonnes pratiques en matière de gestion des déchets. Outre la surtaxe appliquée aux centres de stockage et aux incinérateurs, l’État a mis en place un droit dit de « responsabilité des producteurs ». Les surtaxes appliquées à la gestion des déchets en Norvège sont parmi les plus élevées au monde. Ces surtaxes concernent à la fois les déchets ménagers et industriels, illustrant ainsi en particulier le principe « pollueurpayeur ». « Il est parfaitement normal que le pollueur supporte également le coût du recyclage et des autres enjeux environnementaux inhérents à la consommation et à la gestion des déchets, déclare Heidi Sorensen. Concernant les déchets ménagers, le pollueur – en l’occurrence, le consommateur – contribue financièrement par le biais des taxes municipales sur les ordures ménagères. En Norvège, le principe « pollueurpayeur » a été mis en pratique dès 1981. » Ce principe est en effet fermement ancré dans la politique environnementale de la Norvège, tant à l’échelon national qu’à l’échelon international. Il signifie que le pollueur est tenu de couvrir une partie des coûts associés aux mesures de protection de l’environnement, ainsi qu’à la gestion des déchets et au recyclage. En Norvège, les surtaxes, mises en place en 1999, s’appliquent à la fois à l’incinération et au stockage des déchets. Elles visent à souligner les coûts environnementaux associés à la gestion des déchets. La hausse du coût du stockage et de l’incinération facilite ainsi la prise de conscience des pollueurs. L’objectif premier est de limiter la production de déchets à la source. À moyen terme, nous espérons que le poids de ces surtaxes rendra la filière recyclage plus attrayante et plus rentable, donc plus populaire, continue Heidi Sorensen. La clause relative à la responsabilité du producteur fait partie intégrante du système pollueur-payeur. Elle permet à l’industrie d’organiser et de financer les opérations de collecte et de gestion des déchets industriels, et de faire appel à des professionnels de la gestion des déchets comme Veolia Propreté. Sans ces réglementations, la continuité de l’approvisionnement en déchets recyclables ou valorisables ne serait pas garantie. Bien que la Norvège ne soit pas membre de l’Union européenne, elle applique toutefois la plupart des règles et directives émanant de Bruxelles. La Norvège joue même, dans certains domaines, un rôle moteur parmi les pays de l’UE. « Signataire de l’Accord sur l’Espace Économique Européen, la Norvège est tenue d’appliquer les normes européennes, explique Heidi Sorensen. Mais dans certains domaines, ce sont les normes norvégiennes qui ont, à l’inverse, servi de base à la législation européenne. Par exemple, concernant la sécurité du stockage des D3E, les recommandations de la Norvège ont été prises très au sérieux par l’UE, et ont occupé une place centrale lors de l’élaboration des Directives relatives à la gestion des D3E. » « Nous avons un ensemble très complet et très strict de mesures liées à la protection de l’environnement » Entretien avec Lee Yuen Hee, Directeur de l’Agence Nationale de l’Environnement de Singapour depuis 2005, il avait précédemment occupé des postes clés dans différents ministères singapouriens (Finances, Communication, Commerce et Industrie, Défense). Singapour a la réputation d’être une des villes les plus propres du monde. Laisser tomber un papier par terre est une infraction passible d’amende sur le champ… Comment abordez-vous la question des déchets à Singapour ? Singapour a un problème essentiel : sa taille. 700 km2. Et sur ces 700 km2 il faut faire cohabiter 4 millions et demi d’habitants, des logements, des entreprises, des usines, des espaces verts, des routes, un aéroport international… C’est l’équation de base de Singapour. Dans ce contexte il n’y a pas d’autre option que d’aborder la question des déchets, et de l’environnement en général, avec la plus grande attention. Nous avons donc depuis longtemps un ensemble très complet et très strict de mesures liées à la protection de l’environnement. À quand remonte la politique environnementale de Singapour ? Le premier bureau anti-pollution a été créé en 1968. À l’époque, l’attention portait surtout sur l’hygiène alimentaire ; il y avait eu quelques cas d’empoisonnement et il fallait améliorer la propreté des lieux publics, des rues, des restaurants. Après l’indépendance (1965), le gouvernement s’est également rendu compte que pour attirer ici des entreprises étrangères, il était important de fournir un cadre propre. Dès 1972, nous avons eu un ministère de l’environnement. Comment contrôlez-vous le respect des règles en matière d’environnement ? Nous sommes signataires d’à peu près tous les traités internationaux (Convention de Bâle, Traité de Rotterdam, Protocole de Kyoto, etc.) et nous imposons les critères internationaux les plus stricts aux entreprises implantées ici. L’un des rôles de notre agence, qui emploie 3000 personnes, est de faire régulièrement des contrôles. Des capteurs contrôlent en permanence la composition de l’air. L’augmentation du nombre de voitures est limitée à 3% par an… en plusieurs secteurs qui accueillent chacun des cendres et des déchets de construction (gravas, etc.). Plusieurs autres possibilités sont également à l’étude pour l’utilisation des cendres, notamment pour les soubassements de route… La population Singapourienne est-elle sensible à la nécessité de recycler ? Les mentalités évoluent doucement. Comment s’effectue le traitement des Mais il y a encore beaucoup de chemin déchets ménagers ? à parcourir. Les enfants en revanche y On est passé en production de déchets de 1200 tonnes par jour dans les années sont beaucoup plus sensibilisés. Ils connaissent tous la règle des « 3r » : 70 à près de 8000 tonnes par jour en 2000. Certes dans la même période on « réduire (la consommation), réutiliser, recycler ». Toutes les écoles ont a connu une forte croissance économique et une augmentation de 50% de la des stations de recyclage. Comme les Singapouriens voyagent beaucoup, ils population (de 3 à 4,5 millions). Nos voient qu’au Japon, par exemple, décharges se sont vite remplies. En les gens recyclent beaucoup plus. 1997, elles étaient d’ailleurs pleines. Les expatriés qui vivent ici demandent Dès 1979 nous avons inauguré la première unité d’incinération. À présent aussi qu’il soit plus facile de recycler. Progressivement, la population nous en avons quatre. Une cinquième est en construction qui viendra rempla- commence à percevoir que c’est bien d’être « vert » mais tout le monde serait cer en 2009 la toute première. Cette plus motivé s’il y avait une incitation méthode nous a permis de réduire de financière. Nous cherchons aussi à 90% le volume des déchets. Nous parvenons aussi à récupérer 3500 faire passer le message de minimiser, dès la production, la quantité de futurs tonnes de métal par an. L’un de nos déchets, en travaillant notamment avec prestataires de collecte vient de nous les emballeurs. De même que nous proposer un projet d’usine pour trier cherchons à réduire progressivement davantage les déchets avant incinéranotre consommation d’énergie, en tion. Elle souhaite économiser les frais encourageant les promoteurs immobiliers d’incinérateur, calculés au poids, et en à construire des immeubles «écologimême temps récupérer des matières ques », en optimisant la récupération premières secondaires. C’est le genre d’énergie dans les transports publics, d’initiatives que nous encourageons. et en aidant la promotion des produits Que faites-vous des cendres ? avec les meilleurs rendements énergétiNous avons créé une décharge offshore, ques notamment les climatiseurs et les réfrigérateurs. Paradoxalement, en construisant deux murs entre deux nous qui importons la quasi-totalité petites îles. Une fois vidée de son eau de nos sources d’énergie, c’est de nos de mer, nous avons divisé cette zone Décharge offshore de Semakau (Singapour), pour le stockage des cendres des unités d’incinération et des déchets de construction déchets que nous tirons les seuls 3% d’électricité que nous ne devons pas importer. Quels sont les taux de recyclage ? Pour le papier et le bois, nous atteignons environ 36%, mais nous devons exporter le papier car nous n’avons pas d’usine à papier ; pour les déchets du bâtiment : 98%... En moyenne générale, nous étions à 40% en 2001 et avons atteint 51% à présent. Notre objectif est de 60% en 2012. Qu’en est-il du recyclage des produits électroniques ? Quatre usines spécialisées dans le recyclage des produits électroniques en fin de vie ont vu le jour en peu de temps à Singapour. Ils en retirent les métaux précieux. Nous y sommes favorables pourvu que leurs opérations soient bien contrôlées. Nous ne voulons pas être traités d’irresponsables sous prétexte de laisser entrer à Singapour des déchets considérés comme dangereux. Or, la convention de Bâle classifie un certain nombre de produits électroniques en fin de vie comme « dangereux », les écrans d’ordinateurs à tube cathodique par exemple. Nous n’avons pas non plus tellement besoin de tous les « restes », une fois le produit dépecé. Disons que nous sommes assez prudents sur ce sujet et que nous étudions les dossiers au cas par cas, en gardant à l’esprit que notre priorité est de régler le problème des déchets de Singapour avant de s’intéresser aux déchets du reste de la planète ! n Un paysage industriel en mutation Avec une accélération soudaine, le recyclage rattrape son retard en intégrant les moyens de l’industrie. Images inversées des chaînes de montage, les lignes de déconstruction s’installent dans des unités productrices de matières recyclées. Les technologies du tri transforment le métier des déchets, tandis que la recherche et développement explore les ressources des gisements et leur ouvre des débouchés. Environ la moitié du papier, du carton et de l’acier fabriqués dans le monde, plus de la moitié des métaux non ferreux, 60% du verre à l’échelle européenne, sont produits à partir de matière recyclée31. Ces chiffres, qui marquent la contribution indispensable du recyclage au fonctionnement de l’économie mondiale, ne disent pas cependant la transformation profonde qui anime un secteur d’activité qui fut longtemps celui de la récupération. « Depuis dix ans, explique Bernard Lanfranchi, directeur des marchés de Veolia Propreté, la législation européenne a été très structurante pour l’évolution de nos métiers, depuis nos activités historiques de l’élimination des déchets vers les activités de la valorisation. » Gestion des déchets et recyclage sont désormais sujets à un développement conjoint. L’acte de dépollution s’inscrit dans la séquence du recyclage tandis que des objectifs de valorisation accrue imposent de prendre en compte une fraction supplémentaire du déchet, jusque-là négligée parce que difficile à valoriser : recycler mieux et davantage selon des procédures qui garantissent la sécurité sanitaire et environnementale. « Tout prendre, tout traiter, tout tracer », résume Michel Valache, directeur régional Ile-de-France de Veolia Propreté, pour marquer la différence avec des pratiques moins exhaustives ou moins scrupuleuses. 31 Économie du déchet, Gérard Bertolini, Éditions Technip, 2005 Ainsi s’efface une frontière, déjà quelque peu perméable. À partir de deux pôles traditionnels – gestion des déchets et récupération ou recyclage – et à l’image des autres secteurs d’activité, un mouvement de consolidation s’opère. Comme le souligne l’économiste Gérard Bertolini, dans une activité de plus en plus capitalistique qui bénéficie des apports de technologies de pointe, le « ticket d’entrée » est de plus en plus élevé 32. Les investissements sont importants, leur amortissement dépend de la maîtrise des gisements et de la massification des flux. Les réponses attendues sont complexes et nécessitent aussi des ressources en ingénierie et des moyens en recherche et développement. Mouvements croisés de concentration En France, les filières du recyclage ont vu le nombre des établissements passer de 4700 à 3400 entre 1999 et 2006 33. Aux États-Unis, les quatre principaux opérateurs concentrent 45% du marché de la collecte et 30% de celui du recyclage34. Les acquisitions réalisées par Veolia Propreté s’inscrivent dans cette logique. « Tous les facteurs sociaux, réglementaires et économiques convergent pour inciter au recyclage, marges de progrès : Un emballage sur deux… Le taux moyen de recyclage des emballages a atteint 53% en 2001 au sein de l’Union européenne qui a situé les objectifs entre 55% et 80% pour 2009. Un état publié par Bruxelles en 2005 indiquait que, dès 2002, 7 pays avaient déjà dépassé les objectifs de 2009 : l’Allemagne avec 74%, la Belgique avec 70%, l’Autriche avec 66%, la Suède avec 65%, le Danemark, le Luxembourg et les Pays-Bas avec 57%. 36 Panorama mondial des déchets, op. cit. ADEME - Les déchets en chiffres - Édition 2007 Économie du déchet, op. cit. Federec, Conférence de presse du 4 juillet 2007 34 Improving recycling markets, OCDE 2006 32 33 des gisements inégalement exploités Hors valorisation énergétique, le pourcentage des déchets municipaux recyclés est à peine supérieur à 30% aux États-Unis. Il est de 35% au sein de l’Europe des Quinze – où la moyenne masque des écarts allant de moins de 10% à plus de 60%. Il se situe autour de 18% dans les nouveaux pays membres de l’Union européenne ainsi qu’en Chine. Il est de 15% au Japon35. 35 explique Jérôme Le Conte, directeur général de Veolia Propreté France et responsable du recyclage au niveau européen. Notre objectif est clairement d’exploiter les gisements au maximum de la valeur ajoutée que nous pouvons apporter, c’est-à-dire jusqu’à la livraison d’une matière directement exploitable par les industriels utilisateurs, et cela sur toutes les filières. » Cependant, l’enjeu concurrentiel ne se réduit pas à l’intégration verticale des métiers, depuis la collecte jusqu’à la production de matière recyclée. « Il y a un avantage compétitif à disposer d’une offre globale qui permet de faire bénéficier nos clients de tous les leviers de valeur ajoutée en conjuguant tous les modes de traitement, poursuit Jérôme Le Conte. À fortiori quand ces clients sont eux-mêmes de grands industriels et souhaitent trouver chez un prestataire unique des solutions pour tous leurs déchets, banals et dangereux, incluant les bonnes options de valorisation. À quoi s’ajoute l’ensemble des services à l’environnement offerts par notre groupe. » Déchets biodégradables La directive européenne de 1999 sur la réduction des déchets indique que la quantité de déchets municipaux biodégradables mis en décharge doit être réduite à : 75% au 16 juillet 2006, 50% au 16 juillet 2009, 35% au 16 juillet 2016, pourcentages mesurés par rapport à la totalité des déchets municipaux biodégradables produits en 1995 ou au cours de la dernière année avant 1995 pour laquelle on dispose de données normalisées d’Eurostat. En d’autres termes, sur la fraction fermentescible des déchets, 50% puis 65% devront être valorisés aux échéances respectives de 2009 et 2016. En France, les déchets fermentescibles représentent, hors papier et carton, environ 28% des déchets ménagers, mais la proportion valorisée par un traitement biologique – compostage et méthanisation – n’est que de 6%36. Une révolution industrielle récente L’industrialisation du recyclage est l’autre fait marquant de la mutation en cours. Le recyclage des ferrailles et des métaux non ferreux progresse certes depuis la fin des années 1950 qui ont vu apparaître les broyeurs, mais la collecte sélective des emballages, qui a conduit au développement de technologies pour le tri des déchets ménagers, est beaucoup plus récente. Elle a été initiée en Allemagne en 1991, introduite en France en 1992, et inscrite dans une directive européenne en 1994. Tandis que le volume des matières collectées ne cessait d’augmenter, les emballages représentant environ 50% des volumes des déchets ménagers et assimilés des pays de l’OCDE, les technologies disponibles - mécanique, magnétique, aéraulique, optique - ont été intégrées. Elles ont permis une automatisation avancée des centres de dernière génération, comme ceux de Rillieux-la-Pape en France, et de Greenwich en Angleterre, qui constituent des références pour Veolia Propreté. « Aujourd’hui, explique Dominique Hélaine, responsable de la cellule stratégie à la Direction Technique et des Investissements du groupe, une maturité a été atteinte en terme d’efficacité du tri des déchets d’emballages. Il reste des progrès à faire pour en améliorer le taux de collecte puisqu’en Europe le taux de recyclage moyen des emballages est d’environ 55%. En revanche, les technologies ne sont pas directement transférables à d’autres flux, tels que les déchets industriels banals qui nécessitent des développements spécifiques en matière d’outils de tri. » Les filières traditionnelles des métaux et du papier ont appris à distinguer des niveaux de qualité dans les flux entrants, puis le tri des emballages a su appliquer des techniques séparatives à des flux continus de matières diverses, toutefois associées à des formes constantes – bouteilles, flacons, canettes, journaux, etc. – dont la nature est bien identifiée. Les nouveaux défis portent sur des flux plus hétérogènes et plus complexes, dont celui des D3E 37 – le plus représentatif d’une évolution majeure qui confronte l’activité du recyclage, non plus seulement à des flux de matières, mais aussi à des flux de produits. « Des produits plus complexes à traiter, en raison de leurs composants dangereux et de leur miniaturisation, et qui contiennent par ailleurs moins de matières à haute valeur », rappelle Bernard Lanfranchi. Démonter, démanteler, dépolluer, séparer les matériaux et les valoriser… une nouvelle industrie se structure, dont l’un des enjeux est de pouvoir constituer une alternative aux traitements informels et dangereux, particulièrement pratiqués en Asie, qui concernent aussi bien les ordinateurs et les téléphones portables que les navires en fin de vie. L’intégration des technologies de l’information est enfin un facteur décisif de progrès pour la gestion des flux, avec un bénéfice considérable en matière de sécurité et de traçabilité. L’alternative aux traitements informels et dangereux Des gisements sous-exploités Pour autant, le défi ne se limite pas aux gisements nouvellement désignés par la réglementation, dont le traitement est financé grâce à l’application du principe de la REP – la Responsabilité Élargie du Producteur – et aux contributions du consommateur. La part majoritaire des déchets, quel que soit le pays, échappe encore au tri et alimente les décharges ou les incinérateurs. Leur potentiel de valorisation n’est pourtant pas négligeable. Convoités lorsqu’ils sont triés à la source, qu’il s’agisse de chutes de production ou d’emballages, les déchets industriels et commerciaux ont été largement sous-exploités dès lors qu’ils étaient collectés en mélange. Ainsi que les déchets du BTP, ils sont désormais davantage pris en compte. À l’image de ce qu’il s’est passé pour les emballages, et avec les mêmes technologies de base redimensionnées, des unités spécialisées voient le jour, qui permettent, après broyage, de séparer les matières. Les déchets fermentescibles représentent un autre gisement majeur. On estime à 1,2 milliard de tonnes les déchets municipaux collectés dans le monde38, tandis que 1,8 milliard de tonnes seraient produites39. Le pourcentage de leur fraction organique est estimé de 30 à 45% en Europe et dépasse les 75% dans les pays en développement. Or cette matière est une richesse dont le monde a un besoin vital, autant pour se nourrir que pour stocker le CO2. L’appauvrissement des sols est en effet un sujet préoccupant, que la croissance démographique et l’intensification de l’exploitation agricole vont encore aggraver. Plusieurs solutions sont envisagées pour éviter la pollution des déchets fermentescibles, soit en faisant évoluer les critères de la collecte séparative (voir encadré page 55), soit par un développement technologique qui permettrait le tri sur un flux en mélange. La production d’un compost de qualité peut enfin intervenir après valorisation énergétique de la matière par captation du biogaz. Recherche et Développement jusqu’au déchet ultime Sauf à multiplier les moyens de collecte séparative, avec leurs coûts associés – schéma a priori exclu et hors de portée pour de nombreux pays –, le potentiel de développement du recyclage réside dans les capacités des procédés de tri mis en œuvre. Cette première et déterminante étape de la valorisation des déchets mobilise les efforts de recherche et développement. Dominique Hélaine en résume les principes : « Il existe aujourd’hui des outils complexes dont l’utilisation est perfectible, notamment sur la manière dont ils sont agencés, notre valeur ajoutée étant alors celle d’un ingénieriste de conception. C’est un premier axe de recherche. Un second axe réside dans notre capacité à identifier des technologies mises en œuvre dans d’autres secteurs et qui pourraient être transférées à notre activité. Le troisième axe ne vise plus les outils mais les matériaux qui échappaient jusqu’alors à nos possibilités de tri. Cela concerne notamment beaucoup de produits qui présentent à la fois une certaine forme de toxicité, mais aussi une valeur en terme de recyclage, certains métaux par exemple. » Déchets d’équipements électriques et électroniques Panorama mondial des déchets, CyclOpe, Ed. Economica 2006 39 Économie du déchet, op. cit. 37 38 « Produire mieux : une ambition industrielle et technologique, mais aussi un progrès humain » Entretien avec Olivier Doyen, Responsable du département Tri et Valorisation du Centre de Recherche sur la Propreté et l’Énergie de Veolia Environnement Comment définiriez-vous votre rôle, quels sont vos axes de recherche ? Notre rôle consiste à permettre à Veolia Environnement d’être un producteur de matières premières secondaires et de combustibles issus des déchets doté d’une valeur ajoutée supérieure à celle de ses concurrents. En clair : nous aidons Veolia Environnement à produire plus et mieux. Dans ce contexte, notre principal axe de recherche est l’automatisation de nos centres de tri, ce qui ne va pas sans des conséquences sociales importantes, que j’évoquerai plus loin. Au plan technique, nous devons répondre aux questions suivantes : comment, sur un tapis qui avance à une vitesse de 3 mètres par seconde, soumettre chaque objet à un outil d’analyse en évitant les perturbations générées par les chevauchements et la proximité d’objets de matières différentes ? Comment détecter les superpositions d’objets, les corriger, et comment maintenir les objets en place pour que les opérations d’extraction soient bien ciblées ? Pour cela, nous recourons à des technologies d’analyse non intrusives – le proche ou le moyen infrarouge et les rayons X – qui peuvent être couplées avec d’autres systèmes pour parvenir à une identification fine des matériaux. Il faut ensuite développer les moyens permettant l’extraction à grande vitesse. Pour donner un ordre de grandeur, quand une ligne d’embouteillage traite au maximum 80 000 bouteilles par heure – toutes identiques –, nous devons, nous, trier, chaque heure, plusieurs centaines de milliers d’objets différents. nos centres de tri. Cette année nous avons ainsi étendu les possibilités d’utilisation d’une machine de tri optique, grâce à un dispositif où différents ordres d’éjection sont donnés sur un flux analysé en boucle. À chaque passage, les critères de sélection sont modifiés. Un progrès particulièrement intéressant pour les centres de faible capacité et les petits flux de matière. Au-delà du tri, se pose la question de la valorisation des matières. C’est toute la question de l’intégration verticale. Jusqu’où va-t-on dans la préparation des matières ? Selon la réponse, les process peuvent varier considérablement. Prenons un exemple. On peut chercher à concentrer un certain type de plastique comme le PET au niveau de nos centres de tri, mais si le cahier des charges demande de fournir une matière lavée et un certain degré de pureté, l’opération de tri peut s’effectuer plus en aval, à partir de différents plastiques broyés, séparés en fonction de leur densité par flottation. L’intégration verticale ouvre ainsi à d’autres techniques potentiellement plus intéressantes. En contrôlant toute la chaîne de production de matière première secondaire, nous pouvons agir au stade le plus pertinent, en fonction de nos objectifs de qualité et de réduction des coûts et des dépenses énergétiques, avec un résultat environnemental nettement plus favorable. dépendant du débouché des matières produites et des demandes de leurs utilisateurs. Notre connaissance des matériaux et des besoins des industriels fait aussi entrevoir un dialogue plus étroit en matière d’éco-conception. Le chercheur en valorisation sera légitime à conseiller l’industriel pour l’utilisation d’une résine plutôt qu’une autre, du fait de ses propriétés pour un usage donné et du meilleur bilan de son cycle de vie. Vous souhaitiez revenir sur les conséquences sociales des évolutions que vous décrivez. Oui, parce que je veux souligner que la dimension humaine est totalement intégrée dans notre démarche. Lorsque nous développons l’automatisation, nous générons certes une perte potentielle d’emplois. Mais l’automatisation permet de baisser les coûts de production et d’accéder à des gisements qui ne sont pas encore triés. Elle crée donc aussi des emplois. Et nos simulations indiquent même qu’elle en crée beaucoup plus qu’elle n’en supprime. En outre, ces emplois changent de nature. Ils concernent le contrôle, la maintenance, la logistique. À chaque nouveau développement technique, nous en analysons les conséquences en termes de formation professionnelle et nous recherchons toujours le meilleur équilibre dans le couple homme machine. La recherche de nouvelles solutions techniques est donc pour nous Peut-on en déduire un modèle type pour indissociable dans la durée de l’évolution les unités de valorisation de demain ? professionnelle des collaborateurs du Pouvez-vous déjà faire état de résultats ? Le mot clé c’est le pilotage. C’est-à-dire groupe. n la capacité à régler l’outil industriel Notre ambition est simple : il s’agit d’apporter chaque année au groupe une en fonction de l’origine des déchets, solution immédiatement intégrable dans et du résultat recherché, ce dernier L’analyse des déchets effectuée dans les centres de recherche réduit aussi peu à peu le périmètre des « déchets ultimes » dont le président du BIR rappelle volontiers que leur qualification dépend, selon la définition officielle, « des conditions techniques et économiques du moment ». La directive européenne sur les véhicules hors d’usage en apporte un exemple lorsqu’elle fixe à 95% pour 2015 les taux de valorisation attendus. Dans un rapport de janvier 2007, la Commission européenne indiquait à ce sujet : « Le recyclage et la valorisation des matières plastiques issues des résidus de broyage seront nécessaires si l’on souhaite atteindre les objectifs actuels pour 2015. » Le déchet ultime est aussi celui qui ne se voit pas. Des métaux précieux – à l’état de traces – sont extraits d’effluents toxiques, et recyclés, et « de véritables mutations de la matière », comme l’exprime Michel Valache, sont opérées grâce aux technologies de la chimie. La place de l’humain Le recyclage, dans sa forme industrielle, renouvelle l’économie des ressources en même temps qu’il requalifie certains métiers de la gestion des déchets. Collectes séparatives : La séparation des matières est d’autant plus efficace qu’elle s’effectue en amont. C’est le principe de la collecte sélective des ordures ménagères organisée en porte à porte, ou dans les déchèteries et autres points d’apport volontaire, modes plus économiques et en développement. Les critères de séparation des flux, et leur nombre, diffèrent selon les pays ou les régions. L’exemple allemand L’Allemagne est régulièrement citée en exemple pour sa politique en faveur du recyclage. Par un décret datant de 1991, le citoyen a été désigné comme « producteur-trieur » de ses déchets. En Allemagne, la collecte distingue 7 flux, dont 5 collectés en porte à porte : papier carton, emballages de toutes natures, y compris les sacs plastique, déchets biodégradables, déchets résiduels et encombrants. Les opérations de tri ont longtemps été assimilées à de basses tâches, à des conditions de travail inévitablement pénibles, génératrices de troubles et exposées à des dangers. Le tri manuel est encore le cas le plus général, et les petites unités ne pourront, en l’état des outils disponibles et de leur coût, intégrer des solutions automatisées. Si l’automatisation menace certains emplois, qui sont aussi les plus pénibles, en retour le développement du recyclage est susceptible d’en créer. Il le fait notamment en partenariat avec des entreprises d’insertion – et la montée en puissance de nouvelles filières sera aussi créatrice d’emplois. « On peut concevoir qu’à l’avenir la quasi totalité des flux fasse l’objet d’un tri, explique Dominique Hélaine. Ce n’est pas seulement une évolution industrielle, c’est également un changement culturel profond qui donne à cette fonction un autre statut. » Des développements techniques en cours vont maintenir le rôle de l’homme dans sa fonction de contrôle tout en permettant son intervention à distance, sans contact direct avec les déchets. Changer les conditions de travail, c’est aussi en changer la nature. Ce n’est pas le moindre défi du recyclage que de réussir aussi cette mutation. n à la recherche du meilleur compromis Le verre et les substances dangereuses sont collectés par apport volontaire. Les déchèteries distinguent jusqu’à 15 catégories de déchets. L’Allemagne pratique également la consigne des bouteilles, en verre mais aussi en plastique. Cette organisation traduit une culture environnementale et un esprit civique développé. Elle implique aussi des coûts élevés. D’autres pays européens, et certains États américains pratiquent aussi une politique volontaire en valeur du recyclage, avec un fort développement des collectes sélectives. Les limites du modèle français En France, le cas le plus général distingue 2 flux, hors collecte du verre : les emballages et les journaux, d’une part, les résiduels de l’autre. En dépit d’une certaine réussite, ce système présente des inconvénients. La collecte des emballages, limitée aux bouteilles et flacons, exclut d’autres plastiques valorisables. La collecte des fermentescibles mêlés aux résiduels les exposent à des pollutions préjudiciables à la production de composts de qualité. Une hypothèse… Sur ces questions en débat, la recherche du meilleur compromis entre contraintes, coûts et efficacité conduit à l’hypothèse de 3 flux principaux : le verre, les biodégradables (incluant les bioplastiques) et l’ensemble des déchets secs, ces derniers pouvant être triés avec les technologies déjà mises en œuvre. Ce modèle ne résout pas cependant la question des déchets toxiques qui implique une incitation accrue aux apports volontaires et, de la part des pouvoirs publics, une politique renforcée de communication. « Il faut que les standards de production, les normes des produits et les moyens de traçabilité soient renforcés » Entretien avec Dominique Maguin, Président du Bureau International du Recyclage40, il fut également président de Federec, président de l’European paper recycling federation et président de la division papier du BIR. Le gouvernement français l’a nommé membre du Conseil national des déchets. Le marché du recyclage obéit depuis quelques années à un processus général de consolidation qui efface la frontière traditionnelle entre opérateurs du déchet et recycleurs. Comment l’analysez-vous ? Le premier produit auquel les opérateurs du déchet se sont intéressés - l’exemple nous vient des États-Unis avec Waste Management - a été le papier. Car le collecteur de déchets utilise les mêmes outils que le récupérateur de papier : les mêmes bennes, les mêmes compacteurs. L’usage des mêmes outils n’implique pas la maîtrise des mêmes savoir-faire, mais le mouvement est lancé et il va s’étendre aux autres filières. Le second facteur déclenchant est d’ordre politique. Il traduit, dans les pays industrialisés, une préoccupation environnementale croissante face à la production des déchets et s’exprime notamment par la formalisation de principes comme les « 3R » : réduire, réutiliser, recycler. Les opérateurs traditionnels du déchet sont alors en première ligne pour répondre à la nouvelle injonction, notamment auprès des collectivités locales qui sont leurs clientes. Naturellement, le recycleur traditionnel enregistre lui aussi l’évolution des attentes et, dès lors, la consolidation s’opère selon deux mouvements inverses : les opérateurs du déchet entrent pleinement dans le champ aval du recyclage tandis que les recycleurs traditionnels remontent vers l’amont. Quels sont de part et d’autre les atouts ? Est-ce que, selon vous, le métier d’origine peut donner un avantage culturel et technique pour aborder cette évolution ? On peut répondre de deux façons. En premier lieu, j’observe que, partant des deux extrémités de la chaîne, les opéra- teurs sont arrivés à la même conclusion et, globalement, se sont donnés les mêmes objectifs. Sur quoi se jouera la différence dans cette confrontation concurrentielle ? Sur le savoir-faire, tout simplement. Il faut connaître et savoir reconnaître les matières ; il faut en organiser une collecte rationnelle ; il faut pouvoir effectuer des opérations de tri en fonction de standards de production car, et je milite dans ce sens depuis assez longtemps pour m’en réjouir, les matières recyclées se normalisent ; et enfin il faut savoir commercialiser ces matières, c’est-à-dire traiter sur des marchés de gré à gré qui exigent de parcourir sans cesse la planète pour rencontrer les utilisateurs de vos produits, comprendre leurs besoins, connaître leurs outils, et ne pas laisser celui qui sera passé avant vous avoir raison ! Voilà tout ce qu’il faut savoir faire, en plus de la veille technologique et réglementaire, si l’on veut intégrer l’ensemble des métiers du recyclage. Mais ces métiers cohabitent eux-mêmes avec d’autres métiers, ce qui conduit à une deuxième réponse à condition de ne pas oublier les termes de la première. En élargissant le champ, je suis en effet tenté de dire que si un même opérateur, outre le recyclage, sait traiter les déchets dangereux, gère des centres d’enfouissement technique, maîtrise l’exploitation d’unités d’incinération et, par ailleurs, dispose d’un centre de recherche et développement, il est sans doute le mieux placé pour répondre aux attentes de demain. Mais j’insiste aussi sur cette évidence qu’il ne suffit pas de pouvoir « tout faire » pour construire une organisation cohérente hautement professionnalisée de l’ensemble des métiers. Les activités du recyclage sont aujourd’hui confrontées aux flux des produits en fin de vie. Comment analysezvous les réponses données à ce problème complexe ? Nous sommes là au cœur du sujet. Que fait-on en effet de ces téléphones, ordinateurs, tubes fluorescents et autres produits qui nous entourent et sont appelés à devenir des déchets ? C’est une question qui caractérise la complexification des activités du recyclage, et la recherche et développement sera décisive dans la mise en place de solutions. Cependant, une fois résolue l’équation technique du démontage, de la dépollution et de la valorisation, la question économique demeure. La tendance, qui est aujourd’hui de raisonner avec une filière par type de produit, nous oriente vers des solutions très coûteuses. À cela s’ajoute, en France, pour les D3E, la coexistence de plusieurs éco-organismes représentant les différents producteurs. En poussant les choses jusqu’à l’absurde, pourquoi pas une filière par produit et, pour chaque filière, autant de systèmes de gestion qu’il y aurait de fabricants ! Il y a donc des améliorations à apporter pour limiter les coûts de fonctionnement des dispositifs et s’assurer que les taxes servent le plus efficacement possible le traitement du problème pour lequel elles ont été créées. Il est clair que si la technologie nous permet de substituer à l’actuelle logique de séparation des flux une logique de concentration, avec la construction de structures communes et des outils capables de traiter des ensembles de familles de produits, nous aurons fait un grand pas dans la bonne direction. Mais la réponse technique ne doit pas forcément venir en réaction à la décision politique, elle mérite d’être considérée et sollicitée en amont. Beaucoup de décisions sont encore prises à Bruxelles sans consultation préalable de ceux qui ont l’expertise technique, gèrent les infrastructures de traitement et sont capables, en fonction d’un objectif donné, de proposer le schéma industriel et économique le plus efficace, c’est-àdire aussi le moins coûteux pour l’ensemble de la société. L’Europe, qui est pourtant en avance sur ces sujets, n’a pas encore acquis la maturité nécessaire pour conduire une vraie politique de protection de l’environnement et cela se traduit dans sa façon de légiférer. Dans les différentes responsabilités que vous avez exercées, vous avez depuis longtemps milité pour la mise en place de standards et de certifications. Votre plaidoyer pour la qualité de la production de matières recyclées ne se heurte-t-il pas à certaines réalités du marché et aux difficultés à faire appliquer des règles à l’échelle internationale ? J’ai souvent dit, avec un peu de provocation, qu’une des particularités des métiers du recyclage était que le prix payé pour une matière était inversement proportionnel à sa qualité. C’est un fait que la grande loi de l’offre et de la demande rend les acheteurs moins exigeants quand le marché est tendu, et qu’ils sont alors prêts à payer plus cher une matière de moindre qualité pourvu qu’ils disposent des volumes que réclament leurs unités de production. En bout de chaîne, c’est le consommateur qui sera lésé, parfois doublement, en tant que contributeur au financement du recyclage et en tant qu’usager. Cette logique de court terme n’est pas à la hauteur des enjeux, et ce n’est pas ainsi que nous pouvons gagner le combat commercial et environnemental qui nous attend. Pour bannir ces comportements, il faut que les standards de production, les normes des produits et les moyens de traçabilité soient renforcés, et il faut, pour garantir tout cela, développer les certifications de service au sein des entreprises de nos secteurs d’activité. C’est le sens de l’action que j’ai menée dès 1997 au sein de la Fédération des entreprises du recyclage, avec la mise en place d’un label de qualité, puis d’une certification de service CERTIREC. Ces exigences sont-elles assimilables à une évolution culturelle des métiers du recyclage ? Pendant longtemps, les métiers de la récupération et du recyclage ont été tenus à la marge de la société, c’étaient des métiers réservés aux franges défavorisées de la population, et le savoir-faire s’est lui-même transmis dans le secret de la tradition orale. Aujourd’hui nous avons un besoin d’affichage, de visibilité et d’écriture des procédures pour être capable de les reproduire et d’en corriger les déviances. À cet égard, les grands opérateurs ont un rôle essentiel, parce qu’ils se situent dans une logique industrielle et qu’ils ont mis en place des process et instauré des modes de suivi et de contrôle rigoureux. Dans des contextes qui autorisent des productions dévaluées, cette discipline, cette exigence de qualité les pénalisent. Mais dans une perspective plus ambitieuse, elle fait d’eux non pas des modèles, mais une force d’entraînement. Disant cela, je n’oublie pas les plus petites structures qui ont aussi développé une culture de la qualité et qui, lorsqu’elles sont rachetées par les grands groupes dans le mouvement de consolidation que nous avons évoqué, apportent des gages de savoir-faire, une image et un ancrage local pour une activité qui présente aujourd’hui, rappelons-le, l’indiscutable avantage de n’être pas délocalisable. n 40 Le BIR est une fédération internationale représentative de l’industrie du recyclage et du négoce dans le monde entier. Elle réunit 600 entreprises et fédérations nationales de plus de 60 pays. Déchets spéciaux : un modèle industriel Avec leur socle industriel établi de longue date et leur maîtrise des hautes technologies, les activités de traitement des déchets spéciaux font figure de modèle. En première ligne de la lutte contre les pollutions, elles sont aussi un poste avancé de la valorisation. Une histoire et des valeurs Le périmètre de la valorisation des déchets dangereux ne cesse de s’élargir. C’est en tout cas ce qui distingue les leaders de ce secteur d’activité, au premier rang desquels Veolia Propreté. « Si le leadership se traduit par l’élévation des standards de référence, par l’exemple donné et par le maintien d’une avance technologique, précise Pascal Gauthier qui dirige la société spécialisée du groupe, nous sommes clairement les leaders ». Mobilisée par l’urgence écologique qui a fondé ses valeurs, l’industrie du traitement des déchets spéciaux a d’abord dû répondre à des objectifs de neutralisation des pollutions qui menaçaient l’eau et les sols. C’était il y a trente ans. Des outils lourds ont alors permis de traiter de gros volumes. La recherche et le développement ont ensuite conduit à l’intégration de technologies plus spécifiques, orientées vers la valorisation matière et énergétique. L’activité aura tiré de ses contraintes un avantage décisif. Elle n’avait pas d’autre choix que de se doter de méthodes et d’outils de haute performance. Les technologies mises au service du traitement des déchets toxiques ont apporté aux opérateurs une connaissance des matières qui a aussi révélé leur potentiel de valorisation. Nos limites sont d’abord celles de notre imagination Un cas d’école Chez Veolia, la valorisation des déchets devient opérationnelle il y a une quinzaine d’années et commence avec la régénération des solvants contenant des polluants chimiques, une opération aujourd’hui largement pratiquée. De nouvelles idées naissent dès lors que l’identification des déchets devient systématique. Un exemple est, parmi beaucoup d’autres, représentatif de la démarche. L’entreprise traitait, il y a dix ans, plusieurs milliers de tonnes d’un effluent chargé en zinc et en nickel. Après traitement du flux, une matière riche en hydroxydes métalliques était stabilisée et solidifiée pour être stockée comme déchet ultime. Pascal Gauthier rappelle à ce sujet une phrase qu’il s’est appropriée : « Détruire un déchet est un constat d’échec ». En l’occurrence, le défi est relevé. Dès 1997, une étude exploratoire est lancée. Six ans plus tard, grâce aux résultats d’une unité pilote, l’investissement industriel est décidé. En 2004, le procédé mis en place produit les premières tonnes de matières métallifères. La transformation de l’idée en solution industrielle opérationnelle aura pris sept années. Elle n’aurait pas été possible sans l’engagement d’un client sur un contrat de cinq ans. Au moment de la signature, le prix du nickel, pourtant, n’était pas un argument. De la flambée des cours qui a suivi, Pascal Gauthier tire l’opportunité de réaffirmer un positionnement. « Nous avons atteint pour les oxydes de zinc et de nickel des taux de pureté de 80 à 85%. Quand le marché s’est emballé, nous aurions pu régler notre process pour des taux de 40 ou 45% qui auraient trouvé preneur, mais nous avons maintenu nos objectifs parce qu’ils correspondent à la définition de notre métier. C’est aussi cette exigence qui fonde notre relation avec nos clients. » Responsabilité et imagination Une culture s’est nourrie de cette logique. Valoriser les déchets dangereux et ouvrir la palette des solutions à de nouveaux gisements sont des facteurs d’émulation au sein des unités de recherche, et cette orientation répond à une demande facilitée par des motifs économiques et parce que la conscience des impacts environnementaux progresse au-delà du cercle des grands groupes industriels soucieux de leur responsabilité et de leur image. « Il y a un sens pour les restaurateurs à savoir que les huiles alimentaires usagées que nous collectons chez eux vont permettre de produire du biocarburant ou, pour les garagistes, à savoir que les huiles de vidange seront régénérées », explique encore Pascal Gauthier. De nouveaux développements sont en cours, que le secret industriel protège. Deux domaines de recherche sont cependant particulièrement significatifs au regard des enjeux environnementaux. Les déchets liquides chargés en polluants représentent des flux importants qu’il est possible de traiter pour en extraire une eau assez pure pour être réutilisée dans les process industriels, et économiser ainsi une ressource précieuse. Le captage du CO2 en sortie de cheminée d’une usine du groupe va permettre, après élimination des polluants et compression, d’alimenter une production industrielle qui en consomme des milliers de tonnes. « Nos limites sont d’abord celles de notre imagination », affirme Pascal Gauthier. Le marché peut cependant constituer un frein au développement les plus ambitieux quand les intérêts de court terme privilégient des solutions d’autant moins coûteuses qu’elles ne respectent pas l’environnement. C’est le cas pour les métaux contenus dans les déchets dangereux, notamment les D3E (voir article) dont l’exportation illégale est facilitée par des traders. Mais c’est aussi plus banalement le cas de certains emplois énergétiques qui ne sont pas assimilables à une valorisation et constituent des voies d’élimination non exemptes de dispersion des polluants. Déchets diffus en attente… Les déchets dangereux diffus, issus des ordures ménagères sont un tout autre sujet, caractérisé par un déficit en matière de collecte et d’information. Mêlés aux déchets ordinaires, ils créent des contraintes supplémentaires de traitement des fumées des incinérateurs ou des effluents des centres de stockage. Les restes de diluants pour peintures, mélangés aux eaux usées des ménages, polluent les boues des stations d’épuration, Seaport, une police européenne des ports Dans l’Union européenne, un programme, baptisé Seaport Project, est mis en œuvre pour renforcer la coopération internationale dans la lutte contre les exportations illégales de déchets. Le ministère de l’environnement des Pays-Bas en assure la coordination. Un rapport publié en juin 2006 fait état des contrôles effectués entre septembre 2004 et mai 2006. 24052 documents administratifs ont été contrôlés et 4 198 cargaisons ont été examinées, parmi lesquelles 1 103 contenaient des déchets. 564 chargements étaient illégaux (51%) et 473 en infraction (43%). Ces constats ont été suivis de mesure, notamment le renvoi du fret illégal dans les pays d’origine. et conduisent à construire des fours spéciaux pour les incinérer. « Le bilan environnemental et économique de ces dommages, indique encore Pascal Gauthier, devrait inciter à d’autant plus de mobilisation que l’opinion est disponible pour entendre un discours responsable ». Si le tri à la source constitue la mesure préventive la plus simple, la recherche et développement travaille aussi sur des technologies de tri qui permettraient la collecte simultanée des produits dangereux et des déchets résiduels. Dans tous les cas, la séparation de ces déchets est une condition pour accroître globalement les taux de valorisation. n D3E : un sujet mondial, une filière en construction 40 à 50 millions de tonnes de Déchets d’Équipements Électriques et Électroniques seraient produits dans le monde chaque année. La Chine, l’Inde, le Pakistan et l’Afrique sont les principales destinations de ces déchets illégalement exportés. La croissance mondiale des D3E, de 3 à 5% par an – supérieure à celle de tout autre déchet – et la hausse du niveau d’équipement dans les pays émergents ajoutent encore à l’urgence des problèmes sanitaires, environnementaux et sociaux qui sont posés. Les enjeux sont aussi économiques. La réglementation et la réponse industrielle qui se structure dessinent les contours d’un nouveau marché, avec des solutions techniques en compétition. Des constats alarmants Le traitement des D3E est soumis à la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux et de leur élimination, et à son amendement apporté en 1995 qui interdit aux pays signataires de l’Union européenne et de l’OCDE les transferts de déchets dangereux vers les autres pays, notamment les pays en développement. Les États-Unis n’ont ratifié ni la Convention de Bâle ni son amendement. Premier producteur mondial de D3E, ils en exportent 50 à 80%. Les Européens ne font guère mieux. Cynisme et irresponsabilité chez les exportateurs, laxisme réglementaire et faibles coûts de main-d’œuvre dans les pays en développement ont conduit à une situation grave. Un prélèvement effectué dans une rivière chinoise a révélé des taux de plomb 2400 fois plus élevés que le seuil préconisé par l’Organisation Mondiale de la Santé41. Ces désastres écologiques ne se répareront pas facilement, mais la situation évolue. 41 Sources : PNUE, Bulletin d’Alerte Environnementale 2005 et programme StEPUniversité des Nations Unies (http://ewasteguide.info/) ; Basel Action Network (www.ban.org) 42 www.novethic.fr 43 http://ewasteguide.info/newsandevents/chin-0 Leviers réglementaires La Directive européenne de 2002 sur les D3E est entrée en application avec quelques rappels à l’ordre de la Commission auprès de certains États membres. Le Japon a pris des mesures préventives dès 1998, renforcées en 2003 par des dispositions en faveur de la collecte et du recyclage. Aux États-Unis, les États de Californie, de Washington, du Maine et du Maryland ont instauré une législation plus ou moins proche du modèle européen42. La Chine aussi réagit. Elle impose à partir de 2008 que les D3E soient traités par des entreprises accréditées selon des normes de sécurité fixées au niveau national 43. Le projet européen Seaport marque enfin une volonté coordonnée pour un contrôle renforcé des exportations (voir page 59). Ces dispositions réglementaires répondent à plusieurs objectifs : réduire la quantité de composants polluants, concevoir les produits de façon à les rendre plus facilement recyclables, imposer une dépollution et un traitement dans des conditions qui préservent l’environnement et les personnes et, enfin, optimiser la valorisation des matériaux, dont certains ont une valeur considérable. Le cuivre, par exemple, peut représenter jusqu’à 18% du poids d’un matériel électronique. Des taux de plomb 2 400 fois plus élevés que le seuil préconisé par l’OMS Métaux précieux Les téléphones portables et les ordinateurs contiennent des métaux précieux – or, argent – et rares, comme le palladium ou le cobalt et l’indium qui ont récemment connu les hausses de prix les plus fortes. Ces matières sont essentiellement présentes dans les unités centrales, et en infimes proportions : environ 0,4 gramme d’or et d’indium, 0,1 gramme de palladium44 pour un ordinateur personnel. En outre elles sont souvent gainées de plastique ou mêlées à des substances toxiques. On conçoit dès lors la technologie requise pour les recycler dans les conditions les plus sûres et les plus favorables, technologie coûteuse qui explique le nombre limité des unités spécialisées dans ces opérations. Veolia Propreté a constitué avec la société Centillion une joint-venture, CentiOnyx installée à Singapour. L’implantation est stratégique : d’une part les gisements locaux issus des refus de fabrication sont très importants, la quasi-totalité de la production étant asiatique ; d’autre part l’afflux des matériels en fin de vie depuis l’Europe et les États-Unis est encouragée par le faible coût du fret retour, divisé par dix par rapport à celui que supportent les exportations massives de matériel neuf. Avec une capacité de production parmi les plus importantes des nouveaux entrants sur ce marché, CentiOnyx a principalement orienté son activité vers le recyclage des cartes électroniques à partir desquelles elle produit des lingots d’or. supérieur à 90% qui dépasse sensiblement les objectifs européens. Le process mis en place pour le traitement du GEM froid se distingue également par le niveau de sécurité atteint et une informatisation qui permet de produire le bilan matière de chaque unité (voir encadré page 64). Ordinateurs personnels : beaucoup de matière pour un usage court Une publication de l’Université des Nations Unies, Computers and the Environment 46, indique que la fabrication d’un ordinateur personnel nécessite pour sa production près de 10 fois son poids en énergies fossiles et une consommation totale de 1,8 tonne de matière. Soit : 240 kg d’énergies fossiles, 22 kg de produits chimiques et 1500 litres d’eau. Par comparaison, la production d’une automobile ou d’un réfrigérateur ne demande qu’une quantité d’énergie fossile égale au poids du produit. Selon Greenpeace, la durée de vie moyenne d’un ordinateur est passée de 6 à 2 ans entre 1997 et 2005. Traitements complexes Si les ressources rares ne sont pas le lot commun des D3E, la complexité du traitement est une constante. « Les volumes sont importants, mais les produits sont très divers, explique Françoise Weber, directrice du recyclage chez Veolia Propreté Ile-de-France, et certains matériels de faible valeur présentent de fortes contraintes de gestion ». Les aspirateurs en sont un exemple, et le démontage scrupuleux d’un écran plat demande près de deux heures, en attendant une meilleure éco-conception. Les matières plastiques constituent enfin un sujet à part entière. Leur diversité est un obstacle à leur recyclage, puisque les résines ne peuvent être mélangées, et la difficulté est encore accrue par la présence de retardateurs de flammes bromés ou chlorés, désormais interdits en Europe mais encore présents dans les D3E à traiter. Veolia Propreté marque sa capacité d’innovation sur ce sujet. À Angers, le groupe met en œuvre un procédé exclusif de reconnaissance des plastiques, fruit d’une recherche menée en partenariat avec Thomson. Autre atout de la nouvelle unité industrielle, la plus importante en France, elle est la seule à traiter les trois grandes catégories de D3E – écrans, PAM45 et GEM45 froid –, avec un taux moyen de valorisation 500 millions d’ordinateurs… En 1999, une étude demandée par le National Safety Council évaluait à 500 millions d’unités le nombre des ordinateurs susceptibles d’être obsolètes entre 1997 et 2007 aux États-Unis. Les mêmes analystes estimaient alors que 41 millions d’ordinateurs personnels seraient jetés dans le pays pour la seule année 2001, la Californie y contribuant à raison de 6000 unités par jour. 500 millions d’ordinateurs représentent environ : 2,9 millions de tonnes de matières plastiques, 718 000 tonnes de plomb, 1300 tonnes de cadmium, 860 tonnes de chrome et 280 tonnes de mercure.46 Source: Handy and Harman Electronic Materials Corp. Cité dans Exporting Harm, The Basel Action Network (BAN) & Silicon Valley Toxics Coalition (SVTC), 2002 45 PAM : Petits Appareils Ménagers. GEM : Gros Électroménager. http://www.unu.edu/zef/publications-d/flyer.pdf 46 Source : Exporting Harm, Basel Action Network & Silicon Valley Toxics Coalition, http://www.ban.org/ 44 Échelles locale, nationale et internationale Pendant longtemps, la gestion des déchets est restée un service de proximité. « Le recyclage conduit à intégrer une autre dimension, en termes de prestation et de négoce, avec une approche logistique nouvelle, analyse Françoise Weber. L’approche globale n’est plus seulement commerciale, c’est toute l’organisation industrielle qui est pensée globalement avec la recherche d’un équilibre économique et environnemental. » Un équilibre qui dépend du maillage du territoire, de la taille des installations industrielles et de leur spécialisation. Au-delà des marchés nationaux, de grands fabricants expriment le besoin de satisfaire à leurs obligations dans le cadre d’un schéma homogène, avec des services certifiés quel que soit le pays. Veolia Propreté s’était déjà inscrit dans cette logique avec quelques clients industriels. Encadrés par les directives D3E et RoHS, le développement de la collecte sélective, l’éco-conception et la réduction des substances toxiques utilisées dans la fabrication des matériels auront un impact mondial, les grandes marques étant distribuées sur tous les continents. La croissance attendue des volumes à traiter explique les importants investissements industriels d’une filière encore émergente mais déjà très concurrentielle. n La recherche d’un équilibre économique et environnemental Une réponse industrielle innovante le site d’Angers de Veolia Propreté Une autre dimension, une autre culture Le recyclage des D3E s’est longtemps limité à des opérations de démantèlement qui permettaient « de ne pas tout mettre en décharge », explique René-Bernard Gallard, directeur technique de la filière des D3E chez Veolia Propreté France. « Aujourd’hui, cette activité prend une toute nouvelle dimension avec la maîtrise technologique, la production de tableaux de bord, la planification, la gestion de l’information qui traduisent un changement de culture. » Les outils de mesure et de réglage des moyens de production, l’analyse en profondeur des process qui mobilisent les opérateurs et révèlent les potentiels d’amélioration montrent en effet que le recyclage est bien entré dans son ère industrielle. Veolia Propreté est d’autant mieux préparée à cette évolution qu’elle expérimente dans cette filière depuis quinze ans. Identification, broyage et extrusion des plastiques Le recyclage des matières plastiques que contiennent les PAM – à raison de 20 à 50% de leur poids selon les matériels – est un problème complexe. Diversité des matières, présence de retardateurs de flamme ou d’additifs et développement des composites caractérisent la difficulté. Car les débouchés les plus porteurs – hors ceux de la valorisation énergétique – réclament des matières homogènes, les monopolymères. L’industrie automobile notamment les utilise depuis plusieurs années. Si l’éco-conception doit faciliter à terme le traitement des D3E, la reconnaissance et la séparation des plastiques sont aujourd’hui de vrais enjeux concurrentiels et font l’objet de recherches et développements qui assemblent différentes techniques. Le procédé analytique développé par Veolia Propreté associe la spectrophotométrie infrarouge et l’exploitation d’une importante base de données de la société Thomson. Le paramétrage de l’outil de lecture permet ainsi de distinguer des catégories de plastiques compatibles, c’est-à-dire miscibles, qui seront exploités selon leur spécificité. Ce procédé identifie aussi les matières bromées. Ainsi triés, les plastiques peuvent être transformés en granulés et acheminés vers les filières utilisatrices. Spectrométrie et transformée de Fourier Le spectrophotomètre émet un signal infrarouge guidé par laser en direction de la matière plastique. La matière réfléchit une part de l’énergie produite. Cette restitution est mesurée, et la traduction du résultat, par application d’une fonction mathématique – la transformée de Fourier – révèle sa structure chimique. Ce procédé est opératoire quelle que soit la couleur du matériau, alors que la technique courante du proche infrarouge n’est applicable qu’à des matières claires ou translucides. GEM froid : sécurité, performance et traçabilité Le process développé dans l’unité Veolia d’Angers pour le traitement du GEM froid est remarquable à plusieurs titres. Après pesage et enregistrement des appareils, un procédé sous dépression pompe les CFC et huiles contenus dans les compresseurs. Les huiles sont purifiées par ultrasons et recyclées. Les CFC sont condensés et stockés dans des fûts, sous pesée constante, pour être ensuite éliminés. Les compresseurs sont démantelés. Chaque appareil est ensuite soumis à un broyage sous atmosphère inertée qui permet de traiter toutes les catégories d’appareils – y compris ceux dont les fluides frigorigènes sont explosifs – , c’est-à-dire sans un tri préalable coûteux ou approximatif. Dans le même flux sont extraits les CFC contenus dans les mousses isolantes. Le taux de récupération des CFC est ainsi supérieur à 99,5%. Le process entièrement automatisé sépare ensuite les mousses, les métaux ferreux, l’aluminium et les plastiques et délivre en bout de ligne des matières exploitables. La traçabilité est assurée sur l’ensemble de la chaîne, depuis le pesage initial jusqu’au bilan matière. Le taux global de valorisation est de 94%, dont 85% de recyclage matière. Piles usagées : l’exemple suisse Chaque année, en Europe, 160 000 tonnes de piles et accumulateurs portables sont rejetées par les consommateurs. Elles présentent un risque sanitaire et environnemental en raison des métaux lourds qui entrent dans leur composition. Une pile bouton pollue un mètre cube de terre pendant un siècle… De la pile usagée à la matière première Batrec est la seule entreprise à utiliser une haute technologie développée par la société japonaise Sumitomo. Les piles salines et alcalines sont soumises à une pyrolyse avec une température qui atteint 700 degrés. L’eau et le mercure s’évaporent et sont orientés avec les composants organiques dissous (papier, carton et plastique) vers une chambre de post-combustion qui détruit les dioxines et les furannes. Les émissions gazeuses subissent ensuite un lavage chimique avant d’être refroidies et condensées sous forme de boues. Ces boues sont chauffées jusqu’à évaporation du mercure qui subit une seconde condensation et peut alors être récupéré avec une pureté quasi absolue. Parallèlement, les solides issus de la phase de pyrolyse sont fondus à une température de 1500 degrés, les charbons des matières organiques permettant les réductions des oxydes de manganèse et de zinc. À cette température, le fer et le manganèse liquides sont extraits du four, tandis que le zinc, porté à l’état gazeux, est récupéré dans une colonne de condensation. Pour une tonne de piles usagées, le procédé recycle 280 kg de ferromanganèse, 230 kg de zinc, avec une pureté de 98,5%, et 1 kg de mercure avec une pureté de 99,99%. Anticipation et innovation La nouvelle directive européenne a fixé des taux minimaux de collecte à atteindre pour chaque État membre : 25% en 2012, 45% en 2016. Grâce aux réseaux de collecte déjà constitués, ces objectifs sont aujourd’hui dépassés par six pays : 59% en Belgique, 55% en Suède, 44% en Autriche, 39% en Allemagne, 32% aux Pays-Bas et en France. Tandis que dans certains pays tout reste à faire, l’exemple est venu de Suisse qui atteint un taux de collecte de 66% grâce à une politique initiée dès les années 1980. Créée en 1989, la société Batrec, qui a rejoint Veolia Propreté, fut l’une des premières à proposer une solution technologique performante pour le traitement des piles salines et alcalines, qui permet une récupération des métaux correspondant à près de 50% des masses totales traitées. n Directeur de la publication : Dominique Masson Rédacteur en chef : Roland Pilloni Coordination : Céline Menain Rédaction : Nicole Aussedat, Florence de Changy, Bénédicte Haquin, Roland Pilloni Conception : Dream On Ont collaboré à ce numéro : Jérôme Amar, Emmanuelle Aoustin, Marc-Antoine Belthé, Jacques Binet, Kristin Brodtkorb Traavik, Grégory Cardot, Laurent Carrabin, Martin Champel, Martin Curtois, Carol-Anne De Carolis, Gonzague Dejouany, Beate Delkach, Leila Elyafi, Emmanuelle Emonet, Annica Fiedler, Gérard Fries, René-Bernard Gaillard, Pascal Gauthier, Pascal Geneviève, Philippe Grelon, Dominique Hélaine, Ghislaine Hierso, Kevin Hurst, Xie Jing, Andreas Krebs, Bernard Lanfranchi, Stéphanie Laruelle, Jérôme Le Conte, Ludovic Lelièvre, Clément Leveaux, Xavier Mahue, Steffi Meissner, Taïsei Miura, Jorge Mora, Yannick Morillon, Jean-Pierre Morot, Jacques Musa, Muriel Olivier, Léa Paperman, Fabienne Piotelat, Delphine Robert, Wilhelm Rosenlund, Nina Steffenhagen, CW Tung, Michel Valache, Christophe Valès, Françoise Weber, Ralf Witte, Jean-Pierre Ymele, Jinfeng Zhang Crédit photos : Veolia Propreté, Veolia Environnement, Getty Images Erik Borseth, Nicolas Guerin, Christophe Majani d’Inguimbert, Jean-Marie Ramès, Francis Sadier, Helge Skodvin Couverture : Agnès Marin (modèle maker), Raphaël Devic (photo) Imprimé sur papier offset non couché sans bois, fabriqué à partir de 100% de fibres recyclées. Fabrication sans métaux lourds. Impression avec encres et vernis 100% végétaux. Label Imprim’vert. Galiléo Veolia Propreté - Direction de la Communication – 38, avenue Kléber, 75116 Paris - France www.veolia-proprete.com