Recyclage - EcoInfo

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Recyclage
entre lois du marché
et impératifs
environnementaux
édito
É
conomie des ressources naturelles, création d’emplois,
réduction des émissions polluantes et de la consommation d’énergie : le recyclage n’est qu’un élément de
la réponse, mais il satisfait indiscutablement aux critères de
l’équilibre économique, social et environnemental qu’il nous
faut impérativement instaurer.
Il représente aussi un défi industriel dans un marché mondialisé qui connaît
une demande croissante.
Beaucoup de déchets valorisables ne sont pas valorisés, et beaucoup de
déchets valorisés sont traités dans des conditions insuffisamment encadrées
quand elles ne sont pas tout simplement inacceptables. La compétitivité
des matières premières secondaires et la sécurité des modes de traitement
dépendent de la logistique et des outils que nous saurons mettre en œuvre.
« Beaucoup de déchets valorisables
ne sont pas valorisés »
Depuis plusieurs années, Veolia Propreté s’y emploie avec une démarche
de recherche et développement et une politique d’acquisitions qui répondent
à plusieurs objectifs : concentrer des flux importants de déchets, couvrir
le périmètre de toutes les filières, développer et intégrer les technologies
d’identification et de valorisation des matières les plus performantes, exporter
notre savoir-faire sur tous les continents.
Cette évolution industrielle ouvre aussi de nouvelles perspectives sociales.
Les créations d’emplois, moins pénibles et plus qualifiés, liées au développement de l’activité seront bien supérieures aux réductions qui résultent
de la mécanisation.
Il reste, partout, beaucoup à faire pour instaurer de bonnes pratiques, mais
le potentiel de croissance des activités de recyclage est considérable. Pour
les matières premières, comme pour l’énergie, nous n’avons pas d’autre
choix que celui d’imaginer des solutions durables. C’est aussi une chance.
Denis Gasquet
Directeur général de Veolia Propreté
06
Une nouvelle gestion des ressources :
alertes et stratégies
08Entretien avec Gérard Bertolini
« Il faut passer d’une économie de cow-boy
à une économie de cosmonaute »
11Entretien avec Dominique Bourg
20
La mondialisation du marché du recyclage
26Nord-Sud, Est-Ouest :
13Économies
linéaire, circulaire et de fonctionnalité
14Un « professeur déchets »
à l’université de Pékin
15Entretien avec Haiyun XU
« Recyclage des déchets en Chine :
du porte à porte aux solutions à grande échelle »
16Entretien avec Michel Ngapanoun
ameroun : « Accéder à un autre niveau
C
d’expertise pour répondre à d’autres besoins »
18La leçon du professeur Babbage :
réduction des coûts et économie des ressources
30Du déchet à la ressource :
gisements et débouchés mondiaux
des principales matières recyclées
« Le principal défi que nous avons
à relever s’adresse à notre imagination »
la redistribution des cartes
31 La Chine,
championne du papier recyclé
33Entretien avec Philippe Chalmin
« Ce qu’il s’agit d’exporter, ce sont
des matières premières secondaires »
sommaire
34
Les règles du jeu :
quels instruments pour quelle politique ?
37Entretien avec Matthieu Glachant
« Responsabilité élargie du producteur : le succès
en matière de recyclage, l’espoir pour la prévention »
39 Responsabilité intégrale
ou responsabilité partielle :
48
Un paysage industriel en mutation
50Marges de progrès :
des gisements inégalement exploités
les modèles allemand et français
40 Entretien avec Adrian Poller
« Produire mieux : une ambition industrielle
et technologique, mais aussi un progrès humain »
« Partenariat public-privé : l’exemple du modèle
britannique dans le comté de Shropshire »
41La dynamique britannique :
Comment passer de 85% des déchets municipaux
mis en décharge en 2000 à 40% de déchets
recyclés ou compostés en 2010 ?
Norvège moteur du recyclage en Europe
grâce à la mise en place dès 1981 du principe
« pollueur-payeur »
46Entretien avec Lee Yuen Hee
Singapour : « Nous avons un ensemble
très complet et très strict de mesures
liées à la protection de l’environnement »
56Entretien avec Dominique Maguin
« Il faut que les standards de production,
les normes des produits et les moyens de
traçabilité soient renforcés »
43L’analyse du cycle de vie,
45Éclairage de Heidi Sorensen
55Collectes séparatives :
à la recherche du meilleur compromis
pivot incontournable de la prévention
53Entretien avec Olivier Doyen
58Déchets spéciaux : un modèle industriel
59Seaport, une police européenne des ports
61D3E : un sujet mondial,
une filière en construction
62Ordinateurs personnels :
beaucoup de matière pour un usage court
64Une réponse industrielle innovante :
le site d’Angers de Veolia Propreté
65Piles usagées : l’exemple suisse
Une nouvelle gestion
des ressources :
alertes et stratégies
Le concept de développement durable marque une rupture avec la logique
d’une croissance prédatrice à l’égard du milieu naturel. Il fait du recyclage
l’un des instruments du nouvel équilibre économique, environnemental et social
à établir. Si la plupart des pays du Nord remettent aujourd’hui en question
leur modèle de développement, il leur reste à convaincre le reste du monde
de l’intérêt à être vertueux.
En 1864 – cinq ans après la parution de L’Origine des Espèces de Charles Darwin, et deux
ans avant l’invention du mot « écologie » par
le biologiste allemand Ernst Haeckel – George
Perkins Marsh publie Man and Nature 1, ouvrage
fondateur qui met en garde les gouvernants de
la jeune république américaine contre la destruction des ressources naturelles. Marsh, alors
ambassadeur des États-Unis en Italie, rappelle
comment les civilisations méditerranéennes ont
elles-mêmes contribué à leur déclin par la surex-
ploitation de leur environnement. Sur le même
thème, Jared Diamond publie un siècle et demi
plus tard Effondrement 2, avec un sous-titre sans
équivoque : Comment les sociétés décident de
leur disparition ou de leur survie.
Man and Nature, University of Washington Press, 2003
Collapse, Paperback, 2005 ; Effondrement, Gallimard, 2006, pour l’édition
française
1
2
« Il faut passer d’une économie
de cow-boy à une économie de cosmonaute »
Entretien avec Gérard Bertolini,
Directeur de recherche au CNRS, économiste et spécialiste de longue date de l’économie des déchets, Gérard Bertolini a publié
de nombreux ouvrages, parmi lesquels Économie des déchets, aux Éditions Technip, qui constitue un ouvrage de référence.
Le cas des plastiques et l’arbitrage entre
leur recyclage et leur valorisation énergétique semble pourtant faire encore débat.
Les plastiques de récupération peuvent
en effet être directement utilisés comme
combustibles en vertu d’un pouvoir calorifique indiscutable, mais sous réserve du
contrôle de leurs composants polluants.
Toutefois, si l’on compare les économies
d’énergie respectives de leur recyclage
et de leur incinération avec récupération
d’énergie, le recyclage présente un bilan
plus favorable, sauf cas particuliers où les
conditions de collecte sont très pénalisantes. C’est pourquoi, avant d’en arriver
Pouvez-vous illustrer ces principes ?
à l’option possible de l’incinération,
Le réemploi et la réutilisation sont au
d’autres modes de valorisation sont à
premier rang de la hiérarchie, parce qu’ils examiner. Ainsi, après le recyclage mécaconservent non seulement la matière,
nique, le recyclage chimique, qui casse
mais aussi la forme. Le recyclage en
certaines liaisons moléculaires, permet
Ce modèle est-il applicable à grande
échelle ?
boucle est au second rang. Il réintroduit
une valorisation intéressante.
la matière recyclée dans la fabrication du Le PET peut être décomposé en produits
Même si les chiffres sont toujours sujets
produit dont elle est issue. On fabrique
intermédiaires qui entreront dans de
à caution, il faut avoir à l’esprit que les
ainsi par exemple de nouvelles bouteilles nouvelles fabrications en PET, ou dans la
20% les plus riches de la population
fabrication de mousses en polyuréthane.
mondiale consomment 80% de ce qui est en verre. Concernant le principe d’irréversibilité, on notera qu’il est possible
De même, à partir des polyoléfines, c’estproduit. Donc, même avec un recyclage
d’incorporer un certain pourcentage de
à-dire le polypropylène et le polyéthylène,
à 100%, qui reste une utopie, il ne sera
on peut obtenir des cires et des paraffines
pas possible de satisfaire tout le monde si papier journal dans la fabrication du
carton mais que la réciproque n’est pas
qui ont une valeur élevée. En dernier
chacun prétend vivre comme un Amérivraie, de même pour le verre clair que
lieu, il reste la solution d’un craquage
cain d’aujourd’hui. Il existe par contre
l’on peut foncer avec des oxydes tandis
thermique qui permet d’obtenir un fuel,
de vraies marges de manœuvre pour
que le verre foncé ne peut être éclairci.
mais son emploi supposera une éliminamieux valoriser la matière dans chacun
Vient ensuite ce que j’appelle le recyclage tion de polluants, sans parler des coûts
de ses états, depuis la matière première
en cascade qui oriente la matière vers
de commercialisation.
jusqu’au déchet, selon un principe de
d’autres débouchés. Parmi les plastiques,
conservation qui était déjà le fait de
Faut-il comprendre cette hiérarchie
sociétés traditionnelles. Pour s’en tenir à le PET est ainsi recyclé sous forme de
comme autant d’alternatives ?
fibres utilisées dans la fabrication de
des produits de base comme la laine, le
On a tendance à raisonner ainsi mais,
coton ou le cuir, le produit fini représente laines polaires, moquettes ou rembournotamment dans le cas des plastiques,
moins de la moitié de la masse initiale, et rages. Pour rester dans le domaine des
plastiques, plus complexe que d’autres,
il est plus pertinent de conjuguer les mole bilan matière de beaucoup de fabricaces exemples relèvent d’un recyclage
des : recycler la matière autant qu’il est
tions de produits complexes est encore
mécanique : la matière dont on a prépossible et, en bout de course, valoriser
plus préoccupant. Prenons un exemple
simple : pour produire des pruneaux secs servé les macromolécules va pouvoir être la capital énergétique qui lui ne s’est pas
fondue pour être réutilisée.
dégradé. n
une usine opérait leur déshydratation et
Vous utilisez parfois l’image selon
laquelle il nous faut passer d’une économie de cow-boy à une économie de cosmonaute. Qu’est-ce que cela implique ?
Par rapport à une économie extensive
fondée sur une exploitation des ressources disponibles et sur la recherche
de nouvelles ressources, l’économie
de cosmonaute, pour un vol de longue
durée, exige de limiter à leur minimum
les quantités embarquées et de prolonger
au maximum la durée d’autonomie. Pour
cela, il faut recycler selon des circuits
interconnectés qui concernent l’énergie,
l’eau, l’air et éventuellement certaines
matières. Nous sommes alors dans un
système autonome, en boucle fermée à
petite échelle.
rejetait dans une rivière un jus polluant.
Après traitement, ce jus entre aujourd’hui
dans la préparation d’un aliment diététique qui a une valeur élevée. Par ailleurs,
il existe une hiérarchie des modes de
gestion des résidus fondée sur le concept
d’entropie, qui répond au principe
suivant : dégrader le moins possible
la matière, et limiter ainsi le caractère
irréversible de ses usages. En clair,
il s’agit, autant qu’il est possible, de
valoriser une matière selon ses propriétés
spécifiques et non selon des propriétés
communes à d’autres matériaux.
Vers une conscience écologique
mondiale
De fait, la surexploitation des ressources a changé
d’échelle avec la révolution thermo-industrielle.
Des scientifiques de premier plan en analysent les
conséquences dès le début du XXe siècle. Mais il
faut attendre le lendemain de la 2nde Guerre mondiale pour que cette problématique entre pleinement dans le champ politique et économique. En
1952, une commission chargée d’anticiper les
besoins en matières premières et en l’énergie souligne dans son rapport au président des États-Unis
les menaces d’épuisement des ressources naturelles3. En 1957, l’économiste Bertrand de Jouvenel,
affirme la nécessité du passage « de l’économie
politique à l’écologie politique », en suivant une
démarche dictée « par les données de la science
écologique pour mesurer et réduire ou supprimer
les conséquences négatives sur la Nature des activités industrielles4 ». Dès lors, le sujet commence à
mobiliser l’opinion publique. En 1962, la publication
du Printemps Silencieux de la biologiste américaine
Rachel Carson signe l’acte de naissance du mouvement écologiste. Son premier combat aboutit à
l’interdiction du DDT. Dix ans plus tard, le rapport
The Limits to Growth, commandé par le Club de
Rome à une équipe de chercheurs américains du
Massachusetts Institute of Technology est publié en
français sous un titre volontairement orienté : Halte
à la croissance, fondé sur une modélisation mathématique, ce rapport fait grand bruit. La même
année 1972, la création du Programme des Nations
Unies pour l’Environnement signe la volonté de la
communauté internationale d’appréhender les problèmes environnementaux à l’échelle planétaire.
Au cœur du développement durable
« Il est indispensable de modifier radicalement la
façon dont les sociétés produisent et consomment
si l’on veut assurer un développement durable »
proclame en 2002, le rapport du Sommet mondial
pour le développement durable de Johannesburg, dix ans
après la conférence
des Nations Unies
sur l’environnement
de Rio de Janeiro, trente ans après la Déclaration
de Stockholm. En 2006, le rapport Stern, puis le prix
Nobel de la paix décerné en 2007 à Al Gore et au
GIEC 5 sont de nouve les preuves d’une conscience
désormais globalisée de la nécessité d’agir.
Modifier radicalement
la façon dont les sociétés
produisent et consomment
3
Jouvenel, pionnier méconnu de l’écologie politique, Ivo Rens, SEBES, 1996,
www.unige.ch/sebes
4
Ibid
5
Groupe Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat
Le concept de développement durable naît en
1987, avec le rapport Brundtland. Il est par la suite,
repris par les Nations Unies au sommet de Rio. Ses
principes, rappelés et développés dans le rapport
du Sommet de Johannesburg, reposent notamment
sur un découplage de la croissance économique et
de la dégradation de l’environnement « au moyen
d’une amélioration du rendement et de la viabilité
de l’utilisation des ressources et des processus de
production, et d’une réduction de la dégradation
des ressources, de la pollution et du gaspillage » 6.
Le recyclage se trouve ainsi désigné comme un
instrument naturel de cette politique : il préserve
le stock des ressources naturelles, ses process
sont moins consommateurs d’énergie que ceux de
l’exploitation de matières vierges et ils émettent donc
moins de gaz à effet de serre, la réduction pouvant
atteindre jusqu’à 80% dans le cas de l’aluminium.
Le recyclage présente aussi, au plan social, un
bilan et des perspectives bien plus favorables. Une
communication de la Commission européenne
indique en décembre 2005 que le recyclage de
10 000 tonnes de déchets peut impliquer jusqu’à
250 emplois, contre 20 à 40 pour un traitement
par incinération et seulement 10 pour leur mise en
décharge 7. Cette dimension sociale ne saurait
toutefois se réduire à un critère quantitatif. Traditionnellement soumis à des conditions de travail
difficiles, les métiers du recyclage, particulièrement les activités de tri, connaissent une évolution
caractérisée par la création de grosses unités et
une mécanisation qui réduit progressivement les
interventions manuelles les plus pénibles. Les
emplois créés par le développement du recyclage
sont donc susceptibles
d’être à la fois moins
nombreux mais plus
qualifiés, et, par là
même, plus efficaces
en termes d’insertion
sociale. Dans ce domaine, toutefois, on ne saurait se contenter du seul modèle occidental.
Le « recyclage sauvage » pratiqué dans les décharges dans de nombreux pays reste une réalité économique et sociale qui ne peut être brutalement
bousculée et qui implique, de la part des grands
opérateurs qui exportent leur savoir-faire, une
approche respectueuse de tous les enjeux locaux
(voir l’entretien avec Michel Ngapanoun).
250 emplois
pour recycler 10000
tonnes de déchets
Le recyclage se trouve aussi sommé de répondre à de nouvelles exigences. Fondamentalement
défini et économiquement porté par sa capacité à
approvisionner l’industrie en matières premières
de seconde génération, il se trouve désormais au
croisement de préoccupations qui transforment
ses métiers. La protection de l’environnement et
la prévention des risques sanitaires ont réorienté sa
pratique via un cadre réglementaire dont l’Europe est
la principale initiatrice. Ce cadre ouvre des champs
nouveaux et assigne au recyclage, sur l’ensemble
de ses process, une mission plus large que celle
de rendre disponible des matières de récupération,
notamment par l’exigence de garanties de dépollution.
Les habits neufs du recyclage
La notion de service, consacrée par des dispositions réglementaires substituant à la pure logique
du marché celle de l’intérêt général et de la protection de l’environnement, est une autre dimension
nouvelle. Le principe de la REP, la Responsabilité
Élargie du Producteur, défini par l’OCDE en est
la principale illustration. Grâce aux contributions
des fabricants et des consommateurs, il permet le
financement des filières – après celles des emballages, celles des produits en fin de vie comme les
équipements électroniques. Ces extensions nécessitent d’importants développements technologiques
qui stimulent la mutation industrielle du recyclage.
La REP encourage aussi la réduction des déchets
à la source et une éco-conception des produits
qui facilite leur traitement. La vertu écologique
rejoint ici l’intérêt industriel : mieux concevoir avec
moins de matière, c’est, d’amont en aval, gagner en
compétitivité sur les produits et sur les coûts de
traitement. Les écoparcs industriels apparus dans
les années 1960 s’inscrivaient déjà dans cette logique
d’économie des ressources, le déchet d’une industrie
devenant la matière première d’une autre. La Chine
fait aujourd’hui de ce principe de l’économie circulaire un programme gouvernemental 8.
6
Rapport du Sommet mondial pour le développement durable de Johannesburg,
Plan d’application, chapitre 3
7
Taking sustainable use of resources forward: A Thematic Strategy on the
prevention and recycling of waste,
http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/site/en/com/2005/com2005_0666en01.pdf
8
Cf. les ouvrages et articles de Dominique Bourg : Le développement durable,
Gallimard, 2006 ; Environnement et Entreprises, Pearson, 2006 ; L’économie
circulaire en Chine, Futuribles, 2007.
« Le principal défi que nous avons
à relever s’adresse à notre imagination »
Entretien avec Dominique Bourg,
Dominique Bourg est professeur à l’Université de Lausanne (UNIL) et membre du comité stratégique
de la Fondation Nicolas Hulot. Il a été membre de la commission Coppens en charge du projet de
Charte de l’environnement et vice-président de l’une des commissions du Grenelle de l’environnement.
L’écologie est un thème consensuel et
le développement durable une valeur
très largement revendiquée. Comment
analysez-vous cela ?
La diffusion de l’information sur ces
sujets et, par conséquent, la conscience
du public ont indiscutablement franchi
un seuil. Mais nous entrons dans une
période critique qui va impliquer des
contraintes et peut susciter des résistances. Ces résistances, qui émanent de
différents groupes d’intérêts, s’appuient
notamment sur les propos isolés de
certains scientifiques qui, en dehors de
leur domaine de compétence, prétendent par exemple contester le diagnostic émanant des experts du changement
climatique réunis au sein du GIEC.
Le consensus dont vous parlez sera-t-il
suffisamment solide lorsqu’il conviendra
d’adopter des mesures contraignantes ?
Le recyclage, lui, a déjà fait ses preuves
et son principe semble-t-il faire l’unanimité ?
Il y a quelques décennies, les fermes
étaient encore des lieux où tout déchet
trouvait un usage. Mais, en quoi le recyclage modifie-t-il aujourd’hui la vie des
consommateurs ? Il crée des obligations
aux fabricants automobiles en raison de
la directive européenne qui fixe à 90%
le taux de recyclage d’un véhicule hors
d’usage, mais c’est sans impact pour
le consommateur, sinon qu’il peut être
satisfait d’un achat « plus écologique ».
La question du recyclage est à replacer,
comme la question du climat, dans
une problématique globale marquée
par l’explosion de la consommation des
ressources en progression véritablement
exponentielle depuis cinquante ans.
mais c’est la pièce ultime. L’objet support
du service doit pouvoir intégrer des améliorations successives.
Le développement durable appelle-t-il
nécessairement des changements
radicaux ?
Il faut, selon moi réfléchir aux conditions
d’une décroissance de la base matérielle
de nos sociétés, comme on essaie de le
faire pour le CO2, avec des instruments
économiques et réglementaires. C’est une
logique assez lourde qui conduira sans
doute à des changements importants.
Comment modifier cette tendance ?
Mais c’est assez stimulant et j’observe
La question de fond porte sur le
que la réduction du carbone est créatrice
découplage entre, d’une part, les flux de
de beaucoup d’activités, notamment dans
matières et d’énergie et, d’autre part, la
le domaine de l’innovation. Le principal
création de richesse. Une des hypothèses défi que nous avons à relever s’adresse à
sur lesquelles nous travaillons aujourd’hui notre imagination. Imaginer de nouveaux
est celle de l’économie de fonctionnalité. possibles, c’est à la fois une question
L’usager est alors le locataire d’un bien
de technique, de modèle d’organisation
ou d’un service. On n’achète plus une
et de régulation politique. Cette régulavoiture, mais des kilomètres. Dans ce cas tion suppose elle-même une approche
de figure, la durée de vie de l’objet n’est
globale. De ce point de vue, une directive
plus un obstacle à l’enrichissement mais européenne sur les ressources couvrant
au contraire sa condition. Tant qu’il fonc- tous les secteurs concernés me sembletionne, il génère du profit. Le recyclage
rait fondamentalement plus intéressante
est alors une des pièces du dispositif,
que des directives juxtaposées. n
Mieux qu’un miracle : un révélateur
Marché mondial et gisements locaux, pratique ancestrale et défis technologiques, logique économique et impératifs environnementaux : le recyclage
traduit le besoin d’une synthèse qu’il ne peut opérer
seul. Inscrit presque depuis l’origine dans l’histoire
de l’humanité, il est à la fois un instrument et un
révélateur du rapport entre l’homme et son milieu.
Le problème posé par le changement radical de ce
rapport, depuis la révolution industrielle et le développement de la consommation de masse, a fait
du recyclage un thème si consensuel qu’il pourrait
apparaître comme la solution miracle.
Or le recyclage ne peut évidemment répondre à
lui seul aux besoins actuels de la production mondiale. En outre, toute matière n’est pas indéfiniment
recyclable. L’entrée dans le XXIe siècle a accru la
conscience des tensions pressenties ou observées
depuis plusieurs décennies. La demande croissante
en énergie et en matières premières est portée par
le fort développement de pays comme la Chine,
l’Inde ou le Brésil, tandis que la perspective d’une
augmentation de 50% de la population mondiale au
cours du siècle à venir pose la question de savoir
comment la Terre pourra subvenir aux besoins de
ses habitants.
On mesure aussi la difficulté à établir un équilibre, à
l’échelle mondiale du marché, entre des règles qui
garantissent à la fois la sécurité environnementale et
sanitaire, l’exercice d’une concurrence entre opérateurs nationaux et internationaux du recyclage non
pénalisante pour les plus socialement responsables,
et la facilité de circulation et d’usage des déchets
dès lors qu’ils ont été traités pour être réutilisés.
Inventer des futurs non prévisibles
Vingt ans après le rapport The Limits to Growth dont
elle avait été un des auteurs, Donatella Meadows
renouvelle en 1992 dans Beyond the Limits l’alerte
à la surexploitation des ressources et à l’accumulation croissante des déchets et polluants. Non sans
évoquer, néanmoins, la possibilité d’un scénario
optimiste : « Nous croyons que la transition vers
un monde durable est techniquement et économiquement possible, mais nous savons que cette
transition est psychologiquement et politiquement
intimidante… »9
Envisagée à l’échelle planétaire, la conduite du changement porte en effet la complexité et les difficultés
Économies
linéaire, circulaire et de fonctionnalité
L’économie linéaire est caractérisée, en amont par le prélèvement de
ressources, en aval par l’accumulation de déchets. C’est une économie
du « jetable ».
L’économie circulaire s’inspire du fonctionnement quasi cyclique
des écosystèmes naturels. Elle vise à convertir les déchets de certains
industriels en ressources pour d’autres et, plus globalement, à systématiser la valorisation des biens à la fin de leur usage.
L’économie de fonctionnalité vise à réduire la quantité de matière utilisée
(moins de matière pour une même fonction). La vente d’un service substituée à la vente d’un bien est un prolongement possible de cette stratégie.
Dans ce cas, l’industriel, qui vend un usage et une maintenance, est
amené à concevoir des produits durables et modulables.
Source : Le développement durable, Dominique Bourg, Gilles-Laurent Rayssac, Éd. Gallimard, 2006
au plus haut degré. Cependant, les instruments réglementaires, le progrès technique et les mécanismes
économiques peuvent soutenir une même logique.
Les programmes de réduction des émissions de CO2
en témoignent, qui stimulent la recherche et les études
dans plusieurs secteurs d’activité (voir l’entretien
avec Dominique Bourg). C’est un modèle applicable
à la gestion des ressources. Il justifie qu’on attribue
au développement durable sa dimension d’opportunité. René Dubos 10, auteur avec l’économiste
britannique Barbara
Ward, du rapport de la
première conférence
internationale sur l’environnement tenue à
Stockholm en 1972,
conclue ainsi une conférence donnée en 1978 11:
« Des millénaires d’expérience montrent que, en
entrant dans une symbiose mutuelle avec la Terre,
le genre humain peut inventer et générer des futurs
non prévisibles, à partir de l’ordre déterminé des
choses, et peut ainsi s’engager dans un processus
continu de création. » n
La transition vers un monde
durable est techniquement
et économiquement possible
9
Cité par Hunter Lovins in Cinq défis et leurs solutions, adaptation française
d’Andrée Mathieu, http://agora.qc.ca
10
Biochimiste américain d’origine française, il fut chercheur et professeur
à l’Institut Rockefeller de New York.
11
La restauration des écosystèmes, conférence donnée à l’Université du
Colorado, http://www.walloniebruxelles.org/mot.nsf/Dossiers/Rene_Dubos
Un « Professeur Déchets »
à l’université de Pékin
Le Professeur Huanzheng Du, vice-président de l’université
de Jiaxing, aime se
présenter comme l’un des deux « Professeur déchets » de Chine… Il est à l’avantgarde du mouvement pour une économie
circulaire dont le principe fait son chemin :
« D’abord ce n’était qu’une théorie, et puis
c’est devenu un concept, et c’est en train
de devenir une loi-cadre ». Ce texte appelé « loi sur l’économie circulaire » est
déjà passé en première lecture dans les
instances législatives chinoises au mois
de novembre 2007.
Mais le Professeur Du situe aussi l’enjeu
du recyclage dans le cadre des échanges
internationaux en se fondant sur l’exemple de la province du Zhejiang (au sud
de Shanghai) qui présente le paradoxe
d’être l’une des provinces les plus démunies en matières premières mais
qui dispose, après Pékin et Shanghai,
du plus fort PNB par habitant du pays.
Selon le Pr. Du, cette province est la
preuve de la richesse que représentent les « déchets ». Il y a vingt ans,
on collectait dans la rue, on recyclait à
petite échelle et assez mal. Aujourd’hui
on recycle non seulement les déchets de
la rue, mais aussi et surtout les déchets
Pour lui l’importation de matières premières de seconde génération est à encourager. L’équation d’ensemble fonctionne
ainsi : la Chine étant l’usine du monde,
son appétit en matières premières est
insatiable. Les coûts de main-d’œuvre y
sont nettement inférieurs ce qui rend la
récupération de matières premières de
seconde génération non seulement viable
mais même profitable. L’importation en
Chine des déchets occidentaux sert
donc le double propos de contribuer à la
protection de l’environnement au niveau
mondial tout en alimentant la Chine en
matières premières. « Pour une tonne de
papier recyclé produite, 17 arbres sont
sauvegardés » affirme-t-il.
adaptées aux exigences du marché, voire
d’une classification spécifique. De plus en
plus d’entités, des ONG comme des États,
commencent à accepter cette idée, mais
l’appui des grandes sociétés internationales est également nécessaire pour faire
avancer ce concept. « Il nous faut des
règles qui facilitent les échanges de
déchets tout en contrôlant de manière plus
stricte les contenus et les destinations ».
Il estime qu’il ne serait pas compliqué de
« marquer » les déchets. On saurait ainsi
que la carcasse d’une voiture en Allemagne est devenue un sac de petites billes
métalliques en Chine lesquelles vont servir
à la fabrication d’un nouvel objet.
Il voudrait établir des zones internationales
contrôlées de recyclage des déchets.
Ainsi les problèmes d’hygiène et de
sécurité seraient résolus et la qualité
serait garantie. Ces zones spéciales,
idéalement situées à proximité des ports,
devraient êtres contrôlées par le gouvernement.
Pour que les choses avances vraiment,
le professeur Du pense que l’OMC doit
faire évoluer son approche des transferts
internationaux de déchets. Les déchets
étant aussi des matières premières,
ils devraient bénéficier de règles plus
Car aujourd’hui beaucoup de choses passent par Hong Kong. C’est la plaque tournante des matières premières, notamment
pour les plastiques. Les lois sont plus simples et une fois à Hong Kong, les produits
rentrent plus facilement en Chine...
industriels locaux et en provenance de
l’étranger, on utilise des technologies
avancées, et l’on est capable de sortir
en fin de chaîne des produits dont les
standards de qualité sont de niveau
international.
« Recyclage des déchets en Chine :
du porte à porte aux solutions à grande échelle »
Entretien avec Haiyun XU,
Ingénieur en chef à l’institut de recherche et de design en construction urbaine de Chine. Cet institut d’État
a été fondé en 1985. Il emploie 300 salariés et a un chiffre d’affaires de 80 millions de RMB. Il est à l’origine
de la conception de plus de 10 centres de stockage des déchets en Chine et de plus de dix incinérateurs.
Quelle est dans les grandes lignes
la situation du traitement des déchets
en Chine ?
Nous avons en Chine 661 villes, qui
produisent 155 millions de tonnes de
déchets par an (chiffres 2005). On
estime que 52% de ces déchets sont
traités par stockage, incinération ou
compostage. Donc 48% ne sont pas
traités. Il faut en outre garder à l’esprit
que nous avons énormément de
« pilleurs de poubelles » qui font déjà
la plus grosse partie du travail de recyclage en amont du ramassage et de la
récupération des déchets. Nous n’avons
pas de statistiques officielles sur cette
activité, mais il est couramment estimé
qu’au moins 30% des déchets sont
récupérés par ces recycleurs individuels
que l’on voit un peu partout dans la
rue, traînant ou poussant des chariots
de piles de vieux papiers, de planches
de bois récupérées de chantiers, ou de
bouteilles plastique…
De nombreuses familles récupèrent
également et vendent leurs vieux papiers
et leurs emballages (plastiques, boîtes de
conserve en acier et en aluminium,…).
Les bouteilles en verre sont généralement consignées.
Qu’en est-il de déchets plus difficiles
comme les piles ?
Il y a environ huit ans, plusieurs ONG
ont fait savoir qu’il était très mauvais
et dangereux pour l’environnement de
jeter les piles avec le reste. Mais en
2004, la SEPA, notre agence d’État
pour la protection de l’environnement
a publié une règle disant qu’il n’y avait
pas d’impact si l’on mettait les piles
normales (alcalines par exemple) en
décharge donc c’est ce qui se passe
à présent.
Il faudrait organiser des points de
collecte, ce qui est assez simple car il
s’agit de déchets secs et compacts mais
pour le moment cela n’existe pas. Les
fabricants de piles et batteries devraient
se responsabiliser et contribuer à
résoudre le problème de leur traitement.
Si on pouvait créer une taxe à la source
(quand la pile quitte l’usine) cet argent
serait ensuite utilisé pour recycler ou
traiter le produit en fin de cycle économique. Mais ceci n’est viable qu’à une
certaine échelle.
Le recyclage en Chine est-il perçu
comme une opportunité économique
ou un devoir écologique ?
Suite au XVIIe congrès, une nouvelle loi
va être mise en place pour le recyclage
des produits électroniques, mais pour
le reste il n’y a aucune loi particulière
à ma connaissance. Néanmoins, en
Chine, le recyclage a une vraie logique
économique. Comme nous manquons
cruellement de matières premières,
nous considérons les déchets recyclables comme de véritables matières
premières en attente d’une seconde vie.
Pour la plupart des gens, le recyclage
est une source de revenus. Source
principale pour les « pilleurs de
poubelles », complément de salaire
non négligeable pour les familles qui
vendent leurs vieux papiers et déchets
d’emballages.
On dit souvent de la Chine qu’elle est
l’usine du monde. Certains prétendent
aussi qu’elle pourrait devenir la poubelle
du monde. Qu’en pensez-vous ?
Nous ne voyons pas les choses comme
cela. D’ailleurs la Chine interdit l’importation de déchets. En revanche, nous
pouvons importer des matières premières
secondaires. Notre coût de main-d’œuvre
est plus bas que dans le monde
occidental, nos demandes en matières
premières sont énormes, nous n’avons
plus de forêts… tout cela explique le
flux de « ressources à recycler » qui
arrivent en Chine.
Où en est la Chine concernant
les technologies de recyclage ?
Pour ce qui est du papier, aucun
problème technique. Nous avons les
mêmes usines qu’en Europe. Pour les
déchets électriques et électroniques en
revanche, nous manquons d’expérience
et d’expertise. Ce sont principalement
des petites entreprises familiales. Les
machines utilisées sont très artisanales.
Ce secteur semble aujourd’hui trop
éparpillé et décentralisé pour pouvoir
être contrôlé de manière satisfaisante.
D’ailleurs il ne me semble pas réaliste
de vouloir centraliser cette activité.
Certes ces activités polluent beaucoup,
mais si nous les interdisons, les déchets iront en décharge et ce sera une
double perte. Même si des lois strictes
passaient dans ce secteur, elles seraient
trop coûteuses à imposer sur le terrain.
Et interdire ce recyclage à petite échelle
des produits électroniques mettrait
au chômage technique tous les petits
opérateurs… Il faudra au moins cinq
ou plutôt dix ans avant que les choses
ne s’arrangent. C’est difficile à comprendre pour un occidental mais ici, si
une famille met une vieille télévision
dans la rue car elle s’en est acheté une
nouvelle, tout le monde sait très bien
qu’elle en attend une offre de celui qui
voudra la ramasser…
Comment résumeriez-vous les défis
et les problèmes liés au recyclage
des déchets ?
En ce moment nous insistons sur
l’économie circulaire ou cyclique, mais
je pense que nous devrions insister sur
l’aspect propre, « vert » du recyclage.
Le plus gros problème, c’est le manque
d’argent investi pour soutenir la collecte
et le traitement des déchets et la prise
en compte dans ce processus des
questions d’environnement. Il faudrait
vraiment que l’on passe du recyclage
économique au recyclage écologique.
Mais je pense que cet argent ne doit
pas seulement provenir de l’État,
il doit aussi venir des particuliers et
des industries. n
« Accéder à un autre niveau d’expertise
pour répondre à d’autres besoins »
Entretien avec Michel Ngapanoun,
Directeur général de la société Hysacam (Hygiène et Salubrité du Cameroun) créée en 1969,
principal opérateur dans les services de propreté au Cameroun.
L’approche des déchets est culturellement différente selon les pays et
les niveaux de développement. Quelle est
la situation du Cameroun à cet égard ?
La perception culturelle et la définition
économique du déchet ne sont pas les
mêmes partout dans le monde. Ce qui
est un déchet dans un pays développé,
parce que le produit a atteint un certain
degré d’usure, ou parce que le contenant a été vidé de son contenu, conserve
dans un pays comme le Cameroun une
valeur d’usage. Par ailleurs, le Cameroun,
comme tous les pays, connaît une urbanisation croissante qui induit d’autres
comportements et d’autres modes de
consommation lisibles dans l’évolution de
la nature des déchets. Les papiers, cartons et plastiques sont en augmentation.
Cela introduit une autre distinction quant
à la perception des déchets, selon que le
contexte est urbain ou rural.
La ville a des contraintes d’espace qui
rendent la question du déchet plus
sensible, ce qui n’est pas le cas dans les
villages, où les emballages sont quasiment absents et où les déchets sont
presque exclusivement fermentescibles
et peuvent finir au pied des bananiers
et des caféiers. Nos priorités concernent
donc évidemment l’espace urbain avec
un enjeu qui est d’abord sanitaire. Une
étude conduite à Yaoundé en 1999 a
montré qu’un traitement satisfaisant des
déchets pouvait réduire de près de 20%
certaines affections comme le paludisme
ou les maladies cutanées.
Quel est le degré de sensibilisation collective par rapport à ces questions ?
La prise de conscience est réelle et notre
entreprise, qui a quarante ans d’existence, ne se serait pas développée si
elle ne répondait pas à une demande.
La collecte des ordures ménagères est
d’ailleurs une obligation de service
publique inscrite dans nos lois, mais les
moyens des collectivités ne suivent pas
forcément l’augmentation des besoins.
Nous savons pourtant que ce doit être
une priorité, et c’est un sujet récurrent
dans notre dialogue avec les pouvoirs
publics. En 1992, lorsque le Paris-Dakar
est passé par Yaoundé, les médias ont
donné de notre capitale une image qui
n’était pas flatteuse, et chacun comprend
que cette image n’est pas favorable au
tourisme et au développement économique. Nous participons nous-mêmes à la
sensibilisation de la population par une
information de proximité. L’extension de
notre présence sur le territoire camerounais est aussi un facteur incitatif, puisque
nous intervenons aujourd’hui dans sept
des villes principales du pays et que nous
avons acquis une maîtrise dans la gestion
de nos moyens qui nous permet de servir
non seulement les centres-villes mais
également les périphéries. Peu à peu
progresse l’idée que la propreté est un
droit pour tous autant qu’une nécessité
qui implique la responsabilité de chacun.
Nous promouvons l’idée d’une organisation des assises nationales camerounaises
de déchets pour donner une plus grande
ampleur à la question de la gestion des
déchets et de la préservation de l’environnement urbain. Cependant, quel que soit
le degré de sensibilisation et de volonté
politique, il faut garder à l’esprit que le
Cameroun est un pays en développement
qui dispose donc de moyens limités,
notamment pour ce qui concerne la
gestion des déchets.
Dans ce contexte, la question du
recyclage, sur un mode formellement
organisé, est-elle d’actualité ?
Avec l’augmentation des volumes de
déchets liée à l’urbanisation, sont apparus, comme c’est le cas dans de nombreuses régions du monde, des réseaux
de récupération informelle des textiles,
des plastiques et autres matériaux
concentrés dans les décharges. Plutôt
que de recyclage, il s’agit surtout de
réutilisation. Cela concerne les métaux,
mais aussi les emballages en verre
et en plastique, qui vont trouver une
seconde vie dans le conditionnement de
productions artisanales, comme l’huile
de palme qui est la plus consommée au
Cameroun. Il y a quelques années,
un programme de l’ONUDI, l’Organisation
des Nations Unies pour le Développement
Industriel, avait été mis à l’étude pour
encadrer ces pratiques dans une filière
organisée avec des industriels dont on
aurait aidé les investissements dans des
outils de transformation des déchets en
matières semi-œuvrées susceptibles d’entrer dans leur production. Ce projet est
malheureusement resté sans suite, mais il
faut reconnaître la rareté des débouchés
industriels pour des matières recyclées au
Cameroun, or il ne sert à rien de produire
une matière qui ne pourra trouver preneur. En Europe, vous avez notamment
développé les déchèteries qui favorisent
le recyclage des matières, mais cela suppose des investissements et des budgets
de fonctionnement que nous n’avons pas.
Cet axe de développement reste cependant pour nous à l’ordre du jour, comme
en témoigne nos projets retenus au titre
des Mécanismes de Développement Propre 12 (MDP). L’un de ces projets prévoit la
mise en place d’unités de production de
compost, ce qui valorisera la part fermentescible qui compte pour beaucoup dans
nos déchets – elle est de l’ordre de
82 à 85%, ainsi que le captage du
biogaz, ce qui répond à la volonté du
président du Cameroun qui s’est engagé
devant l’ONU pour une participation de
notre pays à la lutte contre le réchauffement climatique.
L’activité économique produit des flux de
déchets homogènes qu’il est plus facile
de capter à la source et dont la valorisation est potentiellement plus simple.
Observez-vous cela au Cameroun, et votre
entreprise intervient-elle aussi dans ce
domaine ?
Cette question recouvre beaucoup d’enjeux et, particulièrement, celui de l’équilibre entre développement industriel et
respect de l’environnement. J’ai indiqué
notre engagement dans les projets MDP,
d’autres projets du même type
se construisent autour des exploitations
forestières et de l’agro-industrie avec des
objectifs de valorisation énergétique des
déchets et de captage du biogaz. Mais
sur la question de la volonté des entreprises à maîtriser leurs déchets et à les
valoriser, la réalité a deux visages.
La réalisation de l’oléoduc entre le
Tchad et notre ville côtière de Kribi a
été un grand moment de mobilisation de
nombreuses ONG soucieuses du respect
de l’environnement. La forte visibilité de
cette opération a obligé tous les acteurs,
les groupes pétroliers comme les entreprises chargées des travaux, à des pratiques
scrupuleuses en matière d’environnement. Mais tous les industriels étrangers
qui s’implantent en Afrique ne se sentent
pas tenus aux mêmes obligations environnementales que lorsqu’ils agissent dans
leur cadre national. Pour certains, venir
en Afrique c’est aussi s’affranchir de
certaines contraintes, et leur imposer ces
contraintes c’est courir le risque qu’ils
aillent s’implanter ailleurs… Néanmoins,
sur ce sujet aussi nous progressons. L’administration a mis en place des contrôles
et des sanctions pour les entreprises qui
ne gèrent pas correctement leurs déchets.
Cette mesure porte déjà des fruits. Au
sein de notre entreprise, nous pensons
aussi que les déchets industriels représentent un potentiel de développement.
Nous avons acquis une solide expérience
– bientôt 40 ans de métier – grâce à
laquelle nous avons construit une organisation adaptée au contexte camerounais,
mais avec beaucoup de flexibilité. Nous
ressentons la nécessité d’accéder à un
autre niveau d’expertise pour répondre à
d’autres besoins, notamment le traitement des déchets dangereux de l’industrie et des hôpitaux. Mais l’urgence est
d’abord d’en assurer la collecte et de
préserver l’environnement. n
12
Le Mécanisme de Développement Propre, ou MDP, encadré par
les Nations Unies, concerne des projets réduisant les émissions
de gaz à effet de serre dans les pays en développement. Il permet
aux investisseurs des secteurs public ou privé de pays industrialisés
d’acquérir des crédits d’émission certifiés correspondant aux
réductions obtenues.
Ci-dessus : Paris-La Plaine St Denis - Un atelier d’écornillage
Ci-dessous : Déville-lès-Rouen - Classement des cornes
À droite : Paris-Montreuil-sous-Bois - Emmagasinage des peaux classées
La leçon du professeur Babbage :
réduction des coûts et économie des ressources
Mathématicien anglais, professeur
à l’Université de Cambridge, Charles
Babbage est considéré comme l’un
des pères de l’informatique. Dans son
ouvrage On the Economy Of Machinery
And Manufactures, publié en 1832,
il prend l’exemple d’une tannerie pour
illustrer une parfaite exploitation de la
matière première.
Parmi les causes qui tendent à réduire
le prix de production, et qui ne peuvent
exister sans le concours d’un capital
additionnel, on peut citer l’attention toute
particulière qu’on met dans les grandes
fabriques à ne rien laisser perdre
des matières premières : cette attention
engage souvent à réunir dans un même
établissement deux genres d’industrie
qui naturellement auraient dû être tout à
fait séparés.
Pour présenter un exemple frappant de
ce genre d’économie, il me suffira de
faire l’énumération des différents arts
dans lesquels on se sert des bestiaux.
Le tanneur qui achète les peaux en
sépare les cornes, et les vend aux
fabricants de peignes et de lanternes.
La corne se compose de deux parties :
d’une partie extérieure, qui est une espèce
d’enveloppe en corne proprement dite,
et d’une partie intérieure, formée d’une
matière de forme conique, intermédiaire
en quelque sorte entre les os et les
cheveux durcis. La première opération
consiste à séparer ces deux parties en
frappant la corne contre un bloc de bois ;
puis, au moyen d’une scie, on débite
l’enveloppe de corne en trois parties.
1. La partie inférieure, qui est à la racine
de la corne, subit diverses opérations qui
ont pour but de l’aplatir, et elle est façonnée en forme de peignes.
2. La partie du milieu, aplatie à l’aide de
la chaleur, et rendue plus transparente
par l’immersion dans l’huile, est coupée
par couches minces, et sous cette forme
elle remplace le verre dans les lanternes
communes.
3. Le bout de la corne sert à faire des
manches de couteaux ou des toupies
d’enfants, ou autres objets semblables.
4. L’intérieur ou le cœur de la corne est
bouilli dans l’eau : beaucoup de graisse
s’élève à la surface ; on la met de côté,
et on la vend aux fabricants de savon
commun.
5. Cette même eau s’emploie comme une
sorte de colle ; elle est achetée par les
apprêteurs pour gommer la toile ;
6. Les matières qui restent sont broyées
sous une meule, et vendues aux fermiers
comme engrais.
En outre, les rognures que fait le fabricant
de peignes sont vendues aussi comme
engrais, au prix de 1 shilling le boisseau.
Cet engrais produit peu d’effet l’année
même où il est étendu sur la terre ; mais
son influence est sensible sur les quatre
ou cinq années suivantes. Les rebuts du
fabricant de lanternes sont composés de
morceaux beaucoup plus minces ; une
partie est découpée en diverses figures
qu’on peint, et qui servent de jouets
aux enfants à cause de leur propriété
hygrométrique qui les fait courber par la
chaleur de la main ; mais la plus grande
partie se vend aussi comme engrais, et
étant sous une forme très mince et très
divisée, elle produit son effet complet
sur la première récolte.
La mondialisation
du marché du recyclage
La part des matières premières secondaires ne cesse d’augmenter dans
la production industrielle mondiale. Décollage des pays en développement,
explosion de la demande et des prix des matières premières et risque de pénuries
rendent le recyclage de plus en plus incontournable. Une tendance de fond que
renforce encore la montée des réglementations sur la valorisation des déchets.
Visiblement, l’économie du recyclage est en train
de changer d’échelle, portée par le dynamisme de
l’économie mondiale et l’envolée de la demande
de matières premières. Grâce au développement
accéléré des pays émergents, le PIB de la planète
affiche en effet des records inégalés depuis la
décennie 1960 : 4,4% de croissance moyenne
annuelle entre 2001 et 2006 et plus de 5% en
2006. En tête du palmarès, les pays asiatiques,
au premier rang desquels la Chine (de 10%
à 10,7% de croissance annuelle entre 2003
et 2006), suivie de l’Inde (entre 7% et 9% de
croissance par an depuis 2003), mais aussi les
pays d’Europe centrale et orientale et la Turquie
(+ 6,8%, en moyenne, en 2006).
Traduction de cette vitalité, la production industrielle
mondiale enregistre une progression soutenue et
même exponentielle dans des pays comme la Chine,
devenus les usines du globe. Entre 2001 et 2006,
la production d’acier brut a crû de 47,5% dans le
monde et de 194% en Chine ! En six ans, la production mondiale de papier a augmenté de 9%, celle de
la Chine a doublé…
Résultat : la demande de matières premières
explose et, l’offre de ressources naturelles peinant
à suivre, booste les marchés de matières premières
secondaires. Depuis 2000, la capacité mondiale
de production des fours électriques permettant de
fabriquer de l’acier à partir de ferrailles a par exemple
grimpé de plus d’un tiers. Aujourd’hui, la ferraille
représente plus de 40% de la production d’acier
en Europe et plus de 57% en Amérique du Nord.
De même, la production européenne d’aluminium
recyclé enregistre une croissance en flèche depuis
la fin des années 1990 et a triplé en vingt ans. Quant
aux fibres cellulosiques de récupération (FCR), leur
part dans la production mondiale de papier neuf
aura sans doute atteint le seuil symbolique des 50%
en 2007. De 1970 à 2006, alors que la production
de papier augmentait de 167%, la consommation de
fibre vierge n’a d’ailleurs crû que de 96%, quand
celle de papiers recyclés faisait un bond de 386% !
Les matières premières secondaires deviennent
incontournables pour la
fabrication d’un nombre
croissant de produits,
d’autant plus que les
technologies de recyclage ont progressé et que
le bilan économique de
ces nouvelles ressources
se révèle souvent très favorable. Non seulement les
fibres cellulosiques de récupération coûtent moins
cher que la pâte à papier vierge, mais fabriquer une
tonne de papier neuf avec cette matière économise
67% d’énergie. Un four électrique nécessite un
investissement nettement moindre qu’un haut fourneau et produire de l’acier à partir de ferraille plutôt
que de minerai de fer et de coke consomme 85%
d’énergie en moins… Autant d’arguments convaincants, surtout quand le prix de l’énergie s’envole.
Les pays émergents
s’industrialisent en
s’approvisionnant
dans les pays riches…
Mondialisation des marchés
Autre conséquence de cette nouvelle donne : les
marchés du recyclage se mondialisent.
En effet, si la demande émane de plus en plus des
pays en développement, les gisements se situent
pour l’essentiel dans les pays à fort niveau de vie,
gros producteurs de déchets et, donc, de matières
premières secondaires. Entre 1998 et 2006, les
échanges mondiaux de ferraille ont par exemple
augmenté de 65% en volume, la Turquie devenant
le premier importateur au monde. De leur côté, les
États-Unis ont augmenté leurs exportations de papier,
métaux, plastiques, pneus et autres matériaux de
récupération de 62% en cinq ans. Leurs principaux
clients ? Des pays en développement ou nouvellement industrialisés, comme l’Inde, la Turquie,
Taïwan, le Mexique, la Corée du Sud et, surtout, la
Chine. En 2005, les matières premières secondaires constituaient même le second poste d’exportation
américain dans ce pays, derrière l’aéronautique ! Une
révolution emblématique du nouvel ordre économique
mondial. Le Nord a bâti son développement en faisant
appel aux matières premières du Sud. Aujourd’hui,
ce sont les pays émergents qui s’industrialisent en
s’approvisionnant dans les pays riches…
Troisième conséquence du décollage des pays en
développement (PED) et de leur pantagruélique
appétit de matières premières : le recyclage gagne
en rentabilité, ce qui devrait d’autant mieux favoriser son développement. Par la simple différence de
coûts de main-d’œuvre entre les pays émergents et
les pays les plus riches, de nouvelles filières voient
le jour, des déchets (sans valeur d’échange) se
transforment en ressources qui ont un prix. C’est le
cas des films plastique en mélange collectés dans
l’industrie ou la grande distribution. « En Europe, il
n’est pas possible de les recycler, explique Jacques
Musa, directeur du département Plastiques de Veolia
Propreté France Recycling. Les trier par matériaux,
les débarrasser des rubans adhésifs et des étiquettes coûterait trop cher. En revanche, dans les pays
asiatiques l’opération est viable et, depuis cinq ans,
la Chine en importe. Aujourd’hui, elle achète environ
40% des films collectés en Europe et l’Inde,10%. »
Hausse des prix durable
Mais, surtout, les prix des matériaux de récupération ont profité de la tendance haussière des matières premières, dont le baril de pétrole flirtant avec
les 100 dollars n’est qu’une illustration. Le cours
du minerai de fer a crû de 71,5% en 2005 et de
19,5% en 2006. Menace de raréfaction en raison de
l’explosion des besoins et du retard de l’industrie
minière à investir dans de nouvelles capacités de
production, plus spéculation des fonds d’investissement : nombre de métaux non ferreux ont même
vu leur cours flamber. En quatre ans, dopé par la
demande croissante de batteries, celui du plomb a
décuplé. En deux ans, le cours du nickel (qui sert
notamment à la production d’acier inoxydable) a
décollé de près de 150%, celui du cuivre (très utilisé
dans les équipements électriques et électroniques),
de 200%… Les prix des mitrailles de métaux non
ferreux leur ont emboîté le pas, tout comme celui
de la ferraille et, dans une moindre mesure, ceux du
plastique et du papier recyclés.
« La nouveauté, à l’aube du XXIe siècle, c’est qu’il
semble s’agir d’une tendance de fond, souligne Taïsei
Miura, directeur Marketing et Développement France
de Veolia Propreté. Les marchés de matières premières et de matières recyclées ont toujours été volatils.
Mais, désormais, même s’ils continuent à fluctuer, les
prix devraient durablement rester sur une tendance
haussière long terme. De ce fait, des schémas de
valorisation qui n’étaient pas forcément viables hier
le deviennent de plus en plus aujourd’hui. Dans l’Est
de la France, une de nos filiales, SARP Industries, a
par exemple mis en service une unité de récupération du nickel contenu dans des effluents industriels
dont l’investissement se justifie pleinement avec les
prix élevés rencontrés récemment sur le marché du
nickel. Nos métiers avaient une faible intensité technologique, la montée du prix des matières recyclées
change la donne. Désormais, nous avons une
certaine visibilité et nous pouvons investir dans la
R&D pour mettre au point des technologies de tri
de plus en plus sophistiquées, qui permettront de
recycler davantage de matières demain. »
De fait, sauf crise économique ou géopolitique, la
demande de matières premières promet de rester
soutenue dans les décennies à venir. D’ici à 2025,
la population mondiale, qui a déjà fait un bond de
46% en une génération (4,5 milliards de personnes en 1980, 6,5 milliards en 2005), s’enrichira
encore de 1,3 milliard d’individus. Jusqu’en 2020,
la Chine devrait afficher un taux de croissance économique annuel d’environ 6,6%, l’Inde de 5,5%.
Et d’autres pays asiatiques ne demandent qu’à suivre :
l’Indonésie (223 millions d’habitants et un taux
de croissance d’environ 6% en 2006), le Viêt-nam
(84,1 millions d’habitants, plus de 8% de croissance),
les Philippines (84,6 millions d’habitants, plus de 5%
de croissance) ou encore la Thaïlande (64 millions
d’habitants, 5% de croissance).
Les besoins vont donc continuer à croître et les ressources naturelles à se restreindre, en particulier le
pétrole, mais aussi les métaux. Même si la découverte
et l’ouverture de nouvelles mines peut détendre ponctuellement la situation, leur raréfaction est inévitable
à long terme.
Croissance des gisements
de matières secondaires
Thomas Graedel, professeur d’écologie industrielle à
l’université de Yale (États-Unis), a par exemple calculé
que si, en 2100, tous les pays du monde bénéficiaient
du même niveau de vie et des mêmes technologies
que les États-Unis, la planète aurait en permanence
besoin de 1,7 milliard de tonnes de cuivre13. Or les
réserves connues s’élèvent à 1,6 milliard de tonnes,
dont seule une partie est exploitable en l’état actuel
13
Alternatives économiques N° 250, sept. 2006, p. 50, Métaux en fusion,
Benjamin Barda.
des technologies. Des pénuries de cuivre, mais également de zinc ou de platine, seraient donc possibles
avant la fin du siècle…
À l’inverse, les gisements de matières premières
secondaires vont nécessairement s’accroître. « En
Finlande, en France et en Allemagne, on observe
certes un découplage entre les dépenses de consommation, qui continuent à augmenter, et la production
de déchets, qui commence à baisser, note Bernard
Lanfranchi, directeur des Marchés de Veolia Propreté.
Mais si, dans certains pays comme l’Allemagne
et l’Autriche, le taux de valorisation agronomique
et matière des déchets municipaux avoisine ou
dépasse les 60%, il n’est encore en moyenne que de
36% dans l’ensemble de l’Union européenne, ce qui
laisse une marge de progrès importante. De plus, à
mesure que leur niveau de vie augmentera, les pays
en développement vont générer de plus en plus de
déchets et donc de matières premières recyclables. »
Ainsi, avec quelque 500 kg de déchets municipaux
par habitant et par an, la Chine et la Turquie urbaines
sont déjà en passe de rattraper les États-Unis, l’Europe de l’Ouest ou l’Australie (entre 600 kg et 700 kg).
Outre les marchés, un autre facteur pousse de toute
façon au développement des volumes de matières
recyclées : la montée en puissance des réglementations incitant à la valorisation des déchets et,
notamment, de la responsabilité élargie du producteur (REP), qui constitue l’autre grand moteur de
l’économie du recyclage. En Europe, la REP a déjà fait
décoller la collecte et la valorisation des emballages,
des huiles automobiles usagées, des batteries, piles,
pneus et véhicules hors d’usage. Elle est en train de
faire émerger celles des déchets d’équipements électriques et électroniques (D3E). Les D3E représentent
un gisement de matières premières secondaires
encore difficile à estimer (jusqu’à présent, ils étaient
pour beaucoup enfouis ou incinérés), mais certainement considérable. Dans un pays comme la France,
les entreprises et les ménages en généreraient 1,7 à
2 millions de tonnes par an (environ 16 kg par habitant
pour les seuls ménages), volumes en augmentation
de 3% à 5% par an. Or ces déchets contiennent
une quantité importante de matériaux recyclables :
métaux (acier, aluminium, cuivre, plomb, zinc,
silicium), verre, plastique, petits métaux précieux
(or, palladium, platinium, argent). En moyenne, un
ordinateur se compose ainsi de 22% de plastique,
20% d’acier, 14% d’aluminium, 7% de cuivre, 6%
de plomb, 2% de zinc et l’on estime que 10 millions
d’ordinateurs représenteraient 135 000 tonnes de
matériaux valorisables.
Diversification des filières
« À l’avenir et c’est dans le sens de l’histoire, le
concept de REP, c’est-à-dire du « pollueur-payeur »,
s’étendra sans doute à d’autres catégories de produits en fin de vie, note Taïsei Miura. La question
se pose par exemple sur le sujet très médiatisé des
navires en fin de vie. Ainsi, l’Organisation Maritime
Internationale réfléchit notamment à la mise en
œuvre de ce principe pour les navires commerciaux
en fin de vie. » Les bateaux représentent en effet
un enjeu considérable : entre 200 et 600 bâtiments
de plus de 2 000 tonnes sont démantelés chaque
année dans le monde et la demande devrait exploser en 2010, date à laquelle environ 800 des 1 300
pétroliers à simple coque à retirer de la circulation
d’ici à 2015 arriveront en fin de vie. Mais la REP aurait
surtout pour conséquence d’assainir ce marché,
voire de le déplacer. Aujourd’hui, les deux tiers des
navires hors d’usage sont démantelés en Asie du Sud,
particulièrement au Bangladesh, où ils sont déjà, pour
l’essentiel, valorisés (revente des pièces en état et
recyclage des matériaux). De 80% à 90% de l’acier
utilisé au Bangladesh provient ainsi de cette filière.
En revanche, leur démantèlement s’effectue souvent
dans des conditions sanitaires et environnementales
effroyables. La REP pourrait donc donner naissance
à des filières de recyclage des navires dans les pays
développés ou permettre de développer des chantiers
« verts » en Asie.
Le concept pourrait également s’appliquer aux
déchets textiles, aux meubles en fin de vie ou encore
aux déchets du bâtiment. En France, par exemple, le
volume des déchets de chantiers dépasse 30 millions
de tonnes par an (25% de plus que celui des déchets
ménagers), dont l’essentiel n’est pas recyclé. L’Europe
s’est fixé pour objectif de valoriser 75% à 85% de ces
déchets d’ici à 2012,
sans toutefois imposer de réglementation
contraignante. Mais
la situation pourrait
évoluer, d’autant que,
là aussi, les ressources naturelles vont se raréfier.
En région parisienne, par exemple, les carrières ne
satisfont plus que 60% de la demande en granulats,
constituant de base du béton, et il devient de plus en
plus difficile d’en ouvrir de nouvelles en raison de la
pression démographique, des contraintes écologiques
et des réticences de l’opinion publique14.
« Dans un monde fini, il n’y a pas de ressources
infinies, rappelle Dominique Maguin, président du
Bureau International du Recyclage. Nous ne pourrons pas indéfiniment piocher dans le ventre de la
Terre pour assurer notre développement. Il va falloir
apprendre à réutiliser les matières à notre portée.
Aujourd’hui, nous sommes sans doute à un tournant :
celui de la prise de conscience que cet effort devra
maintenant devenir permanent. Le recyclage ne
suffira certes pas à subvenir à tous les besoins de
l’humanité, mais il sera nécessairement l’une des
principales industries du XXIe siècle. » n
La REP constitue
l’autre grand moteur de
l’économie du recyclage
14
La Recherche N° 412, oct. 2007, Construire demain, p. 46, La maison
recyclée, Anne Le Duigou
Nord-Sud, Est-Ouest :
la redistribution des cartes
La demande de matières premières secondaires se déplace de
plus en plus vers l’Europe centrale et orientale, le Moyen-Orient
et l’Asie. À mesure que ces régions se développeront, les principaux
gisements de déchets, pour l’instant majoritairement situés à l’Ouest,
suivront la même évolution.
Le volume et la composition des déchets produits
par les pays sont directement corrélés à leur niveau
de vie. Un Américain du Nord ou un Européen de
l’Ouest produisent 600 kg à 700 kg de déchets municipaux par an, un Indien seulement une centaine.
Mais, de plus, leur poubelle contient nettement plus
de déchets solides recyclables. Selon une étude
réalisée par Veolia Propreté, les ordures ménagères
ne contiennent en effet que 30% de matière organique dans les pays les plus développés, mais 75%
dans les pays en développement. À l’inverse, la part
de papier contenue dans les déchets ménagers et
assimilés est plus élevée dans les pays industrialisés : de l’ordre de 30%, contre 17% dans les pays
émergents et 10% dans les pays les moins avancés.
Le verre, les métaux et le plastique suivent la même
trajectoire, mais dans des proportions moindres.
Aujourd’hui, ce sont donc très logiquement les pays
développés qui possèdent les plus importants gisements de matières premières secondaires, même
si tous sont encore loin d’exploiter pleinement ce
potentiel de ressources. Les taux de recyclage varient
en effet encore considérablement d’un pays à l’autre
(voir carte). En Europe, par exemple, l’Autriche recycle ou composte plus de 60% de ses déchets municipaux, la Grèce, moins de 10%…
Reste que le paysage mondial du recyclage est appelé
à évoluer. À condition que la collecte des déchets
s’y développe, les pays aujourd’hui émergents - et
particulièrement les plus peuplés, ceux d’Asie détiendront demain les principales sources de
matières secondaires. Le rééquilibrage est d’ores et
déjà en marche. Pour preuve : en 2007, la consommation de papier d’un Chinois n’était encore que
de 40 kg, contre plus de 300 kg pour un Américain
du Nord et de 250 kg à 280 kg pour un Européen,
mais elle avait déjà doublé par rapport à 2000.
De la même manière, la consommation de plastique de l’Asie - en moyenne, 20 kg par habitant et
par an - est bien loin d’égaler celle des États-Unis
ou de l’Europe de l’Ouest : environ 100 kg. Mais elle
a décuplé depuis 1980…
Débouchés :
la mondialisation tirée par l’Orient
Certains marchés de matières recyclées demeurent
avant tout nationaux, voire locaux (le verre, le compost provenant des déchets organiques, le bois…).
Mais la plupart sont désormais mondiaux. C’est le
cas pour les textiles récupérés dans les pays riches
et notamment les vêtements, dont une bonne part
est traditionnellement exportée en Afrique et en Asie,
mais aussi pour le plastique, dont l’Asie se montre
de plus en plus friande, et, surtout, pour le papier/
carton et les métaux, qui représentent les plus gros
volumes échangés.
Côté ferrailles, la mondialisation des marchés
n’est pas nouvelle. Mais les flux s’accroissent et se
déplacent à mesure que les pays émergents se
développent. Aujourd’hui, le premier importateur
mondial est de très loin la Turquie : 13,3 millions
de tonnes en 2006. Non seulement, sa croissance
économique rapide se traduit par un besoin accru
d’acier, mais elle exporte une part de sa production dans les pays du Golfe, eux-mêmes en pleine
expansion.
Avec 422 millions de tonnes d’acier produites en 2006,
la Chine est certes de très loin le champion mondial
de la sidérurgie. Mais elle fabrique essentiellement
de l’acier primaire et, quoique significatives, ses
La valorisation des déchets municipaux dans le monde
(Source : Elisabeth Lacoste, Philippe Chalmin, Panorama Mondial des déchets 2006, Economica)
de 40% à plus de 60% de déchets municipaux recyclés ou compostés
de 20% à 40% de déchets municipaux recyclés ou compostés
moins de 20% de déchets municipaux recyclés ou compostés
Composition des déchets ménagers et assimilés selon le niveau de vie
(Source : Veolia Propreté)
PNB / habitant < 7 000 $
4% Métaux
5% Autres
PNB / habitant < 30 000 $
12% Autres
4% Verre
10% Métaux
12% Plastique
28% Déchets
organiques
8% Verre
17% Papier
58% Déchets
organiques
12% Plastique
30% Papier
Les États-Unis lui ont donc ravi la place de numéro
un mondial, avec 14 millions de tonnes de ferrailles
exportées en 2006, contre 11,9 millions en 2004.
Elle-même gros consommateur de ferrailles, l’Europe
est le troisième exportateur mondial (9,9 millions de
tonnes en 2006) et la Turquie est désormais son premier client, avec des importations en hausse de 60%
en 2006.
Papier/carton : la voracité asiatique
importations de ferrailles demeurent sans comparaison avec celles de la Turquie : 5,4 millions de tonnes
en 2006. Il faut cependant s’attendre à ce qu’elles
grimpent. De 55 millions de tonnes en 2006, la capacité de production des fours électriques chinois
devrait passer à plus de 80 millions en 2010. Une
hausse de 45%, quand celle des capacités mondiales sera de 25%.
La Russie détenait jusqu’à présent le titre de premier exportateur mondial de ferrailles. Mais ayant
renoué avec une croissance économique soutenue,
elle entend augmenter sa production d’acier (une
douzaine de fours électriques mis en service entre
2005 et 2009) et taxe ses exportations de ferrailles,
qui vont en déclinant : 12,8 millions de tonnes en
2004, 12,4 millions en 2005, 9,8 millions en 2006.
L’internationalisation du marché du papier/carton
recyclé est relativement récente, mais massive et
avant tout tirée par les pays asiatiques. Tendance
appelée à se confirmer dans les années à venir.
La consommation de fibres cellulosiques de récupération devrait en effet croître de 33% dans le monde
entre 2005 et 2012, mais de 62% en Asie : + 65,3
millions de tonnes, contre + 15,5 millions pour le
reste de la planète.
Désormais second pays producteur de papier au
monde derrière les États-Unis, la Chine est aussi le
premier importateur de fibres cellulosiques de récupération (FCR). À elle seule, elle a capté près de la
moitié des 41 millions de tonnes de FCR échangées
sur la planète en 2005 et, depuis, sa voracité s’est
encore accrue. Mais l’Inde, l’Indonésie et la Thaïlande
importent également des volumes de plus en plus
significatifs de fibres recyclées. L’Inde, en particulier, devrait s’imposer peu à peu comme l’un des
grands marchés mondiaux. En 2006, elle a acheté
1,2 million de tonnes de FCR à l’étranger, volume
qui devrait tripler d’ici à 2010, pour atteindre
3,5 millions de tonnes15. Non seulement la population indienne croît très vite, mais son niveau de
vie et d’éducation augmente, ce qui devrait se
traduire par une explosion de sa consommation
de papier. D’ici à 2020, la demande de papier de
presse du pays devrait ainsi augmenter de 5,6% par
an, alors qu’elle ne progressera que de 1,2% en
Europe du Nord et qu’elle régressera en Amérique
du Nord et au Japon.
Ce dynamisme profite aux États-Unis, aujourd’hui
premier exportateur mondial de FCR, mais aussi
à l’Europe, dont l’Asie est de très loin le premier
client sur ce marché : en 2005, sur les 7,4 millions
de tonnes de papier recyclé qu’elle a exportées,
7 millions de tonnes l’ont été en Asie. n
Recycling International, avril 2007
15
Principaux flux de ferraille dans le monde en 2006
(en millions de tonnes)
(Source : Iron and Steel Statistics Bureau)
3
Canada
1,5
1
4,1
Russie
5,8
3,1
0,9
Europe
1,3
USA
1,1
Turquie
Corée du Sud
Chine
3,3
Japon
2,7
Egypte
Taïwan
Mexique
2,5
3,4
Échanges internationaux de papier recyclé en 2005
(Source : Jaakko Pöyry Consulting)
(en millions de tonnes)
8 Chine
3 autre Asie
2,3
0,2
4,5 Chine
11
0,5
0,1
1,3
3 autre Asie
3,7
0,4
1,7
0,1
0,7
1,18
Du déchet à la ressource :
gisements et débouchés mondiaux des principales matières recyclées
Ferrailles
Sources
Les ferrailles récupérées proviennent principalement des véhicules hors d’usage, des biens
de consommation en fin de vie (gros appareils
électroménagers, boîtes de conserves…),
des déchets de démolition des bâtiments et
des chutes de fabrication des industriels.
Applications
L’acier se recycle sans altération de
ses propriétés et peut donc être réutilisé dans
ses usages habituels : automobile, électroménager, emballages…
Volumes recyclés
En 2005, la sidérurgie aurait recyclé quelque
434 millions de tonnes de ferrailles dans le
monde. Environ 60% de l’acier est produit à
partir de ferrailles aux États-Unis, plus de 50%
en Europe et quelque 20% en Chine.
Métaux non ferreux
Sources
Les principaux métaux non ferreux sont l’aluminium, le cuivre, le zinc, le plomb et le nickel. Les
déchets récupérables proviennent des chutes
de fabrication des industriels, des produits
en fin de vie (automobiles, emballages, D3E,
batteries, etc.) et des déchets du bâtiment.
Applications
Sous condition d’une certaine pureté, les métaux
non ferreux peuvent se recycler sans perte de
leurs qualités, dans les mêmes usages que les
métaux primaires.
Volumes recyclés
Environ 60% du plomb, 40% du nickel,
30% du zinc, un tiers de l’aluminium et
du cuivre dans le monde proviendraient
du recyclage de métaux de récupération.
Fibres cellulosiques
de récupération
Sources
Les FCR proviennent en majeure partie des
entreprises (chutes de fabrication des imprimeurs et des façonniers, déchets d’emballage
du commerce et de l’industrie, papier de
bureau…) et, pour le reste, des déchets collectés
dans les circuits municipaux (emballages,
journaux, livres et autres documents imprimés).
Applications
Elles sont utilisées pour la production de carton,
de papier d’emballage et de papier d’impression
de toutes qualités. Le papier se recycle environ
cinq fois et les cartons, une dizaine de fois.
Volumes recyclés
Quelque 185 millions de tonnes de papier/carton
ont été récupérées dans le monde en 2005,
environ la moitié du papier/carton neuf est
produite à partir de FCR.
Matériaux plastiques
Sources
Une part importante des plastiques recyclés
provient des déchets d’emballage
du commerce, de l’industrie et des ménages.
Le reste est issu des films agricoles usagés,
des véhicules en fin de vie et des déchets
de construction. La complexité des matériaux
plastiques utilisés dans les équipements
électriques et électroniques limite pour l’instant
leur recyclage.
Applications
Majoritaires, les thermoplastiques (polystyrène,
polyamides, polyéthylène, polypropylène,
polychlorure de vinyle…) se recyclent plus
facilement que les thermodurcissables, et dans
des applications multiples : pièces automobiles
n’ayant pas un caractère de sécurité (carters,
panneaux de portes, tapis…), moniteurs
d’ordinateurs, gaines pour câbles électriques,
laine polaire, isolation dans le bâtiment,
flaconnage…
Volumes recyclés
Seule une très faible part des quelque 230 millions de tonnes de matériaux plastiques produits
dans le monde chaque année est valorisée.
En Europe, par exemple, 4 millions de tonnes
de déchets plastiques ont été recyclés en 2005
(18% des déchets de plastique collectés). Mais
ce volume progresse environ de 10% par an.
Sources : International Iron and Steel Institute, Centre d’information du Cuivre, European Copper Institute,
Plastics Europe, International Zinc Association, Bureau International du Recyclage.
La Chine, championne
du papier recyclé
Désormais second producteur mondial de papier derrière
les États-Unis, la Chine est devenue le premier importateur de fibres
cellulosiques de récupération de la planète. Et devrait encore
augmenter fortement ses achats dans les années à venir.
C’est une success story à la mesure de l’expansion
chinoise : impressionnante ! À la fin des années 1980,
Zhang Yin se lance dans le trading de papier recyclé
importé des États-Unis pour alimenter les papeteries
chinoises, qui, à l’époque, utilisent surtout de la fibre
à base de paille. Vingt ans plus tard, elle est à la
tête de la première fortune de Chine et du premier
producteur de papier chinois, Nine Dragons. « Un
groupe à la croissance fulgurante, dont il n’est pas
interdit de penser qu’il figurera sur le podium des
groupes papetiers mondiaux d’ici à 2010 », souligne
Marc-Antoine Belthé, directeur général de Veolia
Propreté France Recycling.
Entre temps, l’économie chinoise a décollé, tout
comme le niveau de vie de la population et, par
contrecoup, sa consommation de papier. Mais,
surtout, la Chine est devenue l’usine du monde :
50% de la production de chaussures, lecteurs DVD
et appareils photo numériques de la planète, 70% de
la production de jouets, etc. Autant de biens qu’elle
exporte… dans des emballages en carton et papier.
D’où son extraordinaire appétit de cellulose : depuis
2000, alors que l’industrie papetière occidentale
traversait une crise conduisant à la fermeture d’une
partie de ses capacités de fabrication, les Chinois
ont doublé leur production (61 millions de tonnes
en 2006). Et ont vu émerger quelques champions
du papier pour ondulé (destiné à l’emballage), dont
Nine Dragons (5 millions de tonnes de capacités de
production fin 2007), mais aussi Lee & Man, second
groupe papetier du pays (3,5 millions de tonnes).
Et ce n’est pas fini. Désormais, deuxième fabricant
mondial de papier derrière les États-Unis (102
millions de tonnes en 2006), la Chine entend porter
sa production à 90 millions de tonnes dans les
cinq à sept ans à venir. D’ici là, les douze premiers
producteurs chinois devraient augmenter leur capa-
cité de production de 17,2 millions de tonnes à 41,6
millions de tonnes, Nine Dragons ayant prévu de
doubler la sienne à près de 10 millions de tonnes…
Perspectives prometteuses
pour les recycleurs
Une aubaine pour l’industrie du recyclage, car, dans
le sillage de Nine Dragons, les papetiers chinois
recourent de plus en plus aux fibres cellulosiques de
récupération. Celles-ci ne représentent encore que
31,6% de leur production, contre environ 50% pour
la moyenne mondiale, mais, en six ans, cette part a
déjà quasiment triplé. Et elle ne peut que continuer
à augmenter. Manquant de forêts, la Chine produit
en effet peu de fibre à base de bois. En outre, le
gouvernement a pris des mesures drastiques contre
la fabrication de pâte à base de paille, largement
responsable de la pollution des cours d’eau. Le
pays développe donc la collecte de papier, mais
son potentiel demeure pour l’instant limité. Sa
population est encore loin de consommer autant de
papier que les Occidentaux et, surtout, l’essentiel du
papier chinois est expédié dans les pays développés,
puisqu’il sert à emballer les marchandises exportées.
Les papetiers locaux n’ont donc guère d’autres choix
que d’importer du
papier recyclé. En six
ans, leurs achats de
fibres cellulosiques
de récupération ont
ainsi quintuplé pour
atteindre 19,6 millions de tonnes en 2006 (et
vraisemblablement 22 millions en 2007), ce qui
les classent de très loin premiers importateurs
mondiaux. Principaux bénéficiaires ? Les États-Unis
(46,4% des importations chinoises en 2006),
suivis des pays européens (28,1%), au premier
La Chine est le deuxième
fabricant mondial de
papier après les États-Unis
Comparatif de l’évolution de la production chinoise
de papier à celle des importations de FCR du pays
58
61
5
49,
80
9
30,
3,9
2000
32
5,9
2001
Production de papier
37,
43
7,5
9,3
2002
2003
3
12,
2004
(en millions de tonnes)
Importation de fibres cellulosiques de récupération
Source : Recycling International, avril 2007.
(en millions de tonnes)
17
2005
6
19,
2006
rang desquels le Royaume-Uni, la Hollande,
l’Allemagne et la Belgique, mais aussi l’Asie (22,5%)
et tout particulièrement le Japon. Désormais, les
navires débarquant des cargaisons de vêtements,
téléviseurs et autres produits made in China dans
les ports occidentaux et japonais ne repartent plus à
vide, mais chargés de balles de papier recyclé, qui
voyagent ainsi à coût compétitif (le cours du fret est
moins élevé au retour qu’à l’aller), tout en offrant
l’avantage de lester les bateaux.
Quant à Nine Dragons, il a ouvert un bureau
commercial en Europe, où la consommation de papier
continue de croître, pour y vendre du papier pour
ondulé. Une première étape avant d’investir dans des
capacités de production sur le vieux continent ? En
attendant la réponse, les recompositions en cours sur
le marché du papier sont en tout cas significatives
de la redistribution de l’économie mondiale. Et sans
doute d’autant plus emblématiques pour les Chinois,
qui inventèrent le papier il y a plus de 2000 ans… n
« Ce qu’il s’agit d’exporter, ce sont
des matières premières secondaires »
Entretien avec Philippe Chalmin,
Professeur à l’université Paris-Dauphine, président-fondateur de Cyclope, institut de recherche
sur les marchés de matières premières et de commodités, et co-auteur du Panorama mondial des déchets 2006 16
Membre du Conseil d’analyse économique, et consultant auprès de la Banque mondiale et de l’Union européenne.
Quelle est votre analyse de l’évolution
du marché du recyclage ?
La grande nouveauté, c’est la flambée
du prix des matières premières, la prise
en compte plus grande de la rareté et
le fait que les déchets apparaissent de
plus en plus comme un gisement de
ressources. En revanche, l’ambiguïté
entre recyclage et valorisation subsiste.
Doit-on être des idéologues du recyclage
à tout prix ou faut-il être plus pragmatiques et chercher une valorisation
intelligente ? Les jusqu’au-boutistes
veulent tout recycler. C’est de l’utopie :
dans certains cas, le coût de la collecte
différenciée, du tri, etc., est un obstacle.
On entre dans des équilibres financiers
qui ne tiennent pas, admettons-le.
Il y a un moment où il faut regarder les
bilans — financiers, mais aussi énergétiques. Pour les plastiques, par exemple, le bilan énergétique du recyclage
ne semble pas forcément positif. On ne
peut donc pas tout recycler, mais, qu’il
s’agisse de produire une nouvelle
matière ou de l’énergie, on peut presque
tout valoriser. L’important est donc de
conjuguer au mieux valorisation énergétique et recyclage pour assurer le mix
optimal entre environnement et coût du
traitement des déchets.
Quels peuvent être les freins
au développement du recyclage ?
Tout le problème est de savoir où finit
le déchet et où commence la matière
secondaire. Le déchet, en soi, n’a pas
de valeur, la matière secondaire en a
une. La rupture se situe là. Dès qu’il y
a tri, nous entrons dans le champ de
la valeur et nous sommes sur un vrai
marché. Mais on a encore trop souvent
le sentiment que les déchets, c’est mal,
sale. Aujourd’hui, le commerce inter-
national est un des éléments moteurs
dans l’économie des matières premières
secondaires. Il faut admettre qu’il est
tout à fait légitime d’exporter des vieux
papiers et de la ferraille dans des pays
comme la Chine, car c’est là que se
situe la demande. Des mouvements
bien-pensants estiment que les pays du
Nord ne doivent pas exporter leurs
déchets, que c’est malsain, qu’ils doivent
systématiquement les traiter chez eux.
Mais, à ce moment-là, se posent des
problèmes de débouchés et de marchés.
Quand j’entends qu’il ne faut pas
vendre de vieux papiers à la Chine
parce qu’ils sont utilisés dans des usines
où peuvent travailler des enfants, je dis
qu’on mélange des problématiques très
différentes. Il n’est évidemment pas
question de faire travailler des enfants.
De plus, les papeteries chinoises, ce
n’est pas le XIXe siècle. La plupart sont
ultramodernes, très automatisées. Il n’y
a pas d’enfants, et même de moins en
moins d’ouvriers… Ce type d’amalgame
culpabilisant est un frein au développement du recyclage.
Néanmoins, on ne peut nier les abus
et la nécessité d’une réglementation...
Qu’il faille effectuer des contrôles,
lutter contre l’exportation de vieux ordinateurs soi-disant destinés à resservir,
mais qui sont en fait des D3E, c’est
une évidence. Là, nous pouvons parler
de déchets dangereux, susceptibles de
nuire à la santé et à l’environnement
s’ils ne sont pas traités dans les règles
de l’art. En revanche, les classifications
des vieux papiers et des métaux de
récupération sont relativement établies
et les Chinois n’achètent pas n’importe
quoi. On pense déchets, or il s’agit de
matières premières secondaires.
Sur ce point, il existe encore beaucoup
de blocages, y compris psychologiques.
On reste dans l’idée qu’il faut se
débarrasser des déchets, sans voir
leur côté positif : il s’agit d’un gisement
de ressources. On parle toujours des
déchets exportés dans les pays en
développement. Mais ce qu’il s’agit
d’exporter, ce sont des matières
premières secondaires. Les mentalités
ont du mal à évoluer. Nous sommes à
mi-chemin d’une prise de conscience :
la dimension environnementale du
traitement des déchets n’est qu’une
partie du problème. Il faut aussi admettre
que les matières premières secondaires
sont une ressource et un marché. n
Du rare à l’infini. Panorama mondial des déchets 2006,
Elisabeth Lacoste, Philippe Chalmin, Economica, 2006.
16
Les règles du jeu :
quels instruments
pour quelle politique ?
Entre garanties sanitaires et environnementales et liberté nécessaire au
commerce des matières, le développement du recyclage exige un cadre
réglementaire adapté et appliqué au niveau international pour une concurrence
non faussée. En dépit des disparités nationales qui demeurent, l’Europe
trace la voie. Une conscience internationale se manifeste aussi par des actes
sur tous les continents.
Depuis le début des années 1990, les programmes nationaux des pays de l’OCDE et de l’Europe
soutiennent activement le recyclage comme un
moyen de réduire la pression exercée sur les ressources de la planète. Chaque pays, cependant,
a fait des choix différents de mise en œuvre qu’il
faut désormais harmoniser. Ainsi, le Royaume-Uni,
qui en 1995 envoyait plus de 80% de ses déchets municipaux en décharge, fait des pas de
géant dans la voie du recyclage et du compostage.
Il utilise un sursis autorisé de 4 ans pour rattraper
son retard et passer de 450 kg de déchets par
personne et par an en 2000 à 225 kg en 2020.
À l’inverse, en Autriche ou en Allemagne, les décharges ne peuvent accepter que les déchets prétraités,
et tous les déchets d’emballages sont collectés et
valorisés. Tout comme en Suisse, ou en Norvège
où la fin de la mise en décharge est programmée.
La situation est tout autre pour les derniers pays
entrants de l’Union européenne qui devront fournir
des efforts importants afin de mettre en œuvre l’acquis
communautaire et passer d’une prépondérance
de la décharge à la Société du recyclage que la
Commission européenne entend promouvoir.
Mais quelles que soient les différences, l’évolution du marché dégage des objectifs communs. Le
diagnostic porté sur la raréfaction des ressources,
comme le pétrole ou certains métaux, la forte
demande des économies émergentes et les cours
haussiers des matières sont autant d’arguments en
faveur du recyclage.
« Déchet » ou « non-déchet » …
Cependant, matière première et matière recyclée
n’ont pas le même statut. Aux yeux du législateur
européen, toute matière première secondaire qui n’a
pas été réutilisée conserve la qualification juridique
de déchet. Cette distinction est au cœur d’un débat
fondamental entre une politique d’encouragement
au recyclage, qui doit aussi faciliter les échanges
commerciaux des matières premières dites secondaires, et une politique
de contrôle du traitement des déchets qui
doit garantir la sécurité
sanitaire et environnementale et peut impliquer des mesures restrictives à leur circulation.
La Convention de Bâle a établi en 1989 des obligations pour le contrôle des mouvements transfrontaliers et de l’élimination des déchets dangereux.
La Convention a été traduite dans les décisions
du Conseil de l’OCDE17 dès 1992 et est entrée en
vigueur dans l’Union européenne en 1994. En 2005,
167 pays en étaient signataires, mais les États-Unis
ne l’ont toujours pas ratifiée (voir article sur les
D3E). Souvent contournée – certains scandales sont
dans toutes les mémoires, et les rapports de L’ONU
et de plusieurs grandes ONG en témoignent – la
Convention de Bâle n’est cependant jamais officiellement remise en cause dans son principe. Il n’en
va pas de même pour le règlement européen18 qui,
depuis juillet 2007, aligne le droit à l’exportation des
déchets banals sur les règles applicables aux
déchets dangereux.
L’objectif de ce nouveau règlement est clair : garantir
des transferts de déchets sans risque pour l’environnement et la santé et lutter contre les exportations
Lutter contre les
exportations illicites de
déchets dangereux
Décision du Conseil de l’OCDE C(92)39/Final révisée par C (2001°107 /Final,
amendée par C (2004)20 – source : Panorama Mondial des Déchets, Cyclope, 2006.
18
Règlement CE 1013/2006
19
Un bordereau qui trace le parcours du déchet : son origine, son transporteur,
sa destination
17
illicites de déchets dangereux. Mais plusieurs États
européens ont d’ores et déjà protesté contre les
modalités régissant l’exportation des déchets de la
liste verte, qui, à l’heure où les marchés s’internationalisent, compliquent les échanges de matières
secondaires et peuvent fausser la concurrence avec
des pays où la réglementation est beaucoup plus
souple, comme les États-Unis. « Des industriels,
utilisateurs finaux de matières premières secondaires,
ont également réagi contre l’obligation de signer le
bordereau de réception19, note Pascal Genneviève,
directeur général adjoint de Veolia Propreté France
Recycling. Cela signifierait qu’ils fabriquent leurs
produits à partir de déchets et non de matières
premières secondaires, alors qu’ils n’ont pas les autorisations administratives pour traiter des déchets. »
« Responsabilité élargie du producteur : le succès
en matière de recyclage, l’espoir pour la prévention »
Entretien avec Matthieu Glachant,
Maître de Recherche au CERNA de l’École des Mines de Paris, économiste des politiques environnementales,
il travaille régulièrement pour l’OCDE, la Commission européenne, le ministère de l’Environnement et l’ADEME
sur les politiques de l’eau, des déchets ou sur le changement climatique.
Matthieu Glachant, qu’est-ce que
la REP ?
Comme pour le principe pollueur-payeur,
c’est à l’OCDE que l’on doit dans les
années 80 d’avoir introduit le concept de
Responsabilité Élargie du Producteur. La
REP consiste à imputer la responsabilité
de la fin de vie du produit à son producteur, et l’oblige à financer tout ou partie
de ses coûts d’élimination. Dans l’esprit
de ses concepteurs, elle devait d’abord
inciter les producteurs à mieux produire
selon une logique d’internalisation des
coûts.
Concrètement, les entreprises ont le choix
de la mise en œuvre : elles peuvent exercer individuellement leur responsabilité
en récupérant leurs productions arrivées
en fin de vie. Mais ceci ne peut se concevoir que quand il existe un nombre limité
d’acteurs. XEROX a fait ce choix pour ses
photocopieurs, IBM pour ses serveurs.
Mais les entreprises choisissent le plus
souvent de se regrouper en adhérant à un
organisme agréé par la puissance publique. Dans ce cas, cet éco-organisme,
pour reprendre la terminologie française,
organise la collecte et le traitement des
déchets pour le compte de ses membres.
Le plus souvent, il dédommage les
infrastructures existantes des municipalités pour qu’elles opèrent la collecte
sélective. Plus rarement, comme le fait
DSD pour les déchets d’emballages en
Allemagne, l’éco-organisme gère en direct
sa propre infrastructure de collecte.
La première mise en œuvre à grande
échelle du principe de la REP en Europe
est la directive sur les emballages et les
déchets d’emballages de 1994, traduite
en France notamment par « Eco-emballages » puis « Adelphe ». Sont venues ensuite d’autres directives sur les véhicules
en fin de vie (2000), les D3E (2002)…
La REP a-t-elle atteint ses objectifs
de départ ?
À l’origine, la REP avait pour but prioritaire de créer des incitations à l’écoconception, mais ce n’est pas du tout
ce qui est arrivé dans la pratique. Elle a
essentiellement été utilisée pour financer
le développement du recyclage. Prenons
l’exemple de l’emballage. La directive
emballages contient ainsi des objectifs de
recyclage et de valorisation, et le succès
a été au rendez-vous sur cet aspect-là.
En revanche, les observateurs s’accordent
sur le constat d’un effet très limité sur la
prévention.
Il faut donc réfléchir aux moyens de renforcer le rôle de la REP dans la prévention des déchets. Cela concerne au premier chef les modalités de financement
des éco-organismes par les producteurs.
S’ils payent une somme forfaitaire par
produit collecté, il n’existe pas d’incitation à l’éco-conception. Prenons l’exemple d’Alliapur, l’éco-organisme français
qui recycle les pneus. Il demande au
fabricant une somme identique par grandes catégories de pneus. Ce schéma ne
prend ainsi pas en compte les caractéristiques spécifiques de chaque produit et
n’incite nullement le fabricant à faire des
efforts, à rendre son pneu plus facile à
recycler, ou à y faire entrer des matériaux
moins impactants pour l’environnement
puisqu’il ne sera pas récompensé financièrement pour cela.
Eco-emballages a adopté un système
mixte avec barème producteurs différencié qui varie selon le poids de l’emballage
et le type de matériau utilisé. Le coût
de fin de vie des emballages entre dans
son calcul, ce qui pourrait notamment entraîner des substitutions matériaux. Mais
les critères sont uniquement économiques. Ils ne prennent pas en compte les
conséquences environnementales de tel
ou tel choix. En outre, le niveau global de
la contribution influence évidemment les
efforts d’éco-conception. Or, en France,
les producteurs finançaient 43% des
coûts de collecte et de traitement en
2004 d’après l’ADEME alors qu’en
Allemagne les producteurs payent 100%.
Mécaniquement, l’incitation est donc
deux fois moindre en France.
Que préconisez-vous ?
En matière d’emballage, les effets
environnementaux sont mal connus, ce
qui empêche pour l’instant l’intégration
de considérations environnementales
dans le calcul du barème. La réalisation
d’analyses de cycle de vie, notamment
par matériau, me semble devoir être un
objectif prioritaire pour l’avenir. Cela permettrait dans un second temps l’internalisation totale des coûts économiques ET
environnementaux dans le barème. Elle
créerait le signal économique permettant
de susciter de leur part, et indirectement
de la part des consommateurs à travers
l’effet sur les prix, des efforts de prévention au niveau adéquat.
Plus généralement, pour que la REP
produise des effets sur la prévention,
il faut aussi que les efforts individuels
des producteurs soient récompensés
financièrement, ce que permet l’usage
de barèmes incitatifs. Des ONG comme
Greenpeace estiment qu’il est nécessaire
d’aller plus loin en interdisant le recours
à des éco-organismes. Ils plaident pour
la RIP plutôt que pour la REP, la Responsabilité Individuelle des Producteurs.
Chacun serait redevable des coûts de
collecte et de recyclage de ses produits
en fin de vie, identifiables par leurs
marques. Ce schéma sans éco-organisme
peut convenir à certaines filières comme
celle des Véhicules Hors d’Usage (VHU).
Les constructeurs automobiles s’organisent ainsi individuellement pour financer
les casseurs. Mais l’organisation de la
collecte et du traitement des déchets
par chaque producteur semble beaucoup
trop complexe et trop coûteuse pour
qu’elle soit généralisée à l’ensemble des
produits.
Enfin, si l’on souhaite réellement que
les programmes de REP promeuvent la
prévention, il faut leur fixer des objectifs
quantifiés de prévention. Les éco-organismes les plus anciens ont très bien
su respecter les objectifs de recyclage
qui leur étaient imposés. Je leur fais
confiance pour atteindre des objectifs de
prévention, si l’on se donne la peine de
leur en fixer. n
Ressource recyclée :
vers un statut intermédiaire ?
Assouplissement de la réglementation qui reconnaîtrait qu’une balle de papiers de récupération, triés
selon leur qualité et débarrassés de toute souillure,
aurait bien la valeur de ressource que ses utilisateurs
industriels lui reconnaissent ; ou bien rigueur nécessaire devant les abus si couramment constatés ? Pour
Alain Geldron, chef du département organisation des
filières et recyclage de l’ADEME, les réglementations
ont des aspects normatifs plutôt positifs : « La traçabilité associée à la normalisation des matières permet d’envisager la sortie du statut de déchet, avec
des contrôles qui doivent être importants tant sur le
territoire qu’aux frontières, vers un statut de produit
qui permet plus de fluidité dans le commerce. » Pour
Dominique Maguin, président du Bureau international du Recyclage, une adaptation de la législation
est nécessaire : « J’ai bon espoir dans notre capacité à réécrire des règles obsolètes, en partant du
constat que certains produits ou marchandises sont
composés majoritairement de matériaux recyclés. On
ne pourra pas nous faire croire que tous ces produits
ou marchandises sont eux-mêmes des déchets ! ».
Faut-il dès lors concevoir un nouveau statut pour les
matières secondaires ? La directive cadre actuelle-
ment en révision pour l’Union européenne va introduire une procédure qui pourra permettre à certains
déchets spécifiques respectant des critères de qualité, environnementaux et sanitaires de perdre le statut
de déchet. Restrictive, cette procédure n’est actuellement à l’étude que pour quelques cas : compost,
chutes de métaux et agrégats.
Plus problématique et « incertaine » est l’introduction
dans ce même texte de la notion de co-produit ou
sous-produit, telle que dégagée par la jurisprudence
de la CJCE20. Le co-produit doit être issu d’une unité
de production qui dispose d’un débouché, il doit être
directement utilisable sans nécessiter une transformation préalable ou une autorisation particulière. Les
copeaux de bois issus d’une menuiserie pourraient
par exemple avoir ce statut, dont le principe reste
soumis à la garantie, une fois encore, qu’il ne sera
pas utilisé pour déroger aux obligations de la réglementation sur des flux potentiellement dangereux.
REACH et les matières
premières secondaires
Le glissement du statut de déchet à celui de produit ou matière se heurte à une autre réglementation, et pas des moindres : le règlement REACH21,
adopté par la Parlement européen en décembre
2006, concernant l’enregistrement préalable à leur
mise sur le marché de tous les produits chimiques
ou contenant des produits chimiques. Le règlement
entré en vigueur le 1er juin 2007 exclut de son
champ les déchets, les médicaments et les biocides.
Mais, lorsque les matières premières secondaires ne
sont pas couvertes par la législation sur les déchets,
elles sont soumises à la réglementation REACH.
En d’autres termes, il faut alors, pour toute matière
recyclée, pouvoir en indiquer précisément la composition. Plusieurs fédérations européennes – European
Ferrous Recovery & Recycling Federation, European
Metal Trade & Recycling Federation, European
Recovered Paper Association – se sont exprimées
d’une seule voix sur ce sujet 22. « Les principales
substances contenues dans les agrégats récupérés/
valorisés provenant des déchets de construction et
de démolition, le compost produit à partir de déchets
biologiques collectés séparément, le métal de récupération provenant de véhicules ou d’équipements
électroniques hors d’usage, ou le papier récupéré/
valorisé à partir de déchets d’emballage sont dans
une large mesure connus. »
Au-delà de ce constat qui porte sur des matières premières secondaires « produites pour répondre à des
spécifications strictes en matière d’environnement et
de valorisation »23 , les mêmes fédérations argumentent sur l’impossibilité de soumettre ces matières à la
réglementation REACH : « En raison du faible pourcentage d’impuretés dont la composition doit être
connue […], le règlement REACH est inapplicable
pour ces matières. Elles sont produites en grandes
quantités (certains producteurs en produisant plusieurs millions de tonnes), et les substances d’origine inconnue dépassant le seuil d’une tonne par an
doivent être détectées dans ces millions de tonnes
de matières à des concentrations inférieures à la
limite de détection de toutes les méthodes d’analyse
actuellement disponibles. »24 (Suite page 42)
Cour de Justice des Communautés Européennes
Registration, Evaluation, Authorisation and Restriction of Chemical substances
/ enRegistrement, Evaluation et Autorisation des substances CHimiques
22
Communiqué du 11 octobre 2006, REACH, matières premières secondaires et
produits récupérés à partir de déchets - Analyse et recommandations suite au
vote de la commission ENVI
23
Ibid.
24
Ibid.
20
21
Responsabilité
intégrale
ou responsabilité
partielle :
les modèles allemand
et français
On observe une grande disparité entre
les deux barèmes « amont » mis en
place par les deux éco-organismes
allemands (DSD) et français chargés
de collecter les déchets d’emballage
(au 1er janvier 2005) :
Matériau
DSDEcoEmballages
Verre
7,60
(en centimes
d’euro par kilo)
0,36
Papiers-Cartons 20,60
12,21
Acier
28
2,26
Aluminium
75,6
4,53
Plastique
140,3
17,78
Cette grande différence – un coût de
reprise jusqu’à 20 fois plus cher dans
les cas de certains matériaux – ne s’explique que partiellement par le fait qu’en
France s’ajoute une redevance forfaitaire par unité d’emballage (0,11 ct). En
Allemagne, l’éco-organisme DSD gère la
totalité des coûts de collecte et de recyclage au moyen de sa structure propre,
le « Duales System Deutschland », qui
est très onéreuse, alors qu’EcoEmballages s’appuie sur les systèmes de collecte existant des collectivités et ne paie
que la moitié des coûts économiques du
recyclage des emballages.
Mais en contrepartie, l’éco-organisme
allemand avance que de 1991 à 1994,
la mise en place de DSD aurait permis
de réduire de 14% la quantité d’emballage mis sur le marché. En France, les
observateurs s’accordent à dire que les
réductions induites ont été très faibles.
Source Matthieu Glachant, CERNA, École des Mines de Paris
« Partenariat public-privé : l’exemple du modèle
britannique dans le comté de Shropshire »
Entretien avec Adrian Poller,
Directeur du Shropshire Waste Partnership depuis 2006, il a mené avec succès la mise en place du processus de PFI25.
Il était préalablement en charge de la gestion des déchets du comté de Dorset, l’un des comtés les plus performants
d’Angleterre en terme de taux de recyclage.
Comment le Royaume-Uni, qui faisait
encore récemment figure de mauvais
élève en matière de gestion des déchets,
ré-oriente-t-il sa politique de façon à
promouvoir le recyclage ?
Ces dernières années, les mentalités
n’ont cessé d’évoluer au RoyaumeUni, car les gens ont peu à peu pris
conscience du retard considérable que
nous accusons par rapport aux autres
pays européens dans les domaines du
recyclage et du stockage des déchets.
Cette évolution est due, en partie, aux
campagnes d’information menées par
les pouvoirs locaux et certaines associations telles que Friends of the Earth. La
promotion du recyclage représente en
effet un enjeu particulier pour les pouvoirs locaux, du fait des objectifs chiffrés de plus en plus stricts imposés par
le pouvoir central avec, en arrière-plan,
la Directive européenne relative à la
mise en décharge des déchets. Je suis
persuadé que le Royaume-Uni aurait de
toute façon amélioré ses performances
en la matière, mais il faut reconnaître
que cette Directive a donné l’impulsion
décisive en mettant en place des objectifs précis et des échéances, assortis de
pénalités en cas de non-conformité.
Pourriez-vous nous expliquer en quelques
mots en quoi consiste le Shropshire
Waste Partnership, et de quelle façon
ce partenariat a influencé les décisions
prises, jusqu’à présent, en matière de
traitement des déchets ?
Le Shropshire est un comté de superficie moyenne, mais sa population est
si peu nombreuse qu’il s’agit en fait
de l’un des comtés les moins peuplés
d’Angleterre. Par ailleurs, le Shropshire
ne compte pas de gros employeurs, à
l’exception du County Council (c’est-
à-dire le pouvoir local). Cela signifie
que les salaires moyens sont bas, bien
que le comté ne soit, dans l’ensemble, pas particulièrement touché par
la misère. La délinquance et la peur
de la délinquance y sont limitées. Du
point de vue politique, le pouvoir est à
l’heure actuelle exercé majoritairement
par le parti conservateur, mais tous les
principaux partis politiques ont exercé
leur influence ces dernières années.
Toutefois, la question de la gestion
des déchets ne se trouve pas au centre
des rivalités politiques, si bien que les
changements de majorité n’entravent
pas les efforts menés dans ce domaine.
Par ailleurs, le comté du Shropshire
regorge de paysages exceptionnels : ses
habitants ont donc peut-être davantage
conscience de la nécessité de protéger
l’environnement, ce qui explique sans
doute en partie les exigences accrues
en faveur d’une amélioration des pratiques de gestion des déchets.
Dans le cadre de votre appel d’offres,
avez-vous dû réaliser une Analyse du
cycle de vie (ACV) des systèmes de traitement des déchets que vous souhaitiez
utiliser ?
Nous n’avons pas procédé à une analyse approfondie du cycle de vie de ces
systèmes pour choisir ceux que nous
souhaitions utiliser. En revanche, nous
nous sommes naturellement intéressés,
dans le cadre du processus d’évaluation
des offres, au caractère durable des
solutions proposées. L’analyse du cycle
de vie permet de définir le modèle théorique le plus adapté (bien que celui-ci
soit lui-même fonction des hypothèses
de départ) ; cependant, quel que soit
le modèle proposé, il doit être faisable
sur les plans technique et financier, et
présenter un intérêt du point de vue
environnemental. Nous avons donc
décidé de ne pas réaliser d’analyse
approfondie, et d’axer principalement
notre évaluation sur l’étude des paramètres environnementaux au sens large.
Pourquoi avoir opté pour une PFI25?
Opter pour cette solution a été une
décision simple du point de vue
financier, car cela nous permettait de
bénéficier d’une subvention de près de
90 millions GBP sur toute la durée du
contrat (soit près de 41 millions GBP
en termes courants). Or les autres
options ne nous offraient pas les mêmes
avantages. Sans cette subvention, le
projet n’aurait pas été viable sur le plan
financier, à moins de sacrifier certaines
des améliorations clés apportées au
service dans le cadre de ce contrat.
Opter pour un mode de financement de
type PFI nous a effectivement obligés à
respecter à la lettre un processus de
négociation des contrats clairement
défini, offrant une flexibilité très limitée
sur certains points stratégiques.
Cependant, bien souvent, les problèmes
auxquels nous avons dû faire face se
seraient posés quel que soit le cadre
de négociation du contrat. En outre, ce
manque de flexibilité nous a en réalité
permis, à certains moments, d’accélérer le processus, en évitant aux deux
parties des négociations interminables
sur des points sur lesquels ni l’une ni
l’autre n’aurait été prête à céder. n
25
Initiative de Financement Privé (Private Finance Initiative, en
anglais). La PFI ménage une grande flexibilité contractuelle entre
les partenaires publics et privés, le principe sous-jacent étant
que le partenaire privé assume la majeure partie des risques et
des responsabilités.
La dynamique
britannique :
comment passer de 85%
des déchets municipaux
mis en décharge en 2000
à 40% de déchets recyclés
ou compostés en 2010 ?
Afin de se conformer aux objectifs
européens, le Royaume-Uni conduit
une politique volontariste. Les objectifs
nationaux de taux de recyclage ou de
compostage des déchets municipaux
ont été fixés à 40% pour 2010. En 2006,
le taux de 30% a déjà été dépassé.
Instrument de cette politique, la taxe
de mise en décharge pour les déchets
fermentescibles est passée de 3 à 18
livres la tonne en avril 2005. Elle doit
progressivement être portée à 35 livres.
Par ailleurs, le Waste and Emissions
Trading Act de 2003 a institué un
système de permis à la mise en
décharge négociables, comparable
au système mis en place pour le CO2
dans le cadre du Protocole de Kyoto.
Les 121 autorités locales concernées
peuvent ainsi vendre ou acheter ces
permis. L’amende payable en cas de
dépassement du quota autorisé est
de plus de 150 livres la tonne, contre
30 livres pour un permis de mise en
décharge acheté à une autre collectivité
locale plus performante.
L’introduction de Partenariat Public-Privé
sur des durées de 30 ans a également
permis de financer la gestion et
la construction d’infrastructures
conséquentes.
Parallèlement, et toujours en partenariat
avec le secteur privé, un programme
d’action pour le développement de la
réutilisation et du recyclage a été adopté
- le WRAP (Waste and Ressources
Action Programme). Il est soutenu par
un ambitieux plan de communication
auprès du grand public.
La responsabilité du producteur
Les débats sur le statut du déchet et des matières
premières issues de leur traitement sont principalement animés par les grandes filières traditionnelles
qui font valoir leur réponse aux besoins du marché
avec des ressources dont la production contribue
globalement au respect de l’environnement. Une
tonne de papier recyclé, par exemple, fait économiser 3 tonnes de bois, 20 000 litres d’eau et 1 000
litres de pétrole. Par rapport à la production réalisée
à partir de fibres vierges, elle diminue aussi de 35%
la pollution de l’eau et réduit de 74% les émissions
atmosphériques26.
Si, pour ces filières, la réglementation crée de nouvelles contraintes, elle est au contraire, avec les instruments économiques incitatifs dont elle s’est dotée, la
condition de l’émergence de nouvelles filières.
Depuis les années 90, l’application du principe de
la Responsabilité Élargie du Producteur, la REP (voir
entretien avec Mathieu Glachant), a en effet permis
l’organisation de filières que le marché n’aurait pas
spontanément créées, ou imposé des conditions
de traitement plus exigeantes, comme pour les
véhicules hors d’usage. Cependant, un rapport de
la Commission européenne indiquait en 2005 que
« les directives existantes sur la responsabilité des
producteurs en matière de flux de déchets, prises
toutes ensemble, ne concernent que 7% du volume
total des déchets. » Explication : ces directives ont
été élaborées pour répondre à des problèmes particuliers et la question se pose de savoir si de nouvelles mesures du même type, c’est-à-dire la multiplication de filières spécifiques, sont la solution pour
un effet plus général.
Par ailleurs, le rôle des éco-organismes, chargés d’organiser le traitement des déchets pour le compte des
entreprises qu’ils représentent, est parfois contesté
tant du point de vue économique que pour son caractère insuffisamment incitatif en matière de prévention
ou d’accroissement de la qualité des matières recyclées. Or, tel que défini à l’origine, le principe de la
REP fixe plusieurs objectifs : réduire les déchets à la
source, promouvoir l’éco-conception et contribuer à
la fois à une meilleure gestion des ressources et au
développement du recyclage. Dans les faits, c’est
essentiellement ce dernier axe qui a prévalu.
26
Source : BIR
L’Analyse du Cycle de Vie,
pivot incontournable de la prévention
L’analyse du cycle de vie est l’outil qui
permet d’évaluer et de quantifier les impacts environnementaux des produits ou
des services tout au long de leur durée
de vie, du berceau jusqu’à la tombe, à
l’aide d’une dizaine de critères.
Aussi appelée éco-bilan dans les premières années de son existence, l’ACV
est devenue une norme ISO sur laquelle
peuvent se baser plusieurs types de
démarches, comme les éco-labels ou
l’éco-conception.
L’ACV constitue une approche
multicritères, à tous les stades :
• extraction des matières premières ;
• transport ;
• fabrication et conditionnement ;
• distribution et consommation ;
• fin de vie et gestion des déchets.
Elle est normalisée au niveau international (ISO 14040 à 14043).
Une analyse comporte trois phases :
• un bilan complet des consommations
de ressources naturelles et d’énergie
ainsi que des émissions dans l’environnement (air, eau, sols, déchets) de l’ensemble des procédés étudiés ;
• une agrégation des flux de matières et
d’énergie prélevés et rejetés dans l’environnement à chacune des étapes ;
• une évaluation des indicateurs d’impacts sur l’environnement.
Approche globale
et analyse du cycle de vie
Le 6e programme d’action communautaire pour l’environnement propose une approche globale avec une
vision qui intègre les politiques en matière de ressources, de produits et de déchets. Outil commun de ces
politiques, l’analyse du cycle de vie, ou ACV, permet
une évaluation des impacts d’un produit ou d’un process sur l’environnement en couvrant l’ensemble d’un
cycle « du berceau à la tombe ». Mise au service des
stratégies pour l’utilisation durable des ressources
naturelles et le recyclage des déchets, l’ACV permet
d’agir à tous les niveaux, même si son caractère
« scientifique » est relatif et si son paramétrage doit
tenir compte de contextes différents : l’impact de
la dépense énergétique, par exemple, diffère selon
l’origine de l’énergie consommée et des émissions
polluantes qui en résultent.
Sujette à débat au moment de son apparition dans
les années 1990, l’ACV est aujourd’hui considérée
comme un réel outil d’aide à la décision. Au niveau
industriel, elle participe aux démarches d’éco-conception qui visent non seulement à réduire à la source
les impacts environnementaux de la fabrication des
produits, de l’organisation des process et de la défini-
L’approche ACV permet :
• d’évaluer les effets quantifiables
sur l’environnement d’un service ou d’un
produit depuis l’extraction des ressources
naturelles nécessaires à son élaboration
jusqu’aux filières de traitement en fin
de vie ;
• d’identifier les éventuels déplacements
de pollution d’un milieu naturel vers un
autre ou d’une étape du cycle de vie vers
une autre ;
• de comparer le bilan environnemental
de différentes situations sur la base d’un
même service rendu (ex. traiter une tonne
de déchets).
tion des services, mais aussi à faciliter la réutilisation
ou le recyclage des produits arrivés en fin de vie.
Au niveau des politiques publiques, elle répond à un
besoin de fonder les arbitrages entre les différents
modes de valorisation. L’analyse du cycle de vie
peut ainsi conduire à reconsidérer la hiérarchie du
traitement qui privilégie a priori le recyclage par
rapport aux autres formes de valorisation, lorsque
les évaluations et les analyses de coûts-bénéfices
« indiquent clairement qu’une autre possibilité de
traitement offre un meilleur résultat pour un flux de
déchet spécifique »27.
Enfin, les opérateurs du
traitement des déchets
et du recyclage peuvent
aussi recourir à l’ACV.
Le groupe Veolia en a
fait un principe appliqué à ses procédés industriels
et aux produits utilisés, avec une prise en compte,
d’amont en aval, de tous les impacts directs et indirects de son activité.
Un besoin de fonder
les arbitrages entre les
modes de valorisation
27
Parlement européen, février 2007, P6_TA(2007)0029 et Rapport sur la
proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux
déchets, décembre 2006 (COM(2005)0667 – C6-0009/2006 – 2005/0281(COD)
Pour des règles communes
et appliquées
Le recyclage s’est depuis longtemps développé sur
de grandes filières dont le principal moteur n’était
pas la protection de l’environnement. Autour de
cette préoccupation assez récente, un appareil
législatif s’est construit. Il couvre aujourd’hui un
vaste champ d’activités
et de filières, mais se
traduit par des déclinaisons variables d’un
pays à l’autre. En Europe, ces différences
découlent du principe de subsidiarité qui, comme
l’a récemment souligné Pierre Rellet, président de
la FNADE, « laisse toute latitude aux États membres
pour la transcription des textes européens »28. Double
conséquence rappelée par le président de la FNADE :
la sécurité et la traçabilité ne sont pas assurées
Développer des normes
minimales communes pour
favoriser le recyclage
de manière uniforme et ce défaut d’harmonisation
crée, sur les conditions de traitement des déchets
dans les différents marchés nationaux, des distorsions de concurrence préjudiciables aux plans
économique et environnemental.
L’homogénéisation du cadre juridique et l’efficacité
d’une police écologique internationale sont assurément la condition pour un développement du
recyclage qui concilie la protection de l’environnement, les contraintes économiques et les capacités
industrielles. Installations de traitement soumises
aux mêmes contraintes, référentiel des matières
solidement établi et sanctions immédiates pour les
contrevenants permettraient d’assainir le marché et
de libéraliser les échanges, dès lors que les garanties seront effectivement apportées dans la chaîne
de valorisation. Veolia Propreté s’est notamment
exprimé en ce sens29, et certaines initiatives européennes comme Seaport sur le contrôle des exportations traduisent une volonté commune qui trouve
aussi des échos au niveau mondial, à l’exemple des
mesures également prises pour les D3E au Japon,
en Chine et aux États-Unis.
En septembre 2007, le commissaire européen pour
l’environnement Stavros DIMAS s’exprimait ainsi
dans une interview : « Un cadre européen et des
règles communes sont nécessaires pour que le
recyclage et la valorisation des déchets soient
favorisés. Une approche trop nationale de la réglementation du recyclage et de la valorisation aurait
pour effet de morceler les marchés et de décourager
le recyclage. D’un autre côté l’absence de normes
environnementales claires pour les activités du
recyclage et les matériaux recyclés engendre des
risques d’atteinte à l’environnement. C’est pour
ces raisons que la Commission présente comme
meilleure approche pour l’Europe de développer
les normes minimales communes qui permettront à
ces marchés porteurs de progrès environnemental
de prospérer.
L’émergence d’un accord au niveau européen en
multiplie les effets et produit des améliorations
environnementales dépassant les frontières des États
membres »30. n
9 e assises des déchets, La Baule, septembre 2007
7 propositions pour une gestion responsable des déchets
30 e
9 assises des déchets, La Baule, septembre 2007
28
29
Norvège moteur du recyclage
en Europe grâce à la mise en place dès 1981
du principe « pollueur-payeur »
Nouvelle Secrétaire d’État
au Ministère norvégien de
l’Environnement, Heidi Sorensen, porte-parole de la Gauche Socialiste (SV), ancienne
militante environnementale et membre du
Parlement, expose la culture et les politiques
norvégiennes vis-à-vis du recyclage.
En Norvège, le secteur de la gestion des
déchets a connu une très forte croissance ces
quinze dernières années. Cette évolution est
liée à de nombreux facteurs. Une meilleure
information sur les bienfaits du recyclage, et
une sensibilisation à la nécessité de protéger l’environnement, notamment, ont permis
d’améliorer l’efficacité du suivi des déchets et
de diffuser les bonnes pratiques en matière
de gestion des déchets. Outre la surtaxe
appliquée aux centres de stockage et aux
incinérateurs, l’État a mis en place un droit dit
de « responsabilité des producteurs ».
Les surtaxes appliquées à la gestion des
déchets en Norvège sont parmi les plus élevées
au monde. Ces surtaxes concernent à la fois
les déchets ménagers et industriels, illustrant
ainsi en particulier le principe « pollueurpayeur ».
« Il est parfaitement normal que le pollueur
supporte également le coût du recyclage et des
autres enjeux environnementaux inhérents à
la consommation et à la gestion des déchets,
déclare Heidi Sorensen. Concernant les déchets
ménagers, le pollueur – en l’occurrence, le
consommateur – contribue financièrement par
le biais des taxes municipales sur les ordures
ménagères. En Norvège, le principe « pollueurpayeur » a été mis en pratique dès 1981. »
Ce principe est en effet fermement ancré dans
la politique environnementale de la Norvège,
tant à l’échelon national qu’à l’échelon international. Il signifie que le pollueur est tenu de
couvrir une partie des coûts associés aux
mesures de protection de l’environnement,
ainsi qu’à la gestion des déchets et au recyclage.
En Norvège, les surtaxes, mises en place en
1999, s’appliquent à la fois à l’incinération et
au stockage des déchets. Elles visent à souligner les coûts environnementaux associés à
la gestion des déchets. La hausse du coût du
stockage et de l’incinération facilite ainsi
la prise de conscience des pollueurs. L’objectif
premier est de limiter la production de déchets
à la source. À moyen terme, nous espérons
que le poids de ces surtaxes rendra la filière
recyclage plus attrayante et plus rentable,
donc plus populaire, continue Heidi Sorensen. La clause relative à la responsabilité du
producteur fait partie intégrante du système
pollueur-payeur. Elle permet à l’industrie
d’organiser et de financer les opérations de
collecte et de gestion des déchets industriels,
et de faire appel à des professionnels de la
gestion des déchets comme Veolia Propreté.
Sans ces réglementations, la continuité de
l’approvisionnement en déchets recyclables
ou valorisables ne serait pas garantie.
Bien que la Norvège ne soit pas membre
de l’Union européenne, elle applique toutefois
la plupart des règles et directives émanant
de Bruxelles. La Norvège joue même, dans
certains domaines, un rôle moteur parmi les
pays de l’UE.
« Signataire de l’Accord sur l’Espace Économique Européen, la Norvège est tenue
d’appliquer les normes européennes, explique
Heidi Sorensen. Mais dans certains domaines,
ce sont les normes norvégiennes qui ont, à
l’inverse, servi de base à la législation européenne. Par exemple, concernant la sécurité
du stockage des D3E, les recommandations
de la Norvège ont été prises très au sérieux
par l’UE, et ont occupé une place centrale lors
de l’élaboration des Directives relatives à la
gestion des D3E. »
« Nous avons un ensemble très complet
et très strict de mesures liées à la protection
de l’environnement »
Entretien avec Lee Yuen Hee,
Directeur de l’Agence Nationale de l’Environnement de Singapour depuis 2005, il avait précédemment occupé des
postes clés dans différents ministères singapouriens (Finances, Communication, Commerce et Industrie, Défense).
Singapour a la réputation d’être une
des villes les plus propres du monde.
Laisser tomber un papier par terre est
une infraction passible d’amende sur
le champ…
Comment abordez-vous la question des
déchets à Singapour ?
Singapour a un problème essentiel :
sa taille. 700 km2. Et sur ces 700 km2
il faut faire cohabiter 4 millions et
demi d’habitants, des logements, des
entreprises, des usines, des espaces
verts, des routes, un aéroport international… C’est l’équation de base de
Singapour. Dans ce contexte il n’y a pas
d’autre option que d’aborder la question
des déchets, et de l’environnement en
général, avec la plus grande attention.
Nous avons donc depuis longtemps un
ensemble très complet et très strict de
mesures liées à la protection de l’environnement.
À quand remonte la politique environnementale de Singapour ?
Le premier bureau anti-pollution a été
créé en 1968. À l’époque, l’attention
portait surtout sur l’hygiène alimentaire ;
il y avait eu quelques cas d’empoisonnement et il fallait améliorer la propreté
des lieux publics, des rues, des restaurants. Après l’indépendance (1965), le
gouvernement s’est également rendu
compte que pour attirer ici des entreprises étrangères, il était important de
fournir un cadre propre. Dès 1972,
nous avons eu un ministère de l’environnement.
Comment contrôlez-vous le respect des
règles en matière d’environnement ?
Nous sommes signataires d’à peu près
tous les traités internationaux (Convention de Bâle, Traité de Rotterdam,
Protocole de Kyoto, etc.) et nous imposons les critères internationaux les plus
stricts aux entreprises implantées ici.
L’un des rôles de notre agence, qui emploie 3000 personnes, est de faire régulièrement des contrôles. Des capteurs
contrôlent en permanence la composition de l’air. L’augmentation du nombre
de voitures est limitée à 3% par an…
en plusieurs secteurs qui accueillent
chacun des cendres et des déchets de
construction (gravas, etc.). Plusieurs
autres possibilités sont également à
l’étude pour l’utilisation des cendres,
notamment pour les soubassements
de route…
La population Singapourienne est-elle
sensible à la nécessité de recycler ?
Les mentalités évoluent doucement.
Comment s’effectue le traitement des
Mais il y a encore beaucoup de chemin
déchets ménagers ?
à parcourir. Les enfants en revanche y
On est passé en production de déchets
de 1200 tonnes par jour dans les années sont beaucoup plus sensibilisés.
Ils connaissent tous la règle des « 3r » :
70 à près de 8000 tonnes par jour en
2000. Certes dans la même période on « réduire (la consommation), réutiliser, recycler ». Toutes les écoles ont
a connu une forte croissance économique et une augmentation de 50% de la des stations de recyclage. Comme les
Singapouriens voyagent beaucoup, ils
population (de 3 à 4,5 millions). Nos
voient qu’au Japon, par exemple,
décharges se sont vite remplies. En
les gens recyclent beaucoup plus.
1997, elles étaient d’ailleurs pleines.
Les expatriés qui vivent ici demandent
Dès 1979 nous avons inauguré la
première unité d’incinération. À présent aussi qu’il soit plus facile de recycler.
Progressivement, la population
nous en avons quatre. Une cinquième
est en construction qui viendra rempla- commence à percevoir que c’est bien
d’être « vert » mais tout le monde serait
cer en 2009 la toute première. Cette
plus motivé s’il y avait une incitation
méthode nous a permis de réduire de
financière. Nous cherchons aussi à
90% le volume des déchets.
Nous parvenons aussi à récupérer 3500 faire passer le message de minimiser,
dès la production, la quantité de futurs
tonnes de métal par an. L’un de nos
déchets, en travaillant notamment avec
prestataires de collecte vient de nous
les emballeurs. De même que nous
proposer un projet d’usine pour trier
cherchons à réduire progressivement
davantage les déchets avant incinéranotre consommation d’énergie, en
tion. Elle souhaite économiser les frais
encourageant les promoteurs immobiliers
d’incinérateur, calculés au poids, et en
à construire des immeubles «écologimême temps récupérer des matières
ques », en optimisant la récupération
premières secondaires. C’est le genre
d’énergie dans les transports publics,
d’initiatives que nous encourageons.
et en aidant la promotion des produits
Que faites-vous des cendres ?
avec les meilleurs rendements énergétiNous avons créé une décharge offshore, ques notamment les climatiseurs et les
réfrigérateurs. Paradoxalement,
en construisant deux murs entre deux
nous qui importons la quasi-totalité
petites îles. Une fois vidée de son eau
de nos sources d’énergie, c’est de nos
de mer, nous avons divisé cette zone
Décharge offshore de Semakau (Singapour), pour le stockage des cendres des unités d’incinération et des déchets de construction
déchets que nous tirons les seuls
3% d’électricité que nous ne devons
pas importer.
Quels sont les taux de recyclage ?
Pour le papier et le bois, nous atteignons environ 36%, mais nous devons
exporter le papier car nous n’avons pas
d’usine à papier ; pour les déchets du
bâtiment : 98%...
En moyenne générale, nous étions à
40% en 2001 et avons atteint 51%
à présent. Notre objectif est de 60%
en 2012.
Qu’en est-il du recyclage des produits
électroniques ?
Quatre usines spécialisées dans le recyclage des produits électroniques en fin
de vie ont vu le jour en peu de temps
à Singapour. Ils en retirent les métaux
précieux. Nous y sommes favorables
pourvu que leurs opérations soient bien
contrôlées. Nous ne voulons pas être
traités d’irresponsables sous prétexte de
laisser entrer à Singapour des déchets
considérés comme dangereux.
Or, la convention de Bâle classifie un
certain nombre de produits électroniques
en fin de vie comme « dangereux », les
écrans d’ordinateurs à tube cathodique
par exemple. Nous n’avons pas non plus
tellement besoin de tous les « restes »,
une fois le produit dépecé. Disons que
nous sommes assez prudents sur ce
sujet et que nous étudions les dossiers
au cas par cas, en gardant à l’esprit que
notre priorité est de régler le problème
des déchets de Singapour avant de
s’intéresser aux déchets du reste de la
planète ! n
Un paysage industriel
en mutation
Avec une accélération soudaine, le recyclage rattrape son retard en intégrant
les moyens de l’industrie. Images inversées des chaînes de montage,
les lignes de déconstruction s’installent dans des unités productrices
de matières recyclées. Les technologies du tri transforment le métier des
déchets, tandis que la recherche et développement explore les ressources
des gisements et leur ouvre des débouchés.
Environ la moitié du papier, du carton et de l’acier
fabriqués dans le monde, plus de la moitié des
métaux non ferreux, 60% du verre à l’échelle européenne, sont produits à partir de matière recyclée31.
Ces chiffres, qui marquent la contribution indispensable du recyclage au fonctionnement de l’économie mondiale, ne disent pas cependant la transformation profonde qui anime un secteur d’activité qui
fut longtemps celui de la récupération.
« Depuis dix ans, explique Bernard Lanfranchi,
directeur des marchés de Veolia Propreté, la législation
européenne a été très structurante pour l’évolution
de nos métiers, depuis nos activités historiques
de l’élimination des déchets vers les activités de la
valorisation. » Gestion des déchets et recyclage
sont désormais sujets à un développement conjoint.
L’acte de dépollution s’inscrit dans la séquence du
recyclage tandis que des objectifs de valorisation
accrue imposent de prendre en compte une fraction supplémentaire du déchet, jusque-là négligée
parce que difficile à valoriser : recycler mieux et
davantage selon des procédures qui garantissent
la sécurité sanitaire et environnementale. « Tout
prendre, tout traiter, tout tracer », résume Michel
Valache, directeur régional Ile-de-France de Veolia
Propreté, pour marquer la différence avec des pratiques moins exhaustives ou moins scrupuleuses.
31
Économie du déchet, Gérard Bertolini, Éditions Technip, 2005
Ainsi s’efface une frontière, déjà quelque peu perméable. À partir de deux pôles traditionnels – gestion des déchets et récupération ou recyclage – et à
l’image des autres secteurs d’activité, un mouvement
de consolidation s’opère. Comme le souligne l’économiste Gérard Bertolini, dans une activité de plus en
plus capitalistique qui bénéficie des apports de technologies de pointe, le « ticket d’entrée » est de plus
en plus élevé 32. Les investissements sont importants,
leur amortissement dépend de la maîtrise des gisements et de la massification des flux. Les réponses
attendues sont complexes et nécessitent aussi des
ressources en ingénierie et des moyens en recherche
et développement.
Mouvements croisés de concentration
En France, les filières du recyclage ont vu le nombre des établissements passer de 4700 à 3400 entre
1999 et 2006 33. Aux États-Unis, les quatre principaux
opérateurs concentrent 45% du marché de la collecte et 30% de celui du recyclage34. Les acquisitions
réalisées par Veolia Propreté s’inscrivent dans cette
logique. « Tous les facteurs sociaux, réglementaires et
économiques convergent pour inciter au recyclage,
marges de progrès :
Un emballage sur deux…
Le taux moyen de recyclage des emballages
a atteint 53% en 2001 au sein de l’Union européenne qui a situé les objectifs entre 55% et
80% pour 2009.
Un état publié par Bruxelles en 2005 indiquait
que, dès 2002, 7 pays avaient déjà dépassé
les objectifs de 2009 : l’Allemagne avec 74%,
la Belgique avec 70%, l’Autriche avec 66%,
la Suède avec 65%, le Danemark, le Luxembourg et les Pays-Bas avec 57%.
36
Panorama mondial des déchets, op. cit.
ADEME - Les déchets en chiffres - Édition 2007
Économie du déchet, op. cit.
Federec, Conférence de presse du 4 juillet 2007
34
Improving recycling markets, OCDE 2006
32
33
des gisements inégalement exploités
Hors valorisation énergétique, le pourcentage
des déchets municipaux recyclés est à peine
supérieur à 30% aux États-Unis.
Il est de 35% au sein de l’Europe des Quinze
– où la moyenne masque des écarts allant de
moins de 10% à plus de 60%.
Il se situe autour de 18% dans les nouveaux
pays membres de l’Union européenne ainsi
qu’en Chine. Il est de 15% au Japon35.
35
explique Jérôme Le Conte, directeur général de
Veolia Propreté France et responsable du recyclage
au niveau européen. Notre objectif est clairement
d’exploiter les gisements au maximum de la valeur
ajoutée que nous pouvons apporter, c’est-à-dire
jusqu’à la livraison d’une matière directement
exploitable par les industriels utilisateurs, et cela
sur toutes les filières. »
Cependant, l’enjeu concurrentiel ne se réduit pas à
l’intégration verticale des métiers, depuis la collecte
jusqu’à la production de matière recyclée. « Il y a
un avantage compétitif à disposer d’une offre globale qui permet de faire bénéficier nos clients de
tous les leviers de valeur ajoutée en conjuguant tous
les modes de traitement, poursuit Jérôme Le Conte.
À fortiori quand ces clients sont eux-mêmes
de grands industriels et souhaitent trouver chez
un prestataire unique des solutions pour tous leurs
déchets, banals et dangereux, incluant les bonnes
options de valorisation. À quoi s’ajoute l’ensemble des
services à l’environnement offerts par notre groupe. »
Déchets biodégradables
La directive européenne de 1999 sur
la réduction des déchets indique que la quantité
de déchets municipaux biodégradables mis
en décharge doit être réduite à : 75%
au 16 juillet 2006, 50% au 16 juillet 2009,
35% au 16 juillet 2016, pourcentages mesurés
par rapport à la totalité des déchets municipaux
biodégradables produits en 1995 ou au cours
de la dernière année avant 1995 pour laquelle
on dispose de données normalisées d’Eurostat.
En d’autres termes, sur la fraction fermentescible des déchets, 50% puis 65% devront être
valorisés aux échéances respectives de 2009
et 2016.
En France, les déchets fermentescibles
représentent, hors papier et carton, environ
28% des déchets ménagers, mais la proportion
valorisée par un traitement biologique –
compostage et méthanisation – n’est que
de 6%36.
Une révolution industrielle récente
L’industrialisation du recyclage est l’autre fait marquant de la mutation en cours. Le recyclage des ferrailles et des métaux non ferreux progresse certes
depuis la fin des années 1950 qui ont vu apparaître
les broyeurs, mais la collecte sélective des emballages, qui a conduit au développement de technologies pour le tri des déchets ménagers, est beaucoup plus récente. Elle a été initiée en Allemagne
en 1991, introduite en France en 1992, et inscrite
dans une directive européenne en 1994. Tandis que
le volume des matières collectées ne cessait d’augmenter, les emballages représentant environ 50%
des volumes des déchets ménagers et assimilés
des pays de l’OCDE, les technologies disponibles
- mécanique, magnétique, aéraulique, optique - ont
été intégrées. Elles ont permis une automatisation
avancée des centres de dernière génération, comme
ceux de Rillieux-la-Pape en France, et de Greenwich
en Angleterre, qui constituent des références pour
Veolia Propreté. « Aujourd’hui, explique Dominique
Hélaine, responsable de la cellule stratégie à la
Direction Technique et des Investissements du
groupe, une maturité a été atteinte en terme d’efficacité du tri des déchets d’emballages. Il reste des
progrès à faire pour en améliorer le taux de collecte
puisqu’en Europe le taux de recyclage moyen des
emballages est d’environ 55%. En revanche, les
technologies ne sont pas directement transférables à
d’autres flux, tels que les déchets industriels banals
qui nécessitent des développements spécifiques en
matière d’outils de tri. »
Les filières traditionnelles des métaux et du papier
ont appris à distinguer des niveaux de qualité dans
les flux entrants, puis le tri des emballages a su
appliquer des techniques séparatives à des flux
continus de matières diverses, toutefois associées à
des formes constantes – bouteilles, flacons, canettes,
journaux, etc. – dont la nature est bien identifiée.
Les nouveaux défis portent sur des flux plus hétérogènes et plus
complexes, dont
celui des D3E 37
– le plus représentatif d’une évolution majeure qui confronte l’activité du recyclage, non plus seulement à des flux de
matières, mais aussi à des flux de produits. « Des
produits plus complexes à traiter, en raison de leurs
composants dangereux et de leur miniaturisation,
et qui contiennent par ailleurs moins de matières à
haute valeur », rappelle Bernard Lanfranchi.
Démonter, démanteler, dépolluer, séparer les
matériaux et les valoriser… une nouvelle industrie
se structure, dont l’un des enjeux est de pouvoir
constituer une alternative aux traitements informels
et dangereux, particulièrement pratiqués en Asie,
qui concernent aussi bien les ordinateurs et les
téléphones portables que les navires en fin de vie.
L’intégration des technologies de l’information est
enfin un facteur décisif de progrès pour la gestion
des flux, avec un bénéfice considérable en matière
de sécurité et de traçabilité.
L’alternative aux traitements
informels et dangereux
Des gisements sous-exploités
Pour autant, le défi ne se limite pas aux gisements
nouvellement désignés par la réglementation, dont
le traitement est financé grâce à l’application du
principe de la REP – la Responsabilité Élargie du
Producteur – et aux contributions du consommateur. La part majoritaire des déchets, quel que
soit le pays, échappe encore au tri et alimente les
décharges ou les incinérateurs. Leur potentiel de
valorisation n’est pourtant pas négligeable.
Convoités lorsqu’ils sont triés à la source, qu’il
s’agisse de chutes de production ou d’emballages,
les déchets industriels et commerciaux ont été largement sous-exploités dès lors qu’ils étaient collectés en mélange. Ainsi que les déchets du BTP, ils
sont désormais davantage pris en compte. À l’image
de ce qu’il s’est passé pour les emballages, et avec
les mêmes technologies de base redimensionnées,
des unités spécialisées voient le jour, qui permettent, après broyage, de séparer les matières.
Les déchets fermentescibles représentent un autre
gisement majeur. On estime à 1,2 milliard de tonnes
les déchets municipaux collectés dans le monde38,
tandis que 1,8 milliard de tonnes seraient produites39. Le pourcentage de leur fraction organique est
estimé de 30 à 45% en Europe et dépasse les 75%
dans les pays en développement. Or cette matière est
une richesse dont le monde a un besoin vital, autant
pour se nourrir que pour stocker le CO2. L’appauvrissement des sols est en effet un sujet préoccupant,
que la croissance démographique et l’intensification
de l’exploitation agricole vont encore aggraver.
Plusieurs solutions sont envisagées pour éviter la
pollution des déchets fermentescibles, soit en faisant
évoluer les critères de la collecte séparative (voir
encadré page 55), soit par un développement
technologique qui permettrait le tri sur un flux en
mélange. La production d’un compost de qualité
peut enfin intervenir après valorisation énergétique
de la matière par captation du biogaz.
Recherche et Développement
jusqu’au déchet ultime
Sauf à multiplier les moyens de collecte séparative,
avec leurs coûts associés – schéma a priori exclu et
hors de portée pour de nombreux pays –, le potentiel de développement du recyclage réside dans les
capacités des procédés de tri mis en œuvre. Cette
première et déterminante étape de la valorisation des
déchets mobilise les efforts de recherche et développement. Dominique Hélaine en résume les principes :
« Il existe aujourd’hui des outils complexes dont l’utilisation est perfectible, notamment sur la manière dont
ils sont agencés, notre valeur ajoutée étant alors celle
d’un ingénieriste de conception. C’est un premier axe
de recherche. Un second axe réside dans notre capacité à identifier des technologies mises en œuvre dans
d’autres secteurs et qui pourraient être transférées à
notre activité. Le troisième axe ne vise plus les outils
mais les matériaux qui échappaient jusqu’alors à nos
possibilités de tri. Cela concerne notamment beaucoup de produits qui présentent à la fois une certaine
forme de toxicité, mais aussi une valeur en terme de
recyclage, certains métaux par exemple. »
Déchets d’équipements électriques et électroniques
Panorama mondial des déchets, CyclOpe, Ed. Economica 2006
39
Économie du déchet, op. cit.
37
38
« Produire mieux : une ambition industrielle et
technologique, mais aussi un progrès humain »
Entretien avec Olivier Doyen,
Responsable du département Tri et Valorisation du Centre de Recherche sur la Propreté et l’Énergie de Veolia Environnement
Comment définiriez-vous votre rôle,
quels sont vos axes de recherche ?
Notre rôle consiste à permettre à Veolia
Environnement d’être un producteur de
matières premières secondaires et de
combustibles issus des déchets doté
d’une valeur ajoutée supérieure à celle de
ses concurrents. En clair : nous aidons
Veolia Environnement à produire plus et
mieux. Dans ce contexte, notre principal
axe de recherche est l’automatisation de
nos centres de tri, ce qui ne va pas sans
des conséquences sociales importantes,
que j’évoquerai plus loin. Au plan technique, nous devons répondre aux questions
suivantes : comment, sur un tapis qui
avance à une vitesse de 3 mètres par
seconde, soumettre chaque objet à un
outil d’analyse en évitant les perturbations générées par les chevauchements
et la proximité d’objets de matières différentes ? Comment détecter les superpositions d’objets, les corriger, et comment
maintenir les objets en place pour que
les opérations d’extraction soient bien
ciblées ? Pour cela, nous recourons à des
technologies d’analyse non intrusives –
le proche ou le moyen infrarouge et les
rayons X – qui peuvent être couplées avec
d’autres systèmes pour parvenir à une
identification fine des matériaux. Il faut
ensuite développer les moyens permettant l’extraction à grande vitesse. Pour
donner un ordre de grandeur, quand une
ligne d’embouteillage traite au maximum
80 000 bouteilles par heure – toutes
identiques –, nous devons, nous, trier,
chaque heure, plusieurs centaines de
milliers d’objets différents.
nos centres de tri. Cette année nous
avons ainsi étendu les possibilités d’utilisation d’une machine de tri optique,
grâce à un dispositif où différents ordres
d’éjection sont donnés sur un flux
analysé en boucle. À chaque passage,
les critères de sélection sont modifiés.
Un progrès particulièrement intéressant
pour les centres de faible capacité et
les petits flux de matière.
Au-delà du tri, se pose la question de la
valorisation des matières.
C’est toute la question de l’intégration verticale. Jusqu’où va-t-on dans
la préparation des matières ? Selon
la réponse, les process peuvent varier
considérablement. Prenons un exemple. On peut chercher à concentrer un
certain type de plastique comme le PET
au niveau de nos centres de tri, mais
si le cahier des charges demande de
fournir une matière lavée et un certain
degré de pureté, l’opération de tri peut
s’effectuer plus en aval, à partir de
différents plastiques broyés, séparés
en fonction de leur densité par flottation. L’intégration verticale ouvre ainsi
à d’autres techniques potentiellement
plus intéressantes. En contrôlant toute
la chaîne de production de matière première secondaire, nous pouvons agir au
stade le plus pertinent, en fonction de
nos objectifs de qualité et de réduction
des coûts et des dépenses énergétiques,
avec un résultat environnemental nettement plus favorable.
dépendant du débouché des matières
produites et des demandes de leurs
utilisateurs. Notre connaissance des
matériaux et des besoins des industriels
fait aussi entrevoir un dialogue plus
étroit en matière d’éco-conception.
Le chercheur en valorisation sera
légitime à conseiller l’industriel pour
l’utilisation d’une résine plutôt qu’une
autre, du fait de ses propriétés pour un
usage donné et du meilleur bilan de son
cycle de vie.
Vous souhaitiez revenir sur les conséquences sociales des évolutions que
vous décrivez.
Oui, parce que je veux souligner que
la dimension humaine est totalement
intégrée dans notre démarche. Lorsque
nous développons l’automatisation,
nous générons certes une perte potentielle d’emplois. Mais l’automatisation
permet de baisser les coûts de production
et d’accéder à des gisements qui ne
sont pas encore triés. Elle crée donc
aussi des emplois. Et nos simulations
indiquent même qu’elle en crée beaucoup plus qu’elle n’en supprime.
En outre, ces emplois changent de
nature. Ils concernent le contrôle, la
maintenance, la logistique. À chaque
nouveau développement technique,
nous en analysons les conséquences
en termes de formation professionnelle
et nous recherchons toujours le meilleur
équilibre dans le couple homme
machine. La recherche de nouvelles
solutions techniques est donc pour nous
Peut-on en déduire un modèle type pour indissociable dans la durée de l’évolution
les unités de valorisation de demain ?
professionnelle des collaborateurs du
Pouvez-vous déjà faire état de résultats ? Le mot clé c’est le pilotage. C’est-à-dire groupe. n
la capacité à régler l’outil industriel
Notre ambition est simple : il s’agit
d’apporter chaque année au groupe une en fonction de l’origine des déchets,
solution immédiatement intégrable dans et du résultat recherché, ce dernier
L’analyse des déchets effectuée dans les centres de
recherche réduit aussi peu à peu le périmètre des
« déchets ultimes » dont le président du BIR rappelle volontiers que leur qualification dépend, selon
la définition officielle, « des conditions techniques et
économiques du moment ». La directive européenne
sur les véhicules hors d’usage en apporte un exemple lorsqu’elle fixe à 95% pour 2015 les taux de
valorisation attendus. Dans un rapport de janvier
2007, la Commission européenne indiquait à ce sujet :
« Le recyclage et la valorisation des matières plastiques issues des résidus de broyage seront nécessaires si l’on souhaite atteindre les objectifs actuels
pour 2015. » Le déchet ultime est aussi celui qui
ne se voit pas. Des métaux précieux – à l’état de traces – sont extraits d’effluents toxiques, et recyclés, et
« de véritables mutations de la matière », comme
l’exprime Michel Valache, sont opérées grâce aux
technologies de la chimie.
La place de l’humain
Le recyclage, dans sa forme industrielle, renouvelle
l’économie des ressources en même temps qu’il
requalifie certains métiers de la gestion des déchets.
Collectes séparatives :
La séparation des matières est d’autant
plus efficace qu’elle s’effectue en amont.
C’est le principe de la collecte sélective
des ordures ménagères organisée en
porte à porte, ou dans les déchèteries et
autres points d’apport volontaire, modes
plus économiques et en développement.
Les critères de séparation des flux, et
leur nombre, diffèrent selon les pays ou
les régions.
L’exemple allemand
L’Allemagne est régulièrement citée en
exemple pour sa politique en faveur du
recyclage. Par un décret datant de 1991,
le citoyen a été désigné comme « producteur-trieur » de ses déchets. En Allemagne, la collecte distingue 7 flux, dont 5
collectés en porte à porte : papier carton,
emballages de toutes natures, y compris
les sacs plastique, déchets biodégradables, déchets résiduels et encombrants.
Les opérations de tri ont longtemps été assimilées à
de basses tâches, à des conditions de travail inévitablement pénibles, génératrices de troubles et exposées à des dangers. Le tri manuel est encore le
cas le plus général, et les petites unités ne pourront,
en l’état des outils disponibles et de leur coût, intégrer des solutions automatisées. Si l’automatisation
menace certains emplois, qui sont aussi les plus
pénibles, en retour le développement du recyclage
est susceptible d’en créer. Il le fait notamment en
partenariat avec des entreprises d’insertion – et la
montée en puissance de nouvelles filières sera aussi
créatrice d’emplois. « On peut concevoir qu’à l’avenir
la quasi totalité des flux fasse l’objet d’un tri, explique
Dominique Hélaine. Ce n’est pas seulement une évolution industrielle, c’est également un changement
culturel profond qui donne à cette fonction un autre
statut. » Des développements techniques en cours
vont maintenir le rôle de l’homme dans sa fonction
de contrôle tout en permettant son intervention à distance, sans contact direct avec les déchets. Changer
les conditions de travail, c’est aussi en changer la
nature. Ce n’est pas le moindre défi du recyclage
que de réussir aussi cette mutation. n
à la recherche du meilleur compromis
Le verre et les substances dangereuses
sont collectés par apport volontaire. Les
déchèteries distinguent jusqu’à 15 catégories de déchets. L’Allemagne pratique
également la consigne des bouteilles, en
verre mais aussi en plastique.
Cette organisation traduit une culture
environnementale et un esprit civique
développé. Elle implique aussi des coûts
élevés. D’autres pays européens, et
certains États américains pratiquent aussi
une politique volontaire en valeur du
recyclage, avec un fort développement
des collectes sélectives.
Les limites du modèle français
En France, le cas le plus général
distingue 2 flux, hors collecte du verre :
les emballages et les journaux, d’une
part, les résiduels de l’autre.
En dépit d’une certaine réussite, ce
système présente des inconvénients.
La collecte des emballages, limitée aux
bouteilles et flacons, exclut d’autres
plastiques valorisables. La collecte des
fermentescibles mêlés aux résiduels les
exposent à des pollutions préjudiciables
à la production de composts de qualité.
Une hypothèse…
Sur ces questions en débat, la recherche
du meilleur compromis entre contraintes,
coûts et efficacité conduit à l’hypothèse
de 3 flux principaux : le verre, les biodégradables (incluant les bioplastiques) et
l’ensemble des déchets secs, ces derniers
pouvant être triés avec les technologies
déjà mises en œuvre. Ce modèle ne
résout pas cependant la question
des déchets toxiques qui implique une
incitation accrue aux apports volontaires
et, de la part des pouvoirs publics, une
politique renforcée de communication.
« Il faut que les standards de production,
les normes des produits et les moyens
de traçabilité soient renforcés »
Entretien avec Dominique Maguin,
Président du Bureau International du Recyclage40, il fut également président de Federec, président de l’European paper recycling
federation et président de la division papier du BIR. Le gouvernement français l’a nommé membre du Conseil national des déchets.
Le marché du recyclage obéit depuis
quelques années à un processus général
de consolidation qui efface la frontière
traditionnelle entre opérateurs du déchet
et recycleurs. Comment l’analysez-vous ?
Le premier produit auquel les opérateurs du déchet se sont intéressés
- l’exemple nous vient des États-Unis
avec Waste Management - a été le papier. Car le collecteur de déchets utilise
les mêmes outils que le récupérateur de
papier : les mêmes bennes, les mêmes
compacteurs. L’usage des mêmes
outils n’implique pas la maîtrise des
mêmes savoir-faire, mais le mouvement
est lancé et il va s’étendre aux autres
filières. Le second facteur déclenchant
est d’ordre politique. Il traduit, dans les
pays industrialisés, une préoccupation
environnementale croissante face à la
production des déchets et s’exprime
notamment par la formalisation de
principes comme les « 3R » : réduire,
réutiliser, recycler. Les opérateurs traditionnels du déchet sont alors en première ligne pour répondre à la nouvelle
injonction, notamment auprès des collectivités locales qui sont leurs clientes.
Naturellement, le recycleur traditionnel
enregistre lui aussi l’évolution des attentes et, dès lors, la consolidation s’opère
selon deux mouvements inverses :
les opérateurs du déchet entrent pleinement dans le champ aval du recyclage
tandis que les recycleurs traditionnels
remontent vers l’amont.
Quels sont de part et d’autre les atouts ?
Est-ce que, selon vous, le métier d’origine peut donner un avantage culturel et
technique pour aborder cette évolution ?
On peut répondre de deux façons. En
premier lieu, j’observe que, partant des
deux extrémités de la chaîne, les opéra-
teurs sont arrivés à la même conclusion
et, globalement, se sont donnés les
mêmes objectifs. Sur quoi se jouera
la différence dans cette confrontation
concurrentielle ? Sur le savoir-faire,
tout simplement. Il faut connaître et
savoir reconnaître les matières ; il faut
en organiser une collecte rationnelle ;
il faut pouvoir effectuer des opérations
de tri en fonction de standards de
production car, et je milite dans ce
sens depuis assez longtemps pour m’en
réjouir, les matières recyclées se normalisent ; et enfin il faut savoir commercialiser ces matières, c’est-à-dire traiter
sur des marchés de gré à gré qui exigent de parcourir sans cesse la planète
pour rencontrer les utilisateurs de
vos produits, comprendre leurs besoins,
connaître leurs outils, et ne pas laisser
celui qui sera passé avant vous avoir
raison ! Voilà tout ce qu’il faut savoir
faire, en plus de la veille technologique
et réglementaire, si l’on veut intégrer
l’ensemble des métiers du recyclage.
Mais ces métiers cohabitent eux-mêmes
avec d’autres métiers, ce qui conduit
à une deuxième réponse à condition
de ne pas oublier les termes de la première. En élargissant le champ, je suis
en effet tenté de dire que si un même
opérateur, outre le recyclage, sait traiter
les déchets dangereux, gère des centres
d’enfouissement technique, maîtrise
l’exploitation d’unités d’incinération
et, par ailleurs, dispose d’un centre
de recherche et développement, il est
sans doute le mieux placé pour répondre
aux attentes de demain. Mais j’insiste
aussi sur cette évidence qu’il ne suffit
pas de pouvoir « tout faire » pour
construire une organisation cohérente
hautement professionnalisée de
l’ensemble des métiers.
Les activités du recyclage sont
aujourd’hui confrontées aux flux des
produits en fin de vie. Comment analysezvous les réponses données à ce problème
complexe ?
Nous sommes là au cœur du sujet.
Que fait-on en effet de ces téléphones,
ordinateurs, tubes fluorescents et autres
produits qui nous entourent et sont
appelés à devenir des déchets ? C’est
une question qui caractérise la complexification des activités du recyclage, et la
recherche et développement sera décisive
dans la mise en place de solutions.
Cependant, une fois résolue l’équation
technique du démontage, de la dépollution et de la valorisation, la question
économique demeure. La tendance, qui
est aujourd’hui de raisonner avec une
filière par type de produit, nous oriente
vers des solutions très coûteuses. À cela
s’ajoute, en France, pour les D3E, la
coexistence de plusieurs éco-organismes
représentant les différents producteurs.
En poussant les choses jusqu’à l’absurde,
pourquoi pas une filière par produit et,
pour chaque filière, autant de systèmes
de gestion qu’il y aurait de fabricants !
Il y a donc des améliorations à apporter
pour limiter les coûts de fonctionnement
des dispositifs et s’assurer que les taxes
servent le plus efficacement possible
le traitement du problème pour lequel
elles ont été créées. Il est clair que si la
technologie nous permet de substituer
à l’actuelle logique de séparation des
flux une logique de concentration, avec
la construction de structures communes et des outils capables de traiter des
ensembles de familles de produits, nous
aurons fait un grand pas dans la bonne
direction. Mais la réponse technique
ne doit pas forcément venir en réaction à la décision politique, elle mérite
d’être considérée et sollicitée en amont.
Beaucoup de décisions sont encore prises
à Bruxelles sans consultation préalable
de ceux qui ont l’expertise technique,
gèrent les infrastructures de traitement et
sont capables, en fonction d’un objectif
donné, de proposer le schéma industriel
et économique le plus efficace, c’est-àdire aussi le moins coûteux pour l’ensemble de la société. L’Europe, qui est
pourtant en avance sur ces sujets, n’a pas
encore acquis la maturité nécessaire pour
conduire une vraie politique de protection
de l’environnement et cela se traduit
dans sa façon de légiférer.
Dans les différentes responsabilités que
vous avez exercées, vous avez depuis
longtemps milité pour la mise en place
de standards et de certifications. Votre
plaidoyer pour la qualité de la production
de matières recyclées ne se heurte-t-il
pas à certaines réalités du marché et aux
difficultés à faire appliquer des règles à
l’échelle internationale ?
J’ai souvent dit, avec un peu de provocation, qu’une des particularités des métiers du recyclage était que le prix payé
pour une matière était inversement proportionnel à sa qualité. C’est un fait que
la grande loi de l’offre et de la demande
rend les acheteurs moins exigeants quand
le marché est tendu, et qu’ils sont alors
prêts à payer plus cher une matière de
moindre qualité pourvu qu’ils disposent
des volumes que réclament leurs unités
de production. En bout de chaîne, c’est
le consommateur qui sera lésé, parfois
doublement, en tant que contributeur
au financement du recyclage et en tant
qu’usager. Cette logique de court terme
n’est pas à la hauteur des enjeux, et ce
n’est pas ainsi que nous pouvons gagner
le combat commercial et environnemental
qui nous attend. Pour bannir ces comportements, il faut que les standards de
production, les normes des produits et les
moyens de traçabilité soient renforcés, et
il faut, pour garantir tout cela, développer
les certifications de service au sein des
entreprises de nos secteurs d’activité.
C’est le sens de l’action que j’ai menée
dès 1997 au sein de la Fédération des
entreprises du recyclage, avec la mise en
place d’un label de qualité, puis d’une
certification de service CERTIREC.
Ces exigences sont-elles assimilables à
une évolution culturelle des métiers du
recyclage ?
Pendant longtemps, les métiers de la
récupération et du recyclage ont été
tenus à la marge de la société, c’étaient
des métiers réservés aux franges défavorisées de la population, et le savoir-faire
s’est lui-même transmis dans le secret
de la tradition orale. Aujourd’hui nous
avons un besoin d’affichage, de visibilité et d’écriture des procédures pour
être capable de les reproduire et d’en
corriger les déviances. À cet égard, les
grands opérateurs ont un rôle essentiel,
parce qu’ils se situent dans une logique
industrielle et qu’ils ont mis en place
des process et instauré des modes de
suivi et de contrôle rigoureux. Dans des
contextes qui autorisent des productions dévaluées, cette discipline, cette
exigence de qualité les pénalisent. Mais
dans une perspective plus ambitieuse,
elle fait d’eux non pas des modèles,
mais une force d’entraînement. Disant
cela, je n’oublie pas les plus petites
structures qui ont aussi développé une
culture de la qualité et qui, lorsqu’elles
sont rachetées par les grands groupes
dans le mouvement de consolidation que
nous avons évoqué, apportent des gages
de savoir-faire, une image et un ancrage
local pour une activité qui présente
aujourd’hui, rappelons-le, l’indiscutable
avantage de n’être pas délocalisable. n
40
Le BIR est une fédération internationale représentative
de l’industrie du recyclage et du négoce dans le monde entier.
Elle réunit 600 entreprises et fédérations nationales de plus
de 60 pays.
Déchets spéciaux :
un modèle industriel
Avec leur socle industriel établi de longue date et leur maîtrise
des hautes technologies, les activités de traitement des déchets
spéciaux font figure de modèle. En première ligne de la lutte contre
les pollutions, elles sont aussi un poste avancé de la valorisation.
Une histoire et des valeurs
Le périmètre de la valorisation des déchets dangereux ne cesse de s’élargir. C’est en tout cas ce qui
distingue les leaders de ce secteur d’activité, au
premier rang desquels Veolia Propreté. « Si le leadership se traduit par l’élévation des standards de
référence, par l’exemple donné et par le maintien
d’une avance technologique, précise Pascal Gauthier qui dirige la société spécialisée du groupe,
nous sommes clairement les leaders ».
Mobilisée par l’urgence écologique qui a fondé
ses valeurs, l’industrie du traitement des déchets
spéciaux a d’abord dû répondre à des objectifs de
neutralisation des pollutions qui menaçaient l’eau
et les sols. C’était il y a trente ans. Des outils lourds
ont alors permis de traiter de gros volumes. La recherche et le développement ont ensuite conduit à
l’intégration de technologies plus spécifiques, orientées vers la valorisation
matière et énergétique.
L’activité aura tiré de ses
contraintes un avantage
décisif. Elle n’avait pas
d’autre choix que de se
doter de méthodes et d’outils de haute performance.
Les technologies mises au service du traitement
des déchets toxiques ont apporté aux opérateurs
une connaissance des matières qui a aussi révélé
leur potentiel de valorisation.
Nos limites sont
d’abord celles
de notre imagination
Un cas d’école
Chez Veolia, la valorisation des déchets devient opérationnelle il y a une quinzaine d’années et commence
avec la régénération des solvants contenant des
polluants chimiques, une opération aujourd’hui largement pratiquée. De nouvelles idées naissent dès
lors que l’identification des déchets devient systématique. Un exemple est, parmi beaucoup d’autres,
représentatif de la démarche. L’entreprise traitait,
il y a dix ans, plusieurs milliers de tonnes d’un
effluent chargé en zinc et en nickel. Après traitement du flux, une matière riche en hydroxydes
métalliques était stabilisée et solidifiée pour être
stockée comme déchet ultime. Pascal Gauthier
rappelle à ce sujet une phrase qu’il s’est appropriée :
« Détruire un déchet est un constat d’échec ». En
l’occurrence, le défi est relevé. Dès 1997, une étude
exploratoire est lancée. Six ans plus tard, grâce aux
résultats d’une unité pilote, l’investissement industriel est décidé. En 2004, le procédé mis en place
produit les premières tonnes de matières métallifères.
La transformation de l’idée en solution industrielle
opérationnelle aura pris sept années. Elle n’aurait
pas été possible sans l’engagement d’un client sur
un contrat de cinq ans. Au moment de la signature,
le prix du nickel, pourtant, n’était pas un argument.
De la flambée des cours qui a suivi, Pascal Gauthier
tire l’opportunité de réaffirmer un positionnement.
« Nous avons atteint pour les oxydes de zinc et de
nickel des taux de pureté de 80 à 85%. Quand le
marché s’est emballé, nous aurions pu régler notre
process pour des taux de 40 ou 45% qui auraient
trouvé preneur, mais nous avons maintenu nos
objectifs parce qu’ils correspondent à la définition
de notre métier. C’est aussi cette exigence qui fonde
notre relation avec nos clients. »
Responsabilité et imagination
Une culture s’est nourrie de cette logique. Valoriser les déchets dangereux et ouvrir la palette des
solutions à de nouveaux gisements sont des facteurs
d’émulation au sein des unités de recherche, et
cette orientation répond à une demande facilitée par
des motifs économiques et parce que la conscience
des impacts environnementaux progresse au-delà
du cercle des grands groupes industriels soucieux
de leur responsabilité et de leur image. « Il y a un
sens pour les restaurateurs à savoir que les huiles
alimentaires usagées que nous collectons chez eux
vont permettre de produire du biocarburant ou,
pour les garagistes, à savoir que les huiles de
vidange seront régénérées », explique encore Pascal
Gauthier.
De nouveaux développements sont en cours, que
le secret industriel protège. Deux domaines de
recherche sont cependant particulièrement significatifs au regard des enjeux environnementaux. Les
déchets liquides chargés en polluants représentent
des flux importants qu’il est possible de traiter pour
en extraire une eau assez pure pour être réutilisée
dans les process industriels, et économiser ainsi
une ressource précieuse. Le captage du CO2 en
sortie de cheminée d’une usine du groupe va permettre, après élimination des polluants et compression, d’alimenter une production industrielle qui en
consomme des milliers de tonnes. « Nos limites
sont d’abord celles de notre imagination », affirme
Pascal Gauthier.
Le marché peut cependant constituer un frein au
développement les plus ambitieux quand les intérêts
de court terme privilégient des solutions d’autant
moins coûteuses qu’elles ne respectent pas l’environnement. C’est le cas pour les métaux contenus
dans les déchets dangereux, notamment les D3E
(voir article) dont l’exportation illégale est facilitée
par des traders. Mais c’est aussi plus banalement
le cas de certains emplois énergétiques qui ne sont
pas assimilables à une valorisation et constituent
des voies d’élimination non exemptes de dispersion
des polluants.
Déchets diffus en attente…
Les déchets dangereux diffus, issus des ordures
ménagères sont un tout autre sujet, caractérisé
par un déficit en matière de collecte et d’information.
Mêlés aux déchets ordinaires, ils créent des
contraintes supplémentaires de traitement des
fumées des incinérateurs ou des effluents des
centres de stockage. Les restes de diluants pour
peintures, mélangés aux eaux usées des ménages, polluent les boues des stations d’épuration,
Seaport,
une police européenne
des ports
Dans l’Union européenne, un programme,
baptisé Seaport Project, est mis en œuvre
pour renforcer la coopération internationale dans la lutte contre les exportations
illégales de déchets. Le ministère de
l’environnement des Pays-Bas en assure
la coordination.
Un rapport publié en juin 2006 fait état
des contrôles effectués entre septembre
2004 et mai 2006.
24052 documents administratifs ont été
contrôlés et 4 198 cargaisons ont été
examinées, parmi lesquelles 1 103
contenaient des déchets. 564 chargements
étaient illégaux (51%) et 473 en infraction
(43%). Ces constats ont été suivis de
mesure, notamment le renvoi du fret illégal
dans les pays d’origine.
et conduisent à construire des fours spéciaux pour
les incinérer. « Le bilan environnemental et économique de ces dommages, indique encore Pascal
Gauthier, devrait inciter à d’autant plus de mobilisation que l’opinion est disponible pour entendre un
discours responsable ». Si le tri à la source constitue
la mesure préventive la plus simple, la recherche et
développement travaille aussi sur des technologies
de tri qui permettraient la collecte simultanée des
produits dangereux et des déchets résiduels. Dans
tous les cas, la séparation de ces déchets est une
condition pour accroître globalement les taux de valorisation. n
D3E : un sujet mondial,
une filière en construction
40 à 50 millions de tonnes de Déchets d’Équipements Électriques
et Électroniques seraient produits dans le monde chaque année.
La Chine, l’Inde, le Pakistan et l’Afrique sont les principales
destinations de ces déchets illégalement exportés.
La croissance mondiale des D3E, de 3 à 5% par an –
supérieure à celle de tout autre déchet – et la hausse
du niveau d’équipement dans les pays émergents
ajoutent encore à l’urgence des problèmes sanitaires,
environnementaux et sociaux qui sont posés. Les
enjeux sont aussi économiques. La réglementation
et la réponse industrielle qui se structure dessinent
les contours d’un nouveau marché, avec des solutions
techniques en compétition.
Des constats alarmants
Le traitement des D3E est soumis à la Convention
de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux et de leur élimination, et
à son amendement apporté en 1995 qui interdit aux
pays signataires de l’Union européenne et de l’OCDE
les transferts de déchets dangereux vers les autres
pays, notamment les pays en développement. Les
États-Unis n’ont ratifié ni la Convention de Bâle ni
son amendement. Premier producteur mondial de
D3E, ils en exportent 50 à 80%. Les Européens ne
font guère mieux. Cynisme et irresponsabilité chez
les exportateurs, laxisme réglementaire et faibles
coûts de main-d’œuvre dans les pays en développement ont conduit à une situation grave. Un prélèvement effectué dans une rivière chinoise a révélé
des taux de plomb 2400 fois plus élevés que le seuil
préconisé par l’Organisation Mondiale de la Santé41.
Ces désastres écologiques ne se répareront pas facilement, mais la situation évolue.
41
Sources : PNUE, Bulletin d’Alerte Environnementale 2005 et programme StEPUniversité des Nations Unies (http://ewasteguide.info/) ; Basel Action Network
(www.ban.org)
42
www.novethic.fr
43
http://ewasteguide.info/newsandevents/chin-0
Leviers réglementaires
La Directive européenne de 2002 sur les D3E est
entrée en application avec quelques rappels à l’ordre
de la Commission auprès de certains États membres.
Le Japon a pris des mesures préventives dès 1998,
renforcées en 2003 par des dispositions en faveur
de la collecte et du recyclage. Aux États-Unis, les
États de Californie, de Washington, du Maine et du
Maryland ont instauré une législation plus ou moins
proche du modèle européen42. La Chine aussi réagit.
Elle impose à partir de 2008 que les D3E soient traités
par des entreprises accréditées selon des normes de
sécurité fixées au niveau national 43. Le projet européen
Seaport marque enfin une volonté coordonnée pour
un contrôle renforcé des exportations (voir page 59).
Ces dispositions réglementaires répondent à plusieurs objectifs : réduire la quantité de composants
polluants, concevoir les produits de façon à les rendre
plus facilement recyclables,
imposer une dépollution
et un traitement dans des
conditions qui préservent
l’environnement et les personnes et, enfin, optimiser
la valorisation des matériaux, dont certains ont une
valeur considérable. Le cuivre, par exemple, peut
représenter jusqu’à 18% du poids d’un matériel
électronique.
Des taux de plomb 2 400
fois plus élevés que le
seuil préconisé par l’OMS
Métaux précieux
Les téléphones portables et les ordinateurs contiennent des métaux précieux – or, argent – et rares,
comme le palladium ou le cobalt et l’indium qui ont
récemment connu les hausses de prix les plus fortes.
Ces matières sont essentiellement présentes dans les
unités centrales, et en infimes proportions : environ
0,4 gramme d’or et d’indium, 0,1 gramme de palladium44 pour un ordinateur personnel. En outre elles
sont souvent gainées de plastique ou mêlées à des
substances toxiques. On conçoit dès lors la technologie requise pour les recycler dans les conditions
les plus sûres et les plus favorables, technologie
coûteuse qui explique le nombre limité des unités
spécialisées dans ces opérations.
Veolia Propreté a constitué avec la société Centillion
une joint-venture, CentiOnyx installée à Singapour.
L’implantation est stratégique : d’une part les gisements locaux issus des refus de fabrication sont très
importants, la quasi-totalité de la production étant
asiatique ; d’autre part l’afflux des matériels en fin de
vie depuis l’Europe et les États-Unis est encouragée
par le faible coût du fret retour, divisé par dix par rapport à celui que supportent les exportations massives
de matériel neuf. Avec une capacité de production
parmi les plus importantes des nouveaux entrants
sur ce marché, CentiOnyx a principalement orienté
son activité vers le recyclage des cartes électroniques à partir desquelles elle produit des lingots d’or.
supérieur à 90% qui dépasse sensiblement les
objectifs européens. Le process mis en place pour le
traitement du GEM froid se distingue également par
le niveau de sécurité atteint et une informatisation
qui permet de produire le bilan matière de chaque
unité (voir encadré page 64).
Ordinateurs
personnels :
beaucoup de matière
pour un usage court
Une publication de l’Université des Nations
Unies, Computers and the Environment 46,
indique que la fabrication d’un ordinateur
personnel nécessite pour sa production
près de 10 fois son poids en énergies
fossiles et une consommation totale de
1,8 tonne de matière.
Soit : 240 kg d’énergies fossiles, 22 kg
de produits chimiques et 1500 litres d’eau.
Par comparaison, la production d’une
automobile ou d’un réfrigérateur ne
demande qu’une quantité d’énergie fossile
égale au poids du produit.
Selon Greenpeace, la durée de vie
moyenne d’un ordinateur est passée
de 6 à 2 ans entre 1997 et 2005.
Traitements complexes
Si les ressources rares ne sont pas le lot commun des
D3E, la complexité du traitement est une constante.
« Les volumes sont importants, mais les produits
sont très divers, explique Françoise Weber, directrice
du recyclage chez Veolia Propreté Ile-de-France, et
certains matériels de faible valeur présentent de fortes contraintes de gestion ». Les aspirateurs en sont
un exemple, et le démontage scrupuleux d’un écran
plat demande près de deux heures, en attendant
une meilleure éco-conception.
Les matières plastiques constituent enfin un sujet
à part entière. Leur diversité est un obstacle à leur
recyclage, puisque les résines ne peuvent être
mélangées, et la difficulté est encore accrue par la
présence de retardateurs de flammes bromés ou
chlorés, désormais interdits en Europe mais encore
présents dans les D3E à traiter.
Veolia Propreté marque sa capacité d’innovation sur
ce sujet. À Angers, le groupe met en œuvre un procédé exclusif de reconnaissance des plastiques, fruit
d’une recherche menée en partenariat avec Thomson. Autre atout de la nouvelle unité industrielle, la
plus importante en France, elle est la seule à traiter
les trois grandes catégories de D3E – écrans, PAM45
et GEM45 froid –, avec un taux moyen de valorisation
500 millions d’ordinateurs…
En 1999, une étude demandée par
le National Safety Council évaluait à
500 millions d’unités le nombre des
ordinateurs susceptibles d’être obsolètes
entre 1997 et 2007 aux États-Unis.
Les mêmes analystes estimaient alors
que 41 millions d’ordinateurs personnels
seraient jetés dans le pays pour la seule
année 2001, la Californie y contribuant
à raison de 6000 unités par jour.
500 millions d’ordinateurs représentent
environ : 2,9 millions de tonnes de
matières plastiques, 718 000 tonnes
de plomb, 1300 tonnes de cadmium, 860
tonnes de chrome et 280 tonnes
de mercure.46
Source: Handy and Harman Electronic Materials Corp. Cité dans Exporting Harm,
The Basel Action Network (BAN) & Silicon Valley Toxics Coalition (SVTC), 2002
45
PAM : Petits Appareils Ménagers. GEM : Gros Électroménager.
http://www.unu.edu/zef/publications-d/flyer.pdf
46
Source : Exporting Harm, Basel Action Network & Silicon Valley Toxics
Coalition, http://www.ban.org/
44
Échelles locale, nationale
et internationale
Pendant longtemps, la gestion des déchets est restée un service de proximité. « Le recyclage conduit à
intégrer une autre dimension, en termes de prestation et de négoce, avec une approche logistique nouvelle, analyse Françoise Weber. L’approche globale
n’est plus seulement commerciale, c’est toute l’organisation industrielle qui est pensée globalement avec
la recherche d’un équilibre économique et environnemental. » Un équilibre qui dépend du maillage du
territoire, de la taille des installations industrielles et
de leur spécialisation. Au-delà des marchés nationaux, de grands fabricants expriment le besoin de satisfaire à leurs obligations dans le cadre d’un schéma
homogène, avec des services certifiés quel que soit
le pays. Veolia Propreté s’était déjà inscrit dans cette
logique avec quelques clients industriels. Encadrés
par les directives D3E et RoHS, le développement de
la collecte sélective, l’éco-conception et la réduction
des substances toxiques
utilisées dans la fabrication des matériels auront
un impact mondial, les
grandes marques étant
distribuées sur tous les
continents. La croissance attendue des volumes
à traiter explique les importants investissements
industriels d’une filière encore émergente mais déjà
très concurrentielle. n
La recherche d’un
équilibre économique
et environnemental
Une réponse industrielle innovante
le site d’Angers de Veolia Propreté
Une autre dimension, une autre culture
Le recyclage des D3E s’est longtemps limité
à des opérations de démantèlement qui permettaient « de ne pas tout mettre en décharge »,
explique René-Bernard Gallard, directeur
technique de la filière des D3E chez Veolia
Propreté France. « Aujourd’hui, cette activité
prend une toute nouvelle dimension avec
la maîtrise technologique, la production de
tableaux de bord, la planification, la gestion
de l’information qui traduisent un changement de culture. » Les outils de mesure et de
réglage des moyens de production, l’analyse
en profondeur des process qui mobilisent les
opérateurs et révèlent les potentiels d’amélioration montrent en effet que le recyclage est
bien entré dans son ère industrielle.
Veolia Propreté est d’autant mieux préparée à
cette évolution qu’elle expérimente dans cette
filière depuis quinze ans.
Identification, broyage
et extrusion des plastiques
Le recyclage des matières plastiques que
contiennent les PAM – à raison de 20 à 50% de
leur poids selon les matériels – est un problème
complexe. Diversité des matières, présence
de retardateurs de flamme ou d’additifs et
développement des composites caractérisent la
difficulté. Car les débouchés les plus porteurs
– hors ceux de la valorisation énergétique –
réclament des matières homogènes, les monopolymères. L’industrie automobile notamment
les utilise depuis plusieurs années.
Si l’éco-conception doit faciliter à terme le
traitement des D3E, la reconnaissance et la
séparation des plastiques sont aujourd’hui de
vrais enjeux concurrentiels et font l’objet de
recherches et développements qui assemblent
différentes techniques.
Le procédé analytique développé par Veolia
Propreté associe la spectrophotométrie infrarouge et l’exploitation d’une importante base de
données de la société Thomson. Le paramétrage de l’outil de lecture permet ainsi de distinguer des catégories de plastiques compatibles,
c’est-à-dire miscibles, qui seront exploités
selon leur spécificité. Ce procédé identifie aussi
les matières bromées. Ainsi triés, les plastiques
peuvent être transformés en granulés et acheminés vers les filières utilisatrices.
Spectrométrie et transformée de Fourier
Le spectrophotomètre émet un signal infrarouge
guidé par laser en direction de la matière
plastique. La matière réfléchit une part de
l’énergie produite. Cette restitution est mesurée, et la traduction du résultat, par application
d’une fonction mathématique – la transformée
de Fourier – révèle sa structure chimique.
Ce procédé est opératoire quelle que soit la
couleur du matériau, alors que la technique
courante du proche infrarouge n’est applicable
qu’à des matières claires ou translucides.
GEM froid : sécurité,
performance et traçabilité
Le process développé dans l’unité Veolia
d’Angers pour le traitement du GEM froid
est remarquable à plusieurs titres.
Après pesage et enregistrement des appareils, un procédé sous dépression pompe les
CFC et huiles contenus dans les compresseurs. Les huiles sont purifiées par ultrasons
et recyclées. Les CFC sont condensés et
stockés dans des fûts, sous pesée constante,
pour être ensuite éliminés. Les compresseurs
sont démantelés.
Chaque appareil est ensuite soumis à un
broyage sous atmosphère inertée qui permet
de traiter toutes les catégories d’appareils
– y compris ceux dont les fluides frigorigènes
sont explosifs – , c’est-à-dire sans un tri préalable coûteux ou approximatif. Dans le même
flux sont extraits les CFC contenus dans les
mousses isolantes. Le taux de récupération
des CFC est ainsi supérieur à 99,5%.
Le process entièrement automatisé sépare
ensuite les mousses, les métaux ferreux,
l’aluminium et les plastiques et délivre en bout
de ligne des matières exploitables.
La traçabilité est assurée sur l’ensemble de
la chaîne, depuis le pesage initial jusqu’au
bilan matière. Le taux global de valorisation
est de 94%, dont 85% de recyclage matière.
Piles usagées :
l’exemple suisse
Chaque année, en Europe, 160 000 tonnes de piles et accumulateurs
portables sont rejetées par les consommateurs. Elles présentent
un risque sanitaire et environnemental en raison des métaux lourds
qui entrent dans leur composition. Une pile bouton pollue un mètre
cube de terre pendant un siècle…
De la pile usagée
à la matière première
Batrec est la seule entreprise à utiliser une
haute technologie développée par la société
japonaise Sumitomo.
Les piles salines et alcalines sont soumises à
une pyrolyse avec une température qui atteint
700 degrés. L’eau et le mercure s’évaporent
et sont orientés avec les composants organiques dissous (papier, carton et plastique) vers
une chambre de post-combustion qui détruit
les dioxines et les furannes.
Les émissions gazeuses subissent ensuite
un lavage chimique avant d’être refroidies et
condensées sous forme de boues.
Ces boues sont chauffées jusqu’à évaporation
du mercure qui subit une seconde condensation et peut alors être récupéré avec une
pureté quasi absolue.
Parallèlement, les solides issus de la phase
de pyrolyse sont fondus à une température
de 1500 degrés, les charbons des matières
organiques permettant les réductions des
oxydes de manganèse et de zinc. À cette température, le fer et le manganèse liquides sont
extraits du four, tandis que le zinc, porté à
l’état gazeux, est récupéré dans une colonne
de condensation.
Pour une tonne de piles usagées, le procédé
recycle 280 kg de ferromanganèse, 230 kg
de zinc, avec une pureté de 98,5%, et 1 kg
de mercure avec une pureté de 99,99%.
Anticipation et innovation
La nouvelle directive européenne a fixé des taux
minimaux de collecte à atteindre pour chaque État
membre : 25% en 2012, 45% en 2016. Grâce aux
réseaux de collecte déjà constitués, ces objectifs
sont aujourd’hui dépassés par six pays : 59% en
Belgique, 55% en Suède, 44% en Autriche, 39%
en Allemagne, 32% aux Pays-Bas et en France.
Tandis que dans certains pays tout reste à faire,
l’exemple est venu de Suisse qui atteint un taux de
collecte de 66% grâce à une politique initiée dès
les années 1980.
Créée en 1989, la société Batrec, qui a rejoint
Veolia Propreté, fut l’une des premières à proposer
une solution technologique performante pour le
traitement des piles salines et alcalines, qui permet
une récupération des métaux correspondant à près
de 50% des masses totales traitées. n
Directeur de la publication : Dominique Masson
Rédacteur en chef : Roland Pilloni
Coordination : Céline Menain
Rédaction : Nicole Aussedat, Florence de Changy, Bénédicte Haquin, Roland Pilloni
Conception : Dream On
Ont collaboré à ce numéro : Jérôme Amar, Emmanuelle Aoustin, Marc-Antoine Belthé,
Jacques Binet, Kristin Brodtkorb Traavik, Grégory Cardot, Laurent Carrabin, Martin Champel,
Martin Curtois, Carol-Anne De Carolis, Gonzague Dejouany, Beate Delkach, Leila Elyafi, Emmanuelle Emonet,
Annica Fiedler, Gérard Fries, René-Bernard Gaillard, Pascal Gauthier, Pascal Geneviève, Philippe Grelon,
Dominique Hélaine, Ghislaine Hierso, Kevin Hurst, Xie Jing, Andreas Krebs, Bernard Lanfranchi, Stéphanie Laruelle,
Jérôme Le Conte, Ludovic Lelièvre, Clément Leveaux, Xavier Mahue, Steffi Meissner, Taïsei Miura, Jorge Mora,
Yannick Morillon, Jean-Pierre Morot, Jacques Musa, Muriel Olivier, Léa Paperman, Fabienne Piotelat,
Delphine Robert, Wilhelm Rosenlund, Nina Steffenhagen, CW Tung, Michel Valache, Christophe Valès,
Françoise Weber, Ralf Witte, Jean-Pierre Ymele, Jinfeng Zhang
Crédit photos : Veolia Propreté, Veolia Environnement, Getty Images
Erik Borseth, Nicolas Guerin, Christophe Majani d’Inguimbert, Jean-Marie Ramès, Francis Sadier, Helge Skodvin
Couverture : Agnès Marin (modèle maker), Raphaël Devic (photo)
Imprimé sur papier offset non couché sans bois, fabriqué à partir de 100% de fibres recyclées.
Fabrication sans métaux lourds. Impression avec encres et vernis 100% végétaux. Label Imprim’vert.
Galiléo
Veolia Propreté - Direction de la Communication – 38, avenue Kléber, 75116 Paris - France
www.veolia-proprete.com
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