La missive Texte de Daphné Morin groupe 21 - Mais c’est d’avoir l’esprit éventé que d’envoyer ce messire se jeter ainsi dans la gueule du loup! Nul n’a su traverser indemne cette lande depuis le roi Arthur, que dis-je! depuis le début des temps! - N’ayez crainte, sénéchal, répondit le roi, du tout de vair vêtu, du haut de son trône. Je suis assuré que monseigneur de Duval saura affronter avec noblesse et aisance tout obstacle se présentant sur sa route. De plus, la gravité de la situation ne nous laisse guère d’autre choix d’itinéraire. N’est-ce pas que tout ira à merveille, messire ? - Oh, mais bien évidemment! fit Armand de Duval, chevalier de renom. Et puis, ce serait une offense à votre nom autant qu’au mien que d’éconduire cette offre pour le moins palpitante, votre Grandeur. Sans compter que je traverserais sans hésitation monts et vallées si cela pouvait servir mon roi et ses gens. D’autre part, sauriez-vous nommer ne serait-ce qu’un autre individu qui pourrait oser tenter une si périlleuse entreprise ? À mon escient, il n’en fut point qui réalisa d’exploits plus glorieux que les miens. En toute franchise, Votre Altesse, il fut judicieux à vous de faire de moi votre choix pour accomplir cette noble tâche, sourit le champion, hautain. La missive Texte de Daphné Morin groupe 21 À ces mots, tous dans la salle lancèrent au chevalier des regards dédaigneux. Cet homme ne savait que honnir les autres, mais qu’y pouvait-on ? Le roi l’avait sélectionné pour autant. - Très bien, sire, très bien! Cela dit, je n’en attendais pas moins de vous, déclara le souverain, l’air aussi satisfait qu’approbateur. Je vous remets donc en toute confiance cet inestimable parchemin, et maudit soyez-vous si malheur y arrive! - Longue vie à Archibald, notre roi! s’écria Armand, d’une main prenant la lettre que lui tendait le seigneur, de l’autre formant un poing sur son cœur. - Longue vie à Archibald, notre roi! renchérit-on en écho. -Allez, va, chevalier, file comme le vent, et que je ne sois point accablé du regret de t’avoir adoubé! Notre destin repose désormais entre tes mains. Sur ce, messire de Duval salua son roi, puis, la tête bien haute, monta son fidèle destrier, un fier étalon à la croupe de jais qu’il dirigea hors de la salle du trône, toisant le peuple au passage. Une fois à l’extérieur du palais, il glissa le parchemin qui lui avait été remis dans sa botte droite, là où, hors de l’atteinte de tout curieux personnage qu’il lui aurait été donné de rencontrer, il serait le plus en sécurité. Sans même un regard en arrière, il lança sa fougueuse monture au galop, s’éloignant à tire-d’aile de la demeure du grand Archibald et se dirigeant La missive Texte de Daphné Morin groupe 21 vers le pays du duc Richard II, à qui il devait remettre cette missive de laquelle ils dépendaient tous. Derrière lui, le roi congédiait sa cour plénière, le regard brillant. Le recet d’Archibald étant situé à proximité de la frontière de son royaume, Armand eut tôt fait de franchir la limite de celui-ci. Il se trouva sous peu à traverser un essart se prolongeant à perte de vue, vestige de l’incendie ravageur ayant dévasté la région quelques années auparavant. Guidant son destrier aux flancs battus par l’aquilon entre les souches noircies, le guerrier se rappela que l’origine du sinistre brasier ayant incendié les lieux n’était connue d’aucun des multiples habitants du duché. « Curieux, n’est-il pas ? » murmura le cavalier, parcourant de son regard perçant la contrée décimée se présentant à ses yeux. On n’entendait plus que le vent du nord, qui soufflait en bourrasques impitoyables. Pas âme qui vive. Notre preux, d’abord perceptiblement angoissé par cet oppressant silence lui inspirant l’idée d’une plaine aphasique, se détendit peu à peu, se laissant La missive Texte de Daphné Morin groupe 21 croire qu’une telle inactivité ne pouvait dissimuler de tel qu’un danger imminent ; non, cet endroit était désert, et il n’y avait aucune crainte à y avoir. « Peuh! songea-t-il, il en fallut de peu que je me méprise pour avoir un tant soit peu laissé ce soupçon de crainte me gagner. Mais Armand de Duval ne connaît pas la couardise, qui ne domine que les poltrons! » rugit-il, le vent emportant au loin l’écho de sa voix alors qu’il adjurait sa monture d’accélérer la cadence. Chevauché par son maître, l’étalon d’Armand poursuivait sa course effrénée lorsqu’un grondement sourd secoua le sol. Le destrier s’arrêta net, alarmé par l’apparition soudaine de pestilentielles fumerolles grisâtres dont l’odeur âcre était celle du soufre. Soudain, plus un bruit. Aux aguets, Armand parcourut du regard les brumes qui, à présent, les maintenaient prisonniers de leur étau suffocant. Le paladin de jeunesse descendit de cheval, dégainant son épée, et pénétra à pas feutrés dans le brouillard méphitique qui, tel un dru nuage ouaté, avalait tout son. Alors qu’il avançait à foulées prudentes, le seigneur ouït à travers la fumée le halètement assourdi d’une lourde anhélation. Plus le chevalier progressait, plus celle-ci se faisait sentir et, bientôt, Armand découvrit qu’il s’agissait de l’haleine fétide d’un dragon à trois têtes aux yeux de topaze globuleux, dont les six narines projetaient ces nuées aigres qui les enveloppaient. La missive Texte de Daphné Morin groupe 21 L’apparition de la bête choqua de Duval à un tel point qu’il s’en trouva pétrifié. C’est rugissement guttural de la créature qui le tira de cette pétrification qui l’avait laissé tel une stature de pierre ; épée bien levée au-dessus du chef, il voulut se ruer vers le monstre, mais il fut stoppé par les ardentes colonnes de flammes que crachait le dragon. Aussi fier et orgueilleux fut notre héros, il dut reculer hors de la portée du reptile meurtrier dont les griffes acérées semblaient prêtes à le lacérer à tout instant. Il devait agir prestement, heaume autant que sa cuirasse et sa ventaille étant surchauffés par les vagues de chaleur occasionnées par les flammes. Distinctement lésé par les circonstances, Armand n’était guère en moyens de contrattaquer ; à quoi bon ? Une riposte risquait de lui être funeste. Il fallut donc à notre protagoniste user de stratégie. Prenant soin de demeurer au sol, le champion siffla son cheval, qui accourut dans la seconde, prêt à être monté. Saisissant l’opportunité de se rendre invisible que lui offraient les nuées de fumée, le chevalier conduisit son étalon derrière le dragon, à l’abri de son dangereux regard ambré. Une fois positionné, il tira profit de la confusion que sa disparition causait au monstre pour lancer son cheval au galop et le faire grimper, en un seul bond d’une force inouïe, sur l’échine émeraude de la bête. S’apercevant de la manœuvre du seigneur, celle-ci émit un mugissement à en quasi-assourdir ses adversaires. Armand, sachant qu’il avait attisé la furie du dragon, descendit de cheval et enjoint son destrier de regagner le sol, ce qu’il fit précipitamment. La missive Texte de Daphné Morin groupe 21 Son propriétaire eut bien fait de lui indiquer de descendre, car le dragon, enragé, se leva aussitôt sur ses pattes postérieures, émettant un second mugissement de colère. Se sentant glisser, de Duval enfonça son arme jusqu’à la garde dans la chair de la créature reptilienne curieusement dépourvue d’ailes et s’y agrippa solidement, ce qui eut pour effet d’aviver le courroux de l’irascible bête. Une fois les quatre pattes de cette dernière de nouveau ancrées au sol, Armand dégagea son épée de l’armure d’écailles dans laquelle elle était plantée et se mit à ramper prudemment, mais rapidement le long du rachis du dragon agité, qui déployait toute son énergie à tenter, sans succès, de lui porter atteinte. Ayant finalement remonté l’échine dorsale du monstre jusqu’à ses trois longs cous, Armand se tint debout et, épée levée, trancha tour à tour chacune des têtes du dragon. Sa dernière tête pourfendue, la bestiole, sans un son, tomba comme une masse, matée. Vainqueur, le chevalier de Duval se redressa sur la carcasse inerte de la créature et cria à l’essart d’où la fumée s’était dissipée ; « Voyez la puissance et la ruse du grand Armand de Duval! Fol est celui qui ose s’y confronter! » Sur ce, il sauta à dos de son compagnon et parcourut, tout sourire, les dernières lieues le séparant de la frontière de la terre calcinée, fier de savoir le précieux manuscrit du roi toujours en sûreté dans sa botte, ne portant pas le moindre pli. La missive Texte de Daphné Morin groupe 21 Le temps nous manque et la suite des aventures de notre hautain champion se voient dans l’impossibilité d’être narrées, mais sachez cependant qu’il lui fallut combattre à mains nues cent bandits véreux dans la Forêt des Cascatelles, où il perdit son destrier, et survivre aux piétinements fatals d’une harde de bisons qui ébranlaient la Plaine des Apathiques de leurs pas furieux, avant d’arriver enfin à bon port. Ayant atteint la somptueuse résidence du destinataire de la lettre, on conduisit Armand au-devant du duc Richard II, aux pieds duquel il s’agenouilla, poing sur le cœur. - Sire, me voici, Armand de Duval, souffla le chevalier. Je vous remets par la présente un message du roi Archibald VI, missive que j’ai si vaillamment portée jusqu’à vous, ô duc. - Je vous en suis fort reconnaissant, mon ami. Il est vrai que vous avez sans doute dû affronter maints périls pour en arriver jusqu’ici ; c’est pourquoi vous aurez l’incommensurable honneur de décacheter ce parchemin et de nous le lire, énonça le noble. D’abord, toutefois, votre roi m’a requis de vous communiquer que voilà : « Quiconque se voit être déclaré outrecuidant se doit d’être châtié par leçon d’humilité. » Intrigué, Armand descella le parchemin qu’il tenait et y posa les yeux. Il était vierge.