La ny c t u r i e Traitement de la nycturie The treatment of nocturia F. Haab* RÉSUMÉ. La nycturie est définie par un réveil lié à une envie d’uriner. Les études épidémiologiques récentes ont démontré la fréquence et le retentissement de la nycturie, que ce soit chez l’homme ou chez la femme. Les causes sont multiples : hyperactivité vésicale, pathologie du sommeil ou polyurie nocturne. Une évaluation rigoureuse fondée, en première intention, sur le calendrier mictionnel, est indispensable, le traitement devant être étiopathogénique. Mots-clés : Nycturie – Polyurie – Hyperactivité vésicale. ABSTRACT. Nocturia is the complaint that the individual has to wake at night one or more times to void. Epidemiologic studies have recently demonstrated the high prevalence of nocturia in men and women. Etiologies are various : ove ra c t i ve detrusor, sleep disorders, nocturnal polyuria. Micturition flow chart is the first step to understand factors and etiology of the nocturia and allows a specific treatment based on pathophysiology. Keywords: Nocturia – Polyuria – Overactive bladder. L * Hôpital Tenon, Paris. E-mail : [email protected] a nycturie est dorénavant claire m e n t définie par l’International Continence S o c i e t y.Il s’agit d’un symptôme caractérisé par le réveil nocturne dû à une envie d’uriner. Toutes les études épidémiologiques conve rgent ( 2 ),la nycturie est l’une des principales causes de fragmentation du sommeil, dont les conséquences sont bien connues : risque accru de chutes, perte d’efficience et somnolence diurne pour les patients les plus jeunes. Ainsi, comme on le ve r ra, le traitement d’une nycturie n’ e s t pas qu’un problème de qualité de vie ou de b i e n - ê t re: il s’agit de traiter un véritable symptôme qui a, au-delà des conséquences fonctionnelles, une véritable morbidité. L’intérêt d’invidualiser le symptômenycturie permet de mieux en analyser la physiopathologie sous-jacente. Les causes de la nycturie sont de trois origines plus ou moins associées : polyurie nocturne, trouble du sommeil, réduction de la capacité vésicale. Le traitement de la nycturie doit être étiopathogénique et donc tenir compte des désord res mis en évidence, en particulier sur le calendrier mictionnel, outil essentiel avant toute prise en charge. Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 2, vol. IV - avril/mai/juin 2004 NYCTURIE ET RÉDUCTION DE LA CAPACITÉ VÉSICALE La réduction de la capacité vésicale, quelle qu’ e n soit la cause, peut être à l’origine d’une nycturie. Le traitement de la nycturie par réduction de la capacité vésicale est identique au traitement de n’importe quelle réduction de la capacité de la vessie. Ainsi, dans ce contexte, il est exc e ptionnel que le symptôme nycturie soit isolé ; il s’accompagne le plus souvent d’une augmentation de la fréquence des mictions de jour comme de nuit. Le syndrome d’hyperactivité vésicale, indépendamment de son origine, est la cause la plus habituelle de nycturie par réduction de la capacité vésicale. Le traitement sera donc fondé sur la prescription de traitements antimuscariniques ou, éventuellement, à visée prostatique en cas d’hypertrophie bénigne de prostate symptomatique. Il est cependant intéressant de noter qu’aucune étude clinique concernant ces différents produits n’a porté de manière spécifique sur l’évaluation de l’impact du traitement sur le symptôme nycturie. En effet, dans tous les essais cliniques, la nycturie est évaluée en tant que cri- 23 d o s s i e r t è re secondaire, et, de ce fait, la significativité est exceptionnellement atteinte, les calculs d’effectifs n’ayant pas été faits pour cela (1). NYCTURIE PAR TROUBLE DU SOMMEIL L’ i n t e raction entre trouble du sommeil et nyc t urie est complexe. Ainsi, la nycturie est l’une des premières causes de fragmentation de sommeil, les autres causes principales étant le syndrome des jambes sans repos ou les mouvements périodiquesnocturnes (2). Cependant, à l’inverse, une pathologiedu sommeil peut en retour être à l’origine d’une nycturie. Ainsi, s’il existe un abaissement du seuil de réveil nocturne, on peut comp re n d re que la moindre sensation de besoin puisse induire le réveil. Enfin, le syndro m e d’apnées du sommeil, pathologie larg e m e n t sous-estimée dans la prise en charge médicale actuelle, est également une source de nyc t u r i e par polyurie nocturne. Cependant, dans cette situation, le traitement adapté de la nyc t u r i e repose d’abord sur la prise en charge de la pathologie initiale, par exemple avec prescription de systèmes de ventilation pulmonaire adaptés plutôt que par une thérapeutique visant à limiter la diurèse nocturne. Au moindre doute, un patient souffrant de nycturie doit donc bénéficier d’une prise en charge d’un éventuel trouble du sommeil. NYCTURIE PAR POLYURIE NOCTURNE La polyurie nocturne est certainement l’une des causes essentielles de nycturie. Cette dernière est aisément mise en évidence. L’enquête étiologique doit néanmoins déterminer si la polyurie nocturne est secondaire à un état pathologique sous-jacent, ou si elle est primitive. Les polyuries “secondaires” L’ i n t e r ro g a t o i re et l’examen clinique doivent impéra t i vement re c h e rcher des signes évo c ateurs de la présence d’un troisième secteur : notion d’insuffisance cardiaque, œdème des membres inférieurs. Par ailleurs, l’interrogatoire doit relever l’ensemble des prises médicamenteuses, en particulier de diurétiques. Dans ces circonstances, les mesures prises pour traiter la polyurie nocturne peuvent associer : – une prise en charge de l’insuffisance card i a q u e et/ou une adaptation, si possible, des prises médicamenteusesen cours, notamment des diurétiques à action rapide ; 24 – une période de repos dans l’après-midi avec les jambes surélevées ; – le port de bas de contention. Cette prise en charge est donc globale et s’inscrit dans un schéma thérapeutique discuté avec les autres praticiens impliqués. Enfin, la polyurie peut être secondaire à une prise excessive de boissons en fin de journée. Là encore, l’utilisation du calendrier mictionnel est essentielle, elle sera complétée, dans les cas où une telle situation est suspectée, par une enquête diététique. En effet, la simple indication sur le calendrier des boissons absorbées se révèle le plus souvent insuffisante, l’ensemble des ingestats devant être pris en compte. Les polyuries primitives Le traitement des polyuries nocturnes primitives a fait l’objet de plusieurs essais thérapeutiques é valuant l’intérêt de la desmopressine dans cette indication. Les étudesinitiales portant sur la desmopressine dans l’indication de nycturie ont été réalisées dès le début des années 1990. Cependant, la portée de ces études initiales s’est trouvée limitée, principalement en raison de la méthodologie employée, le concept de nycturie n’ayant pas été clairement défini à cette époque, mais également du fait de la forme galénique intranasale qui était la seule disponible pour la desmopressine. C’est la raison pour laquelle, dans les années 2000, deux essais cliniques p rospectifs randomisés ont été initiés avec la forme orale (desmopressine comprimé) en Eu rope, incluant des hommes et des femmes souffrant de nycturie (3, 4). L’âge moyen des patients inclus était de 57 ans dans un essai et de 65 ans dans le deuxième. Les deux essais ont comporté une phase de dose titration réalisée sur une période de trois semaines, la dose administrée variant entre 0,1 et 0,4 mg/j. Globalement, plus de 30 % des hommes et des femmes ont eu une réduction d’au moins 50 % du nombre d’épisodes de nycturie, contre seulement 3 % avec le placebo. Ainsi, lors de l’inclusion, le nombre de mictions nocturnes était de 3,0 ± 0,9 chez les hommes et de 2,9 ± 0,75 chez les femmes, pour passer sous traitement à 1,7 ± 0,9 chez les hommes et à 1,6 ± 0,8 chez les femmes, soit un gain moyen de 1,3 ± 0,7 mictions nocturnes sur l’ensemble de la population. Alors qu’ a vant traitement tous les patients inclus a vaient par définition au moins deux mictions nocturnes, le pourcentage de patients présen- Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 2, vol. IV - avril/mai/juin 2004 La ny c t u r i e RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Ouslander JG. Management of overactive bladder. N Engl J Med 2004;350:786-99. 2 . Jennum P. Sleep and nocturia. BJU Int 2002;90: 21-4. 3 . Lose G, Lalos O, Freedman RM, Van Kerre b roek P. Efficacy of desmop ressin (Minirin ®) in the tre a t m e n t of nocturia: a double blind placebo c o n t rolled study in women. Am J Obstet Gynecol 2003;189:1106-13. 4. Mattiasson A, Abrams P, Van Kerrebroek P et al. Efficacy of desmopressin in the treatment of nocturia: a double blind placebo controlled study in men. BJU Int 2002;89:855-62. 5. Andersson KE et al. Pharmacological treatment of urinary incontinence. Thirs International Consultation on Incontinence. Monaco, June 2004. 6 . Abrams P, Mattiasson A, Lose G, Robertson GL. The role of desmopressin in the treatment of adult nocturia. BJU Int 2002;90:32-6. tant moins de deux mictions par nuit était de 67,1 %. Par ailleurs, les études de la qualité du sommeil ont montré, dans les groupes traités, un allongement de la durée de la première période de sommeil. Ces deux essais ont donc permis d’établir que la desmopressine était un traitement efficace de la nycturie due à une polyurie nocturne, avec un niveau de référence selon la classification d’Ox f o rdIa ou IB de l’avis des comités d’experts (1, 5). Concernant la tolérance et, en particulier, le risque d’hyponatrémie, des effets indésirables ont été décrits au cours des essais cliniques chez des patients incluant la population âgée de 65 ans et plus traitée par desmopressine pour nycturie. Au total, environ 35 % des patients ont présenté des effets indésirables pendant la phase d’adaptation posologique. La majorité des cas d’hyponatrémie cliniquement significative (natrémie ‹ 130 mmol/l) est surve n u e chez des patients âgés de plus de 65 ans. Ces études cliniques randomisées ont révélé 3 cas pour 349 patients âgés de moins de 65 ans, soit une prévalence de 0,8 %. L’hyponatrémie est apparue soit précocément après l’initiation du t raitement, soit lors d’une augmentation de la posologie. Concernant le risque d’hyponatrémie, il semble exister clairement une corrélation entre la survenue de l’effet secondaire et l’âge, notamment chez les patients qui absorbent une quantité de boisson exc e s s i ve (6). Il est donc recommandé d’informer les patients sur la nécessité d’avoir une restriction hydrique Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 2, vol. IV - avril/mai/juin 2004 en fin de soirée, lorsque le médicament est prescrit. Par ailleurs, certains préconisent un dosage de natrémie dans les 48 h e u res suivant l’initiation ou toute modification du traitement. Enfin, il est important d’informer le patient sur les signes potentiels évocateurs d’hyponatrémie, en particulier les céphalées et, éventuellement, des troubles digestifs à type de nausées ou vomissements dans les formes les plus s é v è res. En cas d’hyponatrémie, le traitement repose principalement sur la restriction h ydrique. Au total, Minirin® a récemment obtenu en France, ainsi que dans de nombreux pays européens, une extension d’autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le traitement symptomatique de la nycturie de l’adulte de moins de 65 ans lorsqu’elle est associée à une polyurie nocturne. C’est d’ailleurs la pre m i è re fois qu’il est fait mention du concept de nyc t urie dans un libellé d’AMM. CONCLUSION La nycturie est un symptôme fréquent dont les origines sont multiples et les conséquences parfois sévères en termes de retentissement ou, éventuellement, de morbidité induite. Le traitement doit être guidé par une démarche étiopathogénique systématique dont le calendrier mictionnel est l’un des éléments essentiels. La desmopressine est un traitement efficace de la n ycturie du sujet de moins de 65 ans lorsque celle-ci est due à une polyurie nocturne. ■ 25