L`UNION SOVIÉTIQUE DANS L`HISTOIRE

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L’ U N I O N
2009
modifications qualitatives qui ébranlaient
le monde occidental. Comme l'indiquent
Lavallée et Nigoul, «l'organisation en
réseaux et la quasi-instantanéité des communications qui lui est liée, la marchandisation généralisée, la transformation de
la planète en un marché unique, autorisent une autre organisation économique,
géographique et politique pour le capitalisme», «la mondialisation est une forme
moderne d'organisation du capitalisme à
l'heure de l'informatique en réseau».6
Cette nouvelle révolution industrielle,
succédant à celle qui, dès le XVIIIe siècle,
commença par l'introduction des
machines dans l'entreprise, réalise, au
profit des multinationales, le marché universel. Mis en réseaux, «l'ordinateur, l'informatique démultiplient l'activité cérébrale et donc créatrice de l'homme». Ces
outils de domination mondiale ont placé
entre les mains des dirigeants, américains
en premier lieu, des instruments qui leur
permettent de régner en maîtres.
En même temps, la circulation du capital
prend des formes quasiment patholo-
S O V I É T I Q U E D A N S L’ H I S T O I R E
le monde du travail dont ils étaient euxmêmes issus, ont favorisé l'amélioration
de la situation des classes populaires.
L'une des premières mesures qui fut
adoptée, dès qu'elle fut possible, c'est la
diminution de la journée de travail, ramenée à sept heures (et même à six dans les
professions difficiles).
Des investissements essentiels, nécessaires pour renouveler et non seulement
étendre les infrastructures, ne furent par
contre pas réalisés. On avait surtout
répondu à la volonté des gens de disposer
de davantage de biens de consommation;
ou encore de continuer à payer des loyers
très bon marché, ce qui avait toujours été
le cas.
On a reproché, non sans raison, à l'organisation planifiée de la production de
donner lieu à une bureaucratie beaucoup
trop lourde. C'était un handicap certain,
néanmoins, pour les simples gens, la comparaison n'était pas en faveur du capitalisme, dans lequel dominait le chômage,
la hausse constante du coût de la vie, l'in-
lective des fondements du pouvoir économique? Autrement dit comment soumettre le marché au plan?
L'une des voies aurait peut-être été une
certaine extension de la petite propriété
privée artisanale, permettant un marché
des biens de consommation dont les indicateurs auraient servi, dans ce domaine, à
une planification plus souple.
Quoi qu'il en soit, cette première expérience socialiste devait se frayer un chemin sans qu'aucun modèle ne lui serve de
guide. Ce qui est certain, c'est que les
conditions dans lesquelles elle s'est déroulée sont très loin de celles que rencontrent, par exemple, les communistes
cubains. Et très loin aussi de celles qui
nous attendent.
Le principe fondamental sur lequel il est
exclu de transiger si l'on veut construire
une société plus juste, c'est la création
d'un pouvoir représentant les classes
exploitées et dont l'essence est le service
public généralisé des grands moyens de
production, de financement et d'échange.
rise persistante de la promesse communiste, de l’absence de programme de rechange crédible et de la solidarité face aux dangers extérieurs. (photo DR)
giques: la spéculation devient une fin en
soi, déconnectée de la production, créant
des «bulles» financières menaçant à la
longue le capitalisme d'implosion
Les erreurs économiques
certitude du lendemain.
Cependant, la centralisation opérée par le
plan, qui avait été indispensable à
l'époque de l'industrialisation à marche
forcée, devint plus tard un frein.
Le problème principal semble avoir été la
difficulté à estimer les besoins (soit la
demande) pour pouvoir y adapter la production (soit l'offre). La coordination
entre les producteurs de matières premières et les usines qui les utilisaient, par
exemple, laissait à désirer. La pénurie
endémique de certaines marchandises
provenait de cet état de fait. Bien
entendu, les partisans du libéralisme
crient victoire: «Nous vous l'avions bien
dit: le marché est indispensable!» C'est le
point de vue de ceux qui ne pensent
qu'aux profits. Malgré ses défauts, l'économie soviétique a toujours conservé le
cap sur la satisfaction des intérêts populaires.
Ici se pose une question centrale: pourquoi ce retard, alors que le pays disposait
d'une élite scientifique parmi les plus
compétentes du monde?
La guerre avait constitué une terrible
épreuve pour toute la population. Les
dirigeants soviétiques, qui représentaient
En outre, dès 1965, conscients des
manques, les dirigeants soviétiques ont
engagé de nombreuses réformes partielles, qui ont souvent amélioré la situation. Pourtant, le problème central restait
entier: comment enlever au plan sa rigidité, sans mettre en cause la propriété col-
Naturellement, on ne saurait reprocher
aux dirigeants soviétiques de n'avoir pas
rejoint ce marché mondial! Une économie dont le but est l'accroissement du
niveau de vie de la population ne peut ni
ne doit s'intégrer à un système dont l'horizon unique est le profit. Ainsi, «la croissance s'est poursuivie, mais le décollage
vers la modernisation ne s'est pas produit».7
Le retard pris par l'URSS à développer
des réseaux informatiques, dont l'efficacité aurait particulièrement convenu à
son économie planifiée, a eu pour conséquence de freiner son évolution.
Le déficit démocratique
La participation des forces populaires à la
construction d'une société nouvelle avait
été, malgré des difficultés majeures, un
élément clé qui avait permis la victoire de
la Révolution en 1917, la réalisation du 1er
et du 2e plan quinquennal, l'écrasement
de l'agression hitlérienne, la reconstruction.
Après le traumatisme de la guerre
(presque toutes les familles avaient été
atteintes d'une manière ou d'une autre)
et les énormes charges causées par la
réhabilitation des vastes territoires dévastés, l'aspiration à l'élévation du niveau
social était générale. Le gouvernement,
dont c'était aussi l'objectif, s'y attela. La
politique de Khrouchtchev, puis de Brejnev fut en grande partie dictée par cette
priorité.
Il s'agissait d'abord de continuer sur
l'élan qui, avant la guerre, avait abouti à
des avancées spectaculaires, notamment
dans les domaines de l'enseignement, de
la culture et de la santé. Cela fut fait:
entre 1945 et 1975, de nouveaux millions
d'hommes et de femmes accédèrent à
une vie plus aisée.
S'établit ainsi, notamment sous Brejnev,
un «rythme de croisière» qui favorisait
incontestablement les travailleurs.
III
blement à la misère du plus grand
nombre, tandis que s'enrichit une minorité de plus en plus étroite.
Mais, parallèlement, l'esprit critique s'aiguisait: les exigences des gens augmen- Depuis 1991, en une vingtaine d'années,
taient - par exemple, le désir de voir les en Russie, le niveau de vie s'est effondré:
magasins mieux approvisionnés, la possi- les salaires ont considérablement baissé
bilité de pouvoir voyager à l'étranger. Il se (et restent souvent impayés), les prix ont
forma une importante catégorie de augmenté, notamment ceux des loyers. La
citoyens et de citoyennes, en général d'un suppression de la quasi-gratuité des transniveau culturel élevé, qui, sans remettre ports et des médicaments a provoqué des
en cause les fondements du système, se manifestations dans plusieurs villes du
posaient la question de l'amélioration de pays. Contre l'avis des communistes et
d'autres députés de gauche, un vaste proson fonctionnement.
La seule solution possible aurait été d'as- gramme de «réformes» fut adopté par la
socier les gens beaucoup plus étroitement Douma. Il s'agissait de «remplacer les
aux discussions et aux prises de décisions, nombreux avantages sociaux datant de
de promouvoir systématiquement des l'URSS par des compensations finandébats nationaux sur les grandes orienta- cières. [Des] manifestants, retraités,
tions à prendre. Autrement dit, de recou- anciens combattants, handicapés et
rir à une véritable pratique démocratique diverses autres personnes considérées
et de mieux soumettre au peuple les comme "vulnérables", seront les premiers
questions centrales dont dépendait l'ave- à ressentir les effets de cette réforme: ils
ne pourront plus recevoir des bénéfices
nir du pays.
Occupé en priorité à faire face aux visées matériels (prix réduit pour les visites
agressives américaines, le Parti, lui, ne médicales, les transports en commun ou
prit que tardivement conscience de ces les maisons de repos). […] L'opposition
modifications de la société. La désigna- au projet semble forte au sein de la popution de Gorbatchev, en 1985, comme lation.»8
secrétaire général succédait à une longue Les conséquences à long terme de la monpériode pendant laquelle les anciennes tée de la pauvreté, et même de la misère
habitudes de direction perduraient, alors pour beaucoup, apparaissent aux yeux
qu'elles avaient perdu de leur efficacité. des plus favorables au régime actuel.
Joseph S. Nye, profesGorbatchev
lui«La croissance s’est pour- seur à Harvard et
même ne sut pas
ancien
secrétaire
détecter
quelles
suivie, mais le décollage adjoint américain à la
étaient les mesures
Défense, écrit: « La
fondamentales indisvers la modernisation ne crise démographique
pensables. Il aurait
perdure, en raison de
fallu, sans doute, s'atsoins
de
santé
s’est pas produit.»
taquer en premier
publique déficients et
lieu aux faiblesses
dans le domaine économique, en mainte- d'investissements insuffisants dans une
nant bien sûr le service public des sécurité sociale digne de ce nom. La plugrandes entreprises et une planification part des démographes tablent sur une
rénovée, protégeant d'un retour du capi- baisse notable de la population au cours
des prochaines décennies.»9
talisme.
Les Russes vivent maintenant moins longGorbatchev, qui souhaitait le maintien de temps: en 1970, l'espérance de vie était de
l'Union soviétique, soumit la question à 68,7 ans, aujourd'hui 66,6. L'âge de la
l'ensemble du peuple et un référendum, retraite va passer de 60 à 65 ans pour les
parfaitement démocratique, eut lieu le 17 hommes, et, pour les femmes, de 55 à 65.
mars 1991: 70% des votants se prononcè- Le nombre des suicides est en augmentation: 73 hommes et 14 femmes par
rent pour le maintien de l'URSS.
Mais Gorbatchev s'était lancé, sans prépa- 100’000 habitants. 30% à 40% des gens,
ration suffisante, dans des réformes poli- victimes des bouleversements sociaux
tiques qui libérèrent les forces, restreintes depuis la chute de l'URSS, souffrent de
au demeurant, souhaitant le démantèle- troubles psychiques.
Selon les Nations Unies, alors qu'elle
ment du pays.
avait été une grande puissance industrielle, la Russie est aujourd'hui au 71e
La restauration du capitalisme
rang sur 174 Etats.
Ces forces soutinrent Eltsine. Quelques
anciens dirigeants, qui craignaient le Sur le plan culturel, la catastrophe n'est
retour au capitalisme, prirent la responsa- pas moins évidente: «La fréquentation
bilité d'organiser un coup d'Etat qui des théâtres, des salles de concert, des
échoua rapidement, mais alla à fin cirques et des bibliothèques, de même
contraire: il permit à Eltsine de s'emparer que la lecture d'ouvrages littéraires et les
du pouvoir. Celui-ci abolit rapidement les abonnements à des journaux sont en
lois qui empêchaient la restauration de la forte régression. L'alourdissement de la
propriété privée des grands moyens de charge de travail a contribué à rendre les
production et d'échange. Les privatisa- loisirs plus passifs, alors que ceux-ci
tions permirent la création de sociétés étaient bien davantage consacrés à la culanonymes qui, dans une atmosphère de ture, quand, dans les derniers temps de
corruption généralisée, confisquèrent la l'ère soviétique, le temps libre allait en
propriété publique, c'est-à-dire la presque s'élevant. Et, pour accroître leurs revenus,
voire simplement pour survivre, de nomtotalité du pouvoir économique.
breux Russes ont augmenté leurs activités
Des résistances se manifestèrent, notam- agricoles et d'élevage sur leurs propres
ment dans le Parlement de Russie libre- parcelles, quitte à réduire leur temps de
ment élu. Tentant d'imposer son pro- sommeil et de loisirs. […] En dehors de
gramme de liquidation, Eltsine prit des Moscou, la plupart des gens ont vu leurs
décrets en vue d'imposer une «adminis- possibilités d'accès à la culture se réduire
tration spéciale» que condamna la Cour considérablement. Les sociologues déploconstitutionnelle. Des manifestations de rent d'autant plus la piètre qualité des
soutien aux parlementaires eurent lieu. programmes de télévision que le petit
Comme un vulgaire Pinochet, Eltsine écran est devenu le loisir dominant. Sans
organisa alors un coup d'Etat: le 4 octobre parler du déclin de la recherche scienti1993, il fit arrêter les dirigeants du fique, de la fréquentation des établisseCongrès des députés de Russie et bom- ments d'enseignement, des services médibarda le Parlement. Il y eut des centaines caux et sociaux, sans parler non plus de la
chute des indicateurs de la vitalité démode morts.
graphique - autant de signe que la survie
Le régime «libéral» instauré par Eltsine a même de la nation est désormais en
abouti à la restauration du capitalisme, jeu.»10
personnifié particulièrement par les «oligarques» qui, à la faveur des privatisa- En même temps, les nouveaux privilégiés
tions, prirent en main les leviers de com- s'enrichissent scandaleusement. Touristes,
mande économiques et politiques, ils viennent, par exemple, en Suisse où ils
comme c'est le cas dans tous les pays où disposent de fonds considérables. A leur
règne le capital.
tête, les «oligarques» ont pillé le pays; ils
en possèdent les principales ressources.
Le bilan constitue une véritable preuve L'homme le plus riche de Russie est le
de la supériorité d'un système basé sur la patron du géant de l'aluminium, privatisé
prééminence du service public, qui, seule, sous Eltsine: il est à la tête d'une fortune
peut assurer à long terme les fondements de plus de 21 milliards de dollars, ce qui
d'une société de justice sociale. A l'in- était impensable sous le régime soviéverse, la propriété privée des grands
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moyens de production conduit inexora-
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