mands écrivent-ils. «Le temps de l'économie, ce n'est pas le temps de la politique, affirme JeanPaul Betbeze, directeur des études économiques et financières au Crédit lyonnais. On ne peut pas faire marcher un système à la vitesse du plus rapide, et on ne peut pas demander à une monnaie de tout faire : soutien à l'investissement, formation, retraites, etc. Il faut donc un calendrier pour opérer correctement les aménagements, il faut calmer le jeu. » Mais la machine est lancée. Helmut Kohl, qui était politiquement fini il y a un an, joue son va-tout sur le pari de l'union monétaire. Et même s'il se ravisait, il n'est pas sûr qu'il pourrait faire machine arrière. Maintenant qu'on a annoncé la disparition du mark-est, il va falloir aller très vite, s'inquiète-t-on à la Commerzbank. Pour prendre une image : le paysan qui vend es poules au marché risque d'attendre, s'il sait qu'il obtiendra en échange une monnaie de singe. La machine économique se grippe, elle est en train de se transformer en économie de troc. » L'Allemagne aura-t-elle les moyens d'amortir le choc de l'union monétaire ? Elle s'accompagnera d'un chômage massif en RDA, et il faudra également renflouer le système des retraites à l'Est. Chômage et retraites pourraient coûter une cinquantaine de milliards de DM dès la première année, selon les premières estimations. Le reste, c'est-à.-dire toutes les dépenses d'infrastructures, de transports, de communications, de formation, est une oeuvre de plus longue haleine. Ordre de grandeur avancé : une centaine de milliards de DM. Les besoins d'investissements des entreprises, enfin, sont évalués à 300 milliards de DM. L'ensemble représenterait 400 à 500 milliards de DM sur cinq à dix années. Ce prix, la prospère Allemagne de l'Ouest peut le payer. La difficulté, ce sera les hommes L'union monétaire express suppose un changement radical de leur part. Si l'on peut violer ceux qui détiennent aujourd'hui les leviers de l'économie, il n'est pas sûr qu'on les convertira pour autant au marché. (( Chaîne de fabrication de la Trabant a Zwickau secteur à l'autre. Il y a, c'est vrai, des secteurs où la RDA n'est pas ridicule. Mais dans un grand nombre d'activités, les machines et les biens produits sont vétustes : peut-on vraiment évaluer la valeur d'une Trabant ou d'un frigo antédiluvien ? A l'Ouest ils sont invendables ! Ensuite, on ne sait pas ce que feront les salariés est-allemands de leur salaire. Même s'il est bas, il est probable qu'ils souhaiteront en dépenser une partie sur le marché ouest-allemand. Une Fiat Panda est beaucoup plus chère qu'une Trabant, mais il ne faut pas des années d'attente pour l'obtenir. Il est vrai qu'« on pourrait instaurer des barrières protectionnistes provisoires, par exemple pour les produits manufacturés, qui représentent le tiers de l'économie de la RDA », comme le suggère un expert, à Bruxelles. Enfin, il faudra immédiatement et simultanément réformer le système des prix : comment une brasserie est-allemande pourra-t-elle payer son personnel en monnaie noble si ses profits sont nuls ? Actuellement, la bière est-allemande étant classée dans la catégorie des biens populaires, son prix subventionné par l'Etat, est dérisoire. Il a instaurer un système de prix fixés par le faudr marché. C'est de toute façon inévitable, mais on devra le faire immédiatement, union monétaire oblige. Difficile. « On dit qu'on va rétablir le marché, mais il n'y a pas de marchands», rappelle Brender. L'exemple de la Pologne, qui s'est brutalement convertie aux prix du marché, est souvent évoqué. « Les Polonais n'ont pas une "Pologne de l'Ouest" • soit ils retroussent leurs manches, soit ils coulent », souligne Thierry Daieff, au siège de la Commerzbank, à Francfort. On comprend mieux l'hostilité que rencontre, dans les milieux économiques, le projet d'une union monétaire en 1990. Les « Cinq Sages », un grotipe d'experts ouest-allemands qui publie chaque année un rapport très écouté, sont même allés jusqu'à envoyer une lettre ouverte au chancelier Kohl : la rapide introduction du deutschemark comme moyen de paiement est « un faux moyen pour stopper le flux de réfugiés est-alle- européens ne doivent pas pour autant demeurer « inertes ». N.O. — Pratiquement, que faire ? M. Vauzelle.— Travailler la main dans la main avec l'Allemagne pour qu'elle reste étroitement imbriquée dans l'Europe de l'Ouest. Il n'y a pas d'alternative àla Fédération européenne proposée par Jacques Delors et àla Confédération proposée par François Mitterrand même si, selon moi, ces perspectives demeurent incertaines tant que ne sera pas débattu du problème de la préservation des langues et des identités culturelles. N.O. — Il est quand même difficile de nier qu'une Allemagne de plus de 80 millions d'habitants va déséquilibrer l'Europe des Douze ! M. Vauzelle. — Il faut en parler. Il ne doit pas y avoir de sujet tabou. Comment les 80 millions d'Allemands vont-ils percevoir eux-mêmes leur force nouvelle dans la Communauté européenne et dans le monde, et comment leurs partenaires vont-ils percevoir cette nouvelle Allemagne ? Le plus important, à mes yeux, est qu'au-delà des frontières de l'Allemagne unie existe la frontière du grand bassin linguistique et culturel germanophone qui englobe notamment l'Autriche, une partie de la Suisse, le Luxembourg et, ici ou là, quelques régions. Plus important encore est qu'au-delà du bassin germanophone, existe une autre frontière, celle plus vaste encore du bassin économique qui regroupe avec l'Allemagne, la Pologne, la Boheme, la Hongrie, des regions comme celles de Trieste ou la Slovénie. Les responsables de l'Europe de l'Est invités au récent colloque organisé par Laurent Fabius l'ont dit clairement : ils espèrent former avec l'Allemagne des PHILIPPE BOULET-GER COURT (1)1 DM —3,40 francs. (2) Centre d'Etudes prospectives et d'Informations internationales. ensembles économiques régionaux cohérents au coeur de l'Europe. L'épine dorsale de l'Europe était aux marches de la francophonie. Elle passait par une ligne Bruxelles-Luxembourg-Strasbourg. Demain, elle sera germanophone et passera par une ligne Berlin-Vienne-Trieste. La France reste cependant à une charnière de l'Europe. Sur nos frontières nord-est une grande puissance économique allemande, sur nos frontières sud, le Maghreb, qui formera "de facto" avec l'Espagne, l'Italie etla France un seul et unique bassin d'emploi. Il faut créer au Maghreb des pôles de développement pour y retenir une population ardente et intelligente. Entre l'Allemagne et le Maghreb, la France doit veiller plus que jamais A l'équilibre Nord-Sud de l'Europe. Propos recueillis par Robert Schneider 22-28FEVRIER1990/53