M I S E A U P O I N T Pertinence du diagnostic virologique des infections respiratoires communautaires Relevance of virological diagnosis in communautary-acquired respiratory tract infections ● A. Mosnier*, B. Lina** Résumé : Les infections virales respiratoires communautaires font partie du quotidien de tous les praticiens de ville. Il s’agit d’infections aiguës des voies aériennes supérieures ou inférieures, quelquefois compliquées par une surinfection bactérienne et évoluant souvent sous forme d’épidémies. De nombreux virus peuvent être responsables de ces infections, et il est impossible d’en faire le diagnostic étiologique exclusivement sur la clinique. Ce diagnostic nécessite la réalisation d’un prélèvement au niveau de la muqueuse nasale ou pharyngée (écouvillon, lavage ou aspiration) qui sera analysé dans un laboratoire de virologie spécialisé. Du fait de la lourdeur et de la lenteur des techniques virologiques, ce diagnostic est peu approprié à la pratique de ville, et ces infections virales sont donc rarement documentées. Pourtant, le diagnostic étiologique des infections respiratoires communautaires est utile, nécessaire et pertinent, en particulier dans la perspective d’un bon usage des antibiotiques et du développement d’antiviraux spécifiques. Grâce aux réseaux de surveillance de la grippe, des données épidémiologiques de terrain, étayées par des analyses virologiques, sont déjà disponibles. Elles fournissent des informations en temps réel sur la circulation des virus et sur la situation épidémiologique de terrain. En complément, la commercialisation de tests virologiques rapides accessibles aux praticiens pourrait leur permettre de réaliser un diagnostic étiologique précis chez certains des patients consultant pour une infection respiratoire aiguë, et de connaître ainsi au mieux la situation épidémiologique locale. Mots-clés : Culture cellulaire - Épidémiologie - PCR - Tests diagnostiques rapides - Traitement - Virus respiratoires. Abstract: Respiratory tract infections are frequent diseases in outpatients. These are acute infections of the upper or lower respiratory tract, rapidly evolving, responsible for large epidemic, with frequent bacterial super-infections. Numerous viruses are responsible for these infections, and it remains impossible to identify the causative agents by simple analysis of the clinical symptoms. This diagnosis has to be carried out by analysis in a virology lab of nasal/pharyngeal swabs or washes collected from the patients. This diagnosis is rarely carried out in outpatients due to the lack of rapid and easy-to-handle techniques. In the frame of the development of new antiviral agents, and the need for good practices in the management of antibiotics, the accurate diagnosis of acute respiratory tract infections in outpatients is both useful and relevant. Surveillance networks already implemented for influenza surveillance provide real-time epidemiological and virological data available for general practice. The development and future commercialisation of near patient tests should be of help to allow the accurate diagnosis of acute respiratory tract infection in outpatients. Key-words: Cell culture - Epidemiology - Near patient tests - PCR - Respiratory viruses. L’ infection respiratoire communautaire est la pathologie infectieuse la plus fréquemment rencontrée en médecine de ville (1, 2). Les manifestations cli- * Coordination nationale des GROG, Open Rome, Paris. ** Centre national de référence pour les virus influenza, région Sud, hospices civils de Lyon, UMR 5537, Domaine Rockefeller, Lyon. La Lettre du Pneumologue - Volume VII - no 2 - mars-avril 2004 niques de ces infections sont très variées, allant du simple rhume à la pneumopathie hypoxémiante, en passant par l’otite moyenne aiguë. Les virus sont les principaux agents étiologiques de ces infections respiratoires communautaires (3-6). Elles sont observées toute l’année avec un pic durant la période hivernale (3, 4, 7). Les virus respiratoires sont les virus influenza, le virus respiratoire syncytial, les Adénovirus, les Rhinovirus, les Coronavirus, 57 I S E A les virus para-influenza, et les métapneumovirus. Ils sont responsables de pathologies respiratoires aiguës, souvent de durée courte (4 à 7 jours), atteignant toutes les tranches d’âges et survenant dans toutes les régions du globe (1). La circulation de ces virus, et donc leur épidémiologie, dépendent de la saison et des latitudes (1, 8). Parmi les virus respiratoires, le virus influenza est responsable de la plus grande morbi-mortalité ; c’est aussi celui pour lequel nous avons le plus de données épidémiologiques. Ce virus fait l’objet d’une surveillance étroite, tant au niveau national (réseau de surveillance des GROG) qu’au niveau international (réseaux EISS et OMS) (1, 7). Cette surveillance est nécessaire pour détecter et caractériser les virus circulants, vérifier l’adéquation de la composition vaccinale en cours et choisir les variants qui devront être inclus dans les compositions vaccinales à venir. C’est aussi grâce aux réseaux de surveillance internationaux qu’il a été possible de constater, durant l’hiver 2001-2002, l’apparition d’un virus réassortant humain A (H1N2) (9). En France, le réseau des médecins des Groupes régionaux d’observation de la grippe (GROG) assure depuis 1987 la surveillance des infections grippales communautaires. Les généralistes et les pédiatres des GROG réalisent des prélèvements chez des patients présentant une infection respiratoire aiguë et adressent ces prélèvements, accompagnés d’une fiche de renseignements cliniques, aux laboratoires de virologie. Ainsi, le réseau GROG assure la collecte d’informations cliniques et virologiques qui permettent d’annoncer et de caractériser avec précision l’arrivée des virus grippaux sur le territoire français, de décrire l’épidémie et de mesurer l’impact médico-économique de la grippe chaque hiver (7, 10). Depuis 1990, le diagnostic des infections respiratoires aiguës effectué sur ces prélèvements de ville par le Centre national de référence pour les virus influenza (région Sud) pour la région RhôneAlpes combine la détection des virus grippaux à celle d’autres virus respiratoires (VRS, virus para-influenza, Adénovirus, Rhinovirus et Entérovirus), de Chlamydia pneumoniae et de Mycoplasma pneumoniae (7). L’élargissement de l’éventail du diagnostic audelà de la simple détection de la grippe a paru essentiel pour assurer un diagnostic étiologique aussi complet que possible des infections aiguës des voies aériennes supérieures et ne pas sur- ou sous-estimer l’impact de la grippe (11, 12). Ce diagnostic précis peut aussi permettre de corriger les erreurs d’appréciation parfois importantes faites par le public quant à l’efficacité du vaccin antigrippal. En effet, même en période épidémique, le diagnostic de grippe peut être porté en excès chez un patient vacciné devant une symptomatologie respiratoire aiguë qui peut être la conséquence d’une infection par un autre pathogène respiratoire, voire de phénomènes allergiques (12). LES VIRUS RESPIRATOIRES ET LEUR POUVOIR PATHOGÈNE Au cours des infections respiratoires communautaires, différents virus peuvent être impliqués. Les trois les plus fréquemment rencontrés sont les Rhinovirus, les virus influenza (A et B) et le virus respiratoire syncytial (sérotypes A et B). La morbidité liée aux infections grippales ou à VRS est nettement plus importante que celle associée aux infections à Rhino58 U P O I N T virus. Les virus influenza et le VRS sont responsables d’infections hautes et basses essentiellement rencontrées en fin d’automne et durant l’hiver, parfois compliquées de surinfections bactériennes (pneumopathies, otites, sinusites). Le VRS est particulièrement en cause dans les infections respiratoires basses des petits enfants (bronchiolite), et peut aussi être responsable d’infections chez l’adulte et la personne âgée. D’autres virus respiratoires sont également impliqués dans des pathologies respiratoires (Adénovirus, virus para-influenza 1, 2 et 3, Coronavirus, métapneumovirus et parfois Entérovirus). À la différence des virus influenza, dont l’épidémiologie reste imprévisible, la chronologie de la circulation des autres virus est connue. Ainsi, certains sont rencontrés plutôt durant l’automne et le printemps (Rhinovirus et Coronavirus), pendant l’été (virus para-influenza 3 et Entérovirus), ou durant toute l’année, avec des petites bouffées épidémiques localisées et transitoires (Adénovirus). Enfin, cliniquement, certains, tels que les Rhinovirus ou les Coronavirus, ne donnent pratiquement que des infections bénignes des voies aériennes supérieures, alors que le para-influenza 3 et les Adénovirus peuvent être responsables d’infections des voies aériennes inférieures accompagnées de signes généraux parfois importants. Toutefois, en l’absence d’analyse virologique, il est impossible pour le praticien de ville de faire un diagnostic étiologique précis des infections respiratoires, aucun de ces virus ne donnant de tableau clinique pathognomonique (10, 13). CONDUITE DU DIAGNOSTIC VIROLOGIQUE DES INFECTIONS VIRALES RESPIRATOIRES Techniques de prélèvement Les infections virales respiratoires sont des infections aiguës d’évolution courte et rapide. Le site primaire de réplication de la plupart des virus respiratoires est l’épithélium cilié des voies aériennes supérieures, quelles que soient les manifestations cliniques observées chez le patient infecté. L’excrétion virale se fait essentiellement au niveau de la muqueuse nasale et ne dure que 4 à 7 jours, avec un pic au deuxième jour (figure 1). Dès lors, pour être utile, un prélèvement à visée diagnostique doit être réalisé, de préférence au niveau de la muqueuse nasale, dans les deux 5 Nombre de virus (log) par ml de sécrétion nasale M 4 3 2 1 0 0 12 24 36 48 60 72 84 96 108 120 132 144 Durée (heures) Date d'infection Figure 1. Cinétique d’excrétion du virus influenza chez l’adulte (d’après 21). La Lettre du Pneumologue - Volume VII - no 2 - mars-avril 2004 ou trois premiers jours de la maladie. Plus le prélèvement sera réalisé précocement, plus la chance d’obtenir un résultat positif sera élevée. La technique la plus simple pour effectuer ce prélèvement consiste à réaliser un écouvillonnage nasal à l’aide d’un écouvillon réservé aux analyses virologiques, c’est-à-dire associé à un milieu de transport ou de survie. En pratique, l’écouvillon est introduit dans la narine sur une longueur de 1,5 à 2 cm, horizontalement, sur un plan parallèle au plan du palais. Une rotation lente est alors appliquée sur l’écouvillon, puis il est retiré et placé dans son milieu de survie ou de transport. Plutôt qu’un écouvillonnage nasal, les Anglo-Saxons utilisent un système dit d’aspiration nasale (14). Pour cela, un dispositif est placé dans la narine du patient, permettant l’injection intranasale de 2 à 3 ml de sérum physiologique. Ce liquide est ensuite aspiré et collecté dans un tube du dispositif. Pour certains virus respiratoires, il sera utile d’effectuer un écouvillonnage de gorge. C’est le cas pour les virus dont la réplication se situe essentiellement au niveau des amygdales et du pharynx (Adénovirus, Entérovirus). Ainsi, devant un tableau respiratoire sans écoulement nasal clair franc (trachéite ou bronchite isolée), certains préconisent de combiner systématiquement le prélèvement nasal à un prélèvement pharyngé au niveau des piliers de l’amygdale et du fond de la gorge. Les deux écouvillons seront envoyés au laboratoire. Les virus sont responsables de 90 % des épisodes de bronchite aiguë. Chez les patients atteints de bronchite chronique, les infections aiguës se partagent entre infections d’origine virale et bactérienne (50 %) (5). Au cours d’une bronchite, le prélèvement le plus souvent réalisé est un crachat, dont l’analyse n’a aucun intérêt pour le diagnostic virologique (15). En effet, ces prélèvements sont souvent purement salivaires, pauvres en cellules épithéliales, et ne peuvent donc pas être informatifs (16). Au cours des épisodes de bronchite aiguë d’origine virale, le patient présente une toux sèche, irritative et non productive. Lorsque la bronchite est accompagnée d’une toux grasse, cela peut être le signe d’une surinfection bactérienne. Chez les patients atteints de bronchite aiguë non productive, le diagnostic virologique sera possible sur un prélèvement de nez et de gorge. L’objectif de l’ensemble de ces techniques est de prélever des cellules épithéliales infectées en nombre suffisant pour permettre la réalisation du diagnostic ; les prélèvements paucicellulaires sont à l’origine de faux négatifs. Le délai d’acheminement des échantillons au laboratoire conditionne aussi le résultat. Afin d’avoir les meilleures chances de diagnostic, les prélèvements doivent arriver le plus rapidement possible. Qu’il s’agisse d’un prélèvement de nez ou de gorge, la détection des virus est excellente lorsque les écouvillons sont placés dans des milieux de transport adaptés. Ces prélèvements peuvent attendre 48 à 72 heures à température ambiante avant d’être traités par le laboratoire de virologie, cela sans réduction des possibilités de détection de la plupart des virus respiratoires. Ainsi, les prélèvements effectués en ville par les médecins des GROG sont adressés aux laboratoires de virologie par la poste, dans des conteneurs spécifiques. Pour les liquides de lavage nasal, il n’y a pas de milieu de transport possible. Toutefois, il est possible de mélanger le liquide collecté avec un milieu de survie simple, ce La Lettre du Pneumologue - Volume VII - no 2 - mars-avril 2004 qui permet de conserver l’échantillon à 4 °C pendant quelques heures avant de l’envoyer au laboratoire dans un délai maximum de 8 heures. Techniques de détection des virus respiratoires (tableau I) Le diagnostic virologique au laboratoire est généralement réalisé en combinant des techniques de détection antigénique rapide et de mise en culture sur lignée cellulaire. Les premières mettent en évidence des protéines virales directement dans le prélèvement, généralement par ELISA ou par immunofluorescence (IF). Ces techniques rapides (2 heures en moyenne) ont souvent une sensibilité correcte, parfois bonne (17-19), et permettent au laboratoire de donner une première réponse le jour même du prélèvement. C’est sur la base de ces techniques que se développent les doctor-tests, tests simplifiés et rapides (en général moins de 15 minutes), réalisables par un médecin dans son cabinet (voir plus loin). Il existe aussi des tests unitaires rapides utilisables au laboratoire (environ 10 à 20 minutes). Le principe de ces tests est habituellement un ELISA sur membrane. Ils n’existent que pour la détection des virus de la grippe [par exemple Flu A-B Directigen, Beckton Dickinson (20), ou le VRS (Directigen)]. Ils permettent la différenciation entre influenza A et influenza B, mais pas le soustypage des virus de type A (20). Leur évaluation par rapport aux techniques classiques les place à équivalence avec certains tests ELISA conventionnels. Pour obtenir une bonne sensibilité, ces tests de diagnostic direct sont en général couplés à la culture (7). La culture des virus demande un environnement technique important dont ne disposent pas la grande majorité des laboratoires privés. En effet, la culture virale nécessite l’utilisation de hottes à flux laminaire de classe II (ou postes de sécurité microbiologique), de microscopes inversés, de centrifugeuses à plaques et d’étuves à CO2. Outre l’aspect purement technique, le second facteur qui limite l’utilisation de la culture est la nécessité d’avoir un personnel ayant la connaissance et la maîtrise de ces techniques délicates. La culture des virus respiratoires nécessite l’entretien de différentes lignées, car il n’existe Tableau I. Liste des techniques utilisables pour le diagnostic des infections à virus respiratoires. Virus IF Influenza A Influenza B VRS A VRS B Rhinovirus Adénovirus Para-influenza 1 Para-influenza 2 Para-influenza 3 Para-influenza 4 Coronavirus** Entérovirus Métapneumovirus + + + + + + + + + - Diagnostic direct ELISA TDR + + + + +* +* +* + - + + + + - PCR + + + + + + + + + + + + + Culture + + + + + + + + + + + ± * Les différents types peuvent être détectés par une réaction unique couplant les AC anti-1+2+3. ** Hors souches Urbani et TOR. 59 M I S E A Prélèvement U P (Nez-gorge) Milieu de transport 3 ml 3 aliquots + antibiotiques 30 mn Centrifugation + 1 congelé (- 80 °C) + 1 PCR Cellules + milieu I N T Figure 2. Algorithme utilisé pour la détection des virus respiratoires (CNR région Sud). Cet algorithme ne tient pas compte des techniques moléculaires qui peuvent être utilisées occasionnellement pour augmenter la sensibilité des tests ou pour confirmer un diagnostic direct positif/ culture négatif (7). 2 mn x 400 g Cultures sur cellules Cellules + PBS ELFA VIDAS VRS Incubation ECP O IF IC ELISA GR A GR B PARA IC ELISA (surnageant) Identification pas de lignée cellulaire permettant l’isolement de l’ensemble de ces virus. Certaines cellules sont plus sensibles pour certains virus respiratoires (par exemple : MDCK pour virus influenza ; HEp2 pour VRS ou Adénovirus). Ces cultures sont réalisées dans des plaques et centrifugées, ou bien dans des tubes, ces derniers étant mis sur des rollers afin d’améliorer la sensibilité de la culture (17). Les prélèvements respiratoires sont habituellement incubés à 34 °C. Les méthodes diagnostiques utilisables pour la détection ou la culture des virus dépendent du pathogène recherché. Ainsi, une détection antigénique par ELISA et/ou IF est utilisable pour VRS, influenza A et B et para-influenza 1, 2 et 3. Pour les Entérovirus, les Rhinovirus, les Adénovirus respiratoires et les Coronavirus, il n’existe pas d’anticorps adaptés à leur détection. Hormis les Coronavirus, les virus respiratoires sont bien isolés en culture cellulaire. Ainsi, dans un laboratoire expérimenté, la culture reste la technique de référence pour la détection des virus respiratoires. En utilisant un panel de lignées cellulaires, il est possible d’organiser la détection concomitante de plusieurs virus dans un prélèvement. Ainsi, le CNR des virus influenza (région Sud) assure un diagnostic assez élargi sur des prélèvements réalisés en pratique communautaire (figure 2). Le défaut de cet algorithme est le délai de réponse. Les infections virales respiratoires sont des infections aiguës, d’apparition et d’évolution rapides, pour lesquelles seul un diagnostic rapide permet un diagnostic étiologique et un traitement spécifique en temps réel. Pour cette gestion du patient consultant pour une infection respiratoire aiguë, le besoin d’un diagnostic rapide a été renforcé par la commercialisation de produits spécifiquement à activité antigrippale, l’efficacité de ces produits étant directement liée à la précocité de leur administration [effet maximal en cas d’administration moins de 36 heures après le début des symptômes (21)]. Leur 60 spécificité antigrippale ainsi que leur prix font qu’ils ne doivent être administrés qu’à bon escient, au mieux chez des patients pour lesquels un diagnostic étiologique a pu être réalisé. Or, le délai de réponse de la culture pour les virus respiratoires est d’environ quatre jours. Cette constatation simple, combinée au fait que certains virus ne sont pas facilement isolables en lignée cellulaire, que la culture des virus nécessite un investissement important en personnel et que l’absence de diagnostic en temps réel entraîne un désintérêt des cliniciens, a conduit au développement des tests moléculaires de type PCR. La PCR est une méthode de diagnostic rapide (de 4 à 24 heures) et sensible. Comparée à la culture, elle est d’une sensibilité supérieure, et permet la détection de pathogènes dont la culture est longue et fastidieuse, voire impossible (exemple : certains Coronavirus). L’avantage de cette technique est que le résultat positif ou négatif est obtenu rapidement (22). Comme pour la culture des virus, la réalisation de la PCR se fait avec un environnement technique important et du personnel qualifié. En effet, le diagnostic par PCR nécessite la maîtrise des processus d’extraction des acides nucléiques (ARN ou ADN), ainsi que des techniques d’amplification. Des procédures déjà publiées décrivent des PCR permettant de détecter un pathogène précis (PCR simple) ou plusieurs pathogènes [PCR multiplex] (18, 19, 22). Les avantages et inconvénients de la PCR par rapport à la culture des virus sont un sujet de discussions passionnées. Certains prêchent pour le tout-moléculaire (22), d’autres pour le tout-culture (23), les plus modérés préférant l’utilisation combinée des deux techniques. En fait, ces deux techniques sont complémentaires. Cependant, l’utilisation intensive de la PCR permet aux laboratoires bien structurés et capables d’absorber la demande de donner des réponses rapides (en 4 à 8 heures), utiles pour la prise en charge La Lettre du Pneumologue - Volume VII - no 2 - mars-avril 2004 des patients. Cette rapidité de réponse entraîne une modification de la perception de l’utilité du diagnostic virologique par les cliniciens, les rendant plus enclins à demander des analyses virologiques du fait de la valeur ajoutée à cette prise en charge (24). Les techniques dites “multiplex”, permettant la détection simultanée et rapide de deux à dix pathogènes respiratoires différents, seront potentiellement très utiles (18). Ces techniques d’avenir nécessitent encore de la mise au point, afin d’avoir une sensibilité équivalente à celle obtenue globalement avec les PCR simples. Actuellement, les techniques PCR ont une meilleure sensibilité que la culture pour la détection des virus respiratoires. Toutefois, le gain de sensibilité est différent selon les virus : il est indiscutable pour les Coronavirus et les Rhinovirus, moins évident pour les virus influenza (19, 25). Par ailleurs, le retour en temps réel, vers les praticiens, des résultats de prélèvements effectués à titre diagnostique, pour des pathologies aussi courantes, nécessiterait une adaptation du mode de transmission des résultats. LES TESTS DE DIAGNOSTIC RAPIDE UNITAIRES (TDR) Ces tests sont destinés aux médecins se trouvant au chevet du patient. Ils sont appelés doctor tests ou near patient tests, et reposent généralement sur le principe d’une immuno-chromatographie sur bandelette après traitement des échantillons par un détergent libérant les protéines virales contenues dans le prélèvement [exemple : test QuickVue, QUIDEL (20)]. Ces TDR, dont le délai de réponse est en moyenne de 10 à 20 minutes, s’appliquent indifféremment sur des écouvillonnages, aspirations ou lavages de nez. Ils ne sont commercialisés que pour les virus influenza. Le délai de réponse de ces TDR en fait des outils intéressants pour la mise en route du traitement antiviral antigrippal spécifique “en temps réel”. Toutefois, comparés à la culture, ils manquent encore de sensibilité, ne différencient pas les types de virus influenza et ne per- mettent pas le diagnostic d’autres viroses (12, 20). Par ailleurs, leur réalisation nécessite une formation préalable et un temps de réalisation difficilement compatibles avec la pratique de la médecine de ville. FAUT-IL FAIRE LE DIAGNOSTIC VIROLOGIQUE DES INFECTIONS RESPIRATOIRES COMMUNAUTAIRES ? La réponse à cette question peut varier selon le contexte. ✓ Pour le Centre national de référence (CNR) des virus influenza et des virus respiratoires, il est indispensable de faire un diagnostic précis des infections respiratoires communautaires, afin de caractériser le plus précisément possible les virus en circulation et leur impact médical réel (mortalité et morbidité), d’éviter ainsi de faire des interprétations erronées concernant leur circulation, et de participer aux choix vaccinaux (vaccin antigrippal). Pour le CNR, le diagnostic virologique des infections respiratoires communautaires est donc pertinent. Ce diagnostic permet la surveillance de la circulation des virus influenza comme celle des autres virus respiratoires qui circulent avant ou en même temps, et qui peuvent compliquer la surveillance de la grippe en l’absence de données virologiques précises (figure 3) (11, 12, 26). Les outils de la surveillance virologique doivent être préférentiellement la culture avec identification des souches virales isolées (23). Seule la caractérisation des virus respiratoires permet le suivi précis de la circulation des souches épidémiques, la détection éventuelle de nouveaux variants, voire de souches potentiellement pandémiques. ✓ Du point de vue du médecin hospitalier qui voit arriver en urgence un patient pour un tableau infectieux grave lié à une possible infection virale, le diagnostic virologique est indispensable Nombre de prélèvements 100 40 80 30 60 20 40 10 20 Nombre de prélèvements positifs 50 120 0 0 36 38 41 43 45 47 49 51 1 2001 3 5 7 Semaines 9 11 13 15 17 19 21 26 2002 Grippe A Grippe B Virus respiratoire syncytial Rhinovirus Entérovirus Nombre de prélèvements La Lettre du Pneumologue - Volume VII - no 2 - mars-avril 2004 Adénovirus Para-influenza Figure 3. Circulation des principaux virus respiratoires dans la région Rhône-Alpes, hiver 2001-2002. (Données GROG). 61 M I S E A (25). À la différence du CNR, ce clinicien a besoin d’un diagnostic positif ou négatif rapide pour une décision thérapeutique instaurant un traitement adapté et évitant les prescriptions inutiles. Pour cela, ce médecin devra envoyer des prélèvements au laboratoire de virologie qui réalisera de préférence un diagnostic direct ou un diagnostic par PCR et, éventuellement, une mise en culture (22). Le critère principal pour justifier le choix de la technique utilisée par le laboratoire sera la rapidité de la réponse positive ou négative. Seuls quelques laboratoires hospitaliers ont la capacité technique de réaliser la culture des virus respiratoires ; en revanche, après un choix raisonné des amorces et des procédures à utiliser, la plupart des laboratoires de CHU et de CHG auront la capacité technique d’appliquer la PCR. Auront-ils le personnel pour le faire ? ✓ Du point de vue du praticien de ville qui reçoit lors de sa consultation des patients présentant une infection virale probable, mais chez lesquels il redoute une infection bactérienne nécessitant l’administration d’antibiotiques, la seule solution spécifique serait la réalisation au cabinet de tests de diagnostic rapide (20). Actuellement, seuls existent des tests pour le diagnostic de grippe, de sensibilité souvent insuffisante, et dont aucun n’est commercialisé en France. Dans un avenir proche, on pourra aussi faire le diagnostic d’infection à VRS ou à Rhinovirus. Le résultat du test permettrait d’argumenter un traitement adapté (ex. : antiviraux spécifiques) et d’éviter la prescription inutile d’antibiotiques en l’absence de signes de surinfection (16). Actuellement, les possibilités de diagnostic en temps réel d’une infection virale communautaire par un praticien de ville sont limitées, car les techniques diagnostiques ne sont pas encore accessibles. Outre ce manque de tests permettant la recherche simultanée de plusieurs virus, la place importante des infections respiratoires dans la pratique de ville rend l’élaboration d’une stratégie de diagnostic au cabinet difficilement envisageable, faute de temps. Aujourd’hui, seuls les praticiens participant aux réseaux de surveillance de la grippe ont la possibilité d’obtenir des résultats virologiques en temps réel pour la grippe (TDR), ou dans un délai rapide pour les autres virus (résultats du CNR). Toutefois, la réalisation et l’envoi de prélèvements par ces médecins vigies aux laboratoires de référence permettent de fournir des données épidémiologiques utiles à tous les praticiens (7, 10). La confrontation des données cliniques et virologiques obtenues renseigne sur les conditions épidémiologiques du moment, et permet d’alerter lors de l’apparition d’une épidémie. La diffusion large d’informations épidémiologiques structurées au plan régional (notamment à travers le site Internet www.grog.org) est un élément clé du diagnostic étiologique précis. En période épidémique déclarée, les médecins font le diagnostic clinique de la grippe avec une assez bonne spécificité chez l’adulte et le grand enfant (15). Un travail récent réunissant les données de plusieurs études a ainsi montré que, en période confirmée de circulation grippale, la valeur prédictive positive de l’association d’une toux et de fièvre chez un adulte vu à la 36e heure était de 85 % (13). Ainsi, à défaut d’un diagnostic étiologique porté sur des prélèvements réalisés chez le patient, le médecin peut au moins faire un diagnostic clinique probabiliste étayé sur des données épidémiologiques en temps réel. 62 U P O I N T ✓ Pour les autorités sanitaires, la connaissance précise de l’épidémiologie et de l’impact médico-économique des différentes infections respiratoires virales est nécessaire à l’élaboration d’une politique de soin adaptée : ciblage de la campagne vaccinale antigrippale, gestion des structures de soins pouvant être déstabilisées par la survenue de phénomènes épidémiques, meilleure connaissance des populations à risque pour chaque virus, bon usage des antibiotiques et antiviraux, élaboration d’un plan de lutte en cas de pandémie grippale... Dans ce contexte, toutes les données issues de la veille épidémiologique des infections respiratoires sont utiles. CONCLUSION Le diagnostic des infections virales respiratoires communautaires est important. Il est pertinent pour la prise en charge du patient, car il permet d’apporter une réponse claire et documentée à des situations cliniques fréquentes. En s’appuyant sur les résultats, le praticien pourra expliquer rationnellement la stratégie thérapeutique proposée au patient (absence de prescription d’antibiotiques et éventuelle prescription d’antiviraux), ainsi que l’évolution prévisible de la maladie (durée et intensité des symptômes, risque de contagion pour l’entourage). Pour la pratique de médecine communautaire, seule la mise au point de tests de proximité (type TDR) permettrait aux praticiens de faire le diagnostic des infections communautaires en temps réel. Cependant, la fréquence de ces infections, le temps nécessaire à la réalisation de chaque test et le coût inhérent à ces tests rendent peu plausible l’hypothèse de leur utilisation systématique. La diffusion large des données colligées par les réseaux GROG (données cliniques et prélèvements analysés par les CNR pour les virus influenza) prend alors toute sa valeur en apportant aux soignants de terrain des informations clinicobiologiques précises concernant l’épidémiologie et le pouvoir pathogène des virus respiratoires. Cette surveillance étroite montre que si l’épidémiologie des virus respiratoires est souvent prévisible, elle peut aussi être surprenante. Cette stratégie de surveillance permet également de décrire des virus émergents comme le métapneumovirus humain (7), ou surtout le Coronavirus, responsable du syndrome respiratoire aigu sévère. Il est particulièrement instructif de voir que les premières équipes qui ont pu décrire ce nouveau pathogène ont eu recours aux techniques de culture cellulaire en utilisant des lignées classiques (cellules vero) (27, 28). C’est grâce à l’isolement viral que l’ensemble des études complémentaires a pu être réalisé, et qu’il a été possible de diffuser rapidement un test diagnostique PCR utilisable par de nombreux laboratoires (29). Si l’on souhaite que les praticiens adhèrent à la stratégie du prélèvement virologique lors des infections respiratoires et que le diagnostic soit d’un rapport coût-efficace favorable, il est nécessaire de développer des outils de diagnostic rapide fiables et sensibles. La combinaison de ces deux événements fera que les médecins auront le moyen d’identifier les infections virales et d’agir sur elles en temps réel, et pourront peut-être dire : “Ah ! vous voyez, c’est viral” en montrant le résultat du test, et donc administrer un traitement curatif et/ou symptomatique avec l’assenti■ ment d’un patient convaincu de la réalité du diagnostic. La Lettre du Pneumologue - Volume VII - no 2 - mars-avril 2004 R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Treanor J. Respiratory infections. In : Richman DD, Whithley RJ, Hayden FG, Eds. Clinical Virology. New York : Churchill Livingstone ; 1997 ; 5-33. 2. Arruda E, Pitkaranta A, Witek TJ, Doyle CA, Hayden FG. Frequency and natural history of rhinovirus infection in adults during autumn. J Clin Microbiol 1997 ; 35 : 2864-8. 3. Nicholson KG, Kent J, Hammersley V, Cancio E. Acute viral infections of upper respiratory tract in elderly people living in the community : comparative, prospective, population based study of disease burden. Brit Med J 1997 ; 315 : 1060-5. 4. Tsai HP, Kuo PH, Liu CC, Wang JR. Respiratory viral infections among pediatric inpatients and outpatients in Taiwan from 1997 to 1999. J Clin. Microbiol 2001 ; 39 : 111-8. 5. Reimer LG, Carroll KC. Role of the microbiology laboratory in the diagnosis of lower respiratory tract infections. Clin Infect Dis 1998 ; 26 : 742-8. 6. Van den Hoogen BG, De Jong JC, Groen J et al. A newly discovered human pneumovirus isolated from young children with respiratory tract disease. Nat Med 2001 ; 7 : 719-24. 7. Lina B, Valette M, Foray S et al. Surveillance of community-acquired viral infections due to respiratory viruses in Rhône-Alpes (France) during winter 1994-1995. J Clin Microbiol 1996 ; 34 : 3007-11. 8. Aymard M, Valette M, Lina B, Thouvenot D, the members of the Groupe Régional d’Observation de la Grippe and European Influenza Surveillance Scheme. Surveillance and impact of influenza in Europe. Vaccine 1999 ; 17 : S30-S41. 9. Gregory V, Bennett M, Orkhan MH et al. Emergence of influenza A H1N2 reassortant viruses in the human population during 2001. Virology 2002 ; 300 : 1-7. 10. Quenel P, Dab W, Hannoun C, Cohen JM. Sensitivity, specificity and predictive values of health service based indicators for the surveillance of influenza A epidemics. Eur J Epidemiol 1994 ; 23 : 849-55 11. Boivin G, Osterhaus AD, Gaudreau A, Jackson HC, Groen J, Ward P. Role of picornaviruses in Flu-like illness of adults enrolled in an oseltamivir treatment study who had no evidence of influenza virus infection. J Clin Microbiol 2002 ; 40 : 330-4. 12. Drinka PJ, Gravenstein S, Krause P. Non-influenza respiratory viruses may overlap and obscure influenza activity. J Am Geriatr Soc 1999 ; 47 : 1087-93. 13. Monto AS, Gravenstein S, Elliott M et al. Clinical signs and symptoms predicting influenza infection. Arch Intern Med 2000 ; 160 : 3243-7. 14. Heikkinen T, Marttila J, Salmi AA, Ruuskanen O. Nasal swab versus nasopharyngeal aspirate for isolation of respiratory viruses. J Clin Microbiol 2002 ; 40 : 4337-9. 15. Snacken R. Influenza diagnosis working party. Managing influenza in primary care, a practical guide to clinical diagnosis. Dis Manage Health Outcomes 2000 ; 8 : 79-85. La Lettre du Pneumologue - Volume VII - no 2 - mars-avril 2004 16. Gonzales R, Bartlett JG, Bseere RE et al. Principles of appropriate antibiotic use for treatment of uncomplicated acute bronchitis : background. Ann Intern Med 2001 ; 134 : 521-9. 17. Chomel JJ, Pardon D, Thouvenot D et al. Comparison between three rapid methods for direct diagnosis of influenza and the conventional isolation procedure. Biologicals 1991 ; 19 : 287-92. 18. Liolios L, Jenney A, Spelman D, Kotsimbos T, Callon M, Wesselingh S. Comparison of a multiplex reverse transcription PCR-enzyme hybridization assay with conventional viral culture and immunofluorescence techniques for the detection of seven viral respiratory pathogens. J Clin Microbiol 2001 ; 39 : 2779-83. 19. Magnard C, Valette M, Aymard M, Lina B. Comparison of two nested PCR, cell culture and antigen detection for the diagnosis of upper respiratory tract infections due to influenza A and B viruses. J Med Virol 1999 ; 58 : 215-20. 20. Rodriguez WJ, Schwartz RH, Thorne MM. Evaluation of diagnostic tests for influenza in paediatric practice. Pediatr Infect Dis J 2002 ; 21 : 193-6. 21. Hayden FG, Treanor JJ, Fritz RS et al. Use of the oral neuraminidase inhibitor oseltamivir in experimental human influenza. Randomized controlled trial for prevention and treatment. JAMA 1999 ; 282 : 1240-6. 22. Carman W. Molecular techniques should now replace cell culture in diagnostic virology laboratories. Rev Med Virol 2001 ; 11 : 347-9. 23. Olgivie M. Molecular techniques should not now replace cell culture in diagnostic virology laboratories. Rev Med Virol 2001 ; 11 : 351-4. 24. Barenfanger J, Drake C, Leon N, Mueller T, Troutt T. Clinical and financial benefits of rapid detection of respiratory viruses : an outcome study. J Clin Microbiol 2000 ; 38 : 2824-8. 25. Billaud G, Peny S, Legay V, Lina B, Valette M. Detection of rhinovirus and enterovirus in upper respiratory tract samples using a multiplex nested PCR. J Virol Methods 2003 ; 108 : 223-8. 26. Zambon MC, Stockton JD, Clewley JP, Fleming DM. Contribution of influenza and respiratory syncytial virus to community cases of influenza-like illness : an observational study. Lancet 2001 ; 358 : 1410-6. 27. Drosten C, Gunther S, Preiser W et al. Identification of a novel coronavirus in patients with severe acute respiratory syndrome. N Engl J Med 2003 ; 348 : 1967-76. 28. Ksiazek TG, Erdman D, Goldsmith CS et al. A novel coronavirus associated with severe acute respiratory syndrome. N Engl J Med 2003 ; 348 : 1953-66. 29. Poutanen SM, Low DE, Henry B et al. Identification of severe acute respiratory syndrome in Canada. N Engl J Med 2003 ; 348 : 1995-2005. Les auteurs remercient chaleureusement Danielle Thouvenot et Martine Valette des discussions constructives autour de ce manuscrit, ainsi que de leur insatiable soif pour la transmission des techniques de culture cellulaire. © La Lettre de l’Infectiologue 2003;XVIII(6):213-9. 63