Al Frb Trait des opinions des habitants de la Cit

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BRÈVE ANTHOLOGIE
DE
PHILOSOPHIE ARABE
‫ﻣﺨﺘﺎرات ﻣﻮﺟﺰة‬
‫ﻣﻦ‬
‫اﻟﻔﻠﺴﻔﺔ اﻟﻌﺮﺑﻴﺔ‬
Présentée par des élèves de Terminales du lycée
Charles de Gaulle de Damas
Et leur professeur de philosophie Mathieu Terrier
Années 2006-2007 et 2007-2008
1
2
Le lycée français de Damas, par son ancrage géographique et humain, est un
établissement biculturel où se rencontrent, sur le plan linguistique mais aussi plus
largement intellectuel, la culture française et la culture arabe syrienne. Convaincu que
cette dimension biculturelle est pour l’école un atout qu’il faut mettre en valeur,
convaincu aussi que la philosophie constitue un espace privilégié d’échanges
interculturels, j’ai voulu faire découvrir à mes élèves de Terminales la philosophie
arabe ou falsafa (‫)ﻓﻠﺴﻔﺔ‬, telle qu’elle s’est développée aux 9ème et 10ème siècles de notre
ère, à partir des traductions en arabe de la philosophie grecque. L’objectif était de faire
la lumière sur un chapitre trop souvent méconnu de l’histoire de la philosophie, en
faisant découvrir aux élèves des textes originaux et importants qui appartiennent
souvent à leur propre patrimoine culturel. Ainsi, nombre d’entre eux, qui
connaissaient les noms d’Al-Râzî ou d’Ibn Sînâ d’après le nom d’un hôpital ou d’une
marque de produits pharmaceutiques, ont appris non sans étonnement que ces
médecins célèbres avaient été aussi et surtout de grands philosophes. De cette
découverte, il convenait que les élèves soient les premiers acteurs. D’où le projet
d’une brève anthologie de textes philosophiques arabes traduits par les élèves euxmêmes. Ce qui fut l’occasion d’une autre découverte ou redécouverte : le caractère
toujours accessible d’une langue arabe classique remontant parfois à plus de dix
siècles, en même temps que les redoutables difficultés de l’exercice de traduction. Les
élèves volontaires n’ont pas ménagé leurs efforts pour remplir ce rôle de « passeurs »
transculturels, offrant ainsi à tous leurs camarades présents et à venir l’accès à ces
textes. Les traductions ont été revues et corrigées au besoin. L’anthologie présente,
après une brève introduction sur l’auteur et les textes choisis, une traduction française
en vis-à-vis du texte original arabe. Il s’agit donc d’une édition bilingue, le meilleur
instrument d’étude qui soit pour la philosophie comparée. Disponible en ouvrage de
fonds du CDI, elle ne demande qu’à circuler plus largement au sein du public éclairé
et entre les lycées français du monde arabe, revue et augmentée chaque année avec de
nouveaux élèves volontaires. Outre l’augmentation des chapitres consacrés à Al-Râzî,
Ibn Sînâ et Al-Fârâbî, cette année a vu l’introduction de deux nouveaux auteurs, Ibn
Tufayl et Ibn ‘Arabî, celui-ci étant un personnage illustre de la ville de Damas, où il
repose. Mais le projet n’en est encore qu’à ses débuts, la découverte à ses prémices, si
tant est que l’échange interculturel est, selon l’expression de Maurice Blanchot, un
« entretien infini ».
La transcription des textes arabes en caractères standard est due à Hishâm Tablieh.
Mme Barakat a prodigué de précieux éclaircissements aux élèves sur certains passages
particulièrement difficiles des textes arabes. Grace Al-Shawi, élève de TL et
traductrice d’Al-Râzî, s’est chargée de la recherche iconographique. M. Demaria a
offert ses compétences informatiques et son sens de l’image à la conception finale de
l’ouvrage. M. le Proviseur Bernard Pradeilles a accueilli et soutenu le projet avec
enthousiasme. Leur contribution à tous fut précieuse, qu’ils en soient ici remerciés.
Mais bien sûr, que les premiers remerciés soient tous les élèves qui ont mis leurs
aptitudes, leur dynamisme et leur désir de découverte au service du projet.
Mathieu Terrier, professeur de philosophie
3
Al-Kindî
‫اﻟﻜﻨﺪي‬
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Al-Kindî
‫اﻟﻜﻨﺪي‬
Surnommé « le philosophe des Arabes » à son époque, Abû Yûsuf Ya’qûb ibn
Ishâq Al-Kindî (‫ )اﻟﻜﻨﺪي‬fut le grand philosophe de l’âge d’or bagdadien sous le
règne ‘abbasside. Né à Bassora en 796, il fut contemporain du mouvement
théologien rationaliste des Mu‘tazilites. A Bagdad, il forma autour de lui un
cercle de traducteurs-adaptateurs pour lui fournir en version arabe les œuvres
d’Aristote, de Platon, lui-même ne sachant pas le grec. Il est celui qui introduisit
dans le monde arabo-musulman cette chose d’abord perçue comme étrangère, et
désignée en arabe par une transcription phonétique, la falsafa. Il est aussi le
premier authentique philosophe en langue arabe. Il mourut en 866.
Dans ce texte extrait de la préface à son Epître sur la philosophie première ( ‫اﻟﻜﺘﺎب‬
‫)ﻓﻲ اﻟﻔﻠﺴﻔﺔ اﻷوﻟﻰ‬, Al-Kindî assume son rôle de passeur transculturel en développant
une conception universelle et historique de la vérité. La condition humaine est
ainsi faite que nul homme ne peut, à lui tout seul, atteindre toute la vérité. Celleci ne se découvre qu’aux générations successives, les unes héritant des autres, et
cette transmission est aussi géographique : d’une époque à une autre et d’une
contrée à une autre, la connaissance du vrai s’accroît. Plaidant pour une
réception bienveillante de la philosophie grecque, Al-Kindî se fait le défenseur
d’un message universaliste et humaniste qui n’a rien perdu de son actualité.
5
‫‪Al-Kindî‬‬
‫اﻟﻜﻨﺪي‬
‫ﺧﻄﺒﺔ اﻟﻜﺘﺎب ﻓﻲ اﻟﻔﻠﺴﻔﺔ اﻷوﻟﻰ‬
‫و ﻣﻦ أوﺟﺐ اﻟﺤﻖ أﻻ ﻧﺬم أﺣﺪ أﺳﺒﺎب ﻣﻨﺎﻓﻌﻨﺎ اﻟﺼﻐﺎر اﻟﻬﺰﻟﻴﺔ‪,‬ﻓﻜﻴﻒ ﺑﺎﻟﺬﻳﻦ هﻢ أآﺜﺮ أﺳﺒﺎب ﻣﻨﺎﻓﻌﻨﺎ اﻟﻌﻈﺎم‬
‫اﻟﺤﻘﻴﻘﻴﺔ اﻟﺠﺪﻳﺔ‪.‬ﻓﺈﻧﻬﻢ و إن ﻗﺼﺮوا ﻋﻦ ﺑﻌﺾ اﻟﺤﻖ‪,‬ﻓﻘﺪ آﺎﻧﻮا ﻟﻨﺎ أﻧﺴﺎﺑًﺎ و ﺷﺮآﺎء ﻓﺒﻤﺎ أﻓﺎدوﻧﺎ ﻣﻦ ﺛﻤﺎر‬
‫ﻼ و ﺁﻻت ﻣﺆدﻳﺔ إﻟﻰ ﻋﻠﻢ آﺜﻴﺮ ﻣﻤﺎ ﻗﺼﺮوا ﻣﻦ ﻧﻴﻞ ﺣﻘﻴﻘﺘﻪ و ﺳﻴﻤﺎ إذ هﻮ ﺑﻴﻦ‬
‫ﻓﻜﺮهﻢ اﻟﺘﻲ ﺻﺎرت ﻟﻨﺎ ﺳﺒ ً‬
‫ﻋﻨﺪﻧﺎ ‪,‬و ﻋﻨﺪ اﻟﻤﺒﺮزﻳﻦ ﻣﻦ اﻟﻤﺘﻔﻠﺴﻔﻴﻦ ﻗﺒﻠﻨﺎ ﻣﻦ ﻏﻴﺮ أهﻞ ﻟﺴﺎﻧﻨﺎ‪ ,‬إﻧﻪ ﻟﻢ ﻳﻨﻞ اﻟﺤﻖ ﺑﻤﺎ ﻳﺴﺘﺄهﻞ اﻟﺤﻖ ‪ ,‬أﺣﺪ‬
‫ﻣﻦ اﻟﻨﺎس ﺑﺠﻬﺪ ﻃﻠﺒﻪ وﻻ أﺣﺎط ﺑﻪ ﺟﻤﻴﻌﻬﻢ ﺑﻞ آﻞ واﺣﺪ ﻣﻨﻬﻢ إﻣﺎ ﻟﻢ ﻳﻨﻞ ﻣﻨﻪ ﺷﻴﺌًﺎ ‪ ,‬و إﻣﺎ ﻧﺎل ﻣﻨﻪ ﺷﻴﺌًﺎ‬
‫ﻳﺴﻴﺮًا ﺑﺎﻹﺿﺎﻓﺔ إﻟﻰ ﻣﺎ ﻳﺴﺘﺄهﻞ اﻟﺤﻖ ‪ .‬ﻓﺈذا ﺟﻤﻊ ﻳﺴﻴﺮ ﻣﺎ ﻧﺎل آﻞ واﺣﺪ ﻣﻦ اﻟﻨﺎﺋﻠﻴﻦ ﻣﻦ اﻟﺤﻖ ﻣﻨﻬﻢ اﺟﺘﻤﻊ‬
‫ﻣﻦ ذﻟﻚ ﺷﻲء ﻟﻪ ﻗﺪر ﺟﻠﻴﻞ ‪ .‬ﻓﻴﻨﺒﻐﻲ أن ﻳﻌﻈﻢ ﺷﻜﺮﻧﺎ ﻟﻶﺗﻴﻦ ﺑﻴﺴﻴﺮ اﻟﺤﻖ ﻓﻀﻼ ﻋﻤﻦ أﺗﻰ ﺑﻜﺜﻴﺮ ﻣﻦ اﻟﺤﻖ ‪:‬‬
‫إذ أﺷﺮآﻮﻧﺎ ﻓﻲ ﺛﻤﺎر ﻓﻜﺮهﻢ‪,‬و ﺳﻬﻠﻮا ﻟﻨﺎ اﻟﺨﻔﻴﺔ اﻟﺤﻘﻴﺔ‪,‬ﺑﻤﺎ أﻓﺎدوﻧﺎ ﻣﻦ اﻟﻤﻘﺪﻣﺎت اﻟﻤﺴﻬﻠﺔ ﻟﻨﺎ ﺳﺒﻞ اﻟﺤﻖ‪.‬‬
‫ﻓﺎﻧﻬﻢ ﻟﻮ ﻟﻢ ﻳﻜﻮﻧﻮا ﻟﻢ ﻳﺠﺘﻤﻊ ﻟﻨﺎ ﻣﻦ ﺷﺪة اﻟﺒﺤﺚ ﻓﻲ ﻣﺪدﻧﺎ آﻠﻬﺎ هﺬﻩ اﻷواﺋﻞ اﻟﺤﻘﻴﺔ‪,‬اﻟﺘﻲ ﺑﻬﺎ ﺧﺮﺟﻨﺎ إﻟﻰ‬
‫اﻷواﺧﺮ ﻣﻦ ﻣﻄﻠﻮﺑﺎﺗﻨﺎ اﻟﺤﻘﻴﺔ‪ .‬ﻓﺈن ذﻟﻚ إﻧﻤﺎ اﺟﺘﻤﻊ ﻓﻲ اﻷﻣﺼﺎر اﻟﺴﺎﻟﻔﺔ اﻟﻤﺘﻘﺎدﻣﺔ ﻋﺼﺮا ﺑﻌﺪ ﻋﺼﺮ إﻟﻰ‬
‫زﻣﺎﻧﻨﺎ هﺬا‪,‬ﻣﻊ ﺷﺪة اﻟﺒﺤﺚ و ﻟﺰوم اﻟﺪأب‪,‬وإﻳﺜﺎر اﻟﺘﻌﺐ ﻓﻲ ذﻟﻚ‪ .‬وﻏﻴﺮ ﻣﻤﻜﻦ أن ﻳﺠﺘﻤﻊ ﻓﻲ ﻣﻦ اﻟﻤﺮء‬
‫اﻟﻮاﺣﺪ و إن اﺗﺴﻌﺖ ﻣﺪﺗﻪ و اﺷﺘﺪ ﺑﺤﺜﻪ‪,‬و ﻟﻄﻒ ﻧﻈﺮﻩ‪ ,‬وإﻳﺜﺎر اﻟﺪأب ﻣﺎ اﺟﺘﻤﻊ ﻓﻲ إﺿﻌﺎف ذﻟﻚ ﻣﻦ اﻟﺰﻣﺎن‬
‫اﻷﺿﻌﺎف اﻟﻜﺜﻴﺮة‪.‬ﻓﺄﻣﺎ أرﺳﻄﻮ ﻃﺎﻟﻴﺲ ﻣﺒﺮز اﻟﻴﻮﻧﺎﻧﻴﻴﻦ ﻓﻲ اﻟﻔﻠﺴﻔﺔ ﻓﻘﺎل‪ :‬ﻳﻨﺒﻐﻲ أن ﻧﺸﻜﺮ ﺁﺑﺎء اﻟﺬﻳﻦ أﺗﻮا‬
‫ﺑﺸﻲء ﻣﻦ اﻟﺤﻖ‪,‬إذ آﺎﻧﻮا ﺳﺒﺐ آﻮﻧﻬﻢ‪,‬ﻓﻀﻼ ﻋﻦ أﻧﻬﻢ ﺳﺒﺐ ﻟﻬﻢ‪.‬وإذ هﻢ ﺳﺒﺐ ﻟﻨﺎ إﻟﻰ ﻧﻴﻞ اﻟﺤﻖ ﻓﻤﺎ أﺣﺴﻦ‬
‫ﻣﺎ ﻗﺎل ﻓﻲ ذﻟﻚ‪.‬‬
‫و ﻳﻨﺒﻐﻲ ﻟﻨﺎ أن ﻻ ﻧﺴﺘﺤﻲ ﻣﻦ اﺳﺘﺤﺴﺎن اﻟﺤﻖ‪,‬و اﻗﺘﻨﺎء اﻟﺤﻖ ﻣﻦ أﻳﻦ أﺗﻰ‪,‬و إن أﺗﻰ ﻣﻦ اﻷﺟﻨﺎس اﻟﻘﺎﺻﻴﺔ‬
‫ﻋﻨﺎ‪,‬و اﻷﻣﻢ اﻟﻤﺒﺎﻳﻨﺔ‪,‬ﻓﺈﻧﻪ ﻻ ﺷﺊ أوﻟﻰ ﺑﻄﺎﻟﺐ اﻟﺤﻖ ﻣﻦ اﻟﺤﻖ‪.‬و ﻟﻴﺲ ﻳﺒﺨﺲ اﻟﺤﻖ‪,‬وﻻ ﻳﺼﻐﺮ ﺑﻘﺎﺋﻠﻪ وﻻ‬
‫ﺑﺎﻵﺗﻲ ﺑﻪ‪.‬وﻻ أﺣﺪ ﺑﺨﺲ اﻟﺤﻖ؛ﺑﻞ آﺎن ﻳﺸﺮﻓﻪ اﻟﺤﻖ‪.‬‬
‫‪6‬‬
Al-Kindî
‫اﻟﻜﻨﺪي‬
Sur la philosophie première
Entrée en matière
« Il ne faut jamais déprécier quelqu’un qui a été l’une des causes de nos profits
modestes et divertissants, ni à plus forte raison, ceux qui ont été les principales causes
de nos profits les plus grands, sérieux et véritables. Ces hommes, même si ils ont
manqué une partie du vrai, ont été pour nous des parents et des compagnons. Ils nous
ont fait bénéficier des fruits de leur pensée, devenus des méthodes et des instruments
nous permettant de découvrir une grande partie de ce qu’ils ont manqué. Il est
particulièrement évident pour nous, comme pour les plus illustres philosophes qui
nous ont précédés et qui n’étaient pas gens de notre langue, que jamais un homme seul
n’a atteint le vrai en tant que tel, par l’effort de sa seule recherche personnelle, pas
plus que l’ensemble des hommes ne l’a embrassé. Mais chacun, ou bien n’a rien
atteint du tout, ou bien n’a atteint qu’une infime partie de la vérité pure.
Si l’on rassemble toutes les infimes parties du vrai que chacun a pu atteindre, il se
forme quelque chose d’une sublime valeur. Il faut donc que nous glorifiions ceux qui
nous ont apporté une partie infime de la vérité, sans parler de ceux qui nous en ont
livré beaucoup : en effet, ils nous ont fait partager les fruits de leur pensée et nous ont
facilité la connaissance des réalités cachées, grâce à leurs prémisses qui nous ont
balisé les voies de la vérité. S’ils n’avaient pas existé, il serait impossible de réunir,
même par d’intenses recherches de tous les instants, ces principes grâce auxquels nous
sommes parvenus à nos fins dans la quête de la vérité. Tout cela s’est formé dans les
anciennes cités qui se sont succédées d’âge en âge jusqu’à notre époque, par la
recherche ardente, l’astreinte à la persévérance et la prédilection pour la difficulté. Il
est impossible qu’un seul homme parvienne à rassembler, même avec d’abondantes
ressources, des recherches intenses, un entendement subtil et beaucoup de
persévérance, ce qui s’est rassemblé là en tant de fois le temps de cette durée de vie.
Quant à Aristote, l’illustre philosophe grec, il a dit : « Il faut remercier les pères de
ceux qui ont apporté quelque chose de vrai, car ils ont été la cause de leur existence,
outre le fait qu’ils ont eux-mêmes une cause. Ils sont donc pour nous une cause de
l’obtention du vrai », et comme il a bien parlé là !
Aussi, il ne faut pas avoir honte d’approuver la vérité et la prendre d’où qu’elle
vienne, même de nations éloignées de nous et de communautés différentes de la nôtre,
car pour qui est en quête de la vérité, il n’y a rien de plus important que la vérité. La
vérité n’est pas diminuée ni ridiculisée par celui qui l’énonce ou la transmet. Aucun
d’eux n’a diminué la vérité, mais chacun d’eux a par elle été ennobli. »
Traduction effectuée avec Sarah Chatta et ‘Amr Al-Achî, élèves de TS (20062007).
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Al-Râzî
‫اﻟﺮازي‬
8
Al-Râzî
‫اﻟﺮازي‬
Abû Bakr Ibn Zakariyya Al-Râzî ( ‫) اﻟﺮازي‬, le « Rhazès » des Latins, est né en 864
et mort en 932 à Rayy, dans l’actuel Iran, où il est encore célébré comme un
grand homme. Illustre médecin, il fut aussi l’auteur d’écrits philosophiques
rationalistes, très critiques à l’égard de la religion, qui ont été censurés et mutilés.
Son livre De la médecine spirituelle est la principale œuvre philosophique qui
nous soit parvenue de lui.
Dans le premier texte proposé, Al-Râzî soutient une position sur le désir et le
plaisir très proche de celle d’Epicure dans sa Lettre à Ménécée : le plaisir est un
bien en soi, mais pour en jouir vraiment, il faut savoir se modérer et ne pas
transformer le désir en besoin. L’homme qui suit ses désirs sans les maîtriser par
la raison ne connaît finalement que les troubles de l’âme et la souffrance. Plus
encore qu’Epicure, dont il s’inspire sans avoir eu un accès direct à ses textes, AlRâzî développe un point de vue thérapeutique et non moral sur le rapport aux
plaisirs sensuels.
Dans le second texte, Al-Râzî traite de l’étude de la philosophie. A la suite
d’Aristote, il la considère comme la meilleure activité qui soit pour l’homme,
celle qui permet d’atteindre le bonheur véritable. Mais adoptant toujours un
point de vue thérapeutique, il met en garde contre le surmenage intellectuel, qui
entraîne des troubles de l’âme et conduit à l’échec dans la recherche de la vérité.
Dans l’étude de la philosophie, l’excès revient au même que le défaut : à
l’absence de sagesse. Al-Râzî reste un épicurien : la philosophie doit soigner les
troubles de l’âme, elle ne doit surtout pas en provoquer.
Le troisième texte, extrait de son épître Sur la vie philosophique, développe un
point de vue fort original sur l’éthique appliquée aux animaux, aboutissant à une
défense rationnelle du mode de vie végétarien. Fondée sur la référence à la vie de
Socrate, considérée comme exemplaire du mode de vie philosophique, cette
argumentation, encore épicurienne quant au calcul économique des plaisirs et
des souffrances, n’est pas sans évoquer la morale hindouiste sur le respect absolu
du vivant. La fin du texte dénonce un certain dolorisme religieux, et témoigne
d’une certaine connaissance, non dépourvue de clichés, des religions de l’Inde.
Rejoignant bien l’esprit de la philosophie antique, Al-Râzî nous rappelle encore
que la philosophie n’est pas seulement une vision du monde, mais encore et
surtout un mode de vie.
9
‫‪Al-Râzî‬‬
‫اﻟﺮازي‬
‫ﻣﻦ آﺘﺎب اﻟﻄﺐ اﻟﺮوﺣﺎﻧﻲ‬
‫و ﻳﻨﺒﻐﻲ أن ﺗﻌﻠﻢ أن اﻟﻤﺆﺛﺮﻳﻦ ﻟﻠﺸﻬﻮات اﻟﻤﺪﻣﻨﻴﻦ ﻟﻬﺎ اﻟﻤﻨﻬﻤﻜﻴﻦ ﻓﻴﻬﺎ ﻳﺼﻴﺮون ﻣﻨﻬﺎ إﻟﻰ ﺣﺎﻟﺔ ﻻ‬
‫ﻳﻠﺘﺬوﻧﻬﺎ وﻻ ﻳﺴﺘﻄﻴﻌﻮن ﻣﻊ ذﻟﻚ ﺗﺮآﻬﺎ‪ .‬ﻓﺈن اﻟﻤﺪﻣﻨﻴﻦ ﻟﻐﺸﻴﺎن اﻟﻨﺴﺎء وﺷﺮب اﻟﺨﻤﻮر و اﻟﺴﻤﺎع ~ ﻋﻠﻰ‬
‫أﻧﻬﺎ ﻣﻦ أﻗﻮى اﻟﺸﻬﻮات وأوآﺪهﺎ ﻏﺮزا ﻓﻲ اﻟﻄﺒﺎع ~ ﻻ ﻳﻠﺘﺬوﻧﻬﺎ اﻟﺘﺬاذ ﻏﻴﺮ اﻟﻤﺪﻣﻨﻴﻦ ﻟﻬﺎ ﻷﻧﻬﺎ ﺗﺼﻴﺮ‬
‫ﻋﻨﺪهﻢ ﺑﻤﻨﺰﻟﺔ ﺣﺎﻟﺔ آﻞ ذي ﺣﺎﻟﺔ ﻋﻨﺪهﻢ‪ ,‬أﻋﻨﻰ اﻟﻤﺄﻟﻮﻓﺔ اﻟﻤﻌﺘﺎدة‪ ,‬وﻻ ﻳﺘﻬﻴﺄ ﻟﻬﻢ اﻹﻗﻼع ﻋﻨﻬﺎ ﻷﻧﻬﺎ ﻗﺪ‬
‫ﺻﺎرت ﻋﻨﺪهﻢ ﺑﻤﻨﺰﻟﺔ اﻟﺸﻲء اﻻﺿﻄﺮاري ﻓﻲ اﻟﻌﻴﺶ ﻻ ﺑﻤﻨﺰﻟﺔ ﻣﺎ هﻮ ﻓﻀﻞ و ﺗﺘﺮف‪ .‬وﻳﺪﺧﻞ ﻋﻠﻴﻬﻢ ﻣﻦ‬
‫أﺟﻠﻬﺎ اﻟﺘﻘﺼﻴﺮ ﻓﻲ دﻳﻨﻬﻢ و دﻧﻴﺎهﻢ ﺣﺘﻰ ﻳﻀﻄﺮوا إﻟﻰ اﺳﺘﻌﻤﺎل ﺻﻨﻮف اﻟﺤﻴﻞ و اآﺘﺴﺎب اﻷﻣﻮال ﺑﺎﻟﺘﻐﺮﻳﺮ‬
‫ﺑﺎﻟﻨﻔﺲ و ﻃﺮﺣﻬﺎ ﻓﻲ اﻟﻤﻬﺎﻟﻚ ﻓﺈذا هﻢ ﻗﺪ ﺷﻘﻮا ﻣﻦ ﺣﻴﺚ ﻗﺪ رﻗﺪوا اﻟﺴﻌﺎدة و اﻏﺘﻨﻤﻮا ﻣﻦ ﺣﻴﺚ ﻗﺪروا‬
‫اﻟﻔﺮح و أﻟﻤﻮا ﻣﻦ ﺣﻴﺚ ﻗﺪروا اﻟﻠﺬة ‪ .‬وﻣﺎ أﺷﺒﻬﻬﻢ ﻓﻲ هﺬا اﻟﻤﻮﺿﻊ ﺑﺎﻟﺤﺎﻃﺐ ﻋﻠﻰ ﻧﻔﺴﻪ اﻟﺴﺎﻋﻲ ﻓﻲ‬
‫هﻼآﻬﺎ ‪ ,‬آﺎﻟﺤﻴﻮان اﻟﻤﺨﺪوﻋﺔ ﺑﻤﺎ ﻳﻨﺼﺐ ﻟﻬﺎ ﻓﻲ ﻣﺼﺎﻳﺪهﺎ‪,‬ﺣﺘﻰ إذا ﺣﺼﻠﺖ ﻓﻲ اﻟﻤﺼﻴﺪة ﻟﻢ ﺗﻨﻞ ﻣﺎ ﺧﺪﻋﺖ‬
‫ﺑﻪ وﻻ أﻃﺎﻗﺖ اﻟﺘﺨﻠﺺ ﻣﻤﺎ وﻗﻌﺖ ﻓﻴﻪ ‪.‬‬
‫‪10‬‬
Al-Râzî
‫اﻟﺮازي‬
La médecine spirituelle
« Il faut que tu saches que ceux qui poursuivent les désirs charnels au point d’en être
drogués et de s’épuiser en eux, en arrivent à un état dans lequel ça ne leur procure plus
aucun plaisir, sans qu’ils puissent pour autant s’en passer. Les passionnés des femmes,
du vin et de l’ivresse musicale - étant donné que ce sont là les désirs les plus puissants
et les plus ancrés dans le caractère humain - ne savourent pas le plaisir comme le
savourent ceux qui n’en sont pas passionnés, car cela devient pour eux comme
n’importe quelle habitude, et ils ne sont pas prêts à s’en passer non plus, car c’est
devenu pour eux comme une nécessité vitale et non plus comme un luxe. Cela les
amène à négliger leur religion et leur vie matérielle à cause de ces dépendances,
contraints qu’ils sont d’utiliser toutes les tromperies possibles pour gagner de l’argent,
en aveuglant leur âme et en la jetant dans les périls. Ainsi, ils souffrent là où ils
croyaient trouver le bonheur, ils se retrouvent déprimés au lieu d’être gais, et
ressentent la douleur pour avoir mal compris le plaisir. Dans cet état, ils sont
semblables au bûcheron qui fait tomber l’arbre sur lui, ou à celui qui court à sa perte.
Comme l’animal trompé par l’appât déposé pour lui dans le piège : quand il est tombé
dans le piège, il n’obtient pas ce qui l’a attiré, et ne peut pas non plus se tirer du piège
dans lequel il est tombé. »
Traduction effectuée avec Omar Bafakih(TS) et Faysal Esreb (TES) (2006-2007)
11
‫‪Al-Râzî‬‬
‫اﻟﺮازي‬
‫ﻓﻲ دﻓﻊ اﻟﻔﻀﻞ اﻟﻀﺎر ﻣﻦ اﻟﻔﻜﺮ و اﻟﻬﻢ‬
‫إن هﺬﻳﻦ اﻟﻌﺎرﺿﻴﻦ و إن آﺎﻧﺎ ﻋﺮﺿﻴﻦ ﻋﻘﻠﻴﻴﻦ ﻓﺈن ﻓﺮﻃﻬﻤﺎ ﻣﻊ ﻣﺎ ﻳﺠﻠﺐ ﻣﻦ اﻷﻟﻢ و اﻷذى ﻟﻴﺲ هﻮ_ ﻓﻲ‬
‫إﻗﻌﺎدﻧﺎ ﻋﻦ ﻣﻄﺎﻟﺒﻨﺎ و ﻗﻄﻌﻨﺎ دوﻧﻬﺎ_ ﺑﺪون ﺗﻘﺼﻴﺮهﻤﺎ ﻋﻤﺎ ذآﺮﻧﺎ ﻗﺒﻞ ﺣﻴﺚ ذآﺮﻧﺎ إﻓﺮاط ﻓﻌﻞ اﻟﻨﻔﺲ‬
‫اﻟﻨﺎﻃﻘﺔ‪.‬و ﻟﺬﻟﻚ ﻳﻨﺒﻐﻲ أن ﻳﻜﻮن اﻟﻌﺎﻗﻞ ﻳﺮﻳﺢ اﻟﺠﺴﺪ ﻣﻨﻬﺎ و أن ﻳﻨﻴﻠﻪ ﻣﻦ اﻟﻠﻬﻮ و اﻟﺴﺮور و اﻟﻠﺬة ﺑﻘﺪر ﻣﺎ‬
‫ﻳﺒﻠﻎ ﻟﻪ ﻣﺎ ﻳﺼﻠﺤﻪ و ﻳﺤﻔﻆ ﻋﻠﻴﻪ‬
‫ﺻﺤﺘﻪ ﻟﺌﻼ ﻳﺨﻮر و ﻳﻨﻬﺪ و ﻳﻨﻬﻚ و ﻳﻘﻄﻊ ﺑﻨﺎ دون ﻗﺼﺪﻧﺎ‪.‬‬
‫و ﻣﻦ أﺟﻞ اﺧﺘﻼف ﻃﺒﺎﺋﻊ اﻟﻨﺎس و ﻋﺎداﺗﻬﻢ ﺗﺨﺘﻠﻒ ﻣﻘﺎدﻳﺮ اﺣﺘﻤﺎل اﻟﻔﻜﺮ و اﻟﻬﻢ ﻓﻴﻬﻢ‪,‬ﻓﺒﻌﺾ ﻳﺤﺘﻤﻞ‬
‫اﻟﻜﺜﻴﺮ ﻣﻨﻬﺎ ﻣﻦ ﻏﻴﺮ أن ﻳﻀﺮ ذﻟﻚ ﺑﻪ‪,‬و ﺑﻌﺾ ﻻ ﻳﺤﺘﻤﻞ‪ .‬ﻓﻴﻨﺒﻐﻲ أن ﻳﺘﻔﻘﺪ ذﻟﻚ و ﻳﺘﺪارك ﻗﺒﻞ أن ﻳﻌﻈﻢ و‬
‫أن ﻳﺘﺪرج إﻟﻰ اﻻزدﻳﺎد ﻣﻨﻪ ﻣﺎ أﻣﻜﻦ‪,‬ﻓﺈن اﻟﻌﺎدة ﺗﻌﻴﻦ ﻋﻠﻰ ذﻟﻚ و ﺗﻘﻮى ﻋﻠﻴﻪ‪.‬و ﺑﺎﻟﺠﻤﻠﺔ ﻓﺈﻧﻪ ﻳﻨﺒﻐﻲ أن‬
‫ﻳﻜﻮن ﻧﻴﻠﻨﺎ و إﺻﺎﺑﺘﻨﺎ ﻣﻦ اﻟﻠﻬﻮ و اﻟﺴﺮور و اﻟﻠﺬة ﻻ أﻧﻬﺎ ﻟﻬﺎ ﻧﻔﺴﻬﺎ‪,‬ﺑﻞ ﻟﻜﻲ ﻧﺘﺠﺪد و ﻧﻘﻮى ﺑﻪ ﻋﻠﻰ اﻟﻌﺪو‬
‫ﻓﻲ ﻓﻜﺮﻧﺎ و هﻤَﻨﺎ اﻟﻠﺬﻳﻦ ﺑﻬﻤﺎ ﻧﺒﻠﻎ ﻣﻄﺎﻟﺒﻨﺎ‪.‬ﻓﺈﻧﻪ آﻤﺎ أن ﻗﺼﺪ اﻟﺮﺟﻞ اﻟﺴﺎﺋﺮ ﻓﻲ إﻋﻼف داﺑﺘﻪ ﻟﻴﺲ إﻟﻰ أن‬
‫ﻳﻨﻴﻠﻬﺎ ﻟﺬﺗﻬﺎ ﺑﻞ إﻟﻰ أن | ﻳﻘﻮﻳﻬﺎ ﻋﻠﻰ ﺑﻠﻮغ ﻣﻜﺎﻧﻪ و ﻣﺴﺘﻘﺮﻩ‪,‬ﻓﻜﺬﻟﻚ ﻳﻨﺒﻐﻲ أن ﻳﻜﻮن ﺣﺎﻟﻨﺎ ﻓﻲ اﻻﺷﺘﻐﺎل‬
‫ﺑﻤﺼﺎﻟﺢ أﺟﺴﺎدﻧﺎ‪.‬‬
‫ﻓﺈﻧﻪ إذا ﻓﻌﻠﻨﺎ ذﻟﻚ و ﻗﺪرﻧﺎﻩ هﺬا اﻟﺘﻘﺪﻳﺮ ﺑﻠﻐﻨﺎ ﻣﻄﺎﻟﺒﻨﺎ ﻓﻲ أﺳﺮع اﻷوﻗﺎت اﻟﺘﻲ ﻳﻤﻜﻦ ﻓﻲ ﻣﺜﻠﻬﺎ‬
‫ﺑﻠﻮﻏﻬﺎ‪,‬وﻟﻢ ﻧﻜﻦ آﺎﻟﺬي أهﻠﻚ راﺣﻠﺘﻪ ﻗﺒﻞ ﺑﻠﻮﻏﻪ أرﺿﻪ اﻟﺘﻲ ﻳﺆﻣﻬﺎ ﺑﺎﻟﺤﻤﻞ ﻋﻠﻴﻬﺎ و اﻟﺨﺮق ﺑﻬﺎ‪,‬وﻻ آﺎﻟﺬي‬
‫ﺷﻐﻞ ﺑﺈﺳﻤﺎﻧﻬﺎ و إﺧﺼﺎﺑﻬﺎ ﺣﺘﻰ ﻓﺎﺗﻪ اﻟﻮﻗﺖ اﻟﺬي آﺎن ﻳﻨﺒﻐﻲ أن ﻳﻜﻮن ﻗﺪ وﺻﻞ ﻓﻴﻪ إﻟﻰ ﻣﻮﺿﻌﻪ و‬
‫ﻼ أﺣﺐ ﻋﻠﻢ اﻟﻔﻠﺴﻔﺔ و ﺁﺛﺮهﺎ ﺣﺘﻰ ﺟﻌﻠﻬﺎ هﻤﻪ و ﺷﻐﻞ‬
‫ﻣﺴﺘﻘﺮﻩ‪.‬و ﺳﻨﺄﺗﻲ ﻓﻲ ذﻟﻚ ﺑﻤﺜﻞ ﺁﺧﺮ‪,‬أﻗﻮل‪:‬ﻟﻮ أن رﺟ ً‬
‫ﺑﻬﺎ ﻓﻜﺮﻩ‪,‬ﺛﻢ رام أن ﻳﺒﻠﻎ ﻣﻨﻬﺎ ﻣﺎ ﺑﻠﻎ ﺳﻘﺮاﻃﻴﺲ و ﻓﻼﻃﻦ و أرﺳﻄﺎﻃﺎﻟﻴﺲ و ﺛﻮﻓﺮﺳﻄﺲ و أوذﻳﻤﺲ و‬
‫ﻼ‪,‬ﻓﺄدام اﻟﻔﻜﺮ و اﻟﻨﻈﺮ و أﻗﻞ اﻟﻐﺬاء و اﻟﺮاﺣﺔ _و‬
‫ﺧﺮوﺳﺒﺲ و ﺛﺎﻣﺴﻄﻴﺲ و اﺳﻜﻨﺪروس ﻓﻲ ﻣﺪة ﺳﻨﺔ ﻣﺜ ً‬
‫ﻣﻤﺎ ﻳﺘﺒﻊ ذﻟﻚ ﺿﺮورة دوام اﻟﺴﻬﺮ _ ‪,‬أﻗﻮل إن هﺬا اﻟﺮﺟﻞ ﻳﻘﻊ إﻟﻰ اﻟﻮﺳﻮاس و اﻟﻤﺎﻧﺨﻮﻟﻴﺎ و إﻟﻰ اﻟﺪق و‬
‫اﻟﺬﺑﻮل ﻗﺒﻞ ﻣﻀﻲ ﺗﻤﺎم هﺬﻩ اﻟﻤﺪة و ﻗﺒﻞ أن ﻳﻘﺎرب هﺆﻻء اﻟﺬﻳﻦ ذآﺮﻧﺎهﻢ‪.‬‬
‫ﻼ ﺁﺧﺮ أﺣﺐ أﻳﻀًﺎ اﺳﺘﻜﻤﺎل ﻋﻠﻢ اﻟﻔﻠﺴﻔﺔ ﻋﻠﻰ أﻧﻪ إﻧﻤﺎ ﻳﻨﻈﺮ ﻓﻴﻬﺎ ﻓﻲ اﻟﻮﻗﺖ ﺑﻌﺪ‬
‫و أﻗﻮل ﻟﻮ أن رﺟ ً‬
‫اﻟﻮﻗﺖ إذا ﻓﺮغ ﻣﻦ أﺷﻐﺎﻟﻪ و ﻣﻞ ﻣﻦ ﻟﺬاﺗﻪ و ﺷﻬﻮاﺗﻪ‪,‬ﻓﺈذا ﻋﺮض ﻟﻪ أدﻧﻰ ﺷﻐﻞ أو ﺗﺤﺮآﺖ ﻓﻴﻪ أدﻧﻰ ﺷﻬﻮة‬
‫ﺗﺮك اﻟﻨﻈﺮ و ﻋﺎد ﻓﻴﻤﺎ آﺎن أوﻻ‪,‬أﻗﻮل إن هﺬا اﻟﺮﺟﻞ ﻻ ﻳﺴﺘﻜﻤﻞ ﻋﻠﻢ اﻟﻔﻠﺴﻔﺔ ﻓﻲ ﻋﻤﺮﻩ وﻻ ﻳﻘﺎرب ذﻟﻚ وﻻ‬
‫ﻳﺪاﻧﻴﻪ‪.‬ﻓﻘﺪ ﻋﺪم هﺬان اﻟﺮﺟﻼن ﻣﻄﻠﻮﺑﻬﻤﺎ‪,‬أﺣﺪهﻤﺎ ﻣﻦ ﺟﻬﺔ اﻹﻓﺮاط و اﻵﺧﺮ ﻣﻦ ﺟﻬﺔ اﻟﺘﻘﺼﻴﺮ‪.‬و ﻣﻦ أﺟﻞ‬
‫ذﻟﻚ ﻳﻨﺒﻐﻲ أن ﻧﻌﺘﺪل ﻓﻲ ﻓﻜﺮﻧﺎ وهﻤﻮﻣﻨﺎ اﻟﺘﻲ ﻧﺮوم ﺑﻬﺎ ﺑﻠﻮغ ﻣﻄﺎﻟﺒﻨﺎ ﻟﻨﺒﻠﻐﻬﺎ وﻻ ﻧﻌﺪﻣﻬﺎ ﻣﻦ ﻗﺒﻞ ﺗﻘﺼﻴﺮ أو‬
‫إﻓﺮاط ‪.‬‬
‫‪12‬‬
Al-Râzî
‫اﻟﺮازي‬
La médecine spirituelle
Pour prévenir l’excès nuisible en matière de pensée et de méditation
Ces deux accidents, même s’ils ne sont qu’intellectuels, entraînent par leur excès de
la douleur et de la nuisance qui nous empêchent d’atteindre nos buts, et en cela leur
excès revient au même que leur défaut, comme cité plus haut. Pour cette raison, le
sage doit savoir reposer son corps et lui procurer autant de plaisir et de satisfaction
que possible en conservant sa santé, afin qu’il ne s’épuise pas et ne s’écroule pas sous
la peine, nous empêchant ainsi d’atteindre nos buts.
A cause de la différence de caractères et d’habitudes, il existe différents degrés de
tolérance à la pensée et à la méditation selon les hommes. Certains peuvent en
supporter beaucoup sans dommage, quand d’autres ne pourraient pas en supporter
autant. Il faut donc bien examiner et comprendre cela avant d’aller plus loin,
augmenter progressivement [l’effort de la pensée] autant que possible, car l’habitude
renforce notre endurance.
En d’autres termes, se procurer du plaisir et de la satisfaction ne doit pas être une fin
en soi, mais un moyen pour nous régénérer et nous rendre plus forts face à l’ennemi
qui est présent dans nos pensées et nos méditations, par lesquelles nous tendons à
atteindre nos buts. Tel est le but du voyageur qui nourrit sa monture : non pas lui
procurer du plaisir, mais la rendre plus forte pour pouvoir rejoindre son lieu de séjour.
Nous devons agir de même dans l’intérêt de notre corps. Si nous suivons cette
prescription, nous atteindrons nos buts le plus rapidement possible, et nous ne
ressemblerons pas à celui qui, à force de charger sa monture et de consumer ses
forces, l’exténue avant même d’avoir atteint sa destination, ni à celui qui, à force de
l’engraisser et de la féconder, laisse passer le temps où il aurait dû arriver à son lieu de
séjour.
Ceci peut être illustré par un autre exemple. Si un homme aimait la philosophie et se
vouait à elle au point d’en faire son unique sujet de préoccupation, et qu’il voulait
atteindre en un an, par exemple, ce qu’ont atteint Socrate, Platon, Aristote,
Théophraste, Eudème, Chrysippe, Thémistius et Alexandre [d’Aphrodise],
prolongeant donc l’étude et la contemplation, diminuant son alimentation et son temps
de repos- du fait de la nécessité de veilles interminables-, je dis que cet homme
plongerait dans l’obsession, la mélancolie et finalement l’épuisement, avant la fin de
la période définie, et sans même s’être approché de ce que les autres ont atteint. Si un
autre homme aimait aussi parcourir la philosophie, mais ne l’étudiait que de temps à
autre, quand il n’a rien d’autre à faire et se trouve las des plaisirs et des réjouissances,
cessant sa contemplation et revenant à ses premières passions dès que la moindre
pulsion ressurgit en lui, je dis que cet homme ne parviendrait jamais à parcourir la
philosophie de toute sa vie. Ainsi les deux hommes auront manqué leur but, le premier
par excès, le second par défaut. C’est pourquoi nous devons trouver une juste mesure
dans nos pensées et nos méditations, par lesquelles nous espérons atteindre nos buts,
afin de les atteindre en effet et de ne pas les rater par défaut ou par excès. »
Traduction effectuée avec Racha Absi et Maria Kallas, élèves de TES (2006-2007)
13
‫‪Al-Râzî‬‬
‫اﻟﺮازي‬
‫آﺘﺎب اﻟﺴﻴﺮة اﻟﻔﻠﺴﻔﻴﺔ‬
‫ﻓﻨﻘﻮل ‪ :‬اﻧﻪ ﻟﻤﺎ آﺎن اﻷﺻﻞ اﻟﺬي وﺿﻌﻨﺎﻩ ﻣﻦ أن رﺑﻨﺎ وﻣﺎﻟﻜﻨﺎ ﻣﺸﻔﻖ ﻋﻠﻴﻨﺎ‬
‫ﻧﺎﻇﺮ ﻟﻨﺎ رﺣﻴﻢ ﺑﻨﺎ ﺗﺒﻊ ذﻟﻚ أﻧﻪ ﻳﻜﺮﻩ أن ﻳﻘﻊ ﺑﻨﺎ أﻟﻢ ‪ ,‬وأ ن ﺟﻤﻴﻊ ﻣﺎ ﻳﻘﻊ ﺑﻨﺎ ﻣﻨﻪ ﻣﻤﺎ ﻟﻴﺲ ﻣﻦ‬
‫اآﺘﺴﺎﺑﻨﺎ واﺧﺘﻴﺎراﺗﻨﺎ ﻣﻤﺎ ﻓﻲ اﻟﻄﺒﻴﻌﺔ ﻓﻸﻣﺮ ﺿﺮوري ﻟﻢ ﻳﻜﻦ ﺑﺪ ﻣﻦ وﻗﻮﻋﻪ‪ .‬ووﺟﺐ ﻣﻦ ذﻟﻚ أﻧﻪ‬
‫ﻻﻳﻨﺒﻐﻲ أن ﻧﺆﻟﻢ ﻣﺤﺴﺎ ﺑﺘﺔ ﻣﻦ ﻏﻴﺮ اﺳﺘﺤﻘﺎق ﻣﻨﻪ ﻟﺬﻟﻚ اﻹﻳﻼم أو ﻟﻐﻴﺮ ﺻﺮﻓﻨﺎ ﻋﻨﻪ ﺑﺬﻟﻚ اﻷﻟﻢ ﻣﺎ‬
‫هﻮ أﺷﺪ ﻣﻨﻪ‪ .‬وﺗﺤﺖ هﺬﻩ اﻟﺠﻤﻠﺔ أﻳﻀﺎ ﺗﻔﺼﻴﻞ آﺜﻴﺮ ﻳﺪﺧﻞ ﻓﻴﻬﺎ اﻟﻤﻈﺎﻟﻢ ﺟﻤﻴﻌﺎ‪ ,‬وﻣﺎ ﻳﺘﻠﺬذ ﻳﻪ اﻟﻤﻠﻮك‬
‫ﻣﻦ اﻟﺼﻴﺪ ﻟﻠﺤﻴﻮان وﻳﻔﺮط ﻓﻴﻪ اﻟﻨﺎس ﻣﻦ اﻟﻜﺪ ﻟﻠﺒﻬﺎﺋﻢ ﻓﻲ اﺳﺘﻌﻤﺎﻟﻬﺎ‪ .‬ﻓﻮﺟﺐ أن ﻳﻜﻮن ذﻟﻚ آﻠﻪ ﻋﻠﻰ‬
‫ﻗﺼﺪ وﺳﻨﻦ وﻃﺮﻳﻖ وﻣﺬهﺐ ﻋﻘﻠﻲ ﻋﺪﻟﻲ ﻻﻳﺘﻌﺪى وﻻ ﻳﺠﺎر ﻋﻨﻪ‪ .‬ﻓﻴﻮﻗﻊ اﻷﻟﻢ ﺣﻴﺚ ﻳﺮﺟﻰ ﺑﻪ‬
‫ﻲ اﻟﻌﻀﻮ اﻟﻌﻔﻦ وﺷﺮب اﻟﺪواء اﻟﻤﺮ اﻟﺒﺸﻊ وﺗﺮك اﻟﻄﻌﺎم‬
‫دﻓﻊ ﻣﺎهﻮ أﻋﻈﻢ ﻣﻨﻪ‪ ,‬ﻧﺤﻮ ﺑﻂ اﻟﺠﺮاح وآ ّ‬
‫ﻻ ﻓﻲ اﻟﻤﻮاﺿﻊ اﻟﺘﻲ‬
‫اﻟﻠﺬﻳﺬ ﺧﺸﻴﺔ اﻷﻣﺮاض ااﻟﻌﻈﻴﻤﺔ اﻷﻟﻴﻤﺔ ‪ .‬وﺗﻜ ّﺪ اﻟﺒﻬﺎﺋﻢ آ ّﺪ ﻗﺼﺪ ﻻﻋﻨﻒ ﻓﻴﻪ ا ّ‬
‫ﺚ اﻟﻔﺮس ﻋﻨﺪ ﻃﻠﺐ اﻟﻨﺠﺎة‬
‫ﺗﺪﻋﻮ اﻟﻀﺮورة ﻓﻴﻬﺎ اﻟﻰ اﻻﻋﻨﺎف وﻳﻮﺟﺐ اﻟﻌﻘﻞ واﻟﻌﺪل ذﻟﻚ آﺤ ّ‬
‫ﻣﻦ اﻟﻌﺪ ّو ‪ ,‬ﻓﺎﻧﻪ ﻳﺠﺐ ﻓﻲ اﻟﻌﺪل ﺣﻴﻨﺌﺬ أن ﻳﺤﺚ وﻳﺘﻠﻒ ﻓﻲ ذﻟﻚ إذا رﺟﻰ ﺑﻪ ﺧﻼص اﻹﻧﺴﺎن ‪,‬‬
‫وﻻﺳﻴﻤﺎ إذا آﺎن ﻋﺎﻟﻤﺎ ﺧﻴّﺮا أو ﻟﻪ ﻏﻨﺎء ﻋﻈﻴﻢ ﻓﻲ وﺟﻪ ﻣﻦ اﻟﻮﺟﻮﻩ اﻟﻌﺎﺋﺪ ﺻﻼﺣﻬﺎ ﻋﻠﻰ ﺟﻤﻠﺔ‬
‫اﻟﻨﺎس ‪ ,‬إذ آﺎن ﻏﻨﺎء ﻣﺜﻞ هﺬا اﻟﺮﺟﻞ وﺑﻘﺎؤﻩ ﻓﻲ هﺬا اﻟﻌﺎﻟﻢ أﺻﻠﺢ ﻷهﻠﻪ ﻣﻦ ﺑﻘﺎء ذﻟﻚ اﻟﻔﺮس‪ .‬أو‬
‫آﺮﺟﻠﻴﻦ وﻗﻌﺎ ﻓﻲ ﺑﺮﻳﺔ ﻻ ﻣﺎء ﻓﻴﻬﺎ وﻣﻊ أﺣﺪهﻤﺎ ﻣﻦ اﻟﻤﺎء ﻣﺎ ﻳﻤﻜﻦ أن ﻳﺨﻠﺺ ﺑﻪ ﻧﻔﺴﻪ دون ﺻﺎﺣﺒﻪ‬
‫‪ ,‬ﻓﺈﻧﻪ ﻳﻨﺒﻐﻲ ﻓﻲ ﺗﻠﻚ اﻟﺤﺎﻟﺔ أن ﻳﺆﺛﺮ ﺑﺎﻟﻤﺎء أﻋﻮد اﻟﺮﺟﻠﻴﻦ ﻋﻠﻰ اﻟﻨﺎس ﺑﺎﻟﺼﻼح‪ .‬ﻓﻬﺬا هﻮ اﻟﻘﻴﺎس‬
‫ﻓﻲ أﻣﺜﺎل هﺬﻩ اﻷﻣﻮر و أﺷﺒﺎهﻬﺎ‪.‬‬
‫و أﻣﺎ اﻟﺼﻴﺪ و اﻟﻄﺮد و اﻹﺑﺎدة و اﻹهﻼك ﻓﻴﻨﺒﻐﻲ أن ﻳﻜﻮن ﻟﻠﺤﻴﻮان اﻟﺬي ﻻ‬
‫ﻳﻌﻴﺶ آﻤﺎل اﻟﻌﻴﺸﺔ إﻻ ﺑﺎﻟﻠﺤﻢ آﺎﻷﺳﺪ و اﻟﻨﻤﻮر و اﻟﺬﺋﺎب و ﻣﺎ أﺷﺒﻬﻬﺎ ‪ ,‬و اﻟﺘﻲ ﻳﻌﻈﻢ أذاهﺎ و ﻻ‬
‫ﻣﻄﻤﻊ ﻓﻲ اﺳﺘﺼﻼﺣﻬﺎ وﻻ ﺣﺎﺟﺔ ﻓﻲ اﺳﺘﻌﻤﺎﻟﻬﺎ آﺎﻟﺤﻴﺎت و اﻟﻌﻘﺎرب و ﻧﺤﻮهﺎ‪ .‬ﻓﻬﺬاهﻮ اﻟﻘﻴﺎس ﻓﻲ‬
‫أﻣﺜﺎل هﺬﻩ اﻷﻣﻮر‪ .‬وإﻧﻤﺎ ﺟﺎز أن ﺗﺘﻠﻒ هﺬﻩ اﻟﺤﻴﻮاﻧﺎت ﻣﻦ ﺟﻬﺘﻴﻦ‪ :‬إﺣﺪاهﻤﺎ أﻧﻬﺎ ﻣﺘﻰ ﻟﻢ ﺗﺘﻠﻒ‪,‬‬
‫أﺗﻠﻔﺖ ﺣﻴﻮاﻧﺎت آﺜﻴﺮة ‪ ,‬ﻓﻬﺬا ﺑﺎب ﺧﺎص ﺑﺄﻣﺜﺎل هﺬﻩ اﻟﺤﻴﻮاﻧﺎت ‪ ,‬أﻋﻨﻲ اﻟﺘﻲ ﻻ ﺗﻌﻴﺶ إﻻ ﺑﺎﻟﻠﺤﻢ ‪ .‬و‬
‫أﻣﺎ اﻷﺧﺮى ﻓﺈﻧﻪ ﻟﻴﺲ ﺗﺨﻠﺺ اﻟﻨﻔﻮس ﻣﻦ ﺟﺜﺔ ﻣﻦ ﺟﺜﺚ اﻟﺤﻴﻮاﻧﺎت إﻻ ﻣﻦ ﺟﺜﺔ اﻹﻧﺴﺎن ﻓﻘﻂ‪ .‬و إذا‬
‫آﺎن اﻷﻣﺮ آﺬﻟﻚ آﺎن ﺗﺨﻠﻴﺺ أﻣﺜﺎل هﺬﻩ اﻟﻨﻔﻮس ﻣﻦ ﺟﺜﺜﻬﺎ ﺷﺒﻴﻬًﺎ ﺑﺎﻟﺘﻄﺮﻳﻖ واﻟﺘﺴﻬﻴﻞ إﻟﻰ اﻟﺨﻼص‬
‫‪ .‬ﻓﻠﻤﺎ اﺟﺘﻤﻌﺖ اﻟﺘﻲ ﻻ ﺗﻌﻴﺶ إﻻ ﺑﺎﻟﻠﺤﻢ اﻟﻮﺟﻬﺎن ﺟﻤﻴﻌﺎً وﺟﺐ إﺑﺎدﺗﻬﻤﺎ ﻣﺎ أﻣﻜﻦ ‪ ,‬ﻷن ﻓﻲ ذﻟﻚ‬
‫ﻼ ﻣﻦ أﻟﻢ اﻟﺤﻴﻮان و رﺟﺎء أن ﺗﻘﻊ ﻓﻲ ﻧﻔﻮﺳﻬﺎ ﺟﺜﺚ أﺻﻠﺢ‪.‬‬
‫ﺗﻘﻠﻴ ً‬
‫‪14‬‬
Al-Râzî
‫اﻟﺮازي‬
La vie philosophique
Nous disons donc : nous avons posé le principe que notre Dieu et maître est
miséricordieux, voyant, soucieux de nous, clément, il s’ensuit qu’il déteste que nous
souffrons, et que tout ce qui nous arrive que nous n’avons pas acquis par nous-mêmes,
ni choisi, mais qui est dans la nature, est une chose qui doit se produire
nécessairement. D’après cela, nous ne devons pas causer de la souffrance à un être
sensible sans qu’il la mérite, sauf si c’est pour écarter de nous une souffrance plus
grande. Ce principe inclut toutes les injustices, y compris la chasse comme
divertissement des rois et l’excès de labeur infligé aux bêtes de somme. Il faut que
tout cela soit fait selon une intention raisonnable, une règle juste, qu’on ne dépasse
pas. La douleur est infligée là où l’on espère par elle repousser une douleur plus
grande, comme le fait de crever un abcès, de cautériser des membres gangrenés, de
boire des remèdes amers et répugnants, d’abandonner la nourriture délicieuse par
crainte de maladies graves et douloureuses. Que les bêtes soient exploitées pour une
bonne raison et sans violence, sauf dans les cas où il est nécessaire, mais aussi
raisonnable et juste, de leur faire violence. Par exemple, lorsque l’on aiguillonne le
cheval pour se sauver de l’ennemi, cela est commandé par la Justice ; il est donc juste
de maltraiter le cheval quand on espère par là le salut de l’homme, surtout s’il s’agit
d’un savant bienfaiteur ou de quelqu’un possédant une certaine fortune dont les fruits
profitent à tous- car la richesse d’un tel homme et sa subsistance en ce monde sont
plus utiles à ces gens que la subsistance du cheval. Ou encore, si deux hommes se
trouvent dans un désert sans eau, l’un des deux possédant juste assez d’eau pour se
sauver lui-même, mais pas son compagnon. Dans ce cas-là, il faut donner l’eau en
priorité à celui des deux qui rend plus de biens aux hommes. Tel est le raisonnement
analogique qu’il faut suivre dans des cas semblables.
Quant à la chasse et à l’extermination, elles ne sont justifiées que pour
l’animal qui ne peut vivre qu’en consommant de la chair, comme le lion, le tigre, le
loup et leurs semblables, et pour ceux qui sont très nocifs, que nous n’avons pas
l’espoir d’améliorer ni le besoin d’utiliser, comme les serpents, les scorpions et autres
de cette espèce. Telle est l’analogie qu’il faut suivre dans des cas semblables. Il n’est
permis de supprimer ces animaux que de deux points de vue : d’abord parce que si un
tel animal n’est pas tué, il tuera beaucoup d’autres animaux, ce qui est le cas des
animaux carnivores. Quant à l’autre raison, elle repose sur le fait que seules les âmes
des hommes peuvent s’échapper complètement du corps animal. S’il en est ainsi, alors
faire rendre l’âme à de tels animaux serait comme leur préparer et leur faciliter le
salut. Si l’on rassemble les deux points de vue, alors il faut éliminer les animaux
carnivores autant que possible, d’abord pour diminuer la souffrance du vivant, ensuite
dans l’espoir que les âmes des prédateurs se retrouvent ensuite dans des corps plus
sains.
15
‫‪Al-Râzî‬‬
‫اﻟﺮازي‬
‫وأﻣﺎ اﻟﺤﻴﺎت و اﻟﻌﻘﺎرب و اﻟﺰﻧﺎﺑﻴﺮ و ﻧﺤﻮهﺎ ﻓﺎﺟﺘﻤﻊ ﻟﻬﻞ أﻧﻬﺎ ﻣﺆﻟﻤﺔ ﻟﻠﺤﻴﻮان‬
‫وﻻ ﺗﺼﻠﺢ أن ﻳﺴﺘﻌﻤﻠﻬﺎ اﻹﻧﺴﺎن آﻤﺎ ﺗﺴﺘﻌﻤﻞ اﻟﺒﻬﺎﺋﻢ اﻟﻤﻌﻤﻮﻟﺔ ﻓﺠﺎز ﻟﺬﻟﻚ إهﻼآﻬﺎ و إﺑﺎدﺗﻬﺎ‪ .‬و أﻣﺎ‬
‫اﻟﺤﻴﻮاﻧﺎت اﻟﻤﻌﻤﻮﻟﺔ و اﻟﻌﺎﺋﺸﺔ ﺑﺎﻟﻌﺸﺐ ﻓﻠﻢ ﻳﺠﺐ إﺑﺎدﺗﻬﺎ و إهﻼآﻬﺎ ﺑﻞ اﻟﺮﻓﻖ ﺑﺎﻟﻤﻌﻤﻮﻟﺔ ﻋﻠﻰ ﻣﺎ‬
‫ذآﺮﻧﺎ و اﻻﺳﺘﻘﻼل اﻻﻏﺘﺬاء ﺑﻬﺎ ﻣﺎ أﻣﻜﻦ و ﻣﻦ إﻧﺴﺎﻟﻬﺎ ﻟﺌﻼ ﺗﻜﺜﺮ آﺜﺮة ﺗﺤﻮج إﻟﻰ إآﺜﺎر ذﺑﺤﻬﺎ ‪,‬‬
‫ﻟﻜﻦ ﻳﻜﻮن ذﻟﻚ ﺑﻘﺼﺪ و ﺑﺤﺴﺐ اﻟﺤﺎﺟﺔ ‪ ,‬و ﻟﻮﻻ أﻧﻪ ﻻ ﻣﻄﻤﻊ ﻓﻲ ﺧﻼص ﻧﻔﺲ ﻣﻦ ﻏﻴﺮ ﺟﺜﺔ‬
‫اﻹﻧﺴﺎن ﻟﻤﺎ أﻃﻠﻖ ﺣﻜﻢ اﻟﻌﻘﻞ ذﺑﺤﻬﺎ اﻟﺒﺘﺔ‪ .‬و ﻗﺪ اﺧﺘﻠﻒ اﻟﻤﺘﻔﻠﺴﻔﻮن ﻓﻲ هﺬا اﻷﻣﺮ ﻓﺮأى ﺑﻌﻀﻬﻢ أن‬
‫ﻳﺘﻐﺬى اﻹﻧﺴﺎن ﺑﺎﻟﻠﺤﻢ و ﻟﻢ ﻳﺮى ﺑﻌﻀﻬﻢ ذﻟﻚ ‪ ,‬وﺳﻘﺮاط ﻣﻤﻦ ﻟﻢ ﻳﺠﺰ ذﻟﻚ ‪.‬‬
‫و ﻟﻤﺎ آﺎن ﻟﻴﺲ ﻟﻺﻧﺴﺎن ﻓﻲ ﺣﻜﻢ اﻟﻌﻘﻞ و اﻟﻌﺪل أن ﻳﺆﻟﻢ ﻏﻴﺮﻩ ﺗﺒﻊ ذﻟﻚ أﻧﻪ ﻟﻴﺲ ﻟﻪ أن ﻳﺆﻟﻢ ﻧﻔﺴﻪ أﻳﻀًﺎ‪ .‬و‬
‫ﺻﺎر ﺗﺤﺖ هﺬﻩ اﻟﺠﻤﻠﺔ أﻳﻀًﺎ أﻣﻮر آﺜﻴﺮة ﻳﺪﻓﻌﻬﺎ ﺣﻜﻢ اﻟﻌﻘﻞ ‪ ,‬ﻧﺤﻮ ﻣﺎ ﻳﻌﻤﻠﻪ اﻟﻬﻨﺪ ﻣﻦ اﻟﺘﻘﺮب إﻟﻰ اﷲ‬
‫ﺑﺈﺣﺮاق أﺟﺴﺎدهﺎ و ﻃﺮﺣﻬﺎ ﻋﻠﻰ اﻟﺤﺪاﺋﺪ اﻟﻤﺸﺤﻮذة‪ ,‬و ﻧﺤﻮ اﻟﻤﻨﺎﻧﻴﺔ و ﺟﺒًﻬﺎ أﻧﻔﺴﻬﺎ إذا ﻧﺎزﻋﺘﻬﺎ إﻟﻰ اﻟﺠﻤﺎع‬
‫و إﺿﻨﺎﺋﻬﺎ ﺑﺎﻟﺠﻮع و اﻟﻌﻄﺶ و ﺗﻮﺳﻴﺨﻬﺎ ﺑﺎﺟﺘﻨﺎب اﻟﻤﺎء و اﺳﺘﻌﻤﺎﻟﻪ اﻟﺒﻮل ﻣﻜﺎﻧﻪ‪.‬‬
‫‪16‬‬
Al-Râzî
‫اﻟﺮازي‬
Quant aux serpents, aux scorpions, aux guêpes et autres, on peut résumer en disant
qu’ils font souffrir le vivant et qu’ils ne peuvent pas être utilisés par l’homme, à la
différence des bêtes de somme, ce pour quoi il est permis de les éliminer. Quant aux
bêtes de somme herbivores, il ne faut pas les tuer mais alléger leur fardeau comme
nous l’avons dit, nous abstenir de les consommer autant que possible et ne pas les
féconder afin qu’ils ne se multiplient pas et que nous n’ayons pas besoin de les
massacrer davantage quand cela serait nécessaire. Et même s’il n’y a pas d’espoir de
délivrer une âme d’un corps animal autre que l’homme, ce n’est pas du tout une raison
valable pour les tuer. Les philosophes ont différé sur cette question, certains pensant
que l’homme peut manger de la viande et d’autres étant de l’avis contraire. Socrate,
quant à lui, fait partie de ceux qui ne le permettent pas.
Du fait qu’il n’est pas raisonnable et juste que l’homme fasse du mal à un autre que
lui, il s’en suit qu’il n’est pas du tout raisonnable ou juste qu’il se fasse du mal à luimême. Cela inclut beaucoup d’actions que la raison défend, comme les pratiques de
ces Indiens aspirant au sacrifice pour Dieu, qui infligent des brûlures à leur corps ou
s’étendent sur des planches à clous, ou comme celles des Manichéens (1) qui se
castrent pour ne pas céder à leur penchant sexuel, qui s’épuisent par la faim et la soif,
et se salissent volontairement en utilisant l’urine à la place de l’eau.
Traduction effectuée avec Grace Al-Shawi, élève de TL (2007-2008)
(1) : Adeptes du prophète Mani, fondateur d'une religion dualiste apparue en
Mésopotamie au IIIème siècle de notre ère. Mani est mort en martyre en 277. Le
manichéisme a eu une grande influence sur la pensée des Perses et des Indiens. Il est
encore présent en Inde et en Iran sous forme minoritaire.
17
Al-Fârâbî
‫اﻟﻔﺎراﺑﻲ‬
18
Al-Fârâbî
‫اﻟﻔﺎراﺑﻲ‬
Abû Nasr Al-Fârâbî ( ‫)اﻟﻔﺎراﺑﻲ‬, surnommé « le second maître » (‫ )اﻟﻤﻌﻠﻢ اﻟﺜﺎﻧﻲ‬par ses
contemporains (le « premier maître » n’est autre qu’Aristote), naquit au
Turkestan en 870. Il vécut à Bagdad, Alep et Damas, avant de mourir en 950. Il
n’était sans doute pas de langue maternelle arabe. Il se voua à la philosophie à
l’exclusion de toute autre activité, exception faite de la musique. Il entreprit, par
ses commentaires d’Aristote, de concilier la philosophie de celui-ci avec celle de
Platon. Son œuvre maîtresse, Traité des opinions des habitants de la Cité vertueuse
(‫)آﺘﺎب ﺁراء أهﻞ اﻟﻤﺪﻳﻨﺔ اﻟﻔﺎﺿﻠﺔ‬, s’inspire directement de La République de Platon, dont
il acclimate la pensée politique à la civilisation de l’islam.
Dans le premier texte, à la suite de Platon, Al-Fârâbî présente la Cité juste selon
un modèle hiérarchisé, comprenant un chef suprême, détenteur de la sagesse, et
toute une chaîne de commandement et d’obéissance jusqu’aux classes
laborieuses. C’est un tel modèle que la philosophie politique égalitariste,
représentée par Marx au 19ème siècle, voudra renverser pour établir
pratiquement une société sans classe. Mais pour Al-Fârâbî comme pour Platon,
l’ordre hiérarchique est la condition de l’équilibre, de la paix, c’est-à-dire de la
bonne santé de la société. Platon prend l’âme comme modèle de la Cité: dans une
âme saine, la raison commande au courage qui maîtrise le désir et lui impose la
tempérance. Al-Fârâbî adopte ici, de façon analogue, le modèle du corps
humain : pour que cet organisme soit en bonne santé, un certain ordre
hiérarchique doit fonctionner normalement. Mais ce n’est là qu’une analogie, et
Al-Fârâbî n’oublie pas de préciser la différence de fond entre les organes du
corps et les membres de la Cité, autrement dit les citoyens.
Dans le second texte, Al-Fârâbî commence par énumérer les vertus naturelles,
intellectuelles et morales, qui doivent être celles du chef suprême, analogue à
l’idéal du philosophe-roi platonicien. Bien conscient de l’extrême difficulté de
trouver toutes ces qualités rassemblées en un même homme, notre « second
maître » explique ensuite comment le pouvoir pourrait être partagé suivant la
répartition des vertus en différents hommes, passant ainsi d’un modèle
monarchique à un modèle aristocratique. Le texte se conclut sur une note
pessimiste, envisageant la ruine de la cité vertueuse. Par là, Al-Fârâbî enrichit
son œuvre utopique, d’inspiration platonicienne, d’un certain « réalisme
politique ».
19
‫‪Al-Fârâbî‬‬
‫اﻟﻔﺎراﺑﻲ‬
‫آﺘﺎب ﺁراء أهﻞ اﻟﻤﺪﻳﻨﺔ اﻟﻔﺎﺿﻠﺔ‬
‫و اﻟﻤﺪﻳﻨﺔ اﻟﻔﺎﺿﻠﺔ ﺗﺸﺒﻪ اﻟﺒﺪن اﻟﺼﺤﻴﺢ اﻟﺬي ﺗﺘﻌﺎون أﻋﻀﺎؤﻩ آﻠﻬﺎ ﻋﻠﻰ ﺗﺘﻤﻴﻢ ﺣﻴﺎة اﻟﺤﻴﻮان ‪ ,‬و ﻋﻠﻰ‬
‫ﺣﻔﻈﻬﺎ ﻋﻠﻴﻪ ‪ .‬و آﻤﺎ أن اﻟﺒﺪن أﻋﻀﺎؤﻩ ﻣﺨﺘﻠﻔﺔ ﻣﺘﻔﺎﺿﻠﺔ اﻟﻔﻄﺮة و اﻟﻘﻮى ‪ :‬و ﻓﻴﻬﺎ ﻋﻀﻮ واﺣﺪ رﺋﻴﺲ هﻮ‬
‫اﻟﻘﻠﺐ ؛ و أﻋﻀﺎء ﺗﻘﺮب ﻣﺮاﺗﺒﻬﺎ ﻣﻦ ذﻟﻚ اﻟﺮﺋﻴﺲ ‪ ,‬وآﻞ واﺣﺪ ﻣﻨﻬﺎ ﺟﻌﻠﺖ ﻓﻴﻪ ﺑﺎﻟﻄﺒﻊ ﻗﻮة ﻳﻔﻌﻞ ﺑﻬﺎ ﻓﻌﻠﻪ‬
‫اﺑﺘﻐﺎء ﻟﻤﺎ هﻮ ﺑﺎﻟﻄﺒﻊ ﻏﺮض ذﻟﻚ اﻟﻌﻀﻮ اﻟﺮﺋﻴﺲ ؛ و أﻋﻀﺎء أُﺧﺮ ﻓﻴﻬﺎ ﻗﻮى ﺗﻔﻌﻞ أﻓﻌﺎﻟﻬﺎ ﻋﻠﻰ ﺣﺴﺐ‬
‫أﻏﺮاض هﺬﻩ اﻟﺘﻲ ﻟﻴﺲ ﺑﻴﻨﻬﺎ و ﺑﻴﻦ اﻟﺮﺋﻴﺲ واﺳﻄﺔ ‪ ,‬ﻓﻬﺬﻩ ﻓﻲ اﻟﺮﺗﺒﺔ اﻟﺜﺎﻧﻴﺔ ؛ و أﻋﻀﺎء أﺧﺮ ﺗﻔﻌﻞ اﻷﻓﻌﺎل‬
‫ﻋﻠﻰ ﺣﺴﺐ ﻏﺮض هﺆﻻء اﻟﺬﻳﻦ ﻓﻲ هﺬﻩ اﻟﺮﺗﺒﺔ اﻟﺜﺎﻧﻴﺔ ‪ ...‬ﺛﻢ هﻜﺬا إﻟﻰ أن ﺗﻨﺘﻬﻲ إﻟﻰ أﻋﻀﺎء ﺗﺨﺪم و ﻻ‬
‫ﻼ ؛ آﺬﻟﻚ اﻟﻤﺪﻳﻨﺔ ‪ :‬أﺟﺰاؤهﺎ ﻣﺨﺘﻠﻔﺔ اﻟﻔﻄﺮة ﻣﺘﻔﺎﺿﻠﺔ اﻟﻬﻴﺌﺎت ؛ و ﻓﻴﻬﺎ إﻧﺴﺎن هﻮ رﺋﻴﺲ ؛ و‬
‫ﺗﺮأس أﺻ ً‬
‫ﻼ ﻳﻘﻀﻲ ﺑﻪ ﻣﺎ هﻮ ﻣﻘﺼﻮد‬
‫أﺧﺮ ﺗﻘﺮب ﻣﺮاﺗﺒﻬﺎ ﻣﻦ اﻟﺮﺋﻴﺲ ؛ و ﻓﻲ آﻞ واﺣﺪ ﻣﻨﻬﺎ هﻴﺌﺔ و ﻣﻠﻜﺔ ﻳﻔﻌﻞ ﺑﻬﺎ ﻓﻌ ً‬
‫ذﻟﻚ اﻟﺮﺋﻴﺲ ؛ و هﺆﻻء هﻢ أوﻟﻮ اﻟﻤﺮاﺗﺐ اﻷول ‪ .‬و دون هﺆﻻء ﻗﻮم ﻳﻔﻌﻠﻮن اﻷﻓﻌﺎل ﻋﻠﻰ ﺣﺴﺐ أﻏﺮاض‬
‫هﺆﻻء ‪ ,‬و هﺆﻻء ﻓﻲ اﻟﺮﺗﺒﺔ اﻟﺜﺎﻧﻴﺔ‪ .‬و دون هﺆﻻء أﻳﻀًﺎ ﻣﻦ ﻳﻔﻌﻞ اﻷﻓﻌﺎل ﻋﻠﻰ ﺣﺴﺐ أﻏﺮاض هﺆﻻء ‪...‬‬
‫ﺛﻢ هﻜﺬا ﺗﺘﺮﺗﺐ أﺟﺰاء اﻟﻤﺪﻳﻨﺔ إﻟﻰ أن ﺗﻨﺘﻬﻲ إﻟﻰ أﺧﺮ ﻳﻔﻌﻠﻮن أﻓﻌﺎﻟﻬﻢ ﻋﻠﻰ ﺣﺴﺐ أﻏﺮاﺿﻬﻢ ‪ ,‬ﻓﻴﻜﻮن‬
‫هﺆﻻء هﻢ اﻟﺬﻳﻦ ﻳﺨﺪﻣﻮن و ﻻ ﻳﺨﺪﻣﻮن ‪ ,‬و ﻳﻜﻮﻧﻮن ﻓﻲ أدﻧﻰ اﻟﻤﺮاﺗﺐ و ﻳﻜﻮﻧﻮن هﻢ اﻷﺳﻔﻠﻴﻦ ‪.‬‬
‫ﻏﻴﺮ أن أﻋﻀﺎء اﻟﺒﺪن ﻃﺒﻴﻌﻴﺔ ‪ ,‬و اﻟﻬﻴﺌﺎت اﻟﺘﻲ ﻟﻬﺎ ﻗﻮى ﻃﺒﻴﻌﻴﺔ ‪ .‬و أﺟﺰاء اﻟﻤﺪﻳﻨﺔ _ و إن آﺎﻧﻮا‬
‫ﻃﺒﻴﻌﻴﻴﻦ _ ﻓﺈن اﻟﻬﻴﺌﺎت و اﻟﻤﻠﻜﺎت اﻟﺘﻲ ﻳﻔﻌﻠﻮن ﺑﻬﺎ أﻓﻌﺎﻟﻬﻢ ﻟﻠﻤﺪﻳﻨﺔ ﻟﻴﺴﺖ ﻃﺒﻴﻌﻴﺔ ﺑﻞ إرادﻳﺔ ‪ .‬ﻋﻠﻰ أن‬
‫أﺟﺰاء اﻟﻤﺪﻳﻨﺔ ﻣﻔﻄﻮرون ﺑﺎﻟﻄﺒﻊ ﺑﻔﻄﺮ ﻣﺘﻔﺎﺿﻠﺔ ﻳﺼﻠﺢ ﺑﻬﺎ إﻧﺴﺎن ﻹﻧﺴﺎن ﻟﺸﻲء دون ﺷﻲء ‪ .‬ﻏﻴﺮ أﻧﻬﻢ‬
‫ﻟﻴﺴﻮا أﺟﺰاء ﻟﻠﻤﺪﻳﻨﺔ ﺑﺎﻟﻔﻄﺮ اﻟﺘﻲ ﻟﻬﻢ وﺣﺪهﺎ ‪ ,‬ﺑﻞ ﺑﺎﻟﻤﻠﻜﺎت اﻹرادﻳﺔ اﻟﺘﻲ ﺗﺤﺼﻞ ﻟﻬﺎ ‪ ,‬و هﻲ اﻟﺼﻨﺎﻋﺎت و‬
‫ﻣﺎ ﺷﺎآﻠﻬﺎ ‪ .‬ﻓﺎﻟﻘﻮى اﻟﺘﻲ هﻲ ﻷﻋﻀﺎء اﻟﺒﺪن ﺑﺎﻟﻄﺒﻊ ﻓﺈن ﻧﻈﺎﺋﺮهﺎ ﻓﻲ أﺟﺰاء اﻟﻤﺪﻳﻨﺔ ﻣﻠﻜﺎت و هﻴﺌﺎت‬
‫إرادﻳﺔ ‪.‬‬
‫‪20‬‬
Al-Fârâbî
‫اﻟﻔﺎراﺑﻲ‬
Traité des opinions des habitants de la Cité vertueuse
« La cité vertueuse ressemble à un corps sain dans lequel tous les organes collaborent
afin d’assurer l’accomplissement et la conservation de la vie biologique. Dans le
corps, les organes se différencient par leur force et leur nature. Il y a un organe unique
qui dirige le corps : c’est le cœur. D’autres organes se rapprochent de cet organe
dirigeant par le [premier] rang [qu’ils occupent après lui]. Chacun d’entre eux possède
par nature une puissance lui permettant d’exécuter une fonction au service des fins de
cet organe dirigeant. D’autres organes possèdent une puissance leur permettant
d’exercer une activité au service des fins des organes précédents, ceux qui se trouvent
immédiatement sous l’organe dirigeant : ils se situent donc au second rang. D’autres
organes encore accomplissent une activité au service des fins des organes du second
rang, et ainsi de suite, jusqu’à arriver à des organes qui servent mais ne dirigent aucun
autre.
Il en va de même dans la Cité : ses membres se différencient par leur nature et leur
fonction. Parmi eux, un homme en est le dirigeant. D’autres se rapprochent du
dirigeant par le rang, chacun d’eux possédant une charge et une faculté pour accomplir
les buts du dirigeant : ceux-ci sont au premier rang après lui. En dessous, il y a des
hommes qui exercent leur activité au service des fins des membres précédents [ceux
qui viennent immédiatement après le dirigeant] : ils se situent au second rang. Encore
en dessous, il y a ceux qui exercent leur activité au service des fins des membres
précédents. Et ainsi s’échelonnent les membres de la Cité, jusqu’aux derniers qui
exercent leur activité au service de leurs propres intérêts, et ceux-là sont ceux qui
servent sans être servis par personne. Ils forment la classe inférieure, tout en bas de
l’échelle.
La différence, c’est que les organes du corps sont naturels et que leurs fonctions
correspondent à des puissances naturelles. Et bien que les membres de la Cité soient
également naturels, leurs fonctions et leurs facultés par lesquelles ils agissent au
service de la Cité ne sont pas naturelles mais volontaires. Ceci bien que les membres
de la Cité soient naturellement inégaux, et que par là un homme convient à un autre
homme comme une chose placée sous une autre. [Les hommes] ne sont pas membres
de la Cité par leurs seules dispositions innées, mais par les facultés volontaires qu’ils
ont acquises : les métiers de l’artisanat et tout ce qui est semblable. On peut donc faire
l’analogie entre les puissances naturelles des organes du corps et les facultés et
fonctions volontaires des membres de la Cité. »
Traduction : Madona Achkar et Chafik Keylani, élèves de TS (2006-2007)
21
‫‪Al-Fârâbî‬‬
‫اﻟﻔﺎراﺑﻲ‬
‫اﻟﻘﻮل ﻓﻲ ﺧﺼﺎل رﺋﻴﺲ اﻟﻤﺪﻳﻨﺔ اﻟﻔﺎﺿﻠﺔ‬
‫ﻼ‪ .‬و هﻮ اﻹﻣﺎم و هﻮ اﻟﺮﺋﻴﺲ اﻷول ﻟﻠﻤﺪﻳﻨﺔ اﻟﻔﺎﺿﻠﺔ ‪ ,‬و‬
‫ﻓﻬﺬا هﻮ اﻟﺮﺋﻴﺲ اﻟﺬي ﻻ ﻳﺮأﺳﻪ إﻧﺴﺎن اّﺧﺮ أﺻ ً‬
‫هﻮ رﺋﻴﺲ اﻷﻣﺔ اﻟﻔﺎﺿﻠﺔ ‪ ,‬ورﺋﻴﺲ اﻟﻤﻌﻤﻮرة ﻣﻦ اﻷرض آﻠﻬﺎ ‪ .‬وﻻ ﻳﻤﻜﻦ أن ﺗﺼﻴﺮ هﺬﻩ اﻟﺤﺎل إﻻ ﻟﻤﻦ‬
‫اﺟﺘﻤﻌﺖ ﺑﺎﻟﻄﺒﻊ اﺛﻨﺘﺎ ﻋﺸﺮة ﺧﺼﻠﺔ ﻗﺪ ﻓﻄﺮ ﻋﻠﻴﻬﺎ‪:‬‬
‫ أﺣﺪهﺎ أن ﻳﻜﻮن ﺗﺎم اﻷﻋﻀﺎء ‪ ,‬ﻗﻮاهﺎ ﻣﺆاﺗﻴﺔ أﻋﻀﺎءهﺎ ﻋﻠﻰ اﻷﻋﻤﺎل اﻟﺘﻲ ﺷﺄﻧﻬﺎ أن ﺗﻜﻮن ﺑﻬﺎ ‪,‬‬‫ﻼ ﻳﻜﻮن ﺑﻪ ﻓﺄﺗﻰ ﻋﻠﻴﻪ ﺑﺴﻬﻮﻟﺔ ‪,‬‬
‫وﻣﺘﻰ ه ّﻢ ﺑﻌﻀﻮ ﻣﺎ ﻣﻦ أﻋﻀﺎﺋﻪ ﻋﻤ ً‬
‫ ﺛﻢ أن ﻳﻜﻮن ﺑﺎﻟﻄﺒﻊ ﺟﻴﺪ اﻟﻔﻬﻢ و اﻟﺘﺼﻮر ﻟﻜﻞ ﻣﺎ ﻳﻘﺎل ﻟﻪ ‪ ,‬ﻓﻴﻠﻘﺎﻩ ﺑﻔﻬﻤﻪ ﻋﻠﻰ ﻣﺎ ﻳﻘﺼﺪﻩ اﻟﻘﺎﺋﻞ ‪ ,‬و‬‫ﻋﻠﻰ ﺣﺴﺐ اﻷﻣﺮ ﻓﻲ ﻧﻔﺴﻪ‪.‬‬
‫ ﺛﻢ أن ﻳﻜﻮن ﺟﻴﺪ اﻟﺤﻔﻆ ﻟﻤﺎ ﻳﻔﻬﻤﻪ و ﻟﻤﺎ ﻳﺮاﻩ و ﻟﻤﺎ ﻳﺴﻤﻌﻪ وﻟﻤﺎ ﻳﺪرآﻪ‪ ,‬و ﻓﻲ اﻟﺠﻤﻠﺔ ﻻ ﻳﻜﺎد‬‫ﻳﻨﺴﺎﻩ‪.‬‬
‫ ﺛﻢ أن ﻳﻜﻮن ﺟﻴﺪ اﻟﻔﻄﻨﺔ ‪ ,‬ذآﻴًﺎ ‪,‬إذا رأى اﻟﺸﻲء ﺑﺄدﻧﻰ دﻟﻴﻞ ﻓﻄﻦ ﻟﻪ ﻋﻠﻰ اﻟﺠﻬﺔ اﻟﺘﻲ دل ﻋﻠﻴﻬﺎ‬‫اﻟﺪﻟﻴﻞ‪.‬‬
‫ ﺛﻢ أن ﻳﻜﻮن ﺣﺴﻦ اﻟﻌﺒﺎرة ﻳﺆاﺗﻴﻪ ﻟﺴﺎﻧﻪ ﻋﻠﻰ إﺑﺎﻧﺔ آﻞ ﻣﺎ ﻳﻀﻤﺮﻩ إﺑﺎﻧﺔ ﺗﺎﻣﺔ‪.‬‬‫ ﺛﻢ أن ﻳﻜﻮن ﻣﺤﺒًﺎ ﻟﻠﺘﻌﻠﻴﻢ و اﻻﺳﺘﻔﺎدة ‪,‬ﻣﻨﻘﺎدًا ﻟﻪ ‪,‬ﺳﻬﻞ اﻟﻘﺒﻮل‪ ,‬ﻻ ﻳﺆﻟﻤﻪ ﺗﻌﺐ اﻟﺘﻌﻠﻴﻢ وﻻ ﻳﺆذﻳﻪ‬‫اﻟﻜ ّﺪ اﻟﺬي ﻳﻨﺎل ﻣﻨﻪ‪.‬‬
‫ ﺛﻢ أن ﻳﻜﻮن ﻏﻴﺮ ﺷﺮﻩ ﻋﻠﻰ اﻟﻤﺄآﻮل و اﻟﻤﺸﺮوب و اﻟﻤﻨﻜﻮح ﻣﺘﺠﻨﺒًﺎ ﺑﺎﻟﻄﺒﻊ ﻟﻠﻌﺐ ‪ ,‬ﻣﺒﻐﻀًﺎ ﻟﻠﺬات‬‫اﻟﻜﺎﺋﻨﺔ ﻋﻦ هﺬﻩ‪.‬‬
‫ ﺛﻢ أن ﻳﻜﻮن ﻣﺤﺒًﺎ ﻟﻠﺼﺪق و أهﻠﻪ ‪ ,‬ﻣﺒﻐﻀًﺎ ﻟﻠﻜﺬب و أهﻠﻪ‪.‬‬‫ ﺛﻢ أن ﻳﻜﻮن آﺒﻴﺮ اﻟﻨﻔﺲ ﻣﺤﺒًﺎ ﻟﻠﻜﺮاﻣﺔ‪ :‬ﺗﻜﺒﺮ ﻧﻔﺴﻪ ﺑﺎﻟﻄﺒﻊ ﻋﻦ آﻞ ﻣﺎ ﻳﺸﻴﻦ ﻣﻦ اﻷﻣﻮر ‪ ,‬و‬‫ﺗﺴﻤﻮ ﻧﻔﺴﻪ ﺑﺎﻟﻄﺒﻊ إﻟﻰ اﻷرﻓﻊ ﻣﻨﻬﺎ‪.‬‬
‫ ﺛﻢ أن ﻳﻜﻮن اﻟﺪرهﻢ و اﻟﺪﻳﻨﺎر و ﺳﺎﺋﺮ أﻋﺮاض اﻟﺪﻧﻴﺎ هﻴّﻨﺔ ﻋﻨﺪﻩ‪.‬‬‫ ﺛﻢ أن ﻳﻜﻮن ﻣﺤﺒًﺎ ﻟﻠﻌﺪل و أهﻠﻪ و ﻣﺒﻐﻀًﺎ ﻟﻠﺠﻮر و اﻟﻈﻠﻢ و أهﻠﻬﻤﺎ ‪ ,‬ﻳﻌﻄﻲ اﻟﻨﺼﻒ ﻣﻦ أهﻠﻪ و‬‫ﻼ ﺛﻢ أن ﻳﻜﻮن‬
‫ﺚ ﻋﻠﻴﻪ ‪ ,‬وﻳﺆﺗﻲ ﻣﻦ ﺣﻞ ﺑﻪ اﻟﺠﻮر ﻣﺆاﺗﻴﺎً ﻟﻜﻞ ﻣﺎ ﻳﺮاﻩ ﺣﺴﻨًﺎ و ﺟﻤﻴ ً‬
‫ﻣﻦ ﻏﻴﺮﻩ و ﻳﺤ ّ‬
‫ﻻ ﻏﻴﺮ ﺻﻌﺐ اﻟﻘﻴﺎدة وﻻ ﺟﻤﻮﺣًﺎ وﻻ ﻟﺠﻮﺟ ًﺎ إذا دﻋﻲ إﻟﻰ اﻟﻌﺪل ‪ ,‬ﺑﻞ ﺻﻌﺐ اﻟﻘﻴﺎدة إذا دﻋﻲ‬
‫ﻋﺪ ً‬
‫إﻟﻰ اﻟﺠﻮر و إﻟﻰ اﻟﻘﺒﻴﺢ‪.‬‬
‫ ﺛﻢ أن ﻳﻜﻮن ﻗﻮي اﻟﻌﺰﻳﻤﺔ ﻋﻠﻰ اﻟﺸﻲء اﻟﺬي ﻳﺮى أﻧﻪ ﻳﻨﺒﻐﻲ أن ﻳﻔﻌﻞ ‪ ,‬ﺟﺴﻮرًا ﻋﻠﻴﻪ ‪,‬ﻣﻘﺪاﻣًﺎ ﻏﻴﺮ‬‫ﺧﺎﺋﻒ‪ ,‬وﻻ ﺿﻌﻴﻒ اﻟﻨﻔﺲ‪.‬‬
‫‪22‬‬
Al-Fârâbî
‫اﻟﻔﺎراﺑﻲ‬
Traité des opinions des habitants de la Cité vertueuse
Les qualités du chef de la cité vertueuse
Tel est le chef de la cité vertueuse, sur lequel aucun autre homme n’a d’autorité. Il
est le chef suprême de cette cité vertueuse, le chef du monde habité. Mais cela ne peut
advenir que chez l’homme rassemblant en lui ces douze qualités innées :
- Tout d’abord, être en possession de tous ses organes, et que leur force soit
adaptée aux travaux qui leur reviennent, de sorte que s’il commande à l’un
d’eux une action, celle-ci puisse être accomplie aisément.
- Puis être naturellement apte à bien comprendre tout ce qui lui est dit, suivant
l’intention de son interlocuteur.
- Avoir une bonne mémoire de ce qu’il comprend, voit, entend, perçoit ; en
somme, ne pas être sujet à l’oubli.
- Avoir l’esprit vif et pénétrant, autrement dit être capable, à la vue de l’indice
d’une chose, de deviner la chose même.
- Avoir une bonne expression, être doté d’une langue apte à énoncer toutes ses
pensées.
- Aimer l’enseignement et l’apprentissage, y être dévoué, sans souffrir pour
autant des fatigues de l’éducation ni pâtir de cet effort.
- Ne pas être avide de nourritures, de boissons, de plaisirs de la chair ; avoir une
aversion naturelle pour les jeux de hasard et les plaisirs liés à ceux-ci.
- Aimer la véracité et les honnêtes gens ; détester le mensonge et les menteurs.
- Être doté de grandeur d’âme et épris de noblesse ; que son âme, par nature, ait
un mépris souverain pour tout ce qui avilit, et qu’elle aspire à tout ce qui lui
est supérieur.
- Ne pas être attaché à l’argent et aux autres biens de ce monde.
- Avoir naturellement l’amour de la justice et des hommes justes, la haine de
l’injustice, de l’iniquité et de ceux qui les commettent ; être impartial avec ses
proches comme les autres, et encourager la justice. Qu’il vienne en aide à
celui qui subit l’injustice, lui apportant ce qui lui paraît beau et bon. Qu’il soit
juste sans être intraitable, inflexible ni entêté, quand on lui demande d’être
juste ; mais qu’il se montre intraitable si on attend de lui l’injustice et la
vilenie.
- Avoir une forte volonté de faire ce qu’il se doit de faire, et se montrer hardi
dans ses actions, sans peur ni faiblesse.
23
‫اﻟﻔﺎراﺑﻲ‬
‫‪Al-Fârâbî‬‬
‫و اﺟﺘﻤﺎع هﺬﻩ آﻠﻬﺎ ﻓﻲ إﻧﺴﺎن واﺣﺪ ﻋﺴﺮ‪ ,‬ﻓﻠﺬﻟﻚ ﻻ ﻳﻮﺟﺪ ﻣﻦ ﻓﻄﺮ ﻋﻠﻰ هﺬﻩ اﻟﻔﻄﺮة إﻻ اﻟﻮاﺣﺪ ﺗﻠﻮ‬
‫اﻟﻮاﺣﺪ ‪ ,‬و اﻷﻗﻞ ﻣﻦ اﻟﻨﺎس‪ .‬ﻓﺈن وﺟﺪ ﻣﺜﻞ هﺬا ﻓﻲ اﻟﻤﺪﻳﻨﺔ اﻟﻔﺎﺿﻠﺔ ﺛﻢ ﺣﺼﻠﺖ ﻓﻴﻪ ‪ ,‬ﺑﻌﺪ أن ﻳﻜﺒﺮ ‪,‬‬
‫ﺗﻠﻚ اﻟﺸﺮاﺋﻂ اﻟﺴﺖ اﻟﻤﺬآﻮرة ﻗﺒﻞ أو اﻟﺨﻤﺲ ﻣﻨﻬﺎ دون اﻷﻧﺪاد ﻣﻦ ﺟﻬﺔ اﻟﻤﺘﺨﻴّﻠﺔ آﺎن هﻮ اﻟﺮﺋﻴﺲ‪.‬‬
‫وإن اﺗﻔﻖ أن ﻻ ﻳﻮﺟﺪ ﻣﺜﻠﻪ ﻓﻲ وﻗﺖ ﻣﻦ اﻷوﻗﺎت ‪ ,‬أﺧﺬت اﻟﺸﺮاﺋﻊ و اﻟﺴﻨﻦ اﻟﺘﻲ ﺷﺮﻋﻬﺎ هﺬا اﻟﺮﺋﻴﺲ‬
‫و أﻣﺜﺎﻟﻪ ‪ ,‬أن آﺎﻧﻮا ﺗﻮاﻟﻮا ﻓﻲ اﻟﻤﺪﻳﻨﺔ ‪ ,‬ﻓﺄﺛﺒﺘﺖ‪ .‬و ﻳﻜﻮن اﻟﺮﺋﻴﺲ اﻟﺜﺎﻧﻲ اﻟﺬي ﻳﺨﻠﻒ اﻷول اﻟﺬي‬
‫اﺟﺘﻤﻌﺖ ﻓﻴﻪ ﻣﻦ ﻣﻮﻟﺪﻩ و ﺻﺒﺎﻩ ﺗﻠﻚ اﻟﺸﺮاﺋﻂ ‪ ,‬وﻳﻜﻮن ﺑﻌﺪ آﺒﺮﻩ ﻓﻴﻪ ﺳﺖ ﺷﺮاﺋﻂ‪:‬‬
‫ أﺣﺪهﺎ أن ﻳﻜﻮن ﺣﻜﻴﻤﺎً‪,‬‬‫ و اﻟﺜﺎﻧﻲ أن ﻳﻜﻮن ﻋﺎﻟﻤًﺎ ﺣﺎﻓﻈًﺎ ﻟﻠﺸﺮاﺋﻊ و اﻟﺴﻨﻦ و اﻟﺴﻴﺮ اﻟﺘﻲ دﺑﺮهﺎ اﻷوﻟﻮن ﻟﻠﻤﺪﻳﻨﺔ ‪,‬ﻣﺤﺘﺬﻳًﺎ‬‫ﺑﺄﻓﻌﺎﻟﻪ آﻠﻬﺎ ﺣﺬو ﺗﻠﻚ ﺑﺘﻤﺎﻣﻬﺎ‪.‬‬
‫ و اﻟﺜﺎﻟﺚ أن ﻳﻜﻮن ﻟﻪ ﺟﻮدة اﺳﺘﻨﺒﺎط ﻓﻴﻤﺎ ﻻ ﻳﺤﻔﻆ ﻋﻦ اﻟﺴﻠﻒ ﻓﻴﻪ ﺷﺮﻳﻌﺔ‪ ,‬وﻳﻜﻮن ﻓﻴﻤﺎ ﻳﺴﺘﻨﺒﻄﻪ‬‫ﻣﻦ ذﻟﻚ ﻣﺤﺘﺬﻳًﺎ ﺣﺬو اﻷﺋﻤﺔ اﻷوﻟﻴﻦ‪.‬‬
‫ و اﻟﺮاﺑﻊ أن ﻳﻜﻮن ﻟﻪ ﺟﻮدة رؤﻳﺔ و ﻗﻮة اﺳﺘﻨﺒﺎط ﻟﻤﺎ ﺳﺒﻴﻠﻪ أن ﻳﻌﺮف ﻓﻲ وﻗﺖ ﻣﻦ اﻷوﻗﺎت‬‫‬‫ اﻟﺤﺎﺿﺮة ﻣﻦ اﻷﻣﻮر و اﻟﺤﻮادث اﻟﺘﻲ ﺗﺤﺪث ﻣﻤﺎ ﻟﻴﺲ ﺳﺒﻴﻠﻬﺎ أن ﻳﺴﻴﺮ ﻓﻴﻪ اﻷوﻟﻮن ‪ ,‬وﻳﻜﻮن‬‫ﻣﺘﺤﺮﻳًﺎ ﺑﻤﺎ ﻳﺴﺘﻨﺒﻄﻪ ﻣﻦ ذﻟﻚ ﺻﻼح ﺣﺎل اﻟﻤﺪﻳﻨﺔ‪.‬‬
‫ و اﻟﺨﺎﻣﺲ أن ﻳﻜﻮن ﻟﻪ وﺟﻮدة إرﺷﺎد ﺑﺎﻟﻘﻮل إﻟﻰ ﺷﺮاﺋﻊ اﻷوﻟﻴﻦ و إﻟﻰ اﻟﺘﻲ اﺳﺘﻨﺒﻂ ﺑﻌﺪهﻢ ﻣﻤﺎ‬‫اﺣﺘﺬى ﻓﻴﻪ ﺣﺬوهﻤﻢ‪,‬‬
‫ واﻟﺴﺎدس أن ﻳﻜﻮن ﻟﻪ ﺟﻮدة ﺛﺒﺎت ﺑﺒﺪﻧﻪ ﻓﻲ ﻣﺒﺎﺷﺮة أﻋﻤﺎل اﻟﺤﺮب‪ ,‬و ذﻟﻚ أن ﻳﻜﻮن ﻣﻌﻪ اﻟﺼﻨﺎﻋﺔ‬‫اﻟﺤﺮﺑﻴﺔ اﻟﺨﺎدﻣﺔ و اﻟﺮﺋﻴﺴﺔ‪.‬‬
‫ﻓﺈذا ﻟﻢ ﻳﻮﺟﺪ إﻧﺴﺎن واﺣﺪ اﺟﺘﻤﻊ ﻓﻴﻪ هﺬﻩ اﻟﺸﺮاﺋﻂ و ﻟﻜﻦ وﺟﺪ إﺛﻨﺎن‪ ,‬أﺣﺪهﻤﺎ ﺣﻜﻴﻢ‪ ,‬و اﻟﺜﺎﻧﻲ ﻓﻴﻪ‬
‫ااﺷﺮاﺋﻂ اﻟﺒﺎﻗﻴﺔ‪ ,‬آﺎﻧﺎ هﻤﺎ رﺋﻴﺴﻴﻦ ﻓﻲ هﺬﻩ اﻟﻤﺪﻳﻨﺔ‪ .‬ﻓﺎذا ﺗﻔﺮّﻗﺖ هﺬﻩ ﻓﻲ ﺟﻤﺎﻋﺔ‪ ,‬و آﺎﻧﺖ اﻟﺤﻜﻤﺔ ﻓﻲ‬
‫واﺣﺪ و اﻟﺜﺎﻧﻲ ﻓﻲ واﺣﺪ و اﻟﺜﺎﻟﺚ ﻓﻲ واﺣﺪ و اﻟﺮاﺑﻊ ﻓﻲ واﺣﺪ واﻟﺨﺎﻣﺲ ﻓﻲ واﺣﺪ و اﻟﺴﺎدس ﻓﻲ‬
‫واﺣﺪ‪ ,‬و آﺎﻧﻮا ﻣﺘﻼﺋﻤﻴﻦ‪ ,‬آﺎﻧﻮا هﻢ اﻟﺮؤﺳﺎء اﻷﻓﺎﺿﻞ‪ .‬ﻓﻤﺘﻰ اﺗّﻔﻖ ﻓﻲ وﻗﺖ ﻣﺎ أن ﻟﻢ ﺗﻜﻦ اﻟﺤﻜﻤﺔ ﺟﺰء‬
‫اﻟﺮﻳﺎﺳﺔ و آﺎﻧﺖ ﻗﻴﻬﺎ ﺳﺎﺋﺮ اﻟﺸﺮاﺋﻂ‪ ,‬ﺑﻘﻴﺖ اﻟﻤﺪﻳﻨﺔ اﻟﻔﺎﺿﻠﺔ ﺑﻼ ﻣﻠﻚ‪ ,‬و آﺎن اﻟﺮﺋﻴﺲ اﻟﻘﺎﺋﻢ ﺑﺄﻣﺮ هﺬﻩ‬
‫اﻟﻤﺪﻳﻨﺔ ﻟﻴﺲ ﺑﻤﻠﻚ‪ .‬و آﺎﻧﺖ اﻟﻤﺪﻳﻨﺔ ﺗﻌﺮض ﻟﻠﻬﻼك‪ .‬ﻓﺈن ﻟﻢ ﻳﺘﻔﻖ أن ﻳﻮﺟﺪ ﺣﻜﻴﻢ ﺗﻀﺎف اﻟﺤﻜﻤﺔ إﻟﻴﻪ‪,‬‬
‫ﻟﻢ ﺗﻠﺒﺚ اﻟﻤﺪﻳﻨﺔ ﺑﻌﺪ ﻣﺪة أن ﺗﻬﻠﻚ‪.‬‬
‫‪24‬‬
Al-Fârâbî
‫اﻟﻔﺎراﺑﻲ‬
Trouver toutes ces qualités réunies en un seul homme est difficile. C’est pourquoi
l’on ne trouve ces qualités innées que chez un homme après l’autre, et encore, chez un
petit nombre. Si l’on trouve un tel homme dans la cité vertueuse, et qu’une fois
parvenu à l’âge adulte, il a rempli ces cinq ou six conditions évoquées précédemment,
avec en plus une imagination hors pair, ce sera lui le chef. Si à une époque donnée,
l’on s’accorde sur le fait qu’il ne se trouve pas un tel homme [dans la cité], on
adoptera les lois et les coutumes décrétées par un tel chef et ceux qui lui auront
succédé parmi ses semblables. Le deuxième chef, successeur du premier, sera celui
qui aura réuni en lui ces qualités, depuis sa naissance et sa prime jeunesse, et remplira
à l’âge adulte ces six conditions :
- La première est d’être sage.
- La deuxième est de connaître et bien retenir les lois, les normes et les
conduites mises en place par les premiers dirigeants de la cité.
- La troisième, d’exceller dans la déduction de ce qui n’a pas été conservé des
anciens en matière de lois, et de suivre dans ses déductions les exemples des
guides qui l’ont précédé.
- La quatrième, d’avoir une excellente vision et une puissante déduction de ce
qu’il lui incombe de connaître des affaires et des évènements présents, de
ceux que n’ont pas connus les premiers dirigeants, recherchant toujours à
travers ses déductions à réformer pour le mieux l’état de la cité.
- La cinquième, d’exceller dans l’art de diriger par la parole, suivant les lois des
premiers dirigeants et celles qui ont été déduites après eux de leur exemple.
- La sixième, d’être doté d’une excellente fermeté du corps pour entreprendre
des actions militaires, de posséder l’art de la guerre, de l’exécution comme du
commandement.
S’il ne se trouve pas un, mais deux hommes remplissant ensemble ces conditions, le
premier étant sage et le second remplissant les autres conditions, ils seront tous les
deux chefs de la cité. Si ces qualités se trouvent dispersées dans un groupe d’hommes,
de sorte que la sagesse se trouve en l’un, la deuxième qualité en un autre, la troisième
en un autre, etc., et si ces hommes s’accordent entre eux, ils seront tous les chefs
vertueux de la cité. Si à quelque époque, la sagesse est absente de la classe
gouvernante, et que les autres conditions sont réunies, la cité demeure sans roi, le chef
qui gouverne la cité n’est pas roi. La cité est alors exposée à la ruine. S’il ne se trouve
pas un sage, un homme à qui la sagesse soit attachée, la cité ne tardera pas à
disparaître.
Traduction : Joël Ghazî, élève de TS (2007-2008)
25
Ibn Sînâ
‫اﺑﻦ ﺳﻴﻨﺎ‬
26
Ibn Sînâ
‫اﺑﻦ ﺳﻴﻨﺎ‬
Abû ‘Alî al-Husayn Ibn Sînâ ( ‫) اﺑﻦ ﺳﻴﻨﺎ‬, l’« Avicenne » des Latins, passe pour le
plus grand philosophe qu’ait produit l’Islam oriental. Il est fréquemment
surnommé "le souverain cheikh" (‫)اﻟﺸﻴﺦ اﻟﺮﺋﻴﺲ‬. Il n’était pas d’origine arabe mais
perse. Il naquit en 980 et mourut en 1037 à Hamadhân, dans l’Iran actuel.
Jouissant d’une grande renommée comme médecin, attaché à la cour de l’émir
d’Ispahan, il joua un rôle actif dans la vie politique de son temps. Son œuvre
immense comporte de nombreux ouvrages médicaux, une encyclopédie
philosophique et scientifique, Le livre de la guérison (‫)آﺘﺎب اﻟﺸﻔﺎء‬, ainsi que des
récits mystiques en langue persane.
Dans le premier texte, extrait de la partie métaphysique de son Livre de la
guérison, Ibn Sînâ propose une démonstration de l’existence de l’âme et de son
indépendance à l’égard du corps. C’est une thèse que soutiennent et cherchent à
établir les philosophes religieux et les théologiens des trois monothéismes.
L’argument présenté ici, connu comme « preuve de l’homme qui vole », est
profondément original. Il a souvent été comparé à la démonstration de Descartes
dans ses Méditations métaphysiques, mais s’en distingue par l’usage très poussé
qui y est fait de l’imagination. Par une hypothèse fictive et imaginaire étonnante,
le philosophe veut nous convaincre que l’homme se définit essentiellement par
son âme, qu’il est une « chose qui pense » avant d’être un corps sensible.
Dans le second texte, Ibn Sînâ développe une réfutation de la théorie de la
métempsycose, ou de la réincarnation de l’âme. Son argument se fonde sur le
caractère exclusif de la relation de l’âme et du corps, sur la nécessité pour un
corps d’être animé par une âme qui soit la sienne en propre. Plutôt que de
Descartes, nous sommes ici proches de Spinoza pour qui l’âme étant l’image du
corps, ne peut jamais être en relation qu’avec un corps et un seul. Au-delà de la
complexité de son argumentation, le texte d’Ibn Sînâ nous apprend que la théorie
de la métempsycose, venant de la religion hindoue des Brahmans, a pu être
partagée par certaines branches de l’islam, nommément celle des Ismaéliens, et
suffisamment importante pour mériter une réfutation.
27
‫‪Ibn Sînâ‬‬
‫اﺑﻦ ﺳﻴﻨﺎ‬
‫ﻓﻲ اﺛﺒﺎت اﻟﻨﻔﺲ وﺗﺤﺪﻳﺪهﺎ ﻣﻦ ﺣﻴﺚ هﻲ اﻟﻨﻔﺲ‬
‫ﻳﻘﻮل اﺑﻦ ﺳﻴﻨﺎ ﻓﻲ ))اﻟﺸﻔﺎء(( اﻟﻔﻦ اﻟﺴﺎدس ﻣﻦ اﻟﻄﺒﻴﻌﺎت‪ ,‬اﻟﻤﻘﺎﻟﺔ اﻷوﻟﻰ‪,‬اﻟﻔﺼﻞ اﻷول‪:‬‬
‫ﻓﻨﻘﻮل ﻳﺠﺐ أن ﻳﺘﻮهﻢ اﻟﻮاﺣﺪ ﻣﻨﺎ آﺄﻧﻪ ﺧﻠﻖ دﻓﻌﺔ واﺣﺪة وﺧﻠﻖ آﺎﻣﻼ ﻟﻜﻨﻪ ﺣﺠﺐ ﺑﺼﺮﻩ ﻋﻦ ﻣﺸﺎهﺪة‬
‫اﻟﺨﺎرﺟﺎت وﺧﻠﻖ ﻳﻬﻮي ﻓﻲ هﻮاء أو ﺧﻼء هﻮﻳﺎ ﻻ ﻳﺼﺪﻣﻪ ﻓﻴﻪ ﻗﻮام اﻟﻬﻮاء ﺻﺪﻣﺎ ﻣﺎ ﻳﺤﻮج إﻟﻰ أن ﻳﻤﺲ‬
‫وﻓﺮق ﺑﻴﻦ أﻋﻀﺎﺋﻪ ﻓﻠﻢ ﺗﺘﻼق وﻟﻢ ﺗﺘﻤﺎس ﺛﻢ ﻳﺘﺄﻣﻞ أﻧﻪ هﻞ ﻳﺜﺒﺖ وﺟﻮد ذاﺗﻪ وﻻﻳﺸﻚ ﻓﻲ إﺛﺒﺎﺗﻪ ﻟﺬاﺗﻪ‬
‫ﻣﻮﺟﻮدة وﻻ ﻳﺜﺒﺖ ﻣﻊ ذﻟﻚ ﻃﺮﻓﺎ ﻣﻦ أﻋﻀﺎﺋﻪ وﻻﺑﺎﻃﻨﺎ ﻣﻦ أﺣﺸﺎﺋﻪ وﻻﻗﻠﺒﺎ وﻻ دﻣﺎﻏﺎ وﻻ ﺷﻴﺌﺎ ﻣﻦ اﻷﺷﻴﺎء‬
‫ﻣﻦ ﺧﺎرج ﺑﻞ آﺎن ﻳﺜﺒﺖ ذاﺗﻪ وﻻﻳﺜﺒﺖ ﻟﻬﺎ ﻃﻮﻻ وﻻ ﻋﺮﺿﺎ وﻻﻋﻤﻘﺎ وﻟﻮ أﻧﻪ أﻣﻜﻨﻪ ﻓﻲ ﺗﻠﻚ اﻟﺤﺎﻟﺔ أن‬
‫ﻳﺘﺨﻴﻞ ﻳﺪا أو ﻋﻀﻮا ﺁﺧﺮ ﻟﻢ ﻳﺘﺨﻴﻠﻪ ﺟﺰء ﻣﻦ ذاﺗﻪ وﻻﺷﺮﻃﺎ ﻓﻲ ذاﺗﻪ وأﻧﺖ ﺗﻌﻠﻢ أن اﻟﻤﺜﺒﺖ ﻏﻴﺮ اﻟﺬي ﻟﻢ‬
‫ﻳﺜﺒﺖ واﻟﻤﻘﺮ ﺑﻪ ﻏﻴﺮ اﻟﺬي ﻟﻢ ﻳﻘﺮ ﺑﻪ ﻓﺈذن ﻟﻠﺬات اﻟﺘﻲ أﺛﺒﺖ وﺟﻮدهﺎ ﺧﺎﺻﺔ ﻟﻪ ﻋﻠﻰ أﻧﻬﺎ هﻮ ﺑﻌﻴﻨﻪ ﻏﻴﺮ‬
‫ﺟﺴﻤﻪ وأﻋﻀﺎﺋﻪ اﻟﺘﻲ ﻟﻢ ﺗﺜﺒﺖ ﻓﺈذن اﻟﻤﺜﺒﺖ ﻟﻪ ﺳﺒﻴﻞ إﻟﻰ أن ﻳﺜﺒﺘﻪ ﻋﻠﻰ وﺟﻮد اﻟﻨﻔﺲ ﺷﻴﺌﺎ ﻏﻴﺮ اﻟﺠﺴﻢ ﺑﻞ‬
‫ﻏﻴﺮ ﺟﺴﻢ وأﻧﻪ ﻋﺎرف ﺑﻪ ﻣﺴﺘﺸﻌﺮ ﻟﻪ وإن آﺎن ذاهﻼ ﻋﻨﻪ ﻳﺤﺘﺎج إﻟﻰ ﻣﻦ ﻳﻘﺮع ﻋﺼﺎﻩ‪.‬‬
‫ﻳﺮﻳﺪ اﺑﻦ ﺳﻴﻨﺎ أن ﻳﺜﺒﺖ هﻨﺎ أن اﻹﻧﺴﺎن‪,‬إذا ﺗﺠﺮد ﻋﻦ ﺗﻔﻜﻴﺮﻩ ﻓﻲ آﻞ ﺷﺊ ﻣﻦ اﻟﻤﺤﺴﻮﺳﺎت‬
‫أو‬
‫اﻟﻤﻌﻘﻮﻻت ﺣﺘﻰ ﻋﻦ ﺷﻌﻮرﻩ‬
‫ﺑﺒﺪﻧﻪ‪,‬ﻓﻼ ﻳﻤﻜﻨﻪ أن ﻳﺘﺠﺮد ﻋﻦ ﺗﻔﻜﻴﺮﻩ ﻓﻲ أﻧﻪ ﻣﻮﺟﻮد وأﻧﻪ ﻳﺴﺘﻄﻴﻊ أن ﻳﻔﻜﺮ‪ .‬وهﺬا اﻟﺒﺮهﺎن ﻗﺮﻳﺐ ﺟﺪًا‬
‫ﻣﻦ اﻟﺒﺮهﺎن اﻟﺬي‬
‫ﺳﻴﺄﺗﻲ ﺑﻪ دﻳﻜﺎرت ﻓﻲ اﻟﻘﺮن‬
‫ﻣﻮﺟﻮد و أن ﻣﻦ ﻣﺎهﻴﺘﻪ أﻧﻪ‬
‫ﻳﻔﻜﺮ‪.‬‬
‫‪28‬‬
‫اﻟﺴﺎﺑﻊ ﻋﺸﺮ ﻟﻴﺜﺒﺖ ﺣﻘﻴﻘﺔ ﻻ رﻳﺐ ﻓﻴﻬﺎ‪,‬وهﻲ أﻧﻪ ﻳﻔﻜﺮ‪,‬ﻓﺈذن هﻮ‬
Ibn Sînâ
‫اﺑﻦ ﺳﻴﻨﺎ‬
Le livre de la guérison
Preuve de l’existence de l’âme et de sa définition en tant qu’âme
Dans la sixième partie de son Livre de la guérison, consacrée aux sciences naturelles,
premier discours du premier chapitre, Ibn Sînâ écrit :
« Que chacun d’entre nous s’imagine qu’il a été créé d’un seul coup et qu’il a été créé
parfait, mais que sa vue est privée de la perception des choses extérieures ; et qu’il a
été créé flottant dans le vide, de façon telle que la résistance de l’air ne le heurte pas et
qu’il ne puisse la ressentir. De plus, ses membres sont écartés de sorte qu’ils ne se
joignent pas ni ne se touchent.
Qu’il réfléchisse alors [et se demande] s’il pourrait affirmer son existence ? Certes,
il ne douterait pas de l’existence de son moi, sans affirmer avec cela l’existence
d’aucun de ses membres, ni de ses entrailles, ni de son cœur, ni de son cerveau, ni
d’aucune chose extérieure. Mais il affirmerait l’existence de son moi, et ne lui
attribuerait ni longueur, ni largeur, ni profondeur. Et s’il lui était possible, dans cet
état, d’imaginer une main ou un membre quelconque, il ne l’imaginerait pas comme
une partie ou condition de son moi. Et toi, tu sais que ce qui est attesté est autre que ce
qui ne l’est pas. Ainsi, le moi dont l’existence lui a été attestée, et qui autre que luimême, est autre chose que son corps et ses membres qui n’ont pas été attestés.
C’est là une manière de prouver l’essence de l’âme comme étant autre chose que le
corps et qu’aucun corps. [L’homme] reconnaît cela et en a conscience, et s’il en était
stupéfait, il aurait besoin de recevoir des coups de bâton ! »
Ibn Sînâ veut établir ici que l’homme, s’il détache sa réflexion des choses sensibles
ou intelligibles et même de la perception de son corps, ne peut pas s’empêcher de
penser qu’il existe et qu’il est capable de penser. Cette démonstration est très proche
de celle que donnera Descartes au XVIIème siècle pour établir la vérité indubitable :
qu’il existe et qu’il est dans son essence même de penser.
(Extrait de L’âme humaine chez Ibn Sînâ, étude et textes présentés par Albert
Nusrî Nâdir, professeur de philosophie à l’université du Liban)
Traduction effectuée avec Rania Abbad, élève de TES (2006-2007)
29
‫‪Ibn Sînâ‬‬
‫اﺑﻦ ﺳﻴﻨﺎ‬
‫ﻓﺼﻞ ﻓﻲ ﺑﻄﻼن اﻟﻘﻮل ﺑﺎﻟﺘﻨﺎﺳﺦ)‪(1‬‬
‫وﻗﺪ أوﺿﺤﻨﺎ ان اﻷﻧﻔﺲ اﻧّﻤﺎ ﺣﺪﺛﺖ وﺗﻜﺜﺮت ﻣﻊ ﺗﻬﻴﺆ اﻷﺑﺪان ‪ ,‬ﻋﻠﻰ أن ﺗﻬﻴﺆ اﻷﺑﺪان ﻳﻮﺟﺐ أن ﻳﻘﺘﻀﻲ‬
‫وﺟﻮد اﻟﻨﻔﺲ ﻟﻬﺎ ﻣﻦ اﻟﻌﻠﻞ اﻟﻤﻔﺎرﻗﺔ ‪ .‬وﻇﻬﺮ ﻣﻦ ذﻟﻚ أن هﺬا ﻻ ﻳﻜﻮن ﻋﻠﻰ ﺳﺒﻴﻞ اﻻﺗﻔﺎق واﻟﺒﺨﺖ ‪ ,‬ﺣﺘﻰ‬
‫ﻳﻜﻮن وﺟﻮد اﻟﻨﻔﺲ اﻟﺤﺎدﺛﺔ ﻟﻴﺲ ﻻﺳﺘﺤﻘﺎق هﺬا اﻟﻤﺰاج ﻧﻔﺴﺎ ﺣﺎدﺛﺔ ﺗﺪﺑﺮﻩ ‪ ,‬وﻟﻜﻦ آﺎن ﻳﻮﺟﺪ ﻧﻔﺲ واﺗﻔﻖ ان‬
‫وﺟﺪ ﻣﻌﻬﺎ ﺑﺪن ‪ .‬ﻓﺤﻴﻨﺌﺬ ﻻﻳﻜﻮن ﻟﻠﺘﻜﺜﺮ ﻋﻠﺔ ذاﺗﻴﺔ اﻟﺒﺘﺔ ‪ ,‬ﺑﻞ ﻋﺮﺿﻴﺔ ‪ .‬وﻗﺪ ﻋﺮﻓﻨﺎ ان اﻟﻌﻠﻞ اﻟﺬاﺗﻴﺔ هﻲ أوﻻ‬
‫‪ ,‬ﺛ ّﻢ اﻟﻌﺮﺿﻴﺔ ‪.‬‬
‫ﻓﺈذا آﺎن آﺬﻟﻚ ‪ ,‬ﻓﻜﻞ ﺑﺪن ﻳﺴﺘﺤﻖ ‪ ,‬ﻣﻊ ﺣﺪوث ﻣﺰاﺟﻪ ‪ ,‬ﺣﺪوث ﻧﻔﺲ ﻟﻪ ‪ ,‬وﻟﻴﺲ ﺑﺪن ﻳﺴﺘﺤﻘﻪ وﺑﺪن‬
‫ﻻﻳﺴﺘﺤﻘﻪ ‪ ,‬اذ أﺷﺨﺎص اﻷﻧﻮاع ﻻﺗﺨﺘﻠﻒ ﻓﻲ اﻷﻣﻮر اﻟﺘﻲ ﺑﻬﺎ ﺗﺘﻘﻮم ‪ .‬ﻓﺈذا ﻓﺮﺿﻨﺎ ﺗﻨﺎﺳﺨﺘﻬﺎ أﺑﺪان‪ ,‬وآﻞ‬
‫ﺑﺪن ﻓﺎﻧﻪ ﺑﺬاﺗﻪ ﻳﺴﺘﺤﻖ ﻧﻔﺴﺎ ﺗﺤﺪث ﻟﻪ ﺗﺘﻌﻠﻖ ﺑﻪ – ﻓﻴﻜﻮن اﻟﺒﺪن اﻟﻮاﺣﺪ ﻓﻴﻪ ﻧﻔﺴﺎن ﻣﻌﺎ ‪ .‬ﺛ ّﻢ اﻟﻌﻼﻗﺔ ﺑﻴﻦ‬
‫اﻟﻨﻔﺲ واﻟﺒﺪن ﻟﻴﺲ هﻲ ﻋﻠﻰ ﺳﺒﻴﻞ اﻻﻧﻄﺒﺎع ﻓﻴﻪ ‪ ,‬آﻤﺎ ﻗﻠﻨﺎ ‪ ,‬ﺑﻞ ﻋﻼﻗﺔ اﻻﺷﺘﻐﺎل ﺑﻪ ﺣﺘﻰ ﺗﺸﻌﺮ اﻟﻨﻔﺲ ﺑﺬﻟﻚ‬
‫اﻟﺒﺪن ‪ ,‬وﻳﻨﻔﻌﻞ اﻟﺒﺪن ﻋﻦ ﺗﻠﻚ اﻟﻨﻔﺲ ‪ .‬وآﻞ ﺣﻴﻮان ﻓﺎﻧﻪ ﻳﺴﺘﺸﻌﺮ ﻧﻔﺴﻪ ﻧﻔﺴﺎ واﺣﺪة ‪ ,‬هﻲ اﻟﻤﺼﺮﻓﺔ‬
‫واﻟﻤﺪﺑﺮة ﻟﻠﺒﺪن اﻟﺬي ﻟﻪ ‪.‬‬
‫ﻓﺎن آﺎن هﻨﺎك ﻧﻔﺲ أﺧﺮى ﻻﻳﺸﻌﺮ اﻟﺤﻴﻮان ﺑﻬﺎ ‪ .‬وﻻ هﻲ ﺑﻨﻔﺴﻬﺎ ‪ ,‬وﻻ ﺗﺸﺘﻐﻞ ﺑﺎﻟﺒﺪن ‪ ,‬ﻓﻠﻴﺲ ﻟﻬﺎ ﻋﻼﻗﺔ‬
‫ﻣﻊ اﻟﺒﺪن ‪ ,‬ﻷن اﻟﻌﻼﻗﺔ ﻟﻢ ﺗﻜﻦ اﻻ ﺑﻬﺬا اﻟﻨﺤﻮ ﻓﻼ ﻳﻜﻮن ﺗﻨﺎﺳﺦ ﺑﻮﺟﻪ ﻣﻦ اﻟﻮﺟﻮﻩ ‪ .‬وﺑﻬﺬا اﻟﻤﻘﺪار ‪ ,‬ﻟﻤﻦ أراد‬
‫اﻻﺧﺘﺼﺎر ‪ ,‬آﻔﺎﻳﺔ ‪ ,‬ﻳﻌﺪ أن ﻓﻴﻪ آﻼﻣﺎ ﻃﻮﻳﻼ‪.‬‬
‫‪ (1‬ﻟﻘﺪ ﻗﺎل ‪ ,‬ﻗﺪﻳﻤﺎ ‪ ,‬اﻓﻼﻃﻮن ﺑﺘﻨﺎﺳﺦ اﻷﻧﻔﺲ ‪ ,‬واﻋﺘﺒﺮ هﺬا اﻟﺘﻨﺎﺳﺦ ﻋﻘﺎﺑﺎ ﻟﻬﺎ‪ .‬وداﻓﻊ ‪ ,‬ﻓﻴﻤﺎ ﺑﻌﺪ ‪ ,‬اﺧﻮان‬
‫اﻟﺼﻔﺎء ﻋﻦ هﺬﻩ اﻟﻨﻈﺮﻳﺔ وﻗﺎﻟﻮا ان ﻋﺎﻟﻢ اﻟﻜﻮن واﻟﻔﺴﺎد ‪ ,‬اﻟﺬي هﻮ ﻋﺎﻟﻢ اﻟﻌﻨﺎﺻﺮ وهﻮ اﻟﻌﺎﻟﻢ اﻟﺬي‬
‫ﻳﺠﺐ أن ﺗﺘﺄﻟّﻢ ﻓﻴﻪ اﻷﻧﻔﺲ اﻟﺸﺮﻳﺮة ‪ ,‬ﻣﺘﻨﻘﻼ ﻣﻦ ﺟﺴﻢ اﻟﻰ ﺁﺧﺮ ﺣﺘﻰ ﺗﺼﺒﺢ ﻃﺎهﺮة ﻧﻘﻴﺔ ‪ ,‬ﻓﺘﻌﻮد اﻟﻰ‬
‫ﻣﺼﺪرهﺎ ‪ ,‬أﻋﻨﻲ اﻟﻨﻔﺲ اﻟﻜﻠﻴﺔ ‪ .‬وﻳﺤﺎول اﺑﻦ ﺳﻴﻨﺎ أن ﻳﺜﺒﺖ ﻣﻨﻄﻘﻴﺎ اﺳﺘﺤﺎﻟﺔ ﻣﺜﻞ هﺬا اﻟﺘﻨﺎﺳﺦ‪.‬‬
‫‪30‬‬
Ibn Sînâ
‫اﺑﻦ ﺳﻴﻨﺎ‬
Le livre de la guérison
Réfutation de la thèse sur la métempsycose ou transmigration des âmes
Nous avons éclairé le fait que les âmes n’adviennent et ne se multiplient qu’avec la
formation des corps, bien que la formation des corps nécessite l’existence d’une âme
propre à chacun parmi les causes séparées. Il apparaît donc que ceci ne peut pas
arriver par coïncidence ou par hasard, de sorte que l’existence de l’âme advenante ne
serait pas due au droit de cette complexion à avoir une âme en propre pour le diriger,
mais qu’il se serait trouvé là une âme et, comme par hasard, un corps avec elle. Alors
la multiplication n’arriverait plus par une cause essentielle, mais accidentelle. Nous
savons par ailleurs que les causes essentielles sont premières, suivies par les
accidentelles. Si cela est vrai, chaque corps mérite, avec l’existence de sa complexion,
l’existence d’une âme qui lui appartienne. Il n’y a pas un corps qui mérite une âme et
un autre qui n’en mérite pas, car les individus de même espèce ne se distinguent pas
dans ce qui fait leur équilibre. Si l’on suppose la transmigration de l’âme de corps en
corps, et que chaque corps mérite en soi une âme créée pour lui qui lui est attachée,
alors un même corps posséderait deux âmes. De plus, la relation entre le corps et
l’âme n’est pas celle d’une impression de l’âme dans le corps, mais celle d’une
utilisation du corps par l’âme, de sorte qu’elle ressente à travers lui et qu’il soit affecté
par elle. Et tout animal a conscience de soi comme d’une âme unique, qui dirige son
corps et dispose de lui. S’il y avait là une autre âme, l’animal ne la ressentirait pas,
elle ne se ressentirait pas elle-même, elle n’utiliserait pas ce corps, elle n’aurait donc
aucune relation avec ce corps, car il ne peut exister de relation que de la façon
évoquée. Il n’y a donc pas de transmigration, d’aucune façon, et cela est suffisant pour
celui qui veut un résumé ; bien qu’il y ait encore beaucoup à dire (1).
(1) : Parmi les Anciens, Platon avait parlé de la transmigration des âmes, qu’il
considérait comme un châtiment. Plus tard, les Frères de la Pureté (groupe de
philosophes chiites ismaéliens) défendirent cette théorie. Ils disaient que le monde de
la génération et de la corruption, qui est le monde des éléments (le monde matériel),
est le monde où doivent souffrir les âmes mauvaises, migrant de corps en corps
jusqu’à devenir pures et polies et retourner alors à leur origine, l’âme universelle. Ibn
Sînâ s’efforce de démontrer logiquement l’impossibilité d’une telle transmigration.
Traduction effectuée avec Sarah Touma, Aline Chammous et Nadim Fares,
élèves de TS (2007-2008)
31
Al-Ghazâlî
‫اﻟﻐﺰاﻟﻲ‬
32
Al-Ghazâlî
‫اﻟﻐﺰاﻟﻲ‬
Abû Hâmid Al-Ghazâlî (‫) اﻟﻐﺰاﻟﻲ‬, connu au Moyen-Âge sous le nom latinisé
d’ « Algazel », est sans doute le plus célèbre et important théologien de l’islam.
Né à Tûs (l’actuelle Machhad, en Iran) en 1058, il enseigna d’abord la
jurisprudence à l’université Nizamiyya de Bagdad, au service du pouvoir
abbasside, puis se retira de la vie publique, séjourna longuement à Damas et se
convertit au soufisme, avant de mourir en 1111. Son autobiographie spirituelle,
Le remède à l’égarement (‫ )اﻟﻤﻨﻘﺬ ﻣﻦ اﻟﻀﻼل‬a pu être comparée aux Confessions de
Saint Augustin. Dans la Revivification des sciences religieuses (‫)إﺣﻴﺎء ﻋﻠﻮم اﻟﺪﻳﻦ‬, il
présenta une conception unifiée de la religion, intégrant des éléments de trois
sources jusqu’alors considérées comme contradictoires : la tradition (sunna) de
l’islam, l’intellectualisme de la philosophie grecque, et le mysticisme soufi.
Dans le premier texte, Al-Ghazâlî se lance à la recherche d’une connaissance
certaine, à l’abri du moindre doute. Cette décision philosophique ressemble fort
à celle de Descartes au début de ses Méditations métaphysiques. Dans une
démarche analogue, Al-Ghazâlî utilise un doute méthodique pour ébranler la
confiance que nous plaçons spontanément dans nos sensations, mais aussi celle
que nous plaçons dans les évidences de notre raison. Après une étonnante
prosopopée des sens, l’argument du rêve, classique dans ce type de réflexions sur
la valeur de la connaissance, est poussé jusqu’au bout afin de contester l’autorité
de la raison. A la différence de Descartes, Al-Ghazâlî n’est pas un rationaliste, et
entrevoit finalement une solution mystique au problème de la certitude.
Dans le second texte proposé, Al-Ghazâlî poursuit sa méditation sur la valeur de
la connaissance en s’adressant à un jeune disciple. Il insiste ici sur l’application
pratique, car seule l’existence concrète peut vraiment donner une valeur à un
savoir abstrait. Il ne s’agit pas, comme chez Descartes, d’un plaidoyer pour une
application pratique de la connaissance scientifique. Chez Al-Ghazâlî, cette thèse
a une dimension mystique et non technique. La connaissance des états spirituels
ne saurait être transmise abstraitement, car ce ne sont pas là des idées objectives,
mais des perceptions gustatives : les états spirituels ne s’apprennent pas, ils se
goûtent. On pourra s’étonner des exemples qu’Al-Ghazâlî, réputé pour sa
sévérité religieuse, emprunte pour distinguer cette connaissance gustative de la
connaissance rationnelle abstraite. Conséquence importante, l’enseignement
spirituel, tout comme celui de la musique ou de la littérature, consistera d’abord
à « faire goûter ».
33
‫‪Al-Ghazâlî‬‬
‫اﻟﻐﺰاﻟﻲ‬
‫اﻟﻤﻨﻘﺬ ﻣﻦ اﻟﻀﻼل‬
‫ﻣﻦ أﻳﻦ اﻟﺜﻘﺔ ﺑﺎﻟﻤﺤﺴﻮﺳﺎت و أﻗﻮاهﺎ ﺣﺎﺳﺔ اﻟﺒﺼﺮ ‪ ,‬وهﻲ ﺗﻨﻈﺮ إﻟﻰ اﻟﻈﻞ ﻓﺘﺮاﻩ واﻗﻔًﺎ ﻏﻴﺮ ﻣﺘﺤﺮك‬
‫‪ ,‬وﺗﺤﻜﻢ ﺑﻨﻔﻲ اﻟﺤﺮآﺔ؟ ﺛﻢ‪,‬ﺑﺎﻟﺘﺠﺮﺑﺔ و اﻟﻤﺸﺎهﺪة ‪ ,‬ﺑﻌﺪ ﺳﺎﻋﺔ ‪ ,‬ﺗﻌﺮف اﻧﻪ ﻣﺘﺤﺮك و أﻧﻪ ﻟﻢ ﻳﺘﺤﺮك دﻓﻌﺔ‬
‫>واﺣﺪة< ﺑﻐﺘﺔ ‪ ,‬ﺑﻞ ﻋﻠﻰ اﻟﺘﺪرﻳﺞ ذرة ذرة ﺣﺘﻰ ﻟﻢ ﻳﻜﻦ ﻟﻪ ﺣﺎﻟﺔ وﻗﻮف ‪ .‬و ﺗﻨﻈﺮ إﻟﻰ اﻟﻜﻮآﺐ ﻓﺘﺮاﻩ‬
‫ﺻﻐﻴﺮًا ﻓﻲ ﻣﻘﺪار دﻳﻨﺎر ‪ ,‬ﺛﻢ اﻷدﻟﺔ اﻟﻬﻨﺪﺳﻴﺔ ﺗﺪل ﻋﻠﻰ أﻧﻪ اآﺒﺮ ﻣﻦ اﻷرض ﻓﻲ اﻟﻤﻘﺪار ‪ .‬هﺬا و أﻣﺜﺎﻟﻪ ﻣﻦ‬
‫اﻟﻤﺤﺴﻮﺳﺎت ﻳﺤﻜﻢ ﻓﻴﻬﺎ ﺣﺎآﻢ اﻟﺤﺲ ﺑﺄﺣﻜﺎﻣﻪ ‪ ,‬و ﻳﻜﺬﺑﻪ ﺣﺎآﻢ اﻟﻌﻘﻞ و ﻳﺨﻮﻧﻪ ﺗﻜﺬﻳﺒًﺎ ﻻ ﺳﺒﻴﻞ إﻟﻰ ﻣﺪاﻓﻌﺘﻪ ‪.‬‬
‫ﻓﻘﻠﺖ ‪ :‬ﻗﺪ ﺑﻄﻠﺖ اﻟﺜﻘﺔ ﺑﺎﻟﻤﺤﺴﻮﺳﺎت أﻳﻀًﺎ ﻓﻠﻌﻠﻪ ﻻ ﺛﻘﺔ إﻻ ﺑﺎﻟﻌﻘﻠﻴﺎت اﻟﺘﻲ هﻲ ﻣﻦ اﻷوﻟﻴﺎت ‪ ,‬آﻘﻮﻟﻨﺎ ‪:‬‬
‫اﻟﻌﺸﺮة اآﺜﺮ ﻣﻦ اﻟﺜﻼﺛﺔ ‪ ,‬و اﻟﻨﻔﻲ و اﻹﺛﺒﺎت ﻻ ﻳﺠﺘﻤﻌﺎن ﻓﻲ اﻟﺸﻲء اﻟﻮاﺣﺪ ‪ ,‬و اﻟﺸﻲء اﻟﻮاﺣﺪ ﻻ ﻳﻜﻮن‬
‫ﻻ ‪ .‬ﻓﻘﺎﻟﺖ اﻟﻤﺤﺴﻮﺳﺎت ‪ :‬ﺑﻢ ﺗﺄﻣﻦ أن ﺗﻜﻮن ﺛﻘﺘﻚ ﺑﺎﻟﻌﻘﻠﻴﺎت‬
‫ﺣﺎدﺛًﺎ ﻗﺪﻳﻤًﺎ ‪ ,‬ﻣﻮﺟﻮدًا ﻣﻌﺪوﻣًﺎ ‪ ,‬واﺟﺒًﺎ ﻣﺤﺎ ً‬
‫آﺜﻘﺘﻚ ﺑﺎﻟﻤﺤﺴﻮﺳﺎت ‪ ,‬و ﻗﺪ آﻨﺖ واﺛﻘًﺎ ﺑﻲ ‪ ,‬ﻓﺠﺎء ﺣﺎآﻢ اﻟﻌﻘﻞ ﻓﻜﺬﺑﻨﻲ ‪ ,‬و ﻟﻮﻻ ﺣﺎآﻢ اﻟﻌﻘﻞ ﻟﻜﻨﺖ ﺗﺴﺘﻤﺮ‬
‫ﻋﻠﻰ ﺗﺼﺪﻳﻘﻲ ؟ ﻓﻠﻌﻞ وراء إدراك اﻟﻌﻘﻞ ﺣﺎآﻤًﺎ ﺁﺧﺮ ‪ ,‬إذا ﺗﺠﻠﻰ ‪ ,‬آﺬب اﻟﻌﻘﻞ ﻓﻲ ﺣﻜﻤﻪ ‪ ,‬آﻤﺎ ﺗﺠﻠﻰ ﺣﺎآﻢ‬
‫اﻟﻌﻘﻞ ﻓﻜﺬب اﻟﺤﺲ ﻓﻲ ﺣﻜﻤﻪ ‪ .‬وﻋﺪم ﺗﺠﻠﻲ ذﻟﻚ اﻹدراك ‪ ,‬ﻻ ﻳﺪل ﻋﻠﻰ اﺳﺘﺤﺎﻟﺘﻪ ‪.‬‬
‫ﻼ ‪ ,‬و أﻳﺪت إﺷﻜﺎﻟﻬﺎ ﺑﺎﻟﻤﻨﺎم ‪ ,‬و ﻗﺎﻟﺖ ‪ :‬اﻣﺎ ﺗﺮاك ﺗﻌﺘﻘﺪ ﻓﻲ اﻟﻨﻮم‬
‫ﻓﺘﻮﻗﻔﺖ اﻟﻨﻔﺲ ﻓﻲ ﺟﻮاب ذﻟﻚ ﻗﻠﻴ ً‬
‫ﻻ ‪ ,‬و ﺗﻌﺘﻘﺪ ﻟﻬﺎ ﺛﺒﺎﺗًﺎ و اﺳﺘﻘﺮارًا ‪ ,‬وﻻ ﺗﺸﻚ ﻓﻲ ﺗﻠﻚ اﻟﺤﺎﻟﺔ ﻓﻴﻬﺎ ‪ ,‬ﺛﻢ ﺗﺴﺘﻴﻘﻆ ﻓﺘﻌﻠﻢ اﻧﻪ‬
‫أﻣﻮرًا ‪ ,‬و ﺗﺘﺨﻴﻞ أﺣﻮا ً‬
‫ﻟﻢ ﻳﻜﻦ ﻟﺠﻤﻴﻊ ﻣﺘﺨﻴﻼﺗﻚ و ﻣﻌﺘﻘﺪاﺗﻚ أﺻﻞ و ﻃﺎﺋﻞ ؟ ﻓﺒﻢ ﺗﺄﻣﻦ أن ﻳﻜﻮن ﺟﻤﻴﻊ ﻣﺎ ﺗﻌﺘﻘﺪﻩ ﻓﻲ ﻳﻘﻈﺘﻚ ﺑﺤﺲ‬
‫أو ﻋﻘﻞ هﻮ ﺣﻖ ﺑﺎﻹﺿﺎﻓﺔ إﻟﻰ ﺣﺎﻟﺘﻚ ]اﻟﺘﻲ أﻧﺖ ﻓﻴﻬﺎ[ ﻟﻜﻦ ﻳﻤﻜﻦ أن ﺗﻄﺮأ ﻋﻠﻴﻚ ﺣﺎﻟﺔ ﺗﻜﻮن ﻧﺴﺒﺘﻬﺎ إﻟﻰ‬
‫ﻳﻘﻈﺘﻚ ‪ ,‬آﻨﺴﺒﺔ ﻳﻘﻈﺘﻚ إﻟﻰ ﻣﻨﺎﻣﻚ ‪ ,‬وﺗﻜﻮن ﻳﻘﻈﺘﻚ ﻧﻮﻣًﺎ ﺑﺎﻹﺿﺎﻓﺔ إﻟﻴﻬﺎ! ﻓﺈذا وردت ﺗﻠﻚ اﻟﺤﺎﻟﺔ ﺗﻴﻘﻨﺖ أن‬
‫ﺟﻤﻴﻊ ﻣﺎ ﺗﻮهﻤﺖ ﺑﻌﻘﻠﻚ ﺧﻴﺎﻻت ﻻ ﺣﺎﺻﻞ ﻟﻬﺎ ‪ ,‬و ﻟﻌﻞ ﺗﻠﻚ اﻟﺤﺎﻟﺔ ﻣﺎ ﻳﺪﻋﻴﻪ اﻟﺼﻮﻓﻴﺔ أﻧﻬﺎ ﺣﺎﻟﺘﻬﻢ ‪ :‬إذ‬
‫ﻻﻻ‬
‫ﻳﺰﻋﻤﻮن اﻧﻬﻢ ﻳﺸﺎهﺪون ﻓﻲ أﺣﻮاﻟﻬﻢ اﻟﺘﻲ )ﻟﻬﻢ( إذا ﻏﺎﺻﻮا ﻓﻲ أﻧﻔﺴﻬﻢ ‪ ,‬وﻏﺎﺑﻮا ﻋﻦ ﺣﻮاﺳﻬﻢ ‪ ,‬أﺣﻮا ً‬
‫ﺗﻮاﻓﻖ هﺬﻩ اﻟﻤﻌﻘﻮﻻت ‪.‬‬
‫‪34‬‬
Al-Ghazâlî
‫اﻟﻐﺰاﻟﻲ‬
Le remède à l’égarement
« Comment nous fier aux perceptions sensibles ? La vue est le plus puissant de nos
sens, or observant une ombre, l’oeil la juge fixe et immobile. Cependant, après une
heure de temps, il reconnaît que cette ombre s’est déplacée, et ceci non pas de manière
soudaine, mais progressivement et petit à petit. Lorsque l’œil regarde une étoile, elle
lui paraît réduite à la taille d’une pièce de monnaie. Pourtant, les preuves
géométriques établissent que cette étoile est plus grande que la terre. D’autres
exemples comme celui-ci illustrent comment les choses sensibles conduisent nos sens
à porter un jugement que l’autorité de la raison réfute ensuite de façon incontestable.
Je me dis donc que nous ne pouvions plus nous fier aux perceptions sensibles. Peutêtre la certitude ne se trouve-t-elle alors que dans les conceptions intelligibles qui sont
à la base de toute pensée, telles que : dix est supérieur à trois ; une même chose ne
peut pas être à la fois affirmée et niée ; rien ne peut être à la fois créé et éternel,
existant et inexistant, nécessaire et impossible. Mais les perceptions sensibles
répondirent à cela : « Es-tu sûr que lorsque tu te fies aux conceptions de ta raison, il ne
s’agit pas de la même confiance que celle que tu accordais aux perceptions de tes
sens ? Tu nous faisais confiance, avant que la raison vienne nous accuser de
mensonge ; et sans ce jugement de la raison, tu te fierais toujours à nous. Peut-être
existe-t-il une autre autorité qui dépasse la raison et qui, si elle se manifestait,
accuserait à son tour la raison de mensonge, de la même manière que la raison a
démenti le jugement des sens. Le fait que cette intelligence supérieure ne se manifeste
pas ne prouve pas qu’elle soit impossible ».
Pour un moment, je restai sans réponse. Puis la difficulté me parut analogue au cas
du sommeil et du rêve. Lorsque nous dormons, nous croyons toutes sortes de choses et
imaginons toutes sortes de situations, desquelles nous n’avons pas le moindre doute
tant que nous sommes dans cet état. Mais à notre réveil, nous réalisons l’inconsistance
et l’absurdité des chimères de l’imagination. Nous pourrions nous interroger de même
sur la vérité des croyances acquises à l’état de veille au moyen des sens ou de la
raison. Ne sont-elles pas vraies elles aussi du seul point de vue de l’état dans lequel
nous nous trouvons ? Nous pourrions nous trouver dans un autre état qui serait à notre
veille ce que notre veille est à notre sommeil, de sorte que notre veille serait comme
un sommeil au regard de cet état ! Si cet état advenait, il nous montrerait certainement
que tout ce que notre raison conçoit n’est que vaine imagination. Un tel état pourrait
être celui que les mystiques (les soufis) revendiquent, car ils affirment que, lorsqu’ils
s’absorbent en eux-mêmes, ils contemplent des états qui contredisent ces conceptions
intelligibles. »
Traduction : Obeï Kurdy, élève de TS (2006-2007)
35
‫‪Al-Ghazâlî‬‬
‫اﻟﻐﺰاﻟﻲ‬
‫اﻟﻐﺰاﻟﻴﻤﻦ رﺳﺎﻟﺔ "أﻳﻬﺎ اﻟﻮﻟﺪ"‬
‫أﻳﻬﺎ اﻟﻮﻟﺪ ‪ ,‬ﻻ ﺗﻜﻦ ﻣﻦ اﻷﻋﻤﺎل ﻣﻔﻠﺴًﺎ ‪ ,‬وﻻ ﻣﻦ اﻷﺣﻮال ﺧﺎﻟﻴًﺎ ‪ ,‬وﺗﻴﻘﻦ أن اﻟﻌﻠﻢ اﻟﻤﺠﺮد ﻻ ﻳﺄﺧﺬ ﺑﺎﻟﻴﺪ ‪ .‬ﻣﺜﺎﻟﻪ ﻟﻮ آﺎن‬
‫ﻋﻠﻰ رﺟﻞ ﻓﻲ ﺑﺮﻳﺔ ﻋﺸﺮة أﺳﻴﺎف هﻨﺪﻳﺔ ﻣﻊ أﺳﻠﺤﺔ أﺧﺮى ‪ ,‬و آﺎن اﻟﺮﺟﻞ ﺷﺠﺎﻋًﺎ و أهﻞ ﺣﺮب ‪ ,‬ﻓﺤﻤﻞ ﻋﻠﻴﻪ أﺳﺪ‬
‫ﻋﻈﻴﻢ ﻣﻬﻴﺐ ‪ ,‬ﻓﻤﺎ ﻇﻨﻚ؟ هﻞ ﺗﺪﻓﻊ اﻷﺳﻠﺤﺔ ﺷﺮﻩ ﻋﻨﻪ ﺑﻼ اﺳﺘﻌﻤﺎﻟﻬﺎ و ﺿﺮﺑﻬﺎ؟ و ﻣﻦ اﻟﻤﻌﻠﻮم أﻧﻬﺎ ﻻ ﺗﺪﻓﻊ إﻻ‬
‫ﺑﺎﻟﺘﺤﺮﻳﻚ و اﻟﻀﺮب ‪ .‬ﻓﻜﺬا ﻟﻮ ﻗﺮأ رﺟﻞ ﻣﺎﺋﺔ أﻟﻒ ﻣﺴﺄﻟﺔ ﻋﻠﻤﻴﺔ و ﺗﻌﻠﻤﻬﺎ ‪ ,‬و ﻟﻢ ﻳﻌﻤﻞ ﺑﻬﺎ ‪ ,‬ﻻ ﺗﻔﻴﺪﻩ إﻻ ﺑﺎﻟﻌﻤﻞ ‪ .‬و‬
‫ﻣﺜﻠﻪ أﻳﻀًﺎ ﻟﻮ آﺎن ﻟﺮﺟﻞ ﺣﺮارة و ﻣﺮض ﺻﻔﺮاوي ﻳﻜﻮن ﻋﻼﺟﻪ ﺑﺎﻟﺴﻜﻨﺠﺒﻴﻦ و اﻟﻜﺸﻜﺎب ‪ ,‬ﻓﻼ ﻳﺤﺼﻞ اﻟﺒﺮء إﻻ‬
‫ﺑﺎﺳﺘﻌﻤﺎﻟﻬﺎ ‪.‬‬
‫آﺮﻣﻰ دو هﺰار رﻃﻞ هﻤﻰ ﺑﻴﻤﺎﺋﻲ‬
‫ﺗﺎﻣﻰ ﻧﺨﻮرى ﻧﺒﺎﺷﺪت ﺷﻴﺪاﺋﻲ)‪(1‬‬
‫و اﻋﻠﻢ أن ﺑﻌﺾ ﻣﺴﺎﺋﻠﻚ اﻟﺘﻲ ﺳﺄﻟﺘﻨﻲ ﻋﻨﻬﺎ ﻻ ﻳﺴﺘﻘﻴﻢ ﺟﻮاﺑﻬﺎ ﺑﺎﻟﻜﺘﺎﺑﺔ و اﻟﻘﻮل ‪ ,‬إن ﺗﺒﻠﻎ ﺗﻠﻚ اﻟﺤﺎﻟﺔ ﺗﻌﺮف ﻣﺎ‬
‫هﻲ‪,‬وإﻻ ﻓﻌﻠﻤﻬﺎ ﻣﻦ اﻟﻤﺴﺘﺤﻴﻼت ﻷﻧﻬﺎ ذوﻗﻴﺔ ‪ ,‬و آﻞ ﻣﺎ ﻳﻜﻮن ذوﻗﻴًﺎ ﻻ ﻳﺴﺘﻘﻴﻢ وﺻﻔﻪ ﺑﺎﻟﻘﻮل آﺤﻼوة اﻟﺤﻠﻮ و ﻣﺮارة‬
‫اﻟﻤﺮ ﻻ ﺗﻌﺮف إﻻ ﺑﺎﻟﺬوق ‪ .‬آﻤﺎ ﺣﻜﻲ أن ﻋﻨﻴﻨًﺎ آﺘﺐ إﻟﻰ ﺻﺎﺣﺐ ﻟﻪ أن ﻋﺮﻓﻨﻲ ﻟﺬة اﻟﻤﺠﺎﻣﻌﺔ آﻴﻒ ﺗﻜﻮن ‪ .‬ﻓﻜﺘﺐ ﻟﻪ‬
‫ﻓﻲ ﺟﻮاﺑﻪ ‪:‬‬
‫ﻳﺎ ﻓﻼن إﻧﻲ آﻨﺖ ﺣﺴﺒﺘﻚ ﻋﻨﻴﻨًﺎ ﻓﻘﻂ ‪ .‬و اﻵن ﻋﺮﻓﺖ أﻧﻚ ﻋﻨﻴﻦ و أﺣﻤﻖ ‪ .‬ﻷن هﺬﻩ اﻟﻠﺬة ذوﻗﻴﺔ إن ﺗﺼﻞ إﻟﻴﻬﺎ ﺗﻌﺮف‬
‫‪ ,‬و إﻻ ﻻ ﻳﺴﺘﻘﻴﻢ وﺻﻔﻬﺎ ﺑﺎﻟﻘﻮل و اﻟﻜﺘﺎﺑﺔ ‪.‬‬
‫____________________‬
‫)‪(1‬‬
‫ﺗﺮﺟﻢ هﺬا اﻟﺒﻴﺖ ﻣﻦ اﻟﻔﺎرﺳﻴﺔ اﻟﺸﻴﺦ ﻣﺤﻤﺪ أﻣﻴﻦ اﻟﻜﺮدي ﻓﻘﺎل ‪:‬‬
‫ﻟﻮ آﻠﺖ أﻟﻔﻲ رﻃﻞ ﺧﻤﺮ ﻟﻢ ﺗﻜﻦ ﻟﺘﺼﻴﺮ ﻧﺸﻮاﻧًﺎ إذا ﻟﻢ ﺗﺸﺮب‬
‫‪36‬‬
Al-Ghazâlî
‫اﻟﻐﺰاﻟﻲ‬
Lettre au fils
« Ô mon fils ! Ne sois pas avare d’œuvres généreuses ni dénué d’états spirituels. Sois
certain que la science spéculative n’est pas d’un grand secours. Par exemple, si un
homme brave et expert en armes marche dans le désert, muni entre autres de dix épées
indiennes, et qu’un lion aussi énorme que terrifiant vienne à l’attaquer, que crois-tu ?
Les armes vont-elles le protéger contre le mal s’il ne les manipule pas et ne s’en sert
pas pour frapper ? Bien sûr qu’elles ne protègent que si elles sont maniées et frappent.
De même, si un homme étudie et apprend par cœur cent mille questions scientifiques
sans les mettre en pratique, elles ne lui serviront à rien : elles ne lui seront profitables
que par la pratique. Un autre exemple : si un homme est atteint par la fièvre et la
jaunisse, dont le traitement se fait par l’oxymel et le brouet d’orge, il ne pourra guérir
qu’en les utilisant.
Tu as beau posséder deux mille coupes de vin / Tu ne seras ivre que si tu les bois
Sache de même qu’il est impossible de fournir des réponses écrites ou orales à
certaines de tes questions. Ce n’est qu’en atteignant l’état en question que tu
comprendras de quoi il s’agit. Sinon, sa connaissance sera impossible, car il s’agit
d’un état gustatif, et il est impossible de décrire avec des mots ce qui est gustatif.
Ainsi, la douceur de ce qui est sucré et l’amertume de ce qui est amer ne
s’appréhendent que par la gustation. De même, on raconte qu’un homme impuissant
écrivit à l’un de ses amis en lui demandant de lui décrire le plaisir sexuel. Cet ami lui
répondit : « Ô un tel, je pensais que tu étais seulement impuissant, mais je me rends
compte à présent que tu es aussi idiot ! Car ce plaisir est gustatif, si tu l’atteins alors tu
sauras ce qu’il est, sinon il est impossible de te la décrire en paroles ou par écrit. »
Traduction : Obeï Kurdy, élève de TS (2006-2007)
37
Ibn Tufayl
‫اﺑﻦ ﻃﻔﻴﻞ‬
38
Ibn Tufayl
‫اﺑﻦ ﻃﻔﻴﻞ‬
Né autour de 1110 et mort en 1185, Ibn Tufayl (‫ ) اﺑﻦ ﻃﻔﻴﻞ‬est l’un des premiers
grands philosophes d’al-Andalûs, l’Andalousie arabo-islamique des 9ème-15ème
siècles. Homme à la formation encyclopédique, il exerça la médecine à Grenade,
devint médecin particulier du gouverneur de la cité, puis vizir du sultan
almohade Abû Ya’qub Yûsuf, auquel il présenta celui qui allait devenir le plus
célèbre philosophe de l’époque, Ibn Rushd ou Averroès. Par le témoignage de
celui-ci, on sait qu’Ibn Tufayl composa plusieurs ouvrages d’astronomie et de
médecine, mais seul un texte majeur a été conservé de lui : le Récit de Hayy ibn
Yaqzân, ou Traité sur les secrets de la philosophie orientale. Inspiré de la
philosophie d’Ibn Sînâ, l’ouvrage fut rapidement traduit en latin, séduisit
Leibniz et devint célèbre en Occident sous le titre du Philosophe autodidacte.
Ce roman philosophique nous conte les progrès intellectuels et moraux d’un
homme solitaire, né sur une île déserte par génération spontanée. Ibn Tufayl veut
montrer que l’être humain est capable, par la seule lumière de sa raison et sans le
secours des connaissances accumulées ou de la Révélation, d’atteindre la plus
haute sagesse, le stade de l’union mystique (en arabe ‫)وﺻﻮل‬. L’homme peut donc
atteindre la sagesse en autodidacte, en s’éduquant soi-même par soi-même, grâce
au don de la raison. A la fin du roman, un homme venu du monde habité, le
monde de la cité et de la religion instituée, fait la rencontre de Hayy sur son île
déserte. Il découvre avec étonnement que cet homme seul a atteint plus de sagesse
que tous ses concitoyens du monde civilisé. C’est cette déroutante remise en
question que nous narre l’extrait proposé.
39
‫‪Ibn Tufayl‬‬
‫اﺑﻦ ﻃﻔﻴﻞ‬
‫ﺣﻲ ﺑﻦ ﻳﻘﻈﺎن‬
‫ﺣﻲ ﻳﻌﺮض ﻋﻠﻰ أﺳﺎل أﻣﺮﻩ‬
‫ﻓﻠﻤﺎ ذاﻗﻪ واﺳﺘﻄﺎﺑﻪ ﺑﺪا ﻟﻪ ﺳﻮء ﻣﺎ ﺻﻨﻊ ﻣﻦ ﻧﻘﺾ ﻋﻬﻮدﻩ ﻓﻲ ﺷﺮط اﻟﻐﺬاء‪ ,‬و ﻧﺪم ﻋﻠﻰ ﻓﻌﻠﻪ و أراد‬
‫اﻹﻧﻔﺼﺎل ﻋﻦ أﺳﺎل و اﻹﻗﺒﺎل ﻋﻠﻰ ﺷﺄﻧﻪ ﻣﻦ ﻃﻠﺐ اﻟﺮﺟﻮع إﻟﻰ ﻣﻘﺎﻣﻪ اﻟﻜﺮﻳﻢ ‪ .‬ﻓﻠﻢ ﺗﺘﺄت ﻟﻪ اﻟﻤﺸﺎهﺪة‬
‫ﺑﺴﺮﻋﺔ‪ .‬ﻓﺮأى أن ﻳﻘﻴﻢ ﻣﻊ أﺳﺎل ﻓﻲ ﻋﺎﻟﻢ اﻟﺤﺲ ‪ ,‬ﻳﻘﻒ ﻋﻠﻰ ﺣﻘﻴﻘﺔ ﺷﺄﻧﻪ وﻻ ﻳﺒﻘﻰ ﻓﻲ ﻧﻔﺴﻪ ﻧﺰوع إﻟﻴﻪ و‬
‫ﻳﻨﺼﺮف ﺑﻌﺪ ذﻟﻚ إﻟﻰ ﻣﻘﺎﻣﻪ دون أن ﻳﺸﻐﻠﻪ ﺷﺎﻏﻞ ‪ .‬ﻓﺎﻟﺘﺰم ﺻﺤﺒﺔ أﺳﺎل‪ .‬و ﻟﻤﺎ رأى أﺳﺎل أﻳﻀًﺎ أﻧﻪ ﻻ‬
‫ﻳﺘﻜﻠﻢ ‪ ,‬أﻣﻦ ﻣﻦ ﻏﻮاﺋﻠﻪ ﻋﻠﻰ دﻳﻨﻪ ‪ ,‬و رﺟﺎ أن ﻳﻌﻠﻤﻪ اﻟﻜﻼم و اﻟﻌﻠﻢ و اﻟﺪﻳﻦ ‪ ,‬ﻓﻴﻜﻮن ﻟﻪ ﺑﺬﻟﻚ أﻋﻈﻢ أﺟﺮ و‬
‫ﻻ ‪ ,‬ﺑﺎن آﺎن ﻳﺸﻴﺮ ﻟﻪ إﻟﻰ أﻋﻴﺎن اﻟﻤﻮﺟﻮدات ‪ ,‬وﻳﻨﻄﻖ‬
‫زﻟﻔﻰ ﻋﻨﺪ اﷲ ‪.‬ﻓﺸﺮع أﺳﺎل ﻓﻲ ﺗﻌﻠﻴﻤﻪ اﻟﻜﻼم أو ً‬
‫ﺑﺄﺳﻤﺎﺋﻬﺎ و ﻳﻜﺮر ذﻟﻚ ﻋﻠﻴﻪ و ﻳﺤﻤﻠﻪ ﻋﻠﻰ اﻟﻨﻄﻖ ‪ ,‬ﻓﻴﻨﻄﻖ ﺑﻬﺎ ﻣﻘﺘﺮﻧًﺎ ﺑﺎﻹﺷﺎرة ‪ ,‬ﺣﺘﻰ ﻋﻠﻤﻪ اﻷﺳﻤﺎء آﻠﻬﺎ ‪,‬‬
‫ﻼ ﻗﻠﻴﻼﺣﺘﻰ‬
‫و د ّرﺟﻪ ﻗﻠﻴ ً‬
‫ﺗﻜﻠﻢ ﻓﻲ أﻗﺮب ﻣﺪة ‪ .‬ﻓﺠﻌﻞ أﺳﺎل ﻳﺴﺄﻟﻪ ﻋﻦ ﺷﺄﻧﻪ و ﻣﻦ أﻳﻦ ﺻﺎر إﻟﻰ ﺗﻠﻚ اﻟﺠﺰﻳﺮة ‪ .‬ﻓﻌﻠّﻤﻪ ﺣﻲ ﺑﻦ ﻳﻘﻈﺎن‬
‫أﻧﻪ ﻻ ﻳﺪري ﻟﻨﻔﺴﻪ اﺑﺘﺪاء ‪,‬وﻻ أﺑًﺎ وﻻ أﻣًﺎ ‪ ,‬أآﺜﺮ ﻣﻦ اﻟﻈﺒﻴﺔ اﻟﺘﻲ رﺑﺘﻪ‪ .‬ووﺻﻒ ﻟﻪ ﺷﺄﻧﻪ آﻠﻪ ‪ ,‬و آﻴﻒ‬
‫ﺗﺮﻗﻰ ﺑﺎﻟﻤﻌﺮﻓﺔ ﺣﺘﻰ اﻧﺘﻬﻰ إﻟﻰ درﺟﺔ اﻟﻮﺻﻮل‪.‬‬
‫ﺗﻄﺎﺑﻖ اﻟﻌﻘﻞ و اﻟﺸﺮع‬
‫ﻓﻠﻤﺎ ﺳﻤﻊ أﺳﺎل ﻣﻨﻪ وﺻﻒ ﺗﻠﻚ اﻟﺤﻘﺎﺋﻖ ‪ ,‬و اﻟﺬوات اﻟﻤﻔﺎرﻗﺔ ﻟﻌﺎﻟﻢ اﻟﺤﺲ‪ ,‬اﻟﻌﺎرﻓﺔ ﺑﺬات اﻟﺤﻖ – ﻋﺰ وﺟﻞ‬
‫– ووﺻﻔﻪ ذات اﻟﺤﻖ ﺗﻌﺎﻟﻰ وﺟﻞ ‪ ,‬ﺑﺄوﺻﺎﻓﻪ اﻟﺤﺴﻨﻰ ‪ ,‬ووﺻﻒ ﻟﻪ ﻣﺎأﻣﻜﻨﻪ وﺻﻔﻪ ﻣﻤﺎ ﺷﺎهﺪﻩ ﻋﻨﺪ‬
‫اﻟﻮﺻﻮل ﻣﻦ ﻟﺬات اﻟﻮاﺻﻠﻴﻦ وﺁﻻم اﻟﻤﺤﺠﻮﺑﻴﻦ ‪ ,‬ﻟﻢ ﻳﺸﻚ اﺳﺎل ﻓﻲ ان ﺟﻤﻴﻊ اﻷﺷﻴﺎء اﻟﺘﻲ وردت ﻓﻲ‬
‫ﺷﺮﻳﻌﺘﻪ ﻣﻦ أﻣﺮ اﷲ ﻋﺰ وﺟﻞ ‪ ,‬وﻣﻼﺋﻜﺘﻪ وآﺘﺒﻪ ‪ ,‬ورﺳﻠﻪ ‪ ,‬واﻟﻴﻮم اﻵﺧﺮ ‪ ,‬وﺟﻨﺘﻪ وﻧﺎرﻩ ‪ ,‬هﻲ أﻣﺜﻠﻪ هﺬﻩ‬
‫اﻟﺘﻲ ﺷﺎهﺪهﺎ ﺣﻲ ﺑﻦ ﻳﻘﻈﺎن‪ .‬ﻓﺎﻧﻔﺘﺢ ﺑﺼﺮ ﻗﻠﺒﻪ‪ ,‬واﻧﻘﺪﺣﺖ ﻧﺎر ﺧﺎﻃﺮﻩ ‪ ,‬وﺗﻄﺎﺑﻖ ﻋﻨﺪﻩ اﻟﻤﻌﻘﻮل واﻟﻤﻨﻘﻮل‪,‬‬
‫ﻻ اﻧﻔﺘﺢ وﻻ‬
‫وﻗﺮﺑﺖ ﻋﻠﻴﻪ ﻃﺮق اﻟﺘﺄوﻳﻞ ‪ ,‬وﻟﻢ ﻳﺒﻘﻰ ﻋﻠﻴﻪ ﻣﺸﻜﻞ ﻓﻲ اﻟﺸﺮع اﻻ ﺗﺒﻴﻦ ﻟﻪ ‪ ,‬وﻻ ﻣﻐﻠﻖ ا ّ‬
‫ﻻ اﺗﻀﺢ ‪ .‬وﺻﺎر ﻣﻦ أوﻟﻲ اﻷﻟﺒﺎب ‪ .‬وﻋﻨﺪ ذﻟﻚ ﻧﻈﺮ اﻟﻰ ﺣﻲ ﺑﻦ ﻳﻘﻈﺎن ﺑﻌﻴﻦ اﻟﺘﻌﻈﻴﻢ واﻟﺘﻮﻗﻴﺮ ‪.‬‬
‫ﻏﺎﻣﺾ ا ّ‬
‫وﺗﺤﻘﻖ ﻋﻨﺪﻩ اﻧﻪ ﻣﻦ أوﻟﻴﺎء اﻟﻪ اﻟﺬﻳﻦ ﻻﺧﻮف ﻋﻠﻴﻬﻢ ‪ ,‬وﻻهﻢ ﻳﺤﺰﻧﻮن‪.‬‬
‫ﻓﺎﻟﺘﺰم ﺧﺪﻣﺘﻪ واﻻﻗﺘﺪاء ﺑﻪ واﻷﺧﺬ ﺑﺎﺷﺎراﺗﻪ ﻓﻴﻤﺎ ﺗﻌﺎرض ﻋﻨﺪﻩ ﻣﻦ اﻷﻋﻤﺎل اﻟﺸﺮﻋﻴﺔ اﻟﺘﻲ آﺎن ﻗﺪ ﺗﻌﻠّﻤﻬﺎ‬
‫ﻓﻲ ﻣﻠّﺘﻪ ‪.‬‬
‫‪40‬‬
Al-Ghazâlî
‫اﻟﻐﺰاﻟﻲ‬
Le récit de Hayy ibn Yaqzân
Hayy expose sa situation à Asâl
Il s’attacha à la compagnie d’Asâl. Quand Asâl s’aperçut que son compagnon ne
savait pas parler, il s’assura de tous les dommages qui en résulteraient pour sa
religion. Il entreprit avec espoir de lui apprendre la parole, la science et la religion,
obtenant ainsi la plus grande des rétributions et des dignités auprès de Dieu. Asâl
commença donc par lui apprendre à parler. Il lui montrait les objets mêmes et les
désignait par leurs noms. Il répétait ceux-ci et encourageait [Hayy] à les prononcer à
son tour. Puis [Hayy] prononçait les noms tout en montrant les objets. C’est ainsi qu’il
apprit tous les noms et se mit progressivement à parler.
Asâl l’interrogea alors sur sa personne et l’endroit d’où il était venu sur cette île.
Hayy ibn Yaqzân lui apprit qu’il ne se connaissait pas d’origine, ni père ni mère, sinon
la gazelle qui l’avait élevé. Il lui raconta toute son histoire, et comment il avait
développé son savoir par étapes jusqu’au degré de l’union.
L’adéquation de la raison et de la loi révélée
Lorsque Asâl entendit Hayy lui décrire ces vérités, les essences séparées du monde
sensible, instruites de l’essence du Vrai, puissant et grand, et l’essence du Vrai très
haut et très grand avec ses plus beaux attributs, lorsqu’il l’entendit lui décrire, autant
qu’il le pouvait, les délices de ceux qui se sont unis à Dieu et les souffrances de ceux
dont la vue est restée voilée, Asâl n’eut aucun doute que tout ce qui se trouvait dans la
Révélation, à propos des commandements de Dieu puissant et grand, de Ses anges, de
Ses livres, de Ses envoyés, du Jugement Dernier, du paradis et de l’enfer, ne fût que
des symboles de ce que Hayy ibn Yaqzân avait contemplé en propre. L’œil de son
cœur se dessilla alors, le feu de sa pensée s’embrasa, l’accord de la raison et de la
tradition se manifesta à lui. Les voies de l’interprétation ésotérique s’offrirent à lui, et
il ne subsista dans la Révélation plus rien de difficile qu’il ne pût résoudre, plus rien
de fermé qu’il ne pût ouvrir, plus rien d’obscur qu’il ne pût éclairer. Il devint de ceux
qui possèdent l’intelligence du cœur. Il se mit à regarder Hayy ibn Yaqzân avec
respect et vénération, étant clair pour lui que celui-ci appartenait aux amis de Dieu
« qui n’éprouvent aucune crainte et ne seront pas affligés ».
Il s’engagea à son service et suivit son exemple, adoptant ses indications jusque
dans les œuvres cultuelles qu’il avait apprises dans sa religion.
Traduction effectuée avec Nadim Fares, élève de TS (2007-2008)
41
Ibn ‘Arabî
‫اﺑﻦ ﻋﺮﺑﻲ‬
42
Ibn ‘Arabî
‫اﺑﻦ ﻋﺮﺑﻲ‬
Ibn ‘Arabî, surnommé « le vivificateur de la religion » (‫)ﻣﺤﻲ اﻟﺪﻳﻦ‬, « le plus grand
cheikh » (‫ )اﻟﺸﻴﺦ اﻷآﺒﺮ‬ou « le fils de Platon » (‫)اﺑﻦ أﻓﻼﻃﻮن‬, naquit en Andalousie, à
Murcie, en 1165. Da famille noble et cultivée, sa vocation spirituelle fut très
précoce et il s’engagea tôt dans une confrérie soufie. La soif de savoir, le désir
insatiable d’expériences spirituelles, vont faire de sa vie une longue suite de
pérégrinations, en Andalousie, en Afrique du Nord et en Orient. Il demeure
longuement à la Mecque, puis au Caire, et enfin à Damas, où il trouve la paix
nécessaire pour finir une œuvre immense, riche de plus de quatre cent livres. Ibn
Arabî s’éteint en 1240 à Damas, où son tombeau est toujours objet de vénération.
Dans le premier texte proposé, extrait du Dévoilement des effets du voyage, Ibn
‘Arabî expose en termes poétiques et paradoxaux la signification à la fois
universelle, cosmique, et individuelle, existentielle, du voyage. Dans le second
texte extrait de la Production des cercles, il multiplie les paradoxes logiques pour
désigner la réalité transcendante, au-delà de la raison et du langage, exprimant
ainsi une dimension purement mystique de la pensée religieuse, et illustrant ainsi
ce que dira le philosophe Wittgenstein dans son Tractatus logico-philosophicus :
"En tous cas, il y a de l’indicible. Il se montre ; c'est cela, le mystique". Après AlGhazâlî et plus encore que lui, Ibn ‘Arabî inscrit sa parole mystique soufie dans
un dialogue critique avec la philosophie rationaliste, celle des " Aristotéliciens "
ou "Péripatéticiens" qu'étaient Al-Fârâbî, Ibn Sînâ (Avicenne) ou Ibn Rushd
(Averroès).
43
‫‪Ibn ‘Arabî‬‬
‫اﺑﻦ ﻋﺮﺑﻲ‬
‫" آﺘﺎب اﻹﺳﻔﺎر ﻋﻦ ﻧﺘﺎﺋﺞ اﻷﺳﻔﺎر"‬
‫ﺛ ّﻢ إﻧﻪ ﻟﻤﺎ آﺎن اﻟﻮﺟﻮد ﻣﺒﺪأﻩ ﻋﻠﻰ اﻟﺤﺮآﺔ ﻟﻢ ﻳﺘﻤﻜّﻦ أن ﻳﻜﻮن ﻓﻴﻪ ﺳﻜﻮن ﻷﻧّﻪ ﻟﻮ ﺳﻜﻦ ﻟﻌﺎد إﻟﻰ أﺻﻠﻪ‬
‫وهﻮ اﻟﻌﺪم ‪ ,‬ﻓﻼ ﻳﺰال اﻟﺴﻔﺮ أﺑﺪا ﻓﻲ اﻟﻌﺎﻟﻢ اﻟﻌﻠﻮي واﻟﺴﻔﻠﻲ واﻟﺤﻘﺎﺋﻖ اﻻﻟﻬﻴﺔ آﺬﻟﻚ ﻻﺗﺰال ﻓﻲ ﺳﻔﺮ ﻏﺎدﻳﺔ‬
‫وراﺋﺤﺔ وﻗﺪ ﺟﺎء اﻟﻨﺰول اﻟﺮﺑّﺎﻧﻲ إﻟﻰ اﻟﺴﻤﺎء اﻟﺪﻧﻴﺎ ‪ ,‬وﻗﺪ ﺟﺎء اﻻﺳﺘﻮاء إﻟﻰ اﻟﺴﻤﺎء ﻋﻠﻰ ﻣﺎ ﻳﻌﻄﻴﻪ اﻟﺘﻨﺰﻳﻪ‬
‫وﻧﻔﻲ اﻟﻤﻤﺎﺛﻠﺔ واﻟﺘﺸﺒﻴﻪ ‪ ,‬وأﻣّﺎ اﻟﻌﺎﻟﻢ اﻟﻌﻠﻮي ﻓﻼ ﺗﺰال اﻷﻓﻼك داﺋﺮة ﺑﻤﻦ ﻓﻴﻬﺎ ﻻ ﺗﺴﻜﻦ وﻟﻮ ﺳﻜﻨﺖ ﺑﻄﻞ‬
‫اﻟﻜﻮن وﺗ ّﻢ ﻧﻈﺎم اﻟﻌﺎﻟﻢ واﻧﺘﻬﻰ ‪ ,‬وﺳﺒﺎﺣﺔ اﻟﻜﻮاآﺐ ﻓﻲ اﻷﻓﻼك ﺳﻔﺮ ﻟﻬﺎ واﻟﻘﻤﺮ ﻗﺪّرﻧﺎﻩ ﻣﻨﺎزﻻ "ﺳﻮرة‬
‫ﻳﺲ ‪" 39‬‬
‫وﺣﺮآﺎت اﻷرآﺎن اﻷرﺑﻌﺔ وﺣﺮآﺎت اﻟﻤﻮﻟﻮدات ﻓﻲ آﻞ دﻗﻴﻘﺔ واﻟﺘﻐﻴّﺮ واﻻﺳﺘﺤﺎﻻت ﻓﻲ آﻞ‬
‫ﻧﻔﺲ وﺳﻔﺮ اﻷﻓﻜﺎر ﻓﻲ ﻣﺤﻤﻮد وﻣﺬﻣﻮم وﺳﻔﺮ اﻷﻧﻔﺎس ﻣﻦ اﻟﻤﺘﻨﻔّﺲ وﺳﻔﺮ اﻷﺑﺼﺎر ﻣﻦ اﻟﻤﺒﺼﺮات ﻳﻘﻈﺔ‬
‫وﻧﻮﻣﺎ وﻋﺒﻮرهﺎ ﻣﻦ ﻋﺎﻟﻢ إﻟﻰ ﻋﺎﻟﻢ ﺑﺎﻻﻋﺘﺒﺎر ‪ ,‬وهﺬا آﻠّﻪ ﺳﻔﺮ ﺑﻼ ﺷﻚ ﻋﻨﺪ آﻞ ﻋﺎﻗﻞ ‪ ,‬وﻗﺪ ذهﺐ ﺑﻌﻀﻬﻢ‬
‫ن ﻋﺎﻟﻢ اﻷﺟﺴﺎم ﻣﻦ وﻗﺖ ﺧﻠﻘﻬﺎ اﻟﻠّﻪ ﻟﻢ ﻳﺰل ﺑﺠﻤﻠﺘﻪ ﻧﺎزﻻ وﻻﻳﺰال ﻓﻲ اﻟﺨﻼء اﻟﺬي ﻻﻧﻬﺎﻳﺔ ﻟﻪ ‪,‬‬
‫إﻟﻰ أ ّ‬
‫وﻋﻠﻰ اﻟﺤﻘﻴﻘﺔ ﻓﻼ ﻧﺰال ﻓﻲ ﺳﻔﺮ أﺑﺪا ﻣﻦ وﻗﺖ ﻧﺸﺄﺗﻨﺎ وﻧﺸﺄة أﺻﻮﻟﻨﺎ إﻟﻰ ﻣﺎﻻ ﻧﻬﺎﻳﺔ ﻟﻪ وإذا ﻻح ﻟﻚ ﻣﻨﺰل‬
‫ﻻ‬
‫ﺗﻘﻮل ﻓﻴﻪ هﺬا هﻮ اﻟﻐﺎﻳﺔ اﻧﻔﺘﺢ ﻋﻠﻴﻚ ﻣﻨﻪ ﻃﺮﻳﻖ ﺁﺧﺮ ﺗﺰودت ﻣﻨﻪ واﻧﺼﺮﻓﺖ ﻓﻤﺎ ﻣﻦ ﻣﻨﺰل ﺗﺸﺮف ﻋﻠﻴﻪ إ ّ‬
‫وﻳﻤﻜﻦ أن ﺗﻘﻮل هﻮ ﻏﺎﻳﺘﻲ ﺛ ّﻢ إﻧّﻚ إذا وﺻﻠﺖ إﻟﻴﻪ ﻟﻢ ﺗﻠﺒﺚ أن ﺗﺨﺮج ﻋﻨﻪ راﺣﻼ‪.‬‬
‫‪44‬‬
Ibn ‘Arabî
‫اﺑﻦ ﻋﺮﺑﻲ‬
Le dévoilement des effets du voyage
Puisque l’existence a son principe dans le mouvement, l’immobilité lui est
impossible. Car en arrêt, il retournerait à son origine, et c’est le néant. Le voyage ne
cesse donc jamais, dans le monde supérieur comme dans le monde inférieur. De
même, les vérités divines ne cessent de voyager, dans un mouvement d’aller et de
retour : ainsi s’est produite la descente seigneuriale dans le ciel le plus proche, comme
s’est produite l’ascension vers le ciel, selon ce que lui confère Sa transcendance et le
refus de toute similitude ou ressemblance. Dans le monde supérieur, les corps célestes
tournent, entraînant dans leur rotation ceux qui se trouvent sur eux, et ne s’arrêtent
jamais. S’ils se reposaient, l’univers disparaîtrait et l’ordonnance du monde toucherait
à sa fin. De même, le flottement des astres dans les sphères est pour eux un voyage :
« Et la lune, Nous en avons déterminé les mansions » (Coran, sourate « Yas », 39).
Les mouvements des quatre éléments, des naissances à chaque minute, le changement
et les transformations de chaque souffle, le voyage des pensées entre le louable et le
blâmable, le voyage des souffles chez celui qui respire, le voyage des regards parmi
les choses vues en état de veille ou en rêve, leur traversée d’un monde à l’autre par
l’interprétation- tout cela est sans doute voyage pour qui fait preuve de raison.
Certains avancent que le monde des corps, depuis le moment de leur création par
Dieu, ne cesse de chuter tout entier dans le vide sans fin. En réalité, nous ne cessons
jamais d’être en voyage, depuis le moment de notre naissance et la naissance de nos
principes constituants, en voyage vers l’infini. Quand tu atteins une demeure, tu la
considères comme le terme du voyage ; mais alors s’ouvre une autre voie à partir
d’elle, sur laquelle tu t’approvisionnes et repars. Il n’est pas une demeure que tu
n’aperçoives sans pouvoir te dire : « C’est là mon terme ». Mais aussitôt rendu à elle,
tu ne tardes pas à en sortir pour repartir en voyage.
Traduction effectuée avec Nadine Hawawini, élève de TES (2007-2008)
45
‫‪Ibn ‘Arabî‬‬
‫اﺑﻦ ﻋﺮﺑﻲ‬
‫ﻣﻦ "إﻧﺸﺎء اﻟﺪواﺋﺮ"‬
‫أﻣﺎ ﺣﻘﻴﻘﺔ اﻟﺤﻘﺎﺋﻖ ﻓﻬﻲ "اﻟﺸﻲء اﻟﺜﺎﻟﺚ"‪ ,‬ﻣﺎ ﻻ ﻳﺘﺼﻒ ﺑﺎﻟﻮﺟﻮد و ﻻ ﺑﺎﻟﻌﺪم‪ ,‬وﻻ ﺑﺎﻟﺤﺪوث و ﻻ ﺑﺎﻟﻘﺪم‪ ,‬و‬
‫ﻞ و ﻻ ﺑﺎﻟﺒﻌﺾ‪ ,‬و ﻻ ﻳﻘﺒﻞ اﻟﺰﻳﺎدة و ﻻ اﻟﻨﻘﺼﺎن‪ .‬إن "اﻟﺸﻲء اﻟﺜﺎﻟﺚ" هﻮ أﺻﻞ اﻟﻌﺎﻟﻢ‪,‬‬
‫آﺬﻟﻚ ﻻ ﻳﺘﺼﻒ ﺑﺎﻟﻜ ّ‬
‫و أﺻﻞ اﻟﺠﻮهﺮ اﻟﻔﺮد و ﻓﻠﻚ اﻟﺤﻴﺎة و اﻟﺤﻖ اﻟﻤﺨﻠﻮق ﺑﻪ‪ .‬ﻓﻬﺬا اﻟﺸﻲء ﺣﻘﻴﻘﺔ ﺣﻘﺎﺋﻖ اﻟﻌﺎﻟﻢ اﻟﻜﻠﻴﺔ ﻓﻲ اﻟﺬهﻦ‪,‬‬
‫اﻟﺸﻲء اﻟﺬي ﻳﻈﻬﺮ ﻓﻲ اﻟﻘﺪﻳﻢ ﻗﺪﻳﻤﺂ‪ ,‬و ﻓﻲ اﻟﺤﺎدث ﺣﺎدﺛﺂ‪ ,‬ﻓﺈن ﻗﻠﺖ هﺬا اﻟﺸﻲء هﻮ اﻟﻌﺎﻟﻢ ﺻﺪﻗﺖ‪ ,‬و إن ﻗﻠﺖ‬
‫أﻧﻪ اﻟﺤﻖ اﻟﻘﺪﻳﻢ ﺳﺒﺤﺎﻧﻪ ﺻﺪﻗﺖ‪ .‬هﻮ اﻟﻜﻠّﻲ اﻷﻋ ّﻢ‪ ,‬اﻟﺠﺎﻣﻊ ﻟﻠﺤﺪوث و اﻟﻘﺪم‪ ,‬و ﻳﺘﻌﺪّد ﺑﺘﻌﺪد اﻟﻤﻮﺟﻮدات و‬
‫ﻳﻨﻘﺴﻢ ﺑﺎﻧﻘﺴﺎﻣﻬﺎ‪ .‬و هﻮ ﻻ ﻣﻮﺟﻮد و ﻻ ﻣﻌﺪوم‪ .‬و ﻻ هﻮ اﻟﻌﺎﻟﻢ‪ ,‬و هﻮ اﻟﻌﺎﻟﻢ‪.‬‬
‫هﺬا اﻟﺸﻲء اﻟﺜﺎﻟﺚ اﻟﺬي ﻧﺤﻦ ﺑﺴﺒﻴﻠﻪ ﻻ ﻳﻘﺪر أﺣﺪ أن ﻳﻘﻒ ﻋﻠﻰ ﺣﻘﻴﻘﺔ ﻋﺒﺎرﺗﻪ‪ ,‬ﻟﻜﻨﻨﺎ ﻧﻮﻣﻰء إﻟﻴﻪ ﺑﻀﺮب ﻣﻦ‬
‫اﻟﺘﺸﺒﻴﻪ و اﻟﺘﻤﺜﻴﻞ‪ ,‬ﻓﻨﻘﻮل ‪ :‬ﻧﺴﺒﺔ هﺬا اﻟﺸﻲء إﻟﻰ اﻟﻌﺎﻟﻢ آﻨﺴﺒﺔ اﻟﺨﺸﺒﺔ إﻟﻰ اﻟﻜﺮﺳﻲ‪ ,‬و اﻟﻔﻀﺔ إﻟﻰ اﻵﻧﻴﺔ‬
‫اﻟﺘﻲ ﺗﺼﺎغ ﻣﻨﻬﺎ‪ .‬ﻓﺨﺬ هﺬﻩ اﻟﻨﺴﺒﺔ و ﻻ ﺗﺘﺨﻴﻞ اﻟﻨﻘﺺ‪ .‬ﻣﺬا اﻟﺸﻲء اﻟﺜﺎﻟﺚ ﺳﻤّﻪ ﻣﺎ ﺷﺌﺖ‪ :‬ﺣﻘﻴﻘﺔ اﻟﺤﻘﺎﺋﻖ‪ ,‬أو‬
‫اﻟﻤﺎدة اﻷوﻟﻰ أو ﺟﻨﺲ اﻷﺟﻨﺎس‪.‬‬
‫‪46‬‬
Ibn ‘Arabî
‫اﺑﻦ ﻋﺮﺑﻲ‬
La production des cercles
Quant à la vérité des vérités, elle est « la troisième chose », celle que nous ne
pouvons qualifier ni d’existante, ni d’inexistante ; ni de contingente, ni d’éternelle ;
qui ne se laisse non plus qualifier ni par le tout, ni par la partie ; qui n’admet ni excès
ni défaut. La « troisième chose » est l’origine du monde, l’origine de la substance
indivisible, la sphère de la vie et le Vrai créé par elle. Ainsi, cette chose est la vérité
des vérités universelles conçues dans l’esprit du savant. Elle est la chose éternelle du
point de vue de l’éternité, contingente du point de vue de la contingence. Donc, si tu
dis qu’elle est le monde, tu as raison ; et si tu dis qu’elle est le Vrai, l’Eternel, tu as
encore raison. Elle est l’universel le plus général, ce qui réunit en lui éternité et
contingence, qui se dénombre selon le nombre des étants, se divise selon leurs
divisions. Elle n’est ni existante, ni inexistante. Elle n’est pas le monde, et elle est le
monde.
Cette troisième chose sur la voie de laquelle nous nous trouvons, nul n’a su arrêter
une expression correcte à son sujet. Mais nous la montrons au moyen de l’analogie et
de la représentation imagée. Nous disons alors : « cette chose est au monde ce que le
bois est à la chaise, ou ce que l’argent est au plateau forgé en lui ». Reçois donc ce
rapprochement et ne va là imaginer aucun défaut. Cette troisième chose, appelle-la
comme tu voudras : la vérité des vérités, la matière première, l’universel des
universaux.
Traduction effectuée avec Nadim Fares, élève de TS (2007-2008)
47
Ibn Khaldûn
‫اﺑﻦ ﺧﻠﺪون‬
48
Ibn Khaldûn
‫اﺑﻦ ﺧﻠﺪون‬
Né à Tunis en 1332, mort au Caire au 1406, Ibn Khaldûn (‫ )اﺑﻦ ﺧﻠﺪون‬est souvent
considéré comme plus grand penseur ayant vu le jour dans le Maghreb arabe, à
une époque où la pensée arabo-musulmane semblait assoupie après « l’âge d’or »
des 9ème et 10ème siècles. Parallèlement à son œuvre d’écrivain, il fut un homme
politique aventureux, défenseur des nomades et de l’égalité entre les Musulmans,
avant de devenir juriste. Il est l’auteur d’une Histoire universelle (traitant surtout
des Arabes, des Berbères et des Perses) dont les Prolégomènes (‫ )اﻟﻤﻘﺪﻣﺎت‬sont
d’égale importance. Chef-d’œuvre d’historiographie, mais aussi de psychologie
sociale et de sociologie politique, cette œuvre annonce les démarches de la
sociologie moderne.
Loin de l’idéalisme politique d’al-Fârâbî, Ibn Khaldûn met en place dans ce texte
une argumentation à la fois théorique et très concrète pour démontrer la thèse
d’Aristote : l’homme est un animal politique fait pour vivre en société. Aristote
insistait sur la nécessité de la Cité pour le bonheur humain ; Ibn Khaldûn, lui,
insiste sur sa nécessité pour la vie elle-même, pour la subsistance de l’homme. La
référence à la sagesse de Dieu est un acte de foi dont on peut faire abstraction,
car l’argumentation est purement rationnelle et l’idée principale du texte n’est
pas religieuse, mais anthropologique. Ibn Khaldûn y justifie comme nécessaire la
division du travail social. Il apparaît ici comme un précurseur du français
Durkheim, fondateur de la sociologie moderne à la fin du XIXème siècle, et
auteur d’une œuvre capitale, De la division du travail social.
49
‫اﺑﻦ ﺧﻠﺪون‬
‫‪Ibn Khaldûn‬‬
‫ﻣﻦ اﻟﻤﻘﺪﻣﺎت‬
‫ﺿﺮورة اﻻﺟﺘﻤﺎع اﻻﻧﺴﺎﻧﻲ‬
‫ان اﻻﺟﺘﻤﺎع اﻻﻧﺴﺎﻧﻲ ﺿﺮوري وﻳﻌﺒﺮ اﻟﺤﻜﻤﺎء ﻋﻦ هﺬا ﺑﻘﻮﻟﻬﻢ‪ :‬اﻹﻧﺴﺎن ﻣﺪﻧﻲ ﺑﺎﻟﻄﺒﻊ‪ .‬أي ﻻﺑﺪ ﻣﻦ‬
‫اﻻﺟﺘﻤﺎع اﻟﺬي هﻮ اﻟﻤﺪﻳﻨﺔ ﻓﻲ اﺻﻄﻼﺣﻬﻢ‪ ,‬وهﻮ ﻣﻌﻨﻰ اﻟﻌﻤﺮان‪.‬وﺑﻴﺎﻧﻪ أن اﷲ –ﺳﺒﺤﺎﻧﻪ وﺗﻌﺎﻟﻰ‪-‬ﺧﻠﻖ‬
‫اﻹﻧﺴﺎن ورآﺒﻪ ﻋﻠﻰ ﺻﻮرة ﻻ ﻳﺼﺢ ﺣﻴﺎﺗﻬﺎ وﺑﻘﺎؤهﺎ إﻻ ﺑﺎﻟﻐﺬاء وهﺪاﻩ إﻟﻰ اﻟﺘﻤﺎﺳﻪ ﺑﻔﻄﺮﺗﻪ‪ ,‬وﺑﻤﺎ رآﺐ ﻓﻴﻪ‬
‫ﻣﻦ اﻟﻘﺪرة ﻋﻠﻰ ﺗﺤﺼﻴﻠﻪ‪ ,‬إﻻ أن ﻗﺪرة اﻟﻮاﺣﺪ ﻣﻦ اﻟﺒﺸﺮ ﻗﺎﺻﺮة ﻋﻠﻰ ﺗﺤﺼﻴﻞ ﺣﺎﺟﺘﻪ ﻣﻦ ذﻟﻚ اﻟﻐﺬاء‪ ,‬ﻏﻴﺮ‬
‫ﻣﻮﻓﻴﺔ ﺑﻤﺎدة ﺣﻴﺎﺗﻪ ﻣﻨﻪ‪ ,‬وﻟﻮ ﻓﺮﺿﻨﺎ أﻗﻞ ﻣﺎ ﻳﻤﻜﻦ ﻓﺮﺿﻪ‪ ,‬وهﻮ ﻗﻮت ﻳﻮم واﺣﺪ ﻣﻦ اﻟﺤﻨﻄﺔ ﻣﺜﻼ‪ ,‬ﻓﻼ‬
‫ﻳﺤﺼﻞ إﻻ ﺑﻌﻼج آﺜﻴﺮ ﻣﻦ اﻟﻄﺤﻦ واﻟﻌﺠﻦ واﻟﻄﺒﺦ‪ .‬وﺁﻻت‪ ,‬وﻻ ﺗﺘﻢ إﻻ ﺑﺼﻨﺎﻋﺎت ﻣﺘﻌﺪدة‪ ,‬ﻣﻦ ﺣﺪاد‬
‫وﻧﺠﺎر و ﻓﺎﺧﻮري ‪ .‬وﻳﺴﺘﺤﻴﻞ أن ﺗﻔﻲ ﺑﺬﻟﻚ أو ﺑﺒﻌﻀﻪ ﻗﺪرة اﻟﻮاﺣﺪ‪ ,‬ﻓﻼﺑﺪ ﻣﻦ اﺟﺘﻤﺎع اﻟﻘﺪر اﻟﻜﺜﻴﺮ ﻣﻦ‬
‫أﺑﻨﺎء ﺟﻨﺴﻪ‬
‫وآﻞ ﻋﻤﻞ ﻣﻦ هﺬﻩ اﻷﻋﻤﺎل اﻟﺜﻼﺛﺔ ﻳﺤﺘﺎج إﻟﻰ ﻣﻮاﻋﻴﻦ و ﺁﻻت‪ ,‬و ﺗﺘﻢ إﻻﺑﺼﻨﺎﻋﺎت ﻣﺘﻌﺪدة‪ ,‬ﻣﻦ ﺣﺪّاد و‬
‫ﻧﺠّﺎر و ﻓﺎﺧﻮري‪ .‬و ﻳﺴﺘﺤﻴﻞ أن ﺗﻔﻲ ﺑﺬﻟﻚ أو ﺑﺒﻌﻀﻪ ﻗﺪرة اﻟﻮاﺣﺪ‪ ,‬ﻓﻼ ﺑ ّﺪ ﻣﻦ اﺟﺘﻤﺎع اﻟﻘﺪر اﻟﻜﺜﻴﺮ ﻣﻦ أﺑﻨﺎء‬
‫ﺟﻨﺴﻪ ﻟﻴﺤﺼﻞ اﻟﻘﻮت ﻟﻪ و ﻟﻬﻢ‪.‬‬
‫وآﺬﻟﻚ ﻳﺤﺘﺎج آﻞ واﺣﺪ ﻣﻨﻬﻢ ﻓﻲ اﻟﺪﻓﺎع ﻋﻦ ﻧﻔﺴﻪ إﻟﻰ اﻻﺳﺘﻌﺎﻧﺔ ﺑﺄﺑﻨﺎء ﺟﻨﺴﻪ ﻷن اﷲ‬
‫– ﺳﺒﺤﺎﻧﻪ‪ -‬ﻟﻤﺎ رآﺐ اﻟﻄﺒﺎع ﻓﻲ اﻟﺤﻴﻮاﻧﺎت آﻠﻬﺎ‪ ,‬وﻗﺴﻢ اﻟﻘﺪر ﺑﻴﻨﻬﺎ‪ ,‬وﺟﻌﻞ ﺣﻈﻮظ آﺜﻴﺮ ﻣﻦ اﻟﺤﻴﻮاﻧﺎت‬
‫اﻟﻌﺠﻢ ﻣﻦ اﻟﻘﺪرة اآﻤﻞ ﻣﻦ ﺣﻆ اﻹﻧﺴﺎن‪.‬و ﺟﻌﻞ ﻟﻺﻧﺴﺎن ﻋﻮﺿﺎ ﻣﻦ ذﻟﻚ آﻠﻪ اﻟﻔﻜﺮ و اﻟﻴﺪ‪.‬‬
‫ﻓﺎﻟﻮاﺣﺪ ﻣﻦ اﻟﺒﺸﺮ ﻻ ﺗﻘﺎوم ﻗﺪرﺗﻪ ﻗﺪرة واﺣﺪ ﻣﻦ اﻟﺤﻴﻮاﻧﺎت اﻟﻌﺠﻢ وﻻ ﺳﻴﻤﺎ اﻟﻤﻔﺘﺮﺳﺔ‪,‬وﻻ ﺗﻔﻲ ﻗﺪرﺗﻪ‬
‫أﻳﻀﺎ ﺑﺎﺳﺘﻌﻤﺎل اﻵﻻت اﻟﻤﻌﺪة ﻟﻬﺎ‪.‬ﻓﻼ ﺑﺪ ﻓﻲ ذﻟﻚ آﻠﻪ اﻟﺘﻌﺎون ﻋﻠﻴﻪ ﺑﺄﺑﻨﺎء ﺟﻨﺴﻪ‪,‬وﻣﺎ ﻟﻢ ﻳﻜﻦ هﺬا اﻟﺘﻌﺎون‬
‫ﻓﻼ ﻳﺤﺼﻞ ﻟﻪ ﻗﻮت وﻻ ﻏﺬاء‪.‬ﻓﺈذا هﺬا اﻻﺟﺘﻤﺎع ﺿﺮوري ﻟﻠﻨﻮع اﻹﻧﺴﺎﻧﻲ‪,‬وإﻻ ﻟﻢ ﻳﻜﻤﻞ وﺟﻮدهﻢ‪,‬وﻣﺎ‬
‫أرادﻩ اﷲ ﻣﻦ اﻋﺘﻤﺎر اﻟﻌﺎﻟﻢ ﺑﻬﻢ و اﺳﺘﺨﻼﻓﻪ إﻳﺎهﻢ‪.‬وهﺬا هﻮ ﻣﻌﻨﻰ اﻟﻌﻤﺮان‪.‬‬
‫‪50‬‬
‫اﺑﻦ ﺧﻠﺪون‬
Ibn Khaldûn
Prolégomènes
Que la vie en société est une nécessité pour l’homme
« Que la vie en société est une nécessité, c’est ce que les philosophes expriment en
disant : l’homme est naturellement un être politique. C’est-à-dire que la société, qu’ils
appellent Cité au sens de civilisation, est nécessaire. La preuve, c’est que Dieu –sur
Lui la gloire et la louange- a créé l’homme de façon telle qu’il ne puisse vivre et
subsister sans nourriture, qu’Il l’a conduit à se procurer celle-ci au moyen de sa
disposition naturelle et de la capacité qu’Il a mise en lui à cette fin. Mais la capacité
d’un seul homme est insuffisante à subvenir à son besoin de nourriture, impuissante à
produire la matière de son existence. Si nous ne supposons que le strict minimum,
c’est-à-dire la nourriture d’un seul jour, soit du froment à titre d’exemple, l’homme ne
l’obtiendra qu’en s’appliquant à broyer, à pétrir et à cuire, et chacune de ces trois
besognes nécessite des outils et instruments qui ne viennent que par le concours de
plusieurs artisans : le forgeron, le menuisier et le potier. Et il est impossible à un seul
homme d’accomplir toutes ces tâches, ou même certaines d’entre elles. Il est donc
nécessaire qu’il unisse ses efforts à ceux des autres hommes pour subvenir à ses
besoins et aux leurs.
De même, chacun d’eux a besoin pour se défendre de compter sur les autres
membres de sa communauté. Car Dieu –gloire à Lui-, lorsqu’Il a disposé la nature de
tous les animaux et a partagé les capacités entre eux, a accordé à nombre d’animaux
sauvages plus de chance qu’à l’homme, en ce qui concerne les capacités. A la place de
tout cela, Il a donné à l’homme la pensée et la main.
Un seul homme, en effet, ne peut pas affronter par sa seule capacité un animal
sauvage, surtout si c’est un prédateur, et est également incapable d’utiliser les
instruments disposés à sa défense. Pour tout cela, il est nécessaire qu’il collabore avec
les autres humains, collaboration sans laquelle il ne pourrait même pas se procurer son
pain quotidien. Un tel regroupement est donc nécessaire au genre humain. Sans la
société, l’existence des hommes resterait incomplète, Dieu n’aurait pas voulu qu’ils
peuplent le monde et s’acquittent de Sa lieutenance. Tel est le sens de la civilisation. »
Traduction effectuée avec Omar Bafakih, élève de TS (2006-2007)
51
Table des matières
‫ﻓﻬﺮﺳﺖ اﻟﻤﺤﺘﻮﻳﺎت‬
Al-Kindî…………...............................…p 5.....................………..……..‫اﻟﻜﻨﺪي‬
Al-Râzî………….................................…p 9.............................................‫اﻟﺮازي‬
Al-Fârâbî……….................................….p 19................................….…‫اﻟﻔﺎراﺑﻲ‬
Ibn Sînâ dit Avicenne…….................…p 27.....................................…‫ﺳﻴﻨﺎ‬
‫اﺑﻦ‬
Al-Ghazâlî……….…….......... ................p 33........……........…………‫اﻟﻐﺰاﻟﻲ‬
Ibn Tufayl……………………................p 39...............……...………‫ﻃﻔﻴﻞ‬
‫اﺑﻦ‬
Ibn Arabî……………..………................p 43..............................……‫ﻋﺮﺑﻲ‬
‫اﺑﻦ‬
Ibn Khaldûn….....…………................…p 49............................……‫ﺧﻠﺪون‬
‫اﺑﻦ‬
52
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