Aux interprètes aventureux, les contemporains donnent

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attentif : un critère qu'on ne peut négliger.
Je n'en dirai pas autant du public tout
aussi jeune qui, le soir de la première de
« Tambours dans la nuit », ne réagissait
qu'aux trouvailles les plus contestables du
metteur en scène, Robert Gironès, prouvant ainsi qu'il ne pouvait pas comprendre
la pièce telle qu'elle était représentée.
Brecht est un auteur contemporain. A la
différence de classiques plus lointains, dont
on ne sait comment ils étaient joués de
leur vivant, nous savons parfaitement ce
qu'il a voulu dire, même quand il s'agit
de ses premières œuvres, en contradiction
avec celles qui ont suivi, au point qu'à
la fin de sa vie il n'aimait guère les voir
représentées.
Woyzecie et Rimbaud
MICHÈLE OPPENOT EN PHÈDRE
Dans une Grèce pré homérique
Aux interprètes aventureux,
les contemporains donnent plus de fil à
retordre que les classiques
PHEDRE
de Racine
Petit-Odéon.
TAMBOURS DANS LA NUIT
de Bortolt Brecht
Théâtre mécanique.
En Mai 68, ce qui n'était guère le
moment, Michel Hermon avait
monté à l'Epée-de-Bois un « Britannicus » qui était la première mise en
scène vraiment moderne de Racine. Visiblement inspiré par les exemples encore
tout proches du Living Theater et de Grotowski, il avait montré la violence racinienne non plus en s'en tenant aux vers
(que ses comédiens disaient d'ailleurs fort
bien) mais en rendant visibles les intentions
les plus secrètes du plus cruel des poètes
de théâtre.
Avec « Phèdre », il renoue avec des
procédés découverts voilà six ans. Entretemps, la mise en scène a beaucoup évolué.
Nous n'en sommes plus à une audace près.
Le viol des textes est chose courante et il
est difficile d'y renoncer. Mais si nous
sommes plus troublés par cette représentation que par celle 'de « Britannicus »,
c'est que « Phèdre » est l'ceuvre la plus
connue de Racine et celle qui, pour des
raisons sans doute plus culturelles que
psychanalytiques, provoque en nous le plus
de réactions.
On a beau être blasé, c'est tout de
même un choc de voir Phèdre, jouée par
Michèle Oppenot, magnifique tragédienne,
arriver sur scène avec le crâne complètement rasé, en signe, j'imagine, de culpabilité, à moins que ce soit référence à certaines coutumes primitives qui voudraient
que les femmes veuves ou en l'absence de
CD
leur mari sacrifient leur chevelure. Cette
image obsédante, en faisant de la fille de
Minos et de Pasiphaé un objet de répulsion, ce qu'elle est effectivement dans la
tragédie où tout le monde, sauf CEnone,
la repousse, indique assez que Michel
Hermon s'est surtout référé à Euripide et
à Sénèque — dont il aurait pu aussi bien
monter le superbe « Hippolyte » qu'aimait
tant Artaud.
Les hommes nus qui luttent pendant
qu'ils déclament les plus beaux alexandrins
de la poésie française, la confidente CEnone,
jouée à la fois par un homme et une
femme, que relie la même jupe à traîne,
les reptations de tous les protagonistes qui
imitent tantôt l'acte amoureux et tantôt
les affres de l'accouchement — tout nous
rappelle que l'action se situe dans une
Grèce préhomérique et non à Versailles
où, il est vrai, le scandale de « Phèdre »
a contraint Racine à un silence de dix ans.
Tenu de bout en bout
On peut ergoter. Dire que si « Phèdre
est une œuvre scandaleuse par les images
qu'elle évoque
« Vénus tout entière à
sa proie attachée » n'a rien de litotique
cette violence se situe au niveau du langage et non pas des gestes... Reste que le
parti pris de Michel Hermon, si excessif
soit-il, est tenu de bout en bout, qu'il obtient
de ses comédiens tout ce qu'il leur a
demandé et que le texte de Racine n'est
jamais sacrifié même si, par coquetterie,
les acteurs atténuent parfois les vers les
plus célèbres. Reste aussi que, comme pour
les deux autres spectacles raciniens donnés
au Petit-Odéon, « Phèdre »•est suivi
par un jeune public extraordinairement
—
•
« Tambours dans la nuit », écrit en
1920, se passe pendant là révolution spartakiste, qui avait éclaté l'année précédente,
et veut montrer l'abjection de la bourgeoisie allemande face à cette révolte que ses
mandants ont réduite dans le sang. Ces
repus veulent aussi oublier ceux qui ont
fait la guerre et ceux qui ont eu la sottise
de se faire faire prisonnier. Là où les
choses se compliquent, c'est lorsqu'un de
ces prisonniers, le soldat Kragler, curieux
mélange de Woyzeck et de Rimbaud, revient d'Afrique et, bien que la femme qu'il
aimait soit fiancée à un autre homme dont
elle est enceinte, refuse, lui aussi, de participer à la révolution.
Brecht, qui avait été plus ou moins spartakiste l'année précédente, est-il pour ou
contre cette passivité ? Contre, répondra-t-il
plus tard : le soldat Kragler, malgré sa
misère, n'est qu'un petit-bourgeois comme
les autres... Mais il est permis de s'interroger là-dessus : Brecht ne pensait-il pas, à
cette époque, que toute révolution était
impossible et qu'il valait mieux choisir,
comme le fait son soldat, de faire l'amour,
fût-ce avec une fille qui l'avait trahi ? Un
metteur en scène d'aujourd'hui, ou bien
doit choisir entre ces deux interprétations,
ou bien être assez clair pour que le public
choisisse — ce qui est la véritable attitude
brechtienne.
Rien de tout cela ne se retrouve dans
la mise en scène du Théâtre mécanique.
Robert Gironès et son inévitable « dramaturge » ont préféré reconstituer tant bien
que mal un climat expressionniste — avec
lequel Brecht avait rompu — accompagné
de toute une gamme de musiques allant de
Wagner à un anachronique « Lily Marlène »... Sauf Brigitte Roiian, dans le rôle
de la fiancée hébétée, les comédiens n'arrivent même pas à se glisser dans la peau
de ces personnages caricaturaux, auxquels
Brecht avait pris soin de donner l'épaisseur
de la vie.
C'est dommage, car la pièce est admirable et de la même veine que « la Noce
chez les petits-bourgeois », si bien donnée
cet automne par Vincent et Jourdheuil.
Quant à la représentation du climat révolutionnaire allemand de ces années-là, attendez de voir — vers le 20 avril, à l'Odéon —
le « Toller » monté par Patrice Chéreau.
Vous verrez comment il peut être reconstitué par un vrai metteur en scène.
GUY DUMUR
Le Nouvel Observateur
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