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HISTOIRE DES IDÉES POLITIQUES
De Platon à Rousseau
@ L'HARMAITAN,
5-7,
me de l'École-Polytechnique;
2009
75005
http://www.librairieharmattan.com
[email protected]
harmattan [email protected]
ISBN: 978-2-296-09161-0
EAN: 9782296091610
Paris
Antoine NGUIDJOL
HISTOIRE DES IDÉES POLITIQUES
De Platon à Rousseau
L'HARMATTAN
COLLECTION « PENSÉE AFRICAINE»
dirigéepar François Manga-Akoa
En ce début du XXIe siècle, les sociétés africaines sont secouées
par une crise des fondements. Elle met en cause tous les secteurs de la
vie. Les structures économiques, les institutions politiques tels que les
Etats et les partis politiques, la cellule fondamentale de la société
qu'est la famille, les valeurs et les normes socioculturelles
s'effondrent. La crise qui les traverse les met en cause et au défi de
rendre compte de leur raison d'être aujourd'hui.
L'histoire des civilisations nous fait constater que c'est en période
de crise que les peuples donnent et expriment le meilleur d'euxmêmes afin de contrer la disparition, la mort et le néant qui les
menacent. Pour relever ce défi dont l'enjeu est la vie et la nécessité
d'ouvrir de nouveaux horizons aux peuples africains, la Collection
«PENSEE AFRICAINE» participe à la quête et à la création du
sens pour fonder de nouveaux espaces institutionnels de vie africaine.
I. LES IDEES POLITIQUES DANS LA GRECE
ANTIQUE
La fonnation
de la cité
Une forme originale de la politique se constitue au VIème
siècle avant J.-c. dans un contexte où les royautés de type
féodal exercent une autorité politique, religieuse et
économique sur un peuple d'agriculteurs, d'artisans et de
pêcheurs.
Durant toute cette période, des conflits incessants vont
déchirer d'une part les grandes familles entre elles et, d'autre
part, celles-ci et les populations des campagnes. Pour y
mettre un terme, les parties conviennent de demander à une
personnalité connue pour sa sagesse et son désintéressement
d'établir les règles du jeu social. De là naîtront les
"législateurs" dont Dracon et Solon seront les figures
emblématiques.
Les législateurs grecs n'ont pas tant voulu instituer une
constitution
qu'énoncer
des principes
fondamentaux,
souvent connus de tous, qui précisent cependant la stricte
participation
de chacun à la gestion de la ville, les instances
auxquelles reviennent
les décisions, l'arbitrage des conflits
privés et la punition des crimes et des délits.
Aux règles coutumières
variées et parfois arbitraires
substituent des textes clairs et publics: ce sont les lois.
se
La notion de loi est très importante pour l'homme
Elle est la marque de la civilisation, la preuve, s'il en
que désormais l'individu peut vivre sous le régime
raison, comme les dieux, et bénéficier par conséquent
même sagesse et de la même félicité.
L'agonie
de Paristocratie
grec.
était,
de la
de la
athénienne
La disparition de l'aristocratie
athénienne
s'amorce dès
l'époque classique du fait de l'accroissement
de la population
des villes et, par extension, de la concurrence
des métèques
enrichis par le commerce et l'artisanat. L'ascension politique
de ces derniers doit aussi, dans une certaine mesure, à la
rivalité acharnée que se livrent les Eupatridesl, ce qui pousse
certains d'entre eux à solliciter l'appui des classes inférieures
et à contribuer
indirectement
à leur prise de conscience
politique.
C'est donc:
« au cours du VIèrnc siècle que
disparaissent,
dans un grand nombre de cités grecques les
vieilles constitutions
fondées sur le régime aristocratique
et
le principe de la solidarité familiale, et que triomphe une
législation nouvelle mieux adaptée à la situation de fait. Cette
évolution
[...] a eu pour principale
étape une forme de
gouvernement
originale: c'est la tyrannie.» Gean Hetzfeld,
Histoire de la Grèce antique, Payot, Paris, 2002, p. 113)
Etrange modernité que l'instauration
de la tyrannie si l'on
se fie au sens que nous lui accordons aujourd'hui2.
Historiquement
VIèmc siècle
avant
donc,
J.-c.
la tyrannie
une
expérience
est dans la Grèce
politique
du
nouvelle.
Elle n'implique,
au début, aucune idée de domination
oppressive
et arbitraire. Le mot tyrannie fait simplement
référence au pouvoir d'un seul homme découlant non de
1
Les Eupatrides représentent les populations autochtones, les « bien nés », et,
par extension, les nobles Athéniens.
2
C'est que l'on confond généralement la tyrannie classique avec le
despotisme. Mais les mots ont une histoire qui les éclaire et à laquelle il est
souvent utile de se référer.
8
l'hérédité ou du droit divin, mais du prestige personnel,
conjugué avec la faveur du petit peuple et le soutien d'une
force militaire efficace.
Paradoxalement, si la tyrannie a un ennemi au début, ce
n'est pas le peuple, mais les grandes familles qui
monopolisent le pouvoir politique et économique. En effet,
la plupart des tyrans doivent leur pouvoir à l'assentiment du
petit peuple, c'est-à-dire à la majorité. On comprend dès lors
pourquoi à cette époque la tyrannie et l'égalité formelle ne
sont pas des notions antinomiques.
A titre d'exemple, Pisistrate est le premier tyran
d'Athènes. Pourtant il accède au pouvoir en s'opposant au
parti aristocratique et en s'appuyant sur le petit peuple à qui
il donne des droits politiques et de nouvelles opportunités
économiques grâce à une réforme agraire ambitieuse et à
l'instauration d'une caisse de crédit agricole.
Ceci n'est guère étonnant car Pisistrate fut, avant son
accession au pouvoir, le chef de fIle des Diacriens ; un parti
essentiellement composé d'ouvriers agricoles auxquels se
joignirent peu à peu de nombreux mécontents,
des
créanciers lésés par la législation de Solon et parfois des
citoyens d'origine douteuse3.
La situation fut exactement la même dans les colonies
grecques du sud de l'Italie où la plupart des dirigeants étaient
à la fois des tyrans mais aussi d'ardents défenseurs de la
constitution démocratique. Même le très décrié Denys 1er
(voir Platon, Lettre VII), qui régna sur Syracuse pendant
trente huit ans, fut aussi un ardent défenseur de la paix, de la
stabilité régionale, des institutions et du peuple: «Ennemi
des riches, il confIsque leurs biens et libère les esclaves.
[Même si] ce geste doit être interprété [...] comme un moyen
de s'assurer une majorité à l'Assemblée en créant de
3
A une époque où la citoyenneté n'était pas accessible à tous et où le nombre
des citoyens était largement inférieur à celui des métèques et des esclaves.
9
«nouveaux citoyens », ou de constituer
une masse de
manœuvre en cas de danger. [...]. Denys 1er est donc un tyran
« populaire », dans la mesure où il ne porte aucun titre précis
(d'ailleurs les monnaies qu'il bat ne portent ni son nom ni
son effigie), continue de convoquer
l'Assemblée
et laisse
subsister les Magistratures.»
(Luc Brisson, Platon Lettres,
introduction,
p. 44)
Ainsi donc, «Les tyrans du Vlème siècle, même lorsqu'ils
appartiennent
à des familles aristocratiques,
sont en principe
les défenseurs des droits du peuple; c'est le peuple qui leur
confère au début les pouvoirs extraordinaires
[...]. Plusieurs
d'entre
eux créent
ou maintiennent
des constitutions
démocratiques,
[...] assurent Ue] développement
économique
embellissement
[de
la
cité].
La
tyrannie à
et contribuent à U']
ses débuts est pour les cités grecques une époque de
prospérité et de splendeur [...]. Aussi ne faut-il pas s'étonner
de rencontrer cette forme de gouvernement
dans les pays où
l'hellénisme est le plus entreprenant
et ami des nouveautés.
En Asie Mineure, dès le début du Vlème siècle, Thrasybule
est tyran de Milet, Pythagoras
celui d'Ephèse,
Pittacos à
Mitylène, Polycrate à Samos... » Oean Hetzfeld, op. cit.)
Pisistrate, le tyran, le stratège
grandeur d~thènes
et le fondateur
de la
Pisistrate, né vers -600, 1cr tyran athénien et réformateur ;
il peut être considéré comme ayant assuré les bases militaires
et fmancières de l'impérialisme
athénien. «Précurseur
des
stratèges du Vèmc siècle, il eut le mérite de comprendre
que
l'avenir de sa patrie était sur la mer. [...]. Il est probable que
ce fut Pisistrate qui assura à la marine athénienne la libre
navigation du golfe saronique, en s'emparant [...] de l'île de
Salamine. ». (Ibid. p.126)
Salamine qui, dans la mémoire des Athéniens restera le
lieu mythique où la démocratie triompha défmitivement
de
l'oppression.
10
Par son œuvre politique intérieure, Pisistrate prépara
l'arrivée de la démocratie en mettant définitivement fin à la
domination politique de l'aristocratie, et en assurant la
domination militaire et commerciale d'Athènes en mer Egée.
C'est lui qui pérennisa l'approvisionnement vital d'Athènes
en blé4, une assurance qui permit longtemps à celle-ci de
résister efficacement à de nombreuses tentatives de siège.
«Pisistrate [...] comprit l'importance du ravitaillement en
blé pour une cité qui grandissait sur un sol peu fertile, et où
une portion sans cesse croissante de la population se tournait
vers le commerce, l'industrie et la marine: c'est pourquoi il
voulut lui assurer la libre communication avec les terres à blé
de la mer noire par des établissements5 aux Dardanelles. »
(Ibid. p.127)
A l'actif de Pisistrate aussi le contrôle du commerce en
mer Egée, de l'important centre commercial et religieux de
4
Sur le caractère vital du commercedu blé pour Athènes, il faut noter que la
consommation du blé tenait une place essentielle dans l'alimentation des
Athéniens. Depuis toujours, la production de blé n'ajamais suffi à couvrir les
besoins de la ville, même si cette dernière possédait deux plaines fertiles, celle
du Pédion et celle d'Eleusis où Déméter est supposé avoir révélé les mystères
de l'agriculture aux hommes. L'agriculture athénienne marquée par la trilogie
blé - olivier vigne a toujours accusé un déficit en matière de production
céréalière. D'où l'urgence de maintenir un ravitaillement extérieur: de Béotie,
d'Italie du sud ou des rives du Pont Euxin, compte tenu des conditions
géographiques particulières marquées par la prédominance de montagnes et de
rochers.
5 Le tenne « établissements» athéniens renvoie aux clérouquies. Une
clérouquie, c'était un groupement de citoyens, à qui l'on confiait un morceau
de territoire, le klèros, confisqué à une cité étrangère pour sa mise en valeur.
La clérouquie se distinguait de la colonie du fait qu'elle était juridiquement un
prolongement de la cité d'origine en territoire étranger. C'était comme une
sorte de garnison athénienne pennanente. Quant à la colonie sa différence
essentielle avec la clérouquie portait sur le fait que la première était d'office
autonome. La colonie était avant tout une cité à part entière qui pouvait
cependant garder des liens politiques et culturels avec la cité d'origine. Mais
ce n'était absolument pas indispensable comme le montrent les cas
d'Epidamme, de Corcyre et de Corinthe qui, nonobstant le fait d'être les
colonies des uns et des autres, furent de redoutables rivaux et les principaux
facteurs déclencheurs de la guerre du Péloponnèse.
-
11
Délos,
l'acquisition
de colonies
dans
les Cyclades,
l'installation
de son ami Lygdamis comme tyran de Naxos.
Sur le plan intérieur, Pisistrate est l'instigateur d'une vaste
réforme politique et sociale qui prolonge l'œuvre de Solon,
notamment
avec la création de tribunaux
ambulants.
Il
s'attaque aux privilèges des riches, résout la question agraire,
favorise l'industrie et le commerce maritime: «A l'intérieur,
Pisistrate
[...] se contenta
d'une réforme
électorale qui,
supprimant
le tirage au sort dans la désignation
des
archontes6, lui assura chaque année dans ce collège des
places pour lui et ses parents et amis; cette situation lui
permit de prendre des mesures destinées à consolider la paix
civile et à favoriser la prospérité
de l'Attique. Il avait le
sentiment très juste qu'une classe paysanne contente de son
sort était, dans un pays encore foncièrement
agricole, la
meilleure
des garanties
contre
les révolutions.
Deux
créations habiles furent destinées à la satisfaire: d'abord celle
d'une sorte de caisse de crédit agricole, avançant aux petits
propriétaires
les fonds nécessaires pour [...] améliorer leur
matériel; ensuite, l'institution de tribunaux ambulants, pour
éviter aux paysans ces voyages à la ville qui, dans aucun pays,
ne rendent la justice aimable aux cultivateurs. » (Ibid.)
Enftn, Pisistrate réforma l'armée et dota Athènes d'une
flotte puissante grâce aux subsides tirées de l'exploitation des
mines d'or du Pangée et du Laurion. A sa mort en -527, il
légua à son fùs Hippias une Athènes puissante et prospère
6
Le terme archonte sert à désigner l'un des magistrats de la cité et renvoie à la
hiérarchie politique ancienne dont les pouvoirs furent fortement diminués
après la réforme de Clisthène. Il y avait trois archontes dans une cité et cette
division correspondait aux trois pouvoirs de l'époque: l'archonte éponyme
était le vrai chef de la cité; le fait que l'année au cours de laquelle il exerçait
le pouvoir portait son nom était une symbolique très forte; l'archonte-roi
présidait le tribunal de l'aréopage et présidait les fêtes religieuses; et
l'archonte polémarque qui était le commandant de l'armée. Le pouvoir de ce
dernier allait connaître une restriction sensible au bénéfice des stratèges, dont
Périclès.
12
qui plus est à la tête d'une fédération puissante, la ligue de
Délos.
La mort de Pisistrate
en Attique
et Je début de Pagitation politique
Les fils de Pisistrate se partagèrent le pouvoir à la mort de
ce demier. Le pouvoir politique et l'administration revinrent
à Hippias, le pouvoir religieux, les beaux-arts et la littérature
à son cadet Hipparque. La prospérité et la stabilité politique
instaurées par Pisistrate durèrent jusqu'à la conspiration
d'Harmodios et d'Aristogiton:
«Par suite d'une fausse
manœuvre, ce fut l'inoffensif Hipparque qui fut assassiné;
Hippias, le véritable détenteur du pouvoir survécut. Comme
on peut penser, le danger lui aigrit le caractère; il devint un
despote violent et soupçonneux [...]. Les Alcméonides,
expulsés depuis l'affaire de Cylon, sentirent que le moment
était venu de rentrer à Athènes. » cr. Hetzfeld, op. cit.)
Une première tentative de pénétrer en Attique échoua, ce
qui contraignit les Alcméonides à faire appel à Sparte. «Les
trente années qui suivirent sont remplies de luttes: les
Eupatrides essayent de défendre leurs anciens privilèges [...]
tandis que les petites gens, journaliers des campagnes et
ouvriers de la ville, de plus en plus nombreux et de plus en
plus remuants, tentent de prendre part au gouvernement de
la cité? En - 560, trois partis étaient en présence: celui des
nobles, recrutés parmi les propriétaires
de la plaine
athénienne (pédiens) ; celui du juste milieu composé surtout
de bourgeois aisés et de commerçants, en particulier ceux
qui habitent les petits ports (paraliens); enftn celui des
démocrates, où ftguraient surtout les pâtres, et ouvriers
agricoles employés dans les grands domaines (Diacria) [...]
mais auxquels se joignit bientôt toute une population de
7
L'histoire de l'Hellade ne fut jamais homogène. Tout en tenant compte de
quelques modifications de surface, elle était encore celle qu'Hésiode avait
décrit deux siècles plus tôt: une tension extrême entre la ville et la campagne;
entre l'aristocratie et les masses paysannes.
13
mécontents,
créanciers lésés par la législation de Solon,
citoyens d'origine douteuse. Chacune de ces factions était
[...] dirigée par un Aristocrate;
les Pédiens avaient pour chef
Lycurgue;
les Paraliens, Mégalès de la grande famille des
Alcméonides;
les Diacriens Pisistrate. » (Ibid. p. 124-125)
La chute
d'Hippias
et Pavènement
Clisthène, réformateur
-570, accède au pouvoir
ses alliés Spartiates.
de Clisthène
et homme politique athénien né en
après qu'Hippias
ait été lâché par
De retour de Delphes où il s'était exilé après la brouille
avec Hippias, Clisthène affronta Isagoras que les Spartiates
venaient de porter au pouvoir en remplacement
d'Hippias.
Mais ce dernier ne put s'imposer.
De plus, le parti
aristocratique était en proie à de graves dissensions internes:
« L'agitation qui, depuis l'expulsion d'Hippias, se remarquait
dans le parti aristocratique,
donna à Clisthène l'occasion de
proposer
aux
Athéniens
d'importants
changements
constitutionnels.
[...]. Clisthène remplaça les quatre vieilles
tribus ioniennes par dix tribus d'un caractère tout à fait
artificielli, qui n'étaient plus elles-mêmes des circonscriptions
locales, mais qui comprenaient
chacune trois « trittyes »,
c'est-à-dire des portions de territoire situées l'une dans la
ville ou ses faubourgs immédiats, la deuxième sur la côte, la
troisième à l'intérieur [.. .]. Dans cette organisation nouvelle,
l'esprit régionaliste qui avait amené Pisistrate au pouvoir était
condamné à disparaître;
d'autre part, perdus dans la masse
des citoyens
qu'accroissait
l'admission
dans
la cité
8
Le synoecismeest cette technique de l'aménagement du territoire inventée
par Clisthène consistant à regrouper les «maisons», c'est-à-dire les villages
de manière à constituer des entités territoriales nouvelles composées chacune
de parties de la côte (paralia), de la ville (astu) et de la campagne (mésogéia).
Le synoecisme est donc la formation d'une seule communauté politique faite
de plusieurs bourgades qui «décident d'habiter ensemble» sans qu'il y ait
besoin d'un transfert de population. La nouvelle cité, désormais constituée
d'un seul corps civique, se dote d'une assemblée du peuple, d'un conseil
permanent et de magistratures.
14
d'étrangers,
d'affranchis
groupements,
fatnilles,
centres de conspiration
périmé, ne devaient plus
associations
paroissiales
religieux. Les dix tribus
conseil de 500 membres
Boulè). » (Ibid. p. 129-130)
et d'esclaves
[...] les anciens
phratries,
tribus
aristocratiques,
et soutiens d'un droit archaïque et
subsister que comme d'inoffensives
d'un
caractère
essentiellement
servirent de base à la création du
élus à raison de 50 par tribu (la
En somme, la réforme de -508 ruina à tout jamais
l'ancienne répartition politique reposant sur la richesse et
l'origine familiale au profit d'une nouvelle répartition
territoriale.
L'Attique était désormais composée de la ville, de la côte
et de l'intérieur, chaque partie du territoire étant à son tour
composée de dix dèmes ou cantonspar lesquels se définissait
désormais la citoyenneté athénienne. Les dèmes eux-mêmes
se réunissaient en trittyes ou districts,et ces derniers en tribus.
La réunion des tribus formait la cité.
Clisthène fut donc le premier à inaugurer la répartition
politique du territoire en cantons- districts - tribus auxquels
correspondaient des Assembléesparticulières.
La résistance
Clisthène
du parti aristocratique
aux réfonnes
de
Il est naturel que le parti aristocratique ne se soit pas
laissé dicter un nouvel ordre politique sans réagir. Et même
si Clisthène ne put instaurer une constitution radicalement
démocratique à l'image de celles qui verront le jour au Vème
siècle avant J .-c. - parce que les grandes magistratures civiles
et militaires restaient encore aux mains des quatre classes
censitaires - il n'en reste pas moins que les aristocrates
s'inquiétaient de voir leurs anciens privilèges et leur autorité
s'amenuiser. En réaction, ils fomentèrent un coup d'Etat,
aussitôt soutenu par Cléomène, l'un des rois de Sparte.
15
« Le parti aristocratique
s'inquiétait
de ces restrictions
successives apportées à son prestige et à son autorité. Il se
prépara à la résistance. Il trouva un appui assez inattendu [...]
chez l'un des rois de Sparte, Cléomène qui, à la tête d'une
petite armée, entra en Attique, s'installa sur l'Acropole
et
exigea le départ de Clisthène. » (Ibid. p.130).
Mais le coup de force échoua lamentablement.
Cléomène
fut militairement
contraint de quitter l'Acropole. Clisthène
reprit le pouvoir. Sa réforme politique put ainsi voir le jour.
Thémistocle
athénienne
et la création
de
la marine
de guerre
Thémistocle
fut le premier à comprendre
que malgré la
bravoure de ses marins et la configuration
géographique
de
ses côtes qui mettait la ville théoriquement
à l'abri des
menaces, Athènes restait toujours vulnérable du côté de la
mer.
Et bien qu'il soit né d'une famille de commerçants
sans
grande culture ni fortune, Thémistocle concentrait en lui les
qualités
essentielles
de l'homme
d'Etat.
Il possédait
notamment
le don de prévision de l'avenir et une capacité
rapide de décision et d'improvisation.
Déjà bien avant la
bataille de Marathon qui signa la première grande victoire
des Grecs sur les Perses, il avait repris les grands projets de
Pisistrate, notamment les grands travaux d'aménagement
du
port du Pirée. Lorsqu'on
découvrit en - 485 les gisements
d'argent de Maronnée, le mérite revint à Thémistocle de faire
voter par l'Assemblée
que cette manne financière
fut
intégralement
affectée à la création d'une véritable marine de
guerre. Décision qui s'avéra décisive pour Athènes lors de la
bataille de Salamine9.
9Qui libéra définitivement Athènes de toute intervention perse en Attique. La
marine de guerre athénienne eut aussi un rôle décisif dans la première partie
de la guerre du Péloponnèse.
16
Cimonl°, leader du parti impérialiste
le plus populaire d~thènes
devenu le stratège
Le jeune Cimon s'était imposé comme le leader
incontesté d'Athènes; au grand dam des protestations du
vieux Thémistocle qui n'eut de cesse d'alerter les Athéniens
sur les dangers découlant de l'approbation de la politique
expansionniste que souhaitait Cimon. Mais ce dernier auréolé de ses victoires sur les Perses sur les côtes de
Pamphylie en -468, du passé glorieux de son père Miltiade,
vainqueur de la bataille de Marathon, de sa richesse et de sa
générosité - n'avait plus aucun rival politique à sa taille.
«Thémistocle, qui essaya de s'opposer à ce courant, y perdit
son prestige; non content de se débarrasser de lui par
l'ostracisme (en -472), ses adversaires profitèrent de son
absence pour monter contre lui une accusation destinée à
réussir dans une cité où le nationalisme était exacerbé [...].
On prétendit qu'il entretenait, ainsi que Pausanias [...] des
rapports avec la cour de Suse; des racontars absurdes [...] le
représentèrent négociant secrètement avec Xerxès dès le
lendemain de Salamine. Pausanias fut mis à mort;
Thémistocle dut quitter la Grèce et se réfugier en Asie
Mineure. [...]. Son départ laissa le champ libre à ses
adversaires. » (J. Hetzfeld, op. cit. p. 185)
La politique de Cimon, dans laquelle la cupidité financière
et matérielle se conjuguait parfaitement
avec l'esprit
expansionniste, inquiéta bientôt les alliés d'Athènes. En
Thrace, les populations locales massacrèrent par dépit les
forces athéniennes envoyées pour s'approprier les richesses
minières de Maronnée. Et Thasos, en désaccord avec la
mainmise athénienne sur une région qu'elle fut la seule à
exploiter, décida en guise de protestation, de quitter la
confédération.
En réaction,
les forces athéniennes
l'assiégèrent par la mer et la contraignirent à livrer ses
10Cimon est le fils du Général athénien Miltiade, le vainqueur de Marathon.
17
vaisseaux et à lui payer un tribut. Quant à Naxos, d'alliée au
départ, les Athéniens ne tardèrent pas à en faire une sujette
devant lui payer un tribut:
« Ainsi se modifiait
peu à peu la nature
de la
confédération
athénienne.
Elle devenait un Empire dont
Athènes prenait la tête. Bien des cités durent subir le sort de
Naxos et de Thasos, les uns contre leur gré, les autres par
leur faute, trop heureuses de se libérer de toute obligation
militaire et de s'en remettre à la flotte athénienne pour la
protection de la mer Egée. » (Ibid.)
Périclès:
Phéritage
d'un empire
en crise avec ses aUiés
L'expérience
politique athénienne la plus notable
- à
laquelle de plus en plus de peuples
aspirent
encore
aujourd'hui
reste l'instauration
de la démocratie.
Expérience paradoxale en ces temps où la citoyenneté faisait
bon ménage avec l'esclavage. Quoiqu'il en soit, la qualité de
citoyen a été étendue à tous les mâles nés athéniens. Elle leur
assure ainsi l'égalité devant la loi (isonomia) et l'accès aux
magistratures.
L'assemblée
populaire
y est le pouvoir
suprême, une sorte de parlement qui prend souverainement
ses décisions, adopte les décrets, élit les magistrats chargés
du pouvoir exécutif, et désigne les membres des chambres
de justice. Tous les citoyens en sont d'office les membres
et
ont le même droit à la parole.
Cette organisation politique bien étrange pour l'époque
fonctionna si bien qu'en quelques années Athènes devint une
cité florissante dotée d'une puissance maritime qui sera à
l'origine de l'impérialisme
athénien
et, malheureusement
aussi, à celle de la décadence de la cité: "Pour comprendre le
caractère mouvementé
de cette période, il faut remonter à la
fm des guerres médiques. Après la victoire de Salamine,
Thémistocle
fut convaincu que la force d'Athènes serait à
l'avenir
essentiellement
maritime.
Athènes
fortifia
ses
enceintes (celles de la ville, celles du Pirée) et se construisit
18
une flotte considérable. Sparte et Corinthe, les deux grandes
cités dont la puissance aurait pu être comparée à celle
d'Athènes, laissèrent faire. Athènes eut vers 476l'initiative de
la création de la ligue de Délos, qui groupa les principales
cités de la mer Egée. Cette ligue fut en fait l'instrument de
l'impérialisme athénien, elle servit surtout à payer la flotte
d'Athènes, et devait contribuer à étendre et développer les
réalisations politiques et sociales de la démocratie.
Le rêve oriental de Cimon, en Egypte notamment, s'était
terminé dans un bain de sang; ce qui contraignait son
successeur Périclès à devoir réorienter la politique extérieure
d'Athènes vers la stabilisation de la confédération; car déjà
la Béotie, après avoir affronté les troupes athéniennes à
Chéronée en - 447, avait reconstitué sa propre ligue ; tandis
que Mégare et l'Eubée entraient en insurrection contre
Athènes.
Pour se donner du temps, Périclès proposa habilement
une convention de paix valable pour trente ans à Spartel1 qui
commençait
elle aussi à s'inquiéter de l'impérialisme
athénien. Par cette convention, Athènes renonçait à toute
prétention sur Mégare et sur le Péloponnèse.
LA GUERRE DU PELOPONNESE
Cette «grande» guerre12 commence
dispute territoriale entre deux voisins13.
Epidamme
demande
à
11
par une banale
dont le territoire est envahi par les Illyriens
Corcyre de l'aider à s'en débarrasser
Sparte apparaît au Vèmesiècle avant J.-C. comme une cité brillante et
puissante face aux Perses et comme la première rivale de l'Etat athénien avec
lequel eUe livrera une guerre longue de 27 ans (de -43 I à -404).
12Qui ne laisse aucunement augurer d'une conflagration générale.
13 Ce d'autant plus que Sparte fut lente à s'émouvoir de l'importance
stratégique que prenait Athènes, et notamment de sa singulière tendance à
s'immiscer dans les affaires intérieures des cités voisines.
19
militairement.
Mais Corcyre n'y prête aucune attention 14.
Désemparée,
Epidamme
se tourne
vers Corinthe
qui
s'empresse
de l'aider, trouvant là l'occasion
de protester
vigoureusement
contre la concurrence
économique
que
Corcyre lui mène dans la mer Adriatique.
Les Corinthiens
envoient
donc
une
escadre
aux
Epidammiens.
Mais la bataille qui s'engage se solde par la
victoire des Corcyréens. Pour se venger de l'humiliation, les
corinthiens
se préparent
à une attaque de plus grande
envergure. Les corcyréens apeurés se tournent alors vers
Athènes.
L'Assemblée
athénienne,
présidée par Périclès
accorde son soutien. Les corinthiens interprètent
le vote de
l'Assemblée
athénienne
comme
une
rupture
de la
convention
de paix de trente ans et sollicitent à leur tour
l'engagement militaire de Sparte à leurs côtés. Les Spartiates
hésitent, mais un autre événement vient bientôt envenimer la
situation:
« peu de temps après [...] un décret athénien
ordonne à Potidée en Chalcidique, ville de la confédération,
mais ancienne colonie corinthienne restée en rapport avec sa
métropole, de raser ses fortifications,
de donner des otages,
et de chasser les magistrats que Corinthe y envoyait chaque
année. En même temps, Athènes décidait l'envoi d'une
escadre et d'un corps de débarquement
de deux mille
hommes
[...]. Corinthe
envoyait deux mille hommes
de
secours [...]. Cette fois les hostilités étaient directes.»
Hetzfeld,
cr
histoire de la Grèce ancienne, p. 243-244)
Corinthe vole au secours de Potidée, tandis que Sparte
envahit l'Attique en -431 comme le stipule un accord secret.
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La véritable raison, raconte Hérodote, c'est que les démocrates
épidammiens avaient eu la malheureuse idée d'ostraciser les aristocrates de
leur pays. Ces derniers ayant trouvé refuge en Illyrie voisine venaient semer
de graves troubles dans leur pays d'origine, ce que les démocrates
épidammiens supportaient de moins en moins. Aussi décidèrent-ils d'en finir
en lançant une offensive militaire à laquelle ils demandèrent à Corcyre de
s'associer. Mais Corcyre refusa son aide.
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