Théâtre des Marionnettes de Genève Dossier pédagogique – saison 2009 - 2010 MON PINOCCHIO Création de la Compagnie Jean-Pierre Lescot – Les Phosphènes (F) Du 16 AVRIL AU 2 MAI 2010 Adaptation de l’œuvre de : Carlo Collodi Scénario : Didier de Calan et Jean-Pierre Lescot Texte : Didier de Calan Mise en scène, scénographie, graphisme en lumières, sculpture : Jean-Pierre Lescot Musique : Antoine Denize Assistance à la mise en scène : Colette Micoud-Terreau, Jean Massard Interprétation : Stéphane Couturier, Jean Massard, Stéphane Villière ~ 70 minutes Dès 6 ans Le spectacle 1. L’histoire Les aventures de Pinocchio ont une présence et une densité extraordinaires. Elles dépassent largement la rencontre cocasse d’un morceau de bois devenu marionnette affublée d’un long nez et de grandes oreilles. Dans cette adaptation rendue plus proche de nous, Pinocchio nous parle cœur à cœur des doutes, des épreuves et des Mon Pinocchio grandes espérances de l’enfance. Cet enfant - pantin, c’est l’enfant sauvage, qui sait encore replier la réalité qui l’attend comme un mouchoir, l’enfant perdu et recueilli, l’enfant différent, fragile et tendre. Ses aventures ont la saveur du conte et de l’initiation. L’enfant prend le risque de partir à la découverte du monde, y affronter les dangers de la tromperie. Mais aussi d’y croiser des animaux moralistes et des êtres de lumières. C’est pour cela qu’ils sont nombreux, les enfants à l’admirer, l’envier et l’aimer. Pinocchio, c’est au-delà des obstacles et des misères, un hymne à la vie. Au début, un rêve : fabriquer une marionnette qui saurait danser, faire de l’escrime et exécuter des sauts périlleux. Et puis la surprise : le pantin, à peine ébauché, commence à avoir sa propre vie. Pire, dès les premiers pas, un peu boiteux, il prend la porte et disparaît. Geppetto, son créateur, se met à sa poursuite et s’aperçoit que Pinocchio, malgré ses traits humains, n’est pas un enfant facile à éduquer ; il finit trop souvent par succomber à la tentation et par s’écarter du droit chemin. La quête du père, la présence de la mort et la peur de grandir, autant d’éléments qui donnent au texte sa dimension de récit initiatique. Celui-ci impose au héros l’abandon du foyer familial pour courir le monde, se brûler les ailes − dans le cas présent, ce sont ses pieds que Pinocchio se brûle − avant de revenir assagi chez son père prêt à entamer sa vie d’adulte. Au milieu des techniques de l’enchantement, l’histoire de Mon Pinocchio se déroule dans l’univers émotionnel d’un théâtre d’ombres et de papier. La réussite esthétique est telle que l’on songe à Fernand Léger, aux dessins animés tchèques ou au chatoiement des livres colorés de l’enfance. Des images subtilement mises en mouvement. Entre ombres projetées et colorées semblant surgir des pages mêmes du livre de la vie, l’enfant téméraire avance malgré tous les risques qui le menace : le froid, la faim, la solitude, le mensonge. Sur les ailes de la voix de Jean-Pierre Lescot, il chemine jusqu’au cœur secret de toutes choses, attiré par ses rêves dans lesquels il est parfois dépassé. Au gré de son incroyable périple, Il nous rappelle que nous sommes tous cousus des fils de l’enfance. Un spectacle en forme de lieu poétique où fleurissent des formes et des images singulières de l’existence et du sens à imprimer à toute vie. 2. « Mon Pinocchio » I l y a bien longtemps déjà que je souhaitais reprendre la belle histoire de Pinocchio, le pantin au grand cœur !... D'abord parce que pour un marionnettiste, monter Pinocchio c'est à la fois un « passage obligé », et une « pierre de touche artistique » — un peu comme jouer Hamlet ou Dom Juan quand on est un homme de théâtre. Pinocchio nous parle cœur à cœur des souffrances et des grandes espérances Pinocchio nous parle cœur à coeur de l'enfance. Cet enfant - pantin c'est des souffrances et des grandes espérances l'enfant sauvage, l'enfant perdu et recueilli, l'enfant différent, le «mauvais de l’enfance. garçon» fragile et tendre. Ses aventures sont réellement initiatiques. Pinocchio prend le risque de partir à la découverte du monde. Et c'est, pour cela que tous les enfants l'admirent, l'envient et l'aiment. Par des «chemins de traverse», Pinocchio invente sa vie. «Tout enfant a droit à une histoire glorieuse», soulignait le psychiatre et psychanalyste René Diatkine. Pourtant au départ, l'entrée dans la vie est difficile pour Pinocchio. On oublie trop que le pantin connaît d'abord le froid, la faim, la solitude. Il découvre ensuite la tromperie, l'égoïsme, la violence gratuite… Il est plein de douleurs, d'infirmités, les pieds boulés, des oreilles d'âne, un nez désobéissant... Mais Pinocchio est courageux et sa tête de bois est résistante et lui permet d’avoir «de la suite dans les idées». En fait, il n’est dépassé que par la taille de ses rêves et de son besoin de tendresse! Autant que les peines de l’enfance, le livre de Collodi raconte le mal à être adulte et parent. Geppetto et la fée mesurent «comme il est difficile d’apprivoiser un enfant blessé», de recueillir un enfant perdu. J’espère avoir réussi avec mon coscénariste Didier de Calan à conserver l’humour et le pessimisme joyeux de l’histoire de Collodi. S avoir rire «aux larmes», et «rire en larmes»… … avec Maître Cerise qui apprend «l’arithmétique aux fourmis». … avec Geppetto qui lorsqu’il a faim, «dessine sur le mur une marmite qui bout joyeusement» … avec la famille des Pinocchi : le père Pinocchio, la mère Pinocchia, les enfants Pinocchi. Tous menaient la bonne vie le plus riche d’entre eux était mendiant ! Pinocchio c’est, au-delà des obstacles et des misères, un hymne éternel à la vie. Et c’est ainsi qu’à la fin de l’histoire, l’enfant pantin saura retrouver son vieux père, et à son tour le relever, «Appuyez vous sur moi, cher petit papa, et allons y. Nous marcherons tout doucement comme des fourmis et quand nous serons fatigués, nous nous arrêterons au bord du chemin...» Jean-Pierre Lescot 3. Un Morceau de bois qui pleurait et riait comme un enfant Ecoutez cette belle histoire. Il était une fois… un roi. - Non pas un roi, il y a trop d’histoires de princes, de princesses et de rois - Alors il était une fois un villageois, qui, allant au marché avait acheté une oie. - Non pas un villageois, une oie, cette histoire, on la connaît déjà. Alors il était une fois, quoi ? Il était une fois un morceau de bois. Il avait l’air d’un bois bien ordinaire, comme le bois que l’on met dans le feu pour se chauffer l’hiver. Mais c’était un morceau de bois extraordinaire. Et voilà ce qui arriva à ce morceau de bois…. Sorti du théâtre de marionnettes ; Pinocchio imaginait déjà la joie de Geppetto quand il le verrait arriver avec un nouveau manteau, un beau chapeau, une paire de souliers et un gilet brodé. Avec les cinq pièces d’or, il achèterait plein de choses encore : un alphabet pour apprendre à lire, un cahier pour écrire, un boulier pour compter. Pinocchio pourrait même demander à des ouvriers de tout réparer dans la maison de Geppetto. Et ce serait si beau Mon Pinocchio, Didier de Calan d’après Carlo Collodi. 4. L’Enfance et la bonté A u cœur d’un théâtre d’ombres, de papier et de figurines articulées en bois, C’est ici l’amour l’histoire universelle d’un morceau de bois devenu qui sauve Pinocchio. enfant roi est connue de tous. Sous la palette du montreur d’ombres français Jean-Pierre Lescot, le récit de Collodi acquiert de nouvelles teintes. Voici un moment d’enchantement délié dans les plis d’un carrousel d’images magiques se croisant subtilement. C’est ici l’amour qui sauve Pinocchio à une époque où la destinée des enfants était souvent dramatique. Soyeuse et profonde, la voix de Lescot nous emporte sur les ailes frémissantes de ce conte initiatique ouvrant sur la réconciliation et l’affection. Au début, Geppetto est un menuisier peu prospère qui se morfond dans une misère dépassant l'imagination. Rencontre avec un porteur d’émotions. En quoi le personnage de Pinocchio est-il représentatif de l’enfance ? Jean-Pierre Lescot : À l’orée du conte, on insiste beaucoup sur le Pinocchio chenapan, méchant, ce qu’il n’est pas tant, à mon sens. Au contraire, cette figure est parfaitement naïve. Le personnage est beaucoup plus en situation de subir les cruautés du monde d’autant plus affirmées à son époque. Aujourd’hui la psychologie s’est emparée de l’enfance pour en parler. Au siècle de Collodi, nul psychologue ou pédiatre afin d’aider l’enfance dans son parcours. Parlait-on alors même d’enfance ? Ainsi des textes portent-ils le témoignage d’enfants qui dès 11-12 ans étaient déjà au travail dans des relations d’exploitation et subissant l’ensemble des violences. Si l’auteur ne nous épargne pas ces violences, il n’en est pas pour autant complaisant. Loin de choisir le genre tragique, l’écrivain recourt au merveilleux fantastique. C’est aussi une forme d’espérance en l’humanité en dévoilant ce foisonnement de la richesse dans l’imaginaire avec un fond de bonté. J’aime ces situations où au départ tout semble désespéré dans un monde qui se complet parfois dans cette désespérance. Il y a eu à cette époque des auteurs ayant réussi à mettre le doigt sur cette violence. Qu’il s’agisse d’Hector Malot avec Sans famille, Dickens dans ses romans ou Victor Hugo. Si ces auteurs ont vu l’enfance malheureuse, ils ont réussi à parler de cet état d’enfance. Soit l’enfant découvreur du monde… Dans cette affaire, Pinocchio est actant. Il a surtout envie de vivre sans à voir d’a priori sur l’école. On lui donne un alphabet et il est prêt à aller à l’école, mais surgit l’attirance d’une musique de cirque ou d’un théâtre de marionnettes. A l’instar de tout enfant, il est tiraillé entre le temps de la récréation et celui dévolu à la lecture. Et votre travail de réécriture… J.-P. L. : Lorsqu’aux côtés de Didier de Callan nous avons repris le scénario De la petite histoire qui s’échafaude, originel, un personnage nous a semblé à revoir comme ce fut le cas du travail de surgit le personnage d’entre les lignes l’acteur, réalisateur et metteur en scène et les pages, devenant marionnette. italien Carmelo Bene, celui de la fée. Dans le film de Comencini, Les Aventures de Pinocchio, la fée serait la veuve de Geppetto. Chez d’autres, elle n’existe pas du tout. Chez nous elle est une figure positive, à l’instar de la femme nourricière, généreuse et inconnue par leur courage. Elles peuvent recueillir des enfants, les adopter. Aujourd’hui, ces êtres me semblent au premier plan de la vie. Une multitude de personnes anonymes sont de véritables héroïnes ou héros au cœur même de nos sociétés. Qu’elles soient membres de MSF ou nourrices. Que cela ne soit pas la morale qui attire l’enfant au savoir, mais peut-être la séduction amoureuse. Par le ton, on peut percevoir que Pinocchio est un peu amoureux de ce personnage d’Emma. Pourquoi ce prénom ? Car j’adore la figure étendard du roman de Flaubert. C’est aussi Susana, une nourrice rencontrée dans mon enfance. Cela fait que l’on y lit sa propre histoire quand on monte un spectacle comme Pinocchio. Pinocchio est un enfant de la blessure, qui témoigne de cette préoccupation constante liée à la faim. J.-P. L. : Cette dimension ramène à la fois aux sociétés du XIXe siècle et à notre monde contemporain où près de 500 millions d’enfants ne mangent pas à leur faim chaque jour selon l’Unicef. C’est un leitmotiv de Pinocchio et dès le départ, c’est son premier cri : «J’ai faim». Et l’une des premières violences dépeintes par le spectacle. Il reste des enfants martyrs en notre siècle. Que faisons-nous de nos humanités ? Souvent elles sont mobilisées pour réduire l’être humain à un état moindre que l’animal. Nombre d’animaux domestiques ont ainsi des vies plus enviables que nombre d’humains. Dès lors la symbolique liée dans Pinocchio à la peau d’âne et à celle du tambour dit que l’homme est réduit à un matériel de consommation. Vous gardez visuellement la trace de l’écriture sur la page du livre. J.-P. L. : J’ai voulu montrer la pérégrination de l’imaginaire et sa transformation en signes. Je laisse imaginer que Collodi regardant par sa fenêtre voit déjà son héros juvénile maraudant dans la rue. Accompagné de son chat, il écrit et doucement l’histoire naît. Le personnage est littéralement envahi d’écritures. Comme le lecteur lisant livre, il construit son personnage. Une fois qu’il a imaginé le personnage, celui-ci prend corps et chair. De la petite histoire qui s’échafaude, surgit le personnage d’entre les lignes et les pages, devenant marionnette. Propos recueillis par Bertrand Tappolet 5 . Un Art de la consolation L’histoire est celle d’un banal morceau de bois sculpté par un vieux menuisier dans la solitude de son échoppe. Et voilà que, sous la main qui le travaille, une voix se fait Et voilà que, sous la main qui le travaille, une entendre et demande à vivre. Un petit pantin pointe son nez dans le monde des voix se fait entendre et demande à vivre hommes et bouleverse la vie de son auteur. En homme de théâtre, de la veine des conteurs et des poètes, Jean-Pierre Lescot joue de cette illusion depuis presque 40 ans. Dans son théâtre qui recèle des trésors (marionnettes à gaine, à tige, à fil, ombres et sortilèges…) il a créé une trentaine de spectacles : Taema, Monsieur Clément, La Sentinelle des miroirs, Cœur d’horloge, La Reine des mirages, Des images pour Vincent, Angèle. Ce dernier spectacle a été présenté au Théâtre des Marionnettes de Genève lors de la saison 2006-2007. «Son» Pinocchio dévoile un possessif qui montre sa tendresse pour le petit homme en bois imaginé par l’Italien Collodi, et qui ressemble aussi à une «profession de foi». Ce grand classique de la littérature mondiale, qui a inspiré beaucoup d’artistes, est «pour tout marionnettiste, quasiment incontournable, dit Lescot. C’est l’occasion de revenir sur les raisons de faire ce métier». Besoin d’enchantement L’origine de sa vocation, il faut la chercher en Asie dans le grand théâtre d’ombres qui le fascine par sa capacité à suspendre le temps. «J’aime rappeler le besoin d’enchantement, dit-il. Le monde Mon Pinocchio réel ne suffit pas. Nous avons besoin d’images pour entrer en résonance avec le travail d’humanité qui nous a précédés.» On retrouve cette profondeur dans le regard qu’il porte sur Pinocchio. La structure est connue, c’est celle du conte ou du roman picaresque : au lieu d’aller à l’école, un pantin part à la découverte du monde et devient, au terme d’un parcours semé d’embûches, un vrai petit garçon. L’histoire, parue en 1881 sous forme de feuilleton dans un journal italien, est tellement foisonnante que toute adaptation est forcément une relecture, voire une réactualisation. Jean-Pierre Lescot s’en empare avec l’immense talent de plasticien qu’on lui connaît et en homme attentif à relancer les questions essentielles : naître, aimer, protéger la vie… Pour lui, les aventures de Pinocchio ont «une présence et une densité qui dépassent largement la rencontre cocasse d’une poupée de bois affublée d’un long nez et de grandes oreilles. Pinocchio nous parle cœur à cœur des souffrances et des grandes espérances de l’enfance», dit-il. Il renvoie à ce qu’écrivait à la même époque Hector Malot dans Sans famille ou, quelques années plus tôt, Hugo dans Les Misérables. Mais aussi aux impasses éducatives d’aujourd’hui. Enfant-pantin, enfant différent, perdu et recueilli, en quête d’affection mais difficile à apprivoiser, sans cesse menacé par la faim, les voleurs et toutes sortes de périls : «Pinocchio, c’est la nature à l’état sauvage», dit Lescot. «Un morceau de bois certes, mais qui demande à être sculpté et comprend vite le discours de la misère, de la générosité et la nécessité d’apprendre. Seulement son entrée dans la vie est difficile, il découvre la tromperie, l’égoïsme, la violence… Et malgré cela, plein d’un grand courage, il poursuit son chemin et invente sa vie.» Renforcé par la tendresse même maladroite de son Geppetto de père et la protection d’une âme nourricière, «une de ces fées qui ont le courage du quotidien et qu’on pourrait croiser au bord du Canal Saint-Martin». Sans démagogie ni moralisme, avec Mon Pinocchio, Lescot rappelle l’importance du savoir mais aussi de l’amour pour grandir. Son art est un art de la consolation et de l’élévation. Il répare les blessures intimes et sociales et soutient que «l’humain est toujours un avènement». Francine Déverines 6 . Promenons-nous dans le bois G eppetto, l’artiste, travaille : étrangement, le bout de bois, encore noueux et épaissi par son écorce, qui avait néanmoins toujours «une petite voix grêle», est désormais muet; du moment que sa naissance commence à prendre tournure, il doit attendre que sa voix ait une bouche, et une langue. Cette naissance fabriquée de la merveilleuse marionnette est étrange: comme si son artisan savait et ne savait pas à quoi il œuvrait, de toute façon soutenu par sa familiarité avec les prodiges. Sous les Mon Pinocchio mains antiques et savantes du créateur, ce bois bizarre vit sa vie difforme, insolente, changeante; à peine achevés, ses yeux deviennent de « vilains yeux », son nez le fameux nez «impertinent», s’allonge et, raccourci, rallonge; il nous arrivera de parler ailleurs de ce nez enchanté et insidieux, ce délateur. De toute façon, sans ce nez, Pinocchio est impensable. La bouche «raille» Geppetto ; la langue se moque, les mains ravissent à Geppetto sa perruque jaune, et Pinocchio s’en coiffe, pour brocarder et railler. « Face à ce geste insolent autant que ridicule », Geppetto s’attriste. Il avait déjà été «piqué au vif » par sa muette marionnette : sa façon de le regarder, de rire ne lui plaisait guère. «Vilains yeux de bois, pourquoi me regardez-vous ?» est un défi plein d’autorité; «cesse de rire!», un interdit délicieusement parental. À la fin, il laisse couler une larme sénile… L’art de la fugue Dans son itinéraire inquiet, Pinocchio fuguera à diverses reprises : cette fois-ci, il s’agit d’une fugue particulièrement dure et soudaine, «bondissant tel un lièvre», courant «tel un barbe», bruyant tel «un poulain» échappé des mains de son maître. Animal fugitif, Pinocchio fait aussitôt l’expérience de la sauvage vitesse d’un monde de maîtres et de chasseurs. Au cours de sa fuite, le végétal Pinocchio prend les attitudes des animaux des bois sur une terre âpre et sévère, il évolue tel «un chevreau», «un levraut». La fugue est l’une des formes, des structures du solitaire Pinocchio. Giorgio Manganelli 7. Les deux visages de Pinocchio Il faut tenir Pinocchio pour un livre qu’on ne peut réduire à une seule lecture, pour un livre qu’il faut accepter avec ses contradictions, ses hésitations, ses revirements, qu’il faut considérer dans sa complexité, sans le réduire à un seul de ses aspects. Si le discours pédagogique, le discours d’éducation, est incontestablement présent, il est toujours présenté avec son contraire, et le titre que Collodi finit par choisir lorsqu’il reprend sa narration le 16 février 1882, cédant aux prières de ses «petits Mon Pinocchio lecteurs» et de la direction du Giornale per i bambini, est à prendre au sérieux : il s’agit bien d’ «aventures», et d’un personnage qui incarne cet esprit, refuse de s’en tenir au monde connu et part en courant, dès qu’il en a l’occasion, sans écouter «ceux qui en savent plus que lui». Il fait preuve de cet esprit d’aventure dès les premières pages du livre, à peine est-il ébauché par son père et s’est-il dégourdi les jambes : «il sauta dans la rue et décampa». On sait que cette première fuite sera suivie par bien d’autres ; elle est également un symbole qu’on fera bien aussi d’intégrer dans la lecture : le personnage, le livre échappent à leur créateur, à ses intentions éducatives et moralisatrices… C’est qu’il y a deux âmes dans Pinocchio, deux logiques dans le livre : celle de Pinocchio le rebelle, celle de Pinocchio le petit garçon comme il faut. C’est la présence simultanée de ces deux âmes, de ces deux logiques, qui anime le livre et lui donne son mouvement, sa structure… On est face à une spirale qui pourrait se dérouler sans fin, et que l’on pourrait formuler ainsi : aventure, échec, bonnes résolutions, nouvelle aventure, nouvel échec, nouvelles bonnes résolutions, et cela jusqu’au moment où il faudra trouver une fin qui paraît bien improbable tant que Pinocchio est ce qu’il est... Jean-Claude Zancarini, extrait de Carlo Collodi : Pinocchio, édition bilingue, Paris, Flammarion, coll. GF, 2001. 8. Pére et fils Entretien avec Jean-Pierre Lescot, metteur en scène Qu’est-ce qui vous a séduit dans l’histoire de Pinocchio ? Jean-Pierre Lescot : Le récit de Collodi nous met en face d’un pantin, qui doit devenir un enfant et un marionnettiste qui a à devenir un père. À l’origine, Pinocchio n’est pas mal élevé, mais pas élevé tout court. À mes yeux, il est l’enfant sauvage, l’enfant des bois, l’enfant de bois. Cela va amener les bons arguments qui les feront advenir l’un et l’autre père et enfant. Pinocchio demande à son père de sortir de son enferment. Car il se sent bien dans les La fée est réinterprétée en lui entrailles du cachalot, du requin ou de la donnant le rôle d’une personne baleine, selon les traductions. Au moment de sortir de la baleine, Geppetto ressent à l’écoute de la pauvreté. confusément qu’il n’a plus envie, qu’il est à bout de souffle. Et c’est son petit pantin qui l’encourage à venir reprendre vie. Voici un argument sentimental et de transmission humaniste entre générations qui m’a beaucoup séduit. C’est une histoire où tout pourrait sembler a priori désespéré. Surtout dans un monde qui s’y complait. Le XIXe siècle compte ainsi nombre d’auteurs pour mettre le doigt sur la dureté des temps. Que l’on songe à Dickens dans ses romans, dont Oliver Twist. Des écrivains qui ont vu l’enfance malheureuse, mais ont aussi cherchés à retrouver l’état d’enfance et en témoigner. La figure de l’enfant découvreur du monde rappelle que nous sommes fils d’enfance. Un adulte n’est pas que son état. Il a aussi été enfant. Pourquoi alors ne pas lui rappeler ses souvenirs, ses souffrances et ses chances de réécrire sa vie ? Ce que j’aime aussi dans Pinocchio, c’est que nous sommes confrontés à une dramaturgie de la menace et qu’en permanence le personnage se trouve à sortir de situations emplies de périls. Nous avons là une palette d’une richesse incroyable de sentiments et d’émotions. Le récit est semblable dans sa construction à celui des contes. Comment envisagez-vous la figure Pinocchio ? J.-P. L. : Ce personnage attire nécessairement tout marionnettiste qui s’interroge sur son art. L’histoire de Pinocchio est montée par beaucoup de marionnettistes, chacun cherchant sa manière propre de le voir. Ce qui m’intéresse surtout dans cette histoire, c’est le rapport entre ce petit personnage et son père, Geppetto. Au début, Geppetto, qui n’a pas eu d’enfants, ne les aime pas parce qu’ils se moquent de lui. C’est pour cela qu’il décide de fabriquer une marionnette. Au début, entre eux deux, règne l’indifférence mais peu à peu, ils découvrent la tendresse et l’amitié. Pinocchio est un enfant de la blessure, de la douleur : il se brûle, a faim, souffre. Mais il y a en lui une force vitale qui le fait rivaliser de courage, de volonté : il devient l’enfant de l’affection. Et la fée ? J.-P. L. : Sans négliger la fée bien sûr ! Mais en la réinterprétant et en lui donnant le rôle d’une personne à l’écoute de la pauvreté, de la fragilité des êtres, en n’insistant pas, comme dans le livre de Collodi, sur son aspect féerique, mais en choisissant une femme attentive aux blessures de la vie. Car cette histoire est aussi celle de la capacité de l’espérance à surmonter les menaces du désespoir. Et c’est important de l’apprendre aux enfants qui ont devant eux l’aventure de leur vie. Qu’a de particulier « votre » Pinocchio ? J.-P. L. : Il est théâtralisé, mis en scène dans un théâtre de papier et d’ombres, au cœur même des techniques de l’enchantement. Avec Didier de Calan, j’ai réécrit l’histoire et nous l’avons adaptée sans la réactualiser. Nous voulions rester en phase avec l’époque de Collodi où les enfants n’avaient pas le statut d’enfants et où dans toute l’Europe, des voix s’élevaient (Dickens, Hugo, Malo) pour dénoncer leur sort. Et cette histoire n’est pas terminée car il y a toujours des enfants qui subissent la misère et l’incohérence de nos discours d’adultes. A la différence de Collodi néanmoins chez qui c’est la morale qui guide Pinocchio, nous avons voulu que ce soit l’amour qui le sauve. Je ne veux pas donner de leçons de morale mais seulement créer un moment d’enchantement et de réconciliation. Commet l’ombre ? abordez-vous J.-P. L. : Je l’aborde dans ses composantes spatiales, physiques et ses conséquences émotionnelles. Il me semble important de prendre conscience de toutes les caractéristiques de la nature même d’une ombre. Et ce que l’on peut en tirer lorsque l’on veut fabriquer une silhouette qui va provoquer chez nous certaines préoccupations, telles la surface décorative, la lecture de la silhouette par son contour. Mon Pinocchio Propos recueillis par Bertrand Tappolet 9. Le Bois de la voix L e pantin de bois n’est pas seulement un être qui agit, mais une personne qui s’exprime par la parole et, si le boniment du montreur d’ânes et les jurons des vieux compères témoignent d’une belle emphase, de son côté la petite voix de Pinocchio, perçue au début du récit, lorsqu’elle sort magiquement du bout de bois et surprend Geppetto, s’enfle, s’exerce, se module et prend de l’assurance au fil des aventures, avant de conclure par la reconnaissance de son statut de garçon. Un héros transgressif On considérera donc Les Aventures de Pinocchio comme une sorte de Follia littéraire, sur le mode de la «Folie» musicale, c’est-à-dire comme un emballement rythmique textuel, une fantaisie de variations stylistiques à la Corelli, ou, plus dynamique encore, à la Vivaldi, sur le thème festif du garnement, à la fois marionnette et enfant… Cet «anti-héros », picaro initial, transgressant toutes les lois qui le rattachent à la société, est d’abord emporté dans une course échevelée, qui, dans un premier temps lui coupe littéralement le souffle, avec la corde au bout de laquelle on le suspend à un chêne !... Pinocchio est cet être brut et affamé, analogue à ces «primitifs» qui conversent avec les arbres, mais surgi tout droit d’une Italie en train de «se faire» (selon le mot de Cavour) au XIXe siècle, et pour l’avenir de laquelle Collodi s’est engagé et même a combattu… Comme tout héros picaresque, il a, de fait, occupé une bonne part de l’espace de la narration à répéter avec délices les péripéties de ses aventures. Survivre et croître Dans un premier temps, Collodi semble donc avoir voulu apporter une «leçon» sévère à ses lecteurs et donner l’exemple d’une perte de la vie conduisant irrémédiablement le héros insouciant et léger, privé de tout recours humain, jusqu’à la mort. Cette dilapidation du capital humain concerne autant le corps du héros que la bourse de son père et la sienne propre. Le schéma de cette première aventure peut être, en effet résumé de la manière suivante : Pinocchio, pantin aimant, mais écervelé, crée à partir d’une bûche de bois, perd ses pieds dans le feu par inadvertance et est sauvé par son «père», Geppetto, qui le répare. Mais il dilapide ensuite la fortune de celui-ci qui a vendu son veston pour lui acheter un abécédaire et l’équiper pour l’école. Epargné par Mangefeu, le maître des marionnettes qui voulait le brûler, il connaît le succès au théâtre et reçoit cinq pièces d’or, mais il est victime de deux « dilapidateurs », le Renard et le Chat qui le pendent à la branche d’un chêne dans la forêt. La corde qui le suspend à un chêne n’est bien que le signe fictionnel de la dépendance du héros de roman à son auteur, manipulateur masqué de ses personnages et «Dieu caché». Collodi, tout comme Geppetto, l’artiste en puissance, qui déclarait au début du chapitre II vouloir avec sa marionnette, «manger» son «morceau de pain» et boire son «verre de vin», a su par-là accumuler le capital symbolique d’une renommée mondiale. Un enfant trompé Se trompant sur la magie de la croissance, le pantin a cru ensuite, que les pièces d’or pouvaient germer. Collodi, joueur invétéré, ne cédait-il pas à la même illusion, lui qui fréquentait aussi le Champ des miracles» des salles de jeu ? Surtout, Pinocchio, harcelé par la faim, comme les enfants des pauvres villageois de la campagne florentine, a dû se nourrir de beaucoup d’illusions avant d’atteindre le principe de réalité et de «normalité» en cours à son époque. Les moindres de ces illusions sont ce poulet de carton et ces abricots en albâtre qui le narguent. La seconde duperie infligée dans l’initiation est la croyance de l’adolescence en l’exclusivité et la théâtralité de l’amitié : Pinocchio, reconnu par Arlequin sur le théâtre de marionnettes de Mangefeu, diable en apparence, n’a pas de Colombine pour le sauver, à l’image de son père littéraire, célibataire invétéré. Aurait-il peur des femmes, ou plutôt, en digne adepte de «l’amour», tel que Denis de Rougemont le décrit dans L’Amour et I’Occident, ne connaîtrait-il que la passion désincarnée pour une belle donna, qui n’apparaît pas dans une lumière de topaze comme la Béatrice de Dante, mais dans celle de la Fée maternelle aux cheveux bleus?... Pinocchio, harcelé par la faim, comme les enfants des pauvres villageois de la campagne florentine, a dû se nourrir de beaucoup d’illusions avant d’atteindre le principe de réalité et de «normalité» en cours à son époque. Les moindres de ces illusions sont ce poulet de carton et ces abricots en albâtre qui le narguent. La seconde duperie infligée dans l’initiation est la croyance de l’adolescence en l’exclusivité et la théâtralité de l’amitié: Pinocchio, reconnu par Arlequin sur le théâtre de marionnettes de Mangefeu, diable en apparence, n’a pas de Colombine pour le sauver, à l’image de son père littéraire, célibataire invétéré… Entre théâtre de marionnettes, cirque, maison et école, les pieds de nez de l’infatigable pantin sont autant de stimulations pour les auteurs, comme pour les illustrateurs qui le représentent ou le parodient. Lucie Emgba Mekongo 10. Carlo Collodi et la saga des Aventures de Pinocchio L'auteur de Pinocchio, récit pour l'enfance traduit dans toutes les langues, est bien Les figures mythiques des oeuvres d’art moins connu que son pantin de bois, tant il est vrai que les figures mythiques des échappent à leur créateur œuvres d'art échappent à leur créateur pour vivre leur propre vie. Né à Florence en pour vivre leur propre vie. 1826, Carlo Lorenzini, qui lutte pour le Risorgimento de la nation italienne, est invité, après avoir participé aux campagnes de libération de 1849 et 1859, à ne plus se mêler de politique et il adopte par prudence le pseudonyme de Collodi, qui est le nom du village natal de sa mère. L'unité italienne achevée, il traduit des fables de Perrault et de Mme d'Aulnoy, puis publie des histoires pour enfants (Giannettino, 1877, et Minuzzolo, 1878) dont les petits héros ne parviendront jamais à conquérir l'immortalité. Après des études au Collège degli Scopoli, l’ex-séminariste Collodi devient commis de la librairie Piatti. Mais il y a la révolution de quarante-huit, puis la guerre contre les Autrichiens : Collodi s’engage comme volontaire. De retour à Florence et gagné par les idées de liberté républicaine, il publie ses premiers articles politiques dans Le Lampion, puis des critiques littéraires dans Scaramouche. Il fait paraître Le Roman à vapeur, De Florence à Livourne — guide historico-humoristique. Parallèlement, Collodi écrit des ouvrages destinés aux enfants, Récits des fées (1875), Petit Jean (1876) et Tout Petit (1878), tous illustrés par Enrico Mazzanti. Il meurt à Florence en 1890. Parcours initiatique C'est en feuilleton que paraît entre 1881 et 1883 L'Histoire d'un pantin dans le Giornale per i bambini ; le directeur de la publication doit souvent réclamer le prochain épisode à un auteur négligent ; lorsque l'histoire tourne court sur la mort de Pinocchio pendu à une branche, les petits lecteurs protestent contre cette fin prématurée en écrivant au journal et exigent une suite : Collodi est obligé d'inventer de nouveaux rebondissements ! C'est dire que sans cette participation du public enfantin (fréquente de la part des adultes dans les feuilletons de l'époque) les mésaventures du pantin de bois ne seraient pas ce qu'elles sont. Collodi est en partie un auteur malgré lui et Pinocchio un personnage indirectement façonné par les enfants eux-mêmes. Le succès ainsi remporté incite l'auteur à publier le tout sous le titre de Les Aventures de Pinocchio (1883). Les avatars et la désinvolture de la rédaction peuvent expliquer les méandres de l'intrigue et certaines erreurs de finition (Pinocchio analphabète lisant l'inscription sur la tombe de la fée). La critique moderne, plus sensible à l'humour, considère volontiers que ces « erreurs » sont volontaires, que les redondances sont la règle d'un récit mythique et insiste au contraire sur la cohérence et la logique interne de l'imaginaire collodien jusqu'à proposer une analyse structurale fort savante de l'œuvre. Comment en effet rendre compte du succès universel de ce conte si ce n'est par l'efficacité symbolique de cette trouvaille du pantin de bois qui accède à la fin de l'histoire à la condition d'enfant ? Il s'agit d'un véritable itinéraire initiatique durant lequel le petit lecteur qui s'identifie à Pinocchio subit lui-même toute une série d'épreuves pour que soient en fin de compte reconnus aussi bien les droits que les devoirs d'un enfant. Le succès peut également s'expliquer par la manière concrète dont est posé le problème du bien et du mal dans la conscience enfantine, surtout à une époque où le souci moralisateur était la règle dans une littérature enfantine trop didactique. L'originalité de Collodi, c'est un certain réalisme des personnages et du décor paysan. Notre pantin ne rencontre point d'ogres, de sorcières et de dragons conventionnels mais un grillon, un serpent, un pêcheur, un montreur de marionnettes tels qu'un enfant toscan pouvait en rencontrer au détour du chemin. La fée, si l'on excepte ses cheveux bleus, est une simple jeune fille puis une mère que Pinocchio appelle mammina. Néanmoins, c'est un réalisme magique − correspondant à la vision enfantine − par le caractère emblématique des lieux et du bestiaire. Apologie de la liberté L'humour du récit a des aspects subversifs ; un donneur de leçon comme le grillon reçoit un Pinocchio pose le problème du bien bon coup de marteau alors que les animaux les plus sympathiques comme le mâtin ou le et du mal dans la dauphin sont ceux qui secourent Pinocchio sans aucun prêchi-prêcha. Le bon cœur du conscience enfantine. héros n'apparaît d'ailleurs qu'au terme d'une laborieuse conquête sur un égoïsme tenace ; nous sommes loin des petits garçons modèles de la littérature édifiante à la De Amicis. Le cinéaste Luigi Comencini a pris le contre-pied d'une lecture moralisante en faisant dans son adaptation de cette épopée de l'enfance une sorte d'apologie de la liberté et de la désobéissance. Pinocchio, ce n'est pas seulement un texte, mais des images. Les illustrateurs successifs sont légion. Mazzanti est l'auteur des dessins encore timides de l'édition originale. Gramsci préférait les vignettes de la deuxième édition dues à Carlo Chiostri dont les traits sont vigoureux et soignés mais qui a conservé au pantin sa physionomie première, à la luxueuse illustration du peintre florentin Attilio Mussino, fort colorée et plus aérée, mais qui a modifié la tenue de Pinocchio. Nicouline et Angoletta ont tenté de dédramatiser les épisodes les plus durs par une illustration rassurante et infidèle, de même que Walt Disney dans son dessin animé de 1940. Mosca et Jacovitti ont enfin mis Pinocchio en bandes dessinées en italien moderne et familier. La diversité des textes et des images dans les multiples traductions et adaptations n'a en rien altéré l'efficacité du mythe : tous les enfants du monde, lorsqu'ils mentent, s'inquiètent de savoir si leur nez ne s'allonge pas ! Gilbert Bosetti 11. Les Personnages principaux Geppetto J’ai imaginé de me fabriquer, de mes propres mains, un beau pantin de bois ; mais un pantin merveilleux, qui saurait danser, manier l’épée et faire le saut périlleux. Je ferai le tour du monde avec ce pantin, pour gagner mon quignon de pain et mon verre de vin ; qu’en pensez-vous ? Geppetto C’est lui qui, avec le morceau de bois mystérieux trouvé chez maître Cerise, construit la marionnette extravagante et vagabonde nommée Pinocchio, l’une des créatures les plus réussies de la mythologie enfantine. Geppetto est un homme qui tire de sa vie une grande sagesse, non pas une sagesse amère, mais une sagesse «féérique», celle qu’a su conserver à travers les péripéties de son existence un cœur ingénu et sans péché. C’est pour cela qu’il ne prend pas peur en face du « prodige » qu’il accepte comme un événement naturel. Geppetto possède des dons qui attirent et stimulent tant les enfants : la foi en leur univers, la bonté qui sait pardonner, et le ridicule qui attire les moqueries des gamins attirés par sa perruque jaune. Le cycle des aventures dans lesquelles il se trouve entraîné l’accable rarement. Geppetto c’est bien sûr le créateur de Pinocchio, mais il ne devient vraiment son père que lentement. Comme tout père il voudrait que son enfant protège ses vieux jours et vive la vie qu’il n’a pas vécue. Mais il est vite déçu et désemparé. Il sait pourtant toujours comprendre, pardonner, redonner une chance à Pinocchio et lui refaire confiance. Jean-Pierre-Lescot Pinocchio Raconte ce que tu veux, mon Grillon, chante-moi ce qu’il te plaira : moi, je sais que demain, à l’aube, je vais m’en aller d’ici, parce que si j’y reste, il m’arrivera ce qui arrive à tous les autres enfants, autrement dit on m’enverra à l’école, et il faudra que je travaille, que ça me plaise ou non ; et moi, si tu veux le savoir, je n’ai pas la moindre envie de travailler et ça m’amuse bien plus de courir après les papillons, de grimper aux arbres et de prendre les petits oiseaux dans leur nid. Pinocchio Le personnage garde toujours quelque chose d’impertinent et de fantasque même dans les situations les plus calamiteuses. On n’invoque tout au long du récit, que les secours de la patience. Patience, quand Pinocchio doit se résigner à manger des épluchures ; patience quand on lui met le collier d’un chien ; patience quand il doit renoncer à ses vêtements neufs pour envoyer ses premières économies à la Fée qu’il croit malade. Toute la vie de Pinocchio n’est constituée que par une suite de malheurs. Des assassins, des gendarmes, En fait, Pinocchio, à force de bonne volonté, a gagné le droit de devenir un petit garçon, et en rejetant sa dépouille de marionnette, il saisit la réalité et se détourne définitivement du rêve. La Fée On peut toujours attendre quelque chose des enfants qui ont bon cœur, même s’ils sont un peu fripons et accoutumés à mal faire. La Fée La fée est dans l’ouvrage de Collodi un personnage plus étrange. A la fois, elle n’est pas — ou elle ne vit plus — ce n’est pas la mère de Pinocchio mais elle est en même temps la soeur et la protectrice. Elle tient plus aisément son rôle d’adulte que Geppetto. Elle est plus exigeante, presque « dure », quand elle parle de la maladie et de la mort guettant les enfants désobéissants. C’est le personnage que j’ai choisi de transformer le plus par rapport à l’histoire originale pour réduire son coté pour moi trop moralisateur et magique. J’ai préféré lui donner l’aspect d’une de ces vieilles dames qui accueillent tous éclopés de la vie, les enfants comme les chiens battus, une pauvre et brave femme qui partage son pain sans attendre d’autre reconnaissance que le bonheur retrouve Cette mère adoptive sait aussi devenir la conseillère patiente, la nourrice des âmes. Pour moi, les vraies fées sont celles qui ont le courage simple du quotidien, l’intuition de l’équilibre entre la tendresse et l’énergie nécessaire pour sauver des fragiles comme celle de Pinocchio. J’ai donc avec mon Pinocchio réinventé une fée. Jean-Pierre-Lescot 12. Bibliographie • Carlo Collodi, Pinocchio, (illustrations de Carlo Chiostri), Paris, Gallimard, Folio Junior, 2005 • Carlo Collodi, Pinocchio, (illustrations de Sara Fanelli), Paris, Albin Michel, 2003 • Carlo Collodi, Pinocchio, (illustrations de Jean-Marc Rochette), Paris, Casterman, 2000 • Carlo Collodi, Pinocchio, (illustrations de Roberto Innocenti), Paris, Gallimard Jeunesse, 2005 • Carlo Collodi Pinocchio, édition bilingue, Paris, Flammarion, coll. GF, 2001 • Hall Lee (adaptation théâtrale par le scénariste du film Billy Elliot), Carlo Collodi, Les Aventures de Pinocchio, Paris, L’Arche, 2002 • Charles Dickens, Les Aventures d’Oliver Twist, Paris, Librairie générale française, 2005 • Victor Hugo, Les Misérables, Paris, Laffont, 1995 • Hector Malot, Sans famille, Paris, Librairie générale française, 2001 Etudes sur Pinocchio • Jean Perrot (direction), Pinocchio. Entre texte et image, Bruxelles, Presses Interuniversitaires européennes, 2003 • Jean Perrot «Les Aventures de Pinocchio : un rituel pour les écoliers du monde. Le bois, la voix, l’or, le corps», in : Pinocchio. Entre texte et image, pp. 259-269, 2003 • Niurka Règle, «Pinocchio : touchons du bois l’impertinence», in : Pinocchio. Entre texte et image, pp. 115-125, 2003 • Giorgio Manganelli, Pinocchio : un livre parallèle, Paris, C. Bourgois, 1997 Quelques transpositions et adaptations au cinéma et au théâtre • Luigi Comencini, Les Aventures de Pinocchio, 1975. (long métrage), DVD Le Pinocchio de Comencini est une magnifique, insolente, drôle, et dérangeante des leçons de sagesse. Plus étourdi que mauvais, plus malchanceux que méchant, il fourre son nez dans les mauvais coups, soucieux avant tout d'ouvrir bien grands ses yeux pétillants de malice sur le monde. • Roberto Benigni, Pinocchio, 2002 (long métrage), DVD Dans cette version cinématographique fidèle au conte de Collodi, Pinocchio gagne un joli chapeau pointu, un costume crème à fleurs rouges et collerette, et une débauche d'effets spéciaux. La scène inaugurale est réussie : un tronc d'arbre facétieux s'anime et entame une folle cavalcade dans les rues d'une petite bourgade toscane, pour s'arrêter brutalement devant une porte. La Fée Bleue (interprétée sans surprise par Nicoletta Braschi) met Pinocchio face à ses mensonges, et l'on voit ainsi le nez de Benigni s'allonger déraisonnablement face à l'actrice qui est sa femme à la ville. Incendié par la critique, le film qualifié du plus autobiographique de sa vie par le réalisateur et comédien, connut un succès public lors de sa sortie en Italie. • Walt Disney, Pinocchio, 1940 (long métrage d’animation), DVD Le Dessin animé rencontra un vif succès malgré certaines critiques telles qu'une atmosphère peu italienne et quelques déformations voire des passages supprimés par rapport à l'oeuvre de Collodi. Il ouvrit la porte à d'autres adaptations dont trente années après sa sortie au début des années 70 un feuilleton réalisé par Luigi Commencini et quelques dessins animés réalisés au Japon. Walt Disney se garde également de faire transformer complètement en âne Pinocchio contrairement à l'oeuvre originale. Geppetto de statut de pauvre menuisier dispose dans le film de Disney d'une créativité sans limite et fabrique des horloges et automates. Il est en compagnie de deux animaux : le chat Figaro et Cléo le poisson dont il ne s'en sépare jamais. • Joël Pommerat, Pinocchio, 2008 (théâtre) Le spectacle est emmené par un ventripotent bonimenteur des monstres de foire. Les aventures du pantin sont ainsi commentées sous une poursuite brumeuse, lumière de cabaret. Mais roulement de tambours, voilà le pantin au visage blanc devant le juge animal, fable malheureuse où la justice se donne dans l’extravagance cruelle. Ce conte résolument empli de bruit et de fureur semble bien se terminer. Voilà le petit Pinocchio riche tout comme son père, le voilà intelligent et cultivé. Mais à la vue de ce cadavre de bois, ce pantin assis sur sa chaise, ramène au travail de Kantor sur son spectacle La classe morte. Chacun y portait l’effigie de son enfance, pantin de bois raide, figure mortuaire d’une innocence anéantie par l’adulte. ► Les ouvrages cités dans cette sélection bibliographique ont été choisis pour vous. Ils sont disponibles dans le cadre des Bibliothèques Municipales et de la Bibliothèque de Genève. Pour des informations complémentaires : Bertrand Tappolet Théâtre des Marionnettes de Genève 3, rue Rodo - cp 217 - 1211 Genève 4 tél. +41 22 418 47 84 mobile +41 0 79 517 09 47 e-mail [email protected] Petites notes de rappel pour les spectacles du Théâtre des Marionnettes de Genève Prix = CHF 4.- par élève Note 1) La somme exacte correspondant au nombre d’élèves le jour de la représentation (nbre d’él. x CHF 4.-), est à verser à la caisse en coupures – pas de monnaie disponible sur place. Note 2) La prise des billets s’effectue 20 minutes avant le début du spectacle ; le temps restant est mis à profit pour passer au vestiaire et entrer en salle. Note 3) Les représentations débutent à l’heure. En raison de l’horaire des bus et afin de respecter la ponctualité des sorties de classes, il n’est pas possible d’attendre les retardataires. Davantage d’informations sur : www.marionnettes.ch T TT Théâtre des Marionnettes de Genève - Rue Rodo 3, 1205 Genève / Tél. 022/418.47.70 - fax 022/418.47.71