Le cœur de métier…

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FOCUS
Le cœur de métier…
ujourd’hui, il faut se recentrer sur le cœur de métier ! Tous au bloc opératoire ! Une
définition : le concept de cœur de métier d'une entreprise est le domaine d'activité premier à partir duquel elle s'est développée et dans lequel ses compétences sont indiscutables. C'est son domaine d'activité stratégique. Ainsi, lorsqu'une entreprise « se recentre
sur son cœur de métier », elle abandonne toutes ses activités non stratégiques en les cédant
(vente ou externalisation) à une autre entreprise dont c'est plutôt le domaine d'activité stratégique… Jusqu’où, doit-on appliquer, tel quel, ce schéma à l’anesthésie-réanimation ?
A
Ainsi transposé à notre métier, ce recentrage signifierait que
les praticiens que nous sommes doivent, à présent, s’en tenir
strictement au seul exercice clinique qui a donné son nom
à notre spécialité : anesthésier dans les blocs opératoires et
réanimer dans les réanimations. Lorsque cette injonction
prend sa source dans la pénurie de personnels médicaux spécialisés ou bien, de plus en plus souvent aujourd’hui, dans
une logique T2A exacerbée (au motif que l’acte d’un anesthésiste-réanimateur « hors le cœur de métier » n’est pas tarifé
hors bloc), il y a tout de même matière à s’interroger. S’interroger d’abord, sur le bien-fondé d’une telle proposition,
sur ses motifs, et ensuite, sur les conditions de sa mise en
œuvre. En effet, un tel recentrage, dicté par les circonstances, répond-il vraiment aux nécessités et représente-t-il LA
solution pour pallier les conséquences de choix politiques
passés ? On connaît leurs effets calamiteux : ils vont de l’installation de la pénurie médicale à la non restructuration des
plateaux techniques quand il en était encore temps. Le
SNPHAR est irréprochable de ce point de vue, comme de
tant d’autres, car il n’a cessé de tirer la sonnette d’alarme
devant l’attentisme des pouvoirs publics. Mais, demanderaiton aujourd’hui, pour ces mêmes raisons, au radiologue
interventionnel, de revenir à la réalisation exclusive des
radiographies et autres scanners ou bien au gastro-entérologue, ayant opté pour l’hépatologie, de revenir à celle des
colonoscopies ? Demanderait-on au chirurgien de passer la
quasi-totalité de son temps d’activité en salle d’opération –
à opérer, car c’est bien là son cœur de métier, pardi ! – pour
répondre à la pénurie liée à la crise des vocations ? Bien sûr
que non !
OÙ
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EST LA PLACE DES
MAR ?
En réalité, si d’aventure notre spécialité devait envisager
l’abandon d’activités a priori « non stratégiques », elle devrait,
avant toute chose, utilement considérer non seulement l’intérêt de la variété de notre exercice pour l’attractivité du
métier, mais aussi et surtout, l’intérêt des patients, qu’il s’agisse du travail en réanimation, dans les SAMU, dans les unités de soins palliatifs et traitement de la douleur, voire de la
prise en charge – contractualisée – de la période périopératoire dans les services de chirurgie.
Face à la crise démographique médicale prévue dans laquelle
nous sommes entrés, les établissements hospitaliers publics
sont à la recherche de temps médical anesthésique pour le
bloc opératoire. Personne ne contestera que les médecins
anesthésistes-réanimateurs (MAR) occupent la plus grande
partie de leur temps professionnel en salle d’opération. Ils
l’ont choisi et le feront, d’ailleurs, avec passion et d’autant
plus de satisfaction que les conditions de leur exercice
auront été bien pensées. C’est, hélas, de plus en plus rarement le cas, tant la recherche d’une productivité accrue a
tendance à négliger les conditions de sa réalisation. Nous
voulons parler ici de l’ergonomie, mais aussi, au sens le plus
large, du bien-être professionnel que l’on doit éprouver
dans son travail.
À l’hôpital, une partie de l’activité des MAR s’exerce en
dehors du bloc opératoire. Par nécessité pour la spécialité,
sans doute, mais également par choix des praticiens pour
une organisation de travail qu’ils ont décidée et qui semble
satisfaire aux exigences qu’ils se sont fixées en commun. Le
fait qu’à l’hôpital la notion de soins reste encore détachée
du revenu à l’acte, a permis aux anesthésistes-réanimateurs
d’occuper cet espace de service rendu aux patients. Dans
les deux cas, avant de décider de nouvelles stratégies recentrées, il faut considérer les organisations établies qui fonctionnent localement. Elles sont souvent, du moins faut-il
l’espérer, le fruit d’un partage de tâches bien compris,
depuis l’époque où les anesthésistes-réanimateurs n’hésitaient pas à investir des espaces que les chirurgiens leur abandonnaient volontiers : ceux de la médecine du patient chirurgical.
La période postopératoire entre dans ce champ. Que le
temps manque, comme le nombre, est une évidence qu’il
est superflu de rappeler ici. Combien d’entre nous pestent
vigoureusement contre leurs confrères chirurgiens « qui
pourraient quand même s’occuper des anticoagulants, de
l’antibiothérapie, etc. », tout en s’empressant, dans le même
temps, d’assurer cette charge qu’ils sont parfois bien près
de revendiquer ? Cette ambivalence est à l’honneur de
notre spécialité. Elle n’est pas encore totalement clarifiée.
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Elle trouve, sans aucun doute, ses origines dans la conviction du « bien faire », voire du « mieux faire ». La recherche
d’une place identifiée pour l‘anesthésiste-réanimateur dans
le parcours du patient comme dans l’espace de référence
pour les soignants est une autre possibilité… mais aussi la
nécessité de gérer les flux en s’écartant de la position de simple prestataire d’actes techniques.
LES PÔLES, «
GRANDES SURFACES
DE SOINS
»
La question n’est alors pas tant celle de la gestion des anticoagulants ou de l’antibiothérapie que de savoir si un anesthésiste mérite une place dans un service de soins, et
laquelle ?
Une unité de soins chirurgicaux, avec son personnel, avec
ses habitudes devenues aujourd’hui ses protocoles, avec ses
rythmes, voire ses rites, est indiscutablement un espace de
reconnaissance professionnelle. Que le chirurgien y occupe
une place de choix ne souffre pas de contestation : il est le
responsable médical référent du service pour sa spécialité,
depuis l’entrée jusqu’à la sortie du patient. Mais l’anesthésiste-réanimateur doit aussi pouvoir y jouer son rôle, y exercer la pleine dimension de son métier dans des prises en
charge qu’il maîtrise. Il peut ainsi y faire valoir son expertise,
à égalité de droits et de devoirs avec le chirurgien, dans la
gestion des soins non chirurgicaux qui sont de son domaine
de connaissances. Le manque d’effectifs ou de temps disponible pour une équipe n’est pas une saine justification ni totalement recevable pour accepter de voir arbitrairement supprimer cette prise en charge alors que le MAR a su, si
longtemps, y tenir une place essentielle. À l’ère des pôles,
« grandes surfaces de soins », il faut aussi savoir préserver
les relations professionnelles de confiance qui doivent se
tisser avec les personnels paramédicaux, avec les cadres, les
directeurs administratifs et les secrétaires… La vie professionnelle ne se résume pas aux actes techniques, mais
impose que l’acte intellectuel s’organise dans un milieu
favorable.
Enfin, le MAR doit entretenir avec ses patients des
relations en amont et en aval, lors des soins pré- et
postopératoires, qui donnent toute sa valeur à la
suppléance des fonctions vitales qu’il assure en peropératoire, certains diront, au cœur de son métier.
C’est dans ce contexte de prise en charge globale que l’on
peut craindre que la cession d’activités, jugées – par qui ?
– désormais non stratégiques, pour satisfaire à l’injonction
du recentrage sur le cœur du métier, puisse conduire à
une prise en charge moins efficace et, à terme, plus coûteuse
pour les patients. Bon nombre d’aspects médicaux, historiquement couverts par les MAR en périopératoire, en
feront les frais si ceux-ci doivent s’inscrire dans la logique
exclusive de la prestation d’actes au bloc.
Il est clairement démontré que la sécurité anesthésique a été
largement assurée par l’organisation de la consultation à distance, confortée par la visite préanesthésique, la veille. La
sécurité peranesthésique est, quant à elle, aujourd’hui assurée grâce aux procédures mieux codifiées, à la médicalisation de l’acte d’anesthésie, à la qualité du monitorage et surtout, à des produits d’anesthésie administrés de manière
scientifique, modélisée, plus qu’empirique... La notion,
récemment émise, de décès évités comme indicateur de la
performance d’une équipe « médicochirurgicale » mérite que
nous considérions l’investissement de notre spécialité dans
ce champ-là. D’évidence, ce n’est pas en nous recentrant
à marche forcée sur les blocs opératoires que notre contribution sera optimale en périopératoire.
Alors, le MAR doit-il cesser de prendre le temps de penser la
renutrition, de réaliser une réhydratation adaptée aux besoins
des patients âgés, d’assurer le dépistage et le traitement énergique d’affections intercurrentes, de décider la suppression de
certains médicaments inutiles, donc dangereux ? Doit-il cesser
d’environner le patient et sa famille d’une prise en charge adaptée de la douleur et des troubles du sommeil, quand on sait
qu’ils sont autant de facteurs qui interviennent dans la qualité
et le succès des soins pour lesquels le MAR a longtemps joué un
rôle déterminant ? Le doit-il, le peut-il encore ? Vaste question
dont la réponse ne réside pas exclusivement dans le champ de
l’économie, mais plutôt dans celui du raisonnable, ou du bon
sens.
ANESTHÉSIE-RÉANIMATION « À LA
FRANÇAISE » : UN CORPS DE MÉTIER
Cette logique d’anesthésie-réanimation « à la Française », bien
plus que le cœur de métier (ne devrait-on pas dire le corps
du métier ?), est aujourd’hui mise à mal du fait de contraintes démographiques et économiques qui obligeraient à un
recentrage tant espéré des gestionnaires. Veut-on voir les
anesthésistes évoluer vers un profil de fonction qui tiendrait
plus du technicien de bloc opératoire que du médecin praticien à part entière qu’il est encore aujourd’hui ?
Changer la culture de l’anesthésie à la Française ? Pourquoi pas si, après une réflexion nourrie, tous les acteurs
sont d’accord ? Mais il faudrait alors en accompagner l’organisation pour s’assurer de la réalité du transfert de
responsabilités comme des compétences.
Quant au cœur du métier, la fausse bonne idée est d’imaginer qu’en saturant le bloc opératoire d’anesthésistes, l’activité chirurgicale va automatiquement croître. De nombreux
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Le cœur de métier... (suite de la page 13)
acteurs de soins – dont certains à très haut niveau de qualification comme les chirurgiens, les anesthésiologistes, les
infirmiers de salle d’opération, les infirmiers anesthésistes
– travaillent au bloc opératoire dont le fonctionnement est
souvent régi par des règles archaïques qu’il serait bien
temps de changer.
més, les contraindrait à rester enfermés au bloc opératoire,
n’est sûrement pas une source d’attractivité pour notre spécialité. Traquons plutôt le gaspillage du temps anesthésique
et sachons lire dans la spécialité, les réels apports de son
exercice diversifié pour une qualité et une sécurité des
soins qu’elle a, de longue date, placées « au cœur de son
métier ».
Plus que le recentrage sur un cœur de métier, il faut sans
aucun doute mieux utiliser les compétences dans les affectations au bloc opératoire ou dans les secteurs de soins. De
nombreux internes choisissent l’anesthésie-réanimation
pour la diversité de l’exercice et la possibilité d’évolution des
pratiques tout au long de leur carrière. Les cantonner à
une activité professionnelle qui, une fois qu’ils sont diplô-
Michel DRU (Président)
Max-André DOPPIA (Secrétaire général)
L’introduction progressive de la T2A
s’est faite plutôt…brutalement
dès janvier 2008, et
à 100 % à hôpital,
alors qu’en clinique,
les honoraires médicaux n’entrent pas
dans la T2A…
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Depuis cette déclaration du candidat
en mars 2007, la
France a voté OUI à
la révision de la DE
qui introduit les
périodes inactives…
tout en affirmant
que cela constituait
un recul social qui
ne serait pas appliqué aux PH en
France…
NDLR : le lecteur peut utilement se reporter au PHAR N° 21, p. 6
Article de Michel DRU : « Quel rôle pour l'AR en postopératoire ? »
http://www.snphar.com/03-Bibliotheque/revue-phar-archives.aspx
Voici au moins un
point de convergence : le SNPHAR
ne dit pas autre
chose que cette
nécessité de ne plus
concentrer sur un
seul homme un
cumul de tâches
qu’il ne peut pas
bien accomplir…
Parlons en !
La précarisation
des PH systéma ti quement recrutés
comme contractuels
après avoir donné
6 + 5 +2 +/- 2
années à l’hôpital et
un système de
retraite Qui ne prend
pas la pénibilité en
compte : c’est ça
l’attractivité ?
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